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La question de la prise en compte de la santé et du bien-être de leur publique par les acteurs à travers leurs conceptions et leurs pratiques de la santé et du bien-être des jeunes est au centre de notre analyse. Malgré les limites précédemment citées, nous avons obtenu un aperçu des types d’actions mises en place autour de la santé des jeunes sur un territoire déterminé. Nous avons également obtenu des données permettant d’établir une typologie des conceptions individuelles sur la santé.

D’un point de vue éducatif, nous pouvons en premier lieu constater une certaine complexité. La conception biomédicale de la santé semble la plus partagée et être surreprésentée dans notre échantillon. Les approches thématiques massivement ponctuelles ont des limites qui sont aujourd’hui connues, notamment dans le risque d’augmentation d’inégalités de santé (Berger et al., 2006). De même, les approches « négatives » ici mises en lien avec les notions biomédicales (notamment au travers de la réinterprétation de la question sur les « questions de santé » en « problèmes de santé ») sont bien moins efficace que les approches positives (Stewart-Brown, 2006 ; L. H. St Leger et al., 2007). Nous pouvons nous questionner sur les causes de cette orientation. Rappelons que, dans le milieu enseignant, la transmission d’informations est mise en avant dans le code de l’éducation (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2004a, 2004b, 2010, 2011a, 2014). Mais cette transmission d’information a pour finalité de « [favoriser] l'épanouissement de l'enfant, lui [permettre] d'acquérir une culture, le [préparer] à la vie professionnelle et à l'exercice de ses responsabilités d'homme et de citoyen » (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2013a). Dans cette logique, dans les discours de professionnels que nous avons analysés (enseignants ou non), les activités « d’instructions / biomédicale » (Eymard, 2005) mises en place étaient régulièrement développées dans ce sens. Dans cette optique, nous pouvons estimer que la notion d’empowerment, qui est centrale en éducation pour la santé, est partiellement travaillée dans son acception de self-empowerment. Parallèlement, quelques

130 professionnels adoptent une approche qui met en lien avec la santé l’intégration des jeunes comme futur citoyen. En revanche, malgré des effets bénéfiques reconnus – tant sur les élèves eux-mêmes et leurs relations que sur l’établissement et les acteurs impliqués (Griebler, Rojatz, Simovska, & Forster, 2014) – « l’empowerment communautaire »37 ne paraît que peu développé par les différents acteurs.

Les dimensions « biopsychosociale » (World Health Organization, 1946) et relative au bien-être, constitutives de l’approche « globale et positive » de C. Eymard (2005), sont cependant relativement présentes – même si elle sont rarement évoquée au premier abord. Le développement de certaines compétences psychosociales (l’assurance, l’estime de soi, le dépassement de soi, l’image de soi, etc.) notamment est très présent dans les discours. En ce qui concerne la dimension sociale, elle est plusieurs fois évoquée dans la résolution de conflits ou faisant suite à un problème, mais très peu dans les relations entre la personne et son environnement social. La question de la socialisation des jeunes n’a que très peu été évoquée. De même, très peu d’acteurs ont abordé le rôle des pairs comme pouvant être des moteurs dans les actions de santé. Pourtant leur influence est reconnu, que se soit au niveau des résultats scolaires (Hernandez, Oubrayrie-Roussel, & Preteur, 2012) ou au niveau du développement de compétences psychosociales (Kendrick, Jutengren, & Stattin, 2012 ; Schinka, VanDulmen, Bossarte, & Swahn, 2012). La notion de climat (scolaire, de structure) n’a d’ailleurs pas été évoquée en tant que telle parmi les objectifs. Si nous avons pu en retrouver différentes composantes dans les discours, nous n’avons pas relevé de liens faits par les professionnels avec la santé.

En plus des activités éducatives, les différents acteurs évoquent des actions sur l’environnement des jeunes. Plusieurs d’entre eux évoquent les parents (en tant que parents et non en tant qu’individus). L’implication des familles pour la promotion de la santé des enfants est reconnue, aussi bien dans la littérature (Sormunen, Tossavainen, & Turunen, 2013) que dans notre échantillon. Néanmoins, nous pouvons constater une distance certaine dans le discours des professionnels sur les

37 Nous nous permettons ici un rapprochement entre la notion d’empowerment communautaire en relation

avec la promotion de la santé présentée par Naidoo & Wills (2009) et la participation des élèves aux écoles promotrices de santé, tel que définit par Griebler & al. (2014).

131 parents. Si dans l’ensemble le dialogue acteurs/parents semble assez présent, nous ne relevons que très peu d’initiatives communes, impliquant parents et acteurs. En revanche, plusieurs professionnels (notamment en centre sociaux) proposent des activités à destination des familles dans leur ensemble (séjours en vacances, etc.).

Les autres acteurs de l’éducation ont été cités notamment par les enseignants en tant que partenaires pour des actions occasionnelles (notamment pour les séances d’éducation à la sexualité en milieu scolaire). Le partenariat est reconnu comme pertinent pour mettre en place certaines activités, notamment éducative (Merini & De Peretti, 2002). Si on s’en réfère aux Réseaux d’Ouverture et de Collaboration (ROC) proposés par Mérini et De Peretti (2002) et aux objectifs de chacun des trois types proposés (complément d’information pour le ROC de type 1 ; agir en situation pour le ROC de type 2 ; transformer les mentalités et les pratiques pour le ROC de type 3), les évocations de partenaires par les acteurs de notre échantillon se fait surtout en lien avec l’apport d’information et parfois en lien avec « l’agir en situation ». Il convient néanmoins de rester prudent avec ce constat, puisque notre questionnaire n’encourageait pas particulièrement les interviewés à développer dans ce sens, les informations que nous avons concernant le travail collaboratif sont donc très partielles.

