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Avant d’apporter des éléments sur la définition de l’éducation pour la santé, il nous semble intéressant de nous pencher sur le travail de Chantal Eymard (Eymard, 2004, 2005). En effet, elle a mis en regard les modèles de l’éducation avec ceux de la santé, afin de faire ressortir les liens théoriques qui peuvent exister entre les deux notions (cf. Tableau VI). L’auteure insiste sur la valeur théorique de ce classement, spécifiant qu’il ne se veut ni prédictif, ni prescriptif.

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Tableau VI - Modélisation des liens théoriques entre les modèles de la santé et les modèles de l'éducation (Eymard, 2005)

Les Modèles de la santé Modèles de

l’éducation Bio-médicale Globale et positive Existence d’un sujet autonome et citoyen

Instruction

Utiliser les résultats de la science pour :

informer des éléments de savoirs nécessaires à la prévention des maladies au niveau individuel et collectif. Dans la maîtrise de la non maladie.

Se servir des résultats de la science pour :

enseigner les savoirs visant l’adaptation, voire l’ajustage physique, psychologique et culturel du sujet et des groupes dans un environnement social en perpétuelle évolution. Dans la maîtrise de la santé totale et globale.

Confronter les résultats de la science pour :

transmettre les savoirs nécessaires aux sujets et aux groupes afin qu’ils puissent décider de leur santé dans un environnement social en évolution.

Le sujet conjugue son savoir expérientiel aux savoirs savants pour organiser son mode de vie.

Développement du sujet

Entrer en relation

pédagogique avec le sujet ou le groupe afin de lui permettre de se connaître.

Le diriger dans la connaissance de son

fonctionnement organique, de son potentiel énergétique pour lutter contre les maladies.

Entrer en relation

pédagogique avec le sujet ou le groupe afin de développer la connaissance qu’il a de lui- même et de la société dans laquelle il évolue.

Piloter, guider le sujet et/ou les groupes dans la

connaissance de l’interaction de l’individuel physique, psychologique et culturel au collectif, pour qu’il ajuste son comportement aux normes sociétales.

Entrer en relation éducative avec le sujet ou le groupe afin de lui permettre de se connaître et de connaître le monde dans lequel il évolue. L’accompagner dans la prise de décision individuelle et collective concernant la santé, dans une connaissance du soi sujet et groupal évoluant dans un environnement social.

Inter action sociale

Diriger des projets individuels et collectifs.

Développer la conscience individuelle et collective des problèmes de lutte contre les maladies.

Construire un projet social de lutte contre les maladies. Amener le sujet à s’interroger par lui-même et par le collectif dans une perspective de maîtrise de non-maladie, pour le bien de soi et des autres.

Manager des projets individuels et collectifs. Développer la conscience individuelle de l’adaptation du sujet à un environnement en perpétuelle évolution. Amener le sujet et les groupes sociaux à uniformiser leurs attitudes aux normes en vigueur, définies par des priorités collectives.

Construire des projets individuels et collectifs avec les sujets ou les groupes. Développer l’autonomie du sujet et des groupes sociaux pour favoriser les prises de décision individuelles et collectives quant à la santé de l’homme, de la société et du monde.

Amener le sujet et le groupe à faire des choix individuels et collectifs, en tenant compte de son équilibre interne et d’une approche écologique des problèmes de santé.

Selon les modèles, on retrouve les différents éléments spécifiques à la promotion de la santé, notamment concernant la capacité des individus à être au centre des décisions concernant leur santé. Ce travail nous montre une variété des approches possibles en éducation à la santé.

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III - B) Éducation à la santé

Green & Tones (2010) estiment qu’il y a deux approches en éducation à la santé. Une première, « l’approche préventive », qui en se basant sur des théories psychologistes, cherche à modifier les comportements. La seconde, « l’approche éducative », plus en phase avec les conceptions modernes de l’éducation, vise à permettre aux individus de faire des choix responsables. C’est majoritairement en référence à cette deuxième approche que les différentes définitions récentes de l’éducation à la santé ont été formulées.

Ainsi, au milieu des années 80, Catford et Nutbeam (1984) proposent de définir l’éducation à la santé comme ayant pour but d’améliorer la santé au travers de changement de comportement, suite à diverses occasions d’apprentissages (avec un aspect plus individuel, qui comprend l’augmentation des savoir ainsi que la promotion de l’estime de soi et du self-empowerment ; et un aspect plus collectif et moins personnel, qui passe par la sensibilisation et l’apport d’informations et de conseils notamment).

Don Nutbeam (1998), dans le cadre d’un glossaire de la promotion de la santé publié par l’OMS, va préciser cette définition. Elle sera alors plus axée sur l’amélioration des compétences en matière de santé (comprenant l’amélioration des connaissances) et le développement des compétences psychosociales16, favorisant ainsi la santé des individus et des communautés.

“Health education comprises consciously constructed opportunities for learning involving some form of communication designed to improve health literacy, including improving knowledge, and developing life skills which are conducive to individual and community health.” (Nutbeam, 1998, p. 4)

Naidoo et Wills (2009) en définissent les objectifs de l’éducation à la santé ainsi :

16 Nous traduisons ici life skills par compétences psychosociales, d’une part parce qu’à notre connaissance, il n’y

a pas de terme correspondant précisément à life skills en français ; d’autre part parce que lorsque l’OMS a proposé un document sur les compétences psychosociales (World Health Organization, 1997), ils parlaient de life skills et de

psychosocial competences, et nos lectures nous ont montré que les traductions françaises préféraient regrouper les deux

termes anglais sous celui de compétences psychosociales. Ici, de la manière dont nous comprenons cette définition, nous estimons pouvoir parler de compétences psychosociales.

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« the goal is to empower individuals to take health related decisions by developing health literacy, self efficacy, self-esteem and coping skills » (Naidoo & Wills, 2009).

Les auteurs remettent l’individu au centre, et précisent la notion d’empowerment. Nutbeam et Naidoo & Wills, qui se sont notamment appuyés sur les travaux de Nutbeam et ceux de Kickbush (Kickbusch, 2001 ; Nutbeam, 2000), abordent la notion du développement de la littératie en santé. Nous reviendrons plus tard sur ce concept.

L’OMS définit l’éducation pour la santé comme l’ensemble des expériences d’apprentissage qui aident l’individu et la communauté à améliorer leur santé, en augmentant leur savoir ou en influençant leurs attitudes (World Health Organization, 2015).

Ce que nous pouvons retenir de ces différentes propositions, c’est que l’éducation pour la santé est principalement à destination des individus, mais certains auteurs estiment important d’intégrer la dimension collective dans l’éducation à la santé. Cette éducation repose massivement sur le développement de compétences. Ces compétences sont, en accord avec ce que nous avons pu définir avec la promotion de la santé, basées essentiellement sur les notions :

d’empowerment, c'est-à-dire sur cette capacité qu’auront les individus (certains auteurs parlent de self-empowerment dans ce cas) et les communautés à acquérir et/ou renforcer leur pouvoir sur leur santé,

 d’acquisition de connaissances en santé,

 d’adaptation, notamment au travers du développement de compétences psychosociales,

 de littératie pour certains auteurs.

Il nous semble important d’apporter quelques éléments de définitions à la notion de littératie en santé. La littératie est utilisée comme indicateur par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), qui la définit ainsi :

« La littératie est la capacité à comprendre et à utiliser l'information contenue dans des textes écrits dans divers contextes pour atteindre des objectifs et pour développer des connaissances et des aptitudes. » (OCDE, s. d.)

49 Deux approches de la littératie existent en santé. Une première plutôt axée sur le risque d’une faible littératie à éviter et une seconde plutôt orientée vers un ensemble de compétences à construire (Kickbusch, 2001 ; Nutbeam, 2008). Nutbeam (2000) définit la littératie en santé comme faisant référence aux compétences personnelles, cognitives et sociales qui vont déterminer l’habilité de l’individu à avoir accès, comprendre et utiliser l’information pour promouvoir et garder une bonne santé.

L’école est reconnue comme un lieu central pour mettre en place de l’éducation à la santé (Green, Tones, & Manderscheid, 1996), tant pour sa contribution importante à l’apport de connaissances, que pour sa participation essentielle à la construction des individus (Jourdan, 2010).

A partir de paradigmes d’organisation sociale, Fortin (2004) propose quatre paradigmes d’éducation pour la santé.

 Le paradigme rationnel ou l’homme tel qu’il devrait être

Dans ce paradigme, la santé est perçue comme une somme de connaissances objectives à transmettre. L’éducateur est alors un expert qui « sait » face à un individu qui « écoute et fait ». Nous nous rapprochons ici de ce que Eymard (2005) située à l’intersection de l’approche biomédicale et de l’instruction (cf. début de chapitre). Il s’agit de « l’approche préventive » proposée par Green & Tones (2010), pour laquelle « pour

être en bonne santé, il faut et il suffit de mettre en pratique les directives, c’est-à-dire supprimer toute conduite susceptible d’entraîner un dommage » (Fortin, 2004, p. 58). Ce paradigme se base sur

le postulat selon lequel tout individu agit de manière strictement rationnelle.

 Le paradigme humaniste ou « le libre bien-être »

Ce paradigme est centré sur l’individu et la « réalisation de soi », comprise comme la santé telle que définie par l’OMS en 1946. Nous nous rapprochons des compétences psychosociales, notamment celles orientées vers l’individu, telles que la confiance en soi, l’estime de soi et l’affirmation de soi. Le rôle de l’éducateur est alors d’accompagner le développement du sujet. Contrairement au modèle précédent, l’individu devient pleinement responsable de sa santé et libre d’en faire ce qu’il veut. Ce paradigme s’appuie

50 donc sur le postulat selon lequel l’individu est parfaitement conscient et maître de ses actions.

 Le paradigme de la dialectique sociale

A l’opposé des paradigmes précédents centrés sur l’individu,

« le paradigme de la dialectique sociale dépasse le développement personnel pour questionner les rapports permanents de l’homme à son environnement et interroger son degré de liberté au sein du groupe social » (Fortin, 2004, p. 61).

La notion d’empowerment est au centre de ce paradigme, tant sur la question de la maîtrise de l’individu sur son existence que sur le « pouvoir » sur son environnement. L’éducateur inscrit dans ce paradigme va adopter une démarche plutôt biopsychosociale.

 Le paradigme écologique

Dans ce paradigme, le contexte occupe une place centrale. L’individu est considéré comme évoluant à travers différents milieux et ayant des interactions avec les différents composants de ces milieux. En plus des environnements géographiques, une notion de dynamique va être apportée dans ce paradigme par rapport aux paradigmes précédents. L’éducateur ne sera pas tant focalisé sur les comportements de l’individu, mais plutôt sur la motivation que celui-ci aura à adopter tel ou tel comportement, en fonction de la prise en compte du contexte de vie. Enfin, d’après l’auteur, la promotion de la santé s’inscrit dans ce paradigme.