Enfin, en ce qui concerne l’environnement « physique » (matériel, locaux) des structures qui accueillent les jeunes, seuls les acteurs « spécialisés » l’évoquent (gestionnaire, personnels de restauration). Malgré son importance pour le bien-être et la santé des enfants (Lister-Sharp, Chapman, Stewart-Brown, & Sowden, 1999), les acteurs paraissent peu en tenir compte en lien avec la santé. Dans le cadre de nos recherches, nous avons eu l’occasion d’assister à des initiatives qui mettaient en avant l’environnement physique des élèves lors de séances de classes, en proposant des activités scolaire hors-classe (au sens physique) régulière (Aagaard-Hansen, Jourdan, Mygind, & Bentsen, 2014).

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Figure 15 : synthèse des caractéristiques des conceptions et des pratiques déclarées par les acteurs interrogés

II - A) Vulnérabilité

Notre grille d’entretien n’était pas centrée sur la vulnérabilité. Seuls les professionnels qui estimaient cet élément important l’ont abordé.

Après analyse des verbatim, nous pouvons constater que les termes les plus souvent utilisés par les professionnels sont « difficile » ou « en difficulté » pour parler des publics vulnérables. Les facteurs évoqués pouvant être source de vulnérabilité sont économiques et/ou familiaux. Les liens entre origine sociale et difficultés scolaires (Marmot et al., 2010 ; Menvielle et al., 2007 cité par Lang & Leclerc, 2010) ont parfois était mentionné par les professionnels.

Il nous semble important de distinguer ce qui relève du risque – c’est-à-dire de la probabilité que des dommages particuliers apparaissent – de la vulnérabilité – c’est-à- dire les dommages potentiels que peut subir un individu ou un groupe d’individu face à un événement particulier (United Nations Development Programme, 2004). Quand les professionnels parlent de « publics difficiles », ils évoquent essentiellement des

133 conditions socio-économiques, donc des populations plus sujettes aux facteurs de risques et effectivement plus vulnérables.

Face aux inégalités, les professionnels adoptent régulièrement une attitude compensatoire (aides financière, aide aux devoirs, etc.). L’action des acteurs est généralement ciblée, ce qui peut amener à entrer dans une logique de catégorisation du public comme « population à risques ». La principale limite d’un tel raisonnement est que les objectifs des acteurs sont très ciblés et ne permettent pas de réduire les inégalités sur le long terme (Frohlich & Potvin, 2008). Néanmoins, nous pouvons expliquer cette volonté des professionnels de favoriser les actions ciblées par leurs difficultés à sensibiliser les publics les plus vulnérables quand ils s’intéressent à l’ensemble de la population.

D’autres activités énoncées par les différents acteurs ont des objectifs qui peuvent être pris dans une logique plus axée sur la notion de résilience (les actions de promotion de la santé adoptant une approche globale permettent d’améliorer la résilience des individus (Stewart & Wang, 2012)). Les acteurs revendiquant des actions visant à développer l’autonomie des publics, le renforcement de la communauté, le travail sur l’environnement des jeunes, la prise en compte de l’hétérogénéité des compétences des publics en littératie participent donc à la réduction des inégalités et de la vulnérabilité des jeunes (Barnekow et al., 2006 ; L. H. St Leger et al., 2007).

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II - B) En conclusion intermédiaire

Pour conclure cette seconde partie, les résultats des entretiens sont intéressants dans la mesure où cette recherche ne se limite pas uniquement au milieu scolaire et où elle cherche à prendre en compte les différents « microsystèmes » de l’enfant38. En effet, la prise en compte des différents acteurs des milieux de vie de l’enfant pour la promotion de sa santé est reconnu (Jourdan, O’Neill, Dupéré, & Stirling, 2012 ; Stewart-Brown, 2006 ; World Health Organization, 1986). Nous avons pu obtenir des résultats variés quant aux conceptions et aux pratiques des acteurs des secteurs éducatif, social et sanitaire.

Cette partie nous permet de répondre à notre seconde hypothèse :

« Les approches adoptées en ce qui concerne la santé et/ou le bien-être des jeunes par les professionnels ne permettent pas d’en traiter pleinement les différentes dimensions. »

Cette hypothèse est partiellement validée. En effet, notre recueil nous permet d’avancer qu’un grand nombre de dimensions relatives à la santé sont abordées par les différents acteurs. En revanche, si nous constatons la présence des dimensions biomédicale et dans une moindre mesure biopsychosociale, les dimensions relatives à l’autonomie et à l’empowerment ne sont que très rarement rapprochées des notions de santé.

Nous allons désormais nous intéresser au second dispositif qui nous a permis de recueillir les résultats concernant les conceptions et les pratiques déclarées des adolescents.

38 Nous faisons ici référence au concept développé par Bronfenbrenner (1977). Les microsystèmes sont les

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PARTIE III : Le dispositif