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Après avoir suivi les destinées du monde celtique, de l’Empire romain et des féoda-lités burgonde ou franco-bourguignonne, le peuple du Valais eut à souffrir, au milieu de l’an mille, de la confrontation entre les prérogatives des seigneurs locaux et les rêves de puissance de la Maison de Savoie, à laquelle le Chablais franco-bourguignon venait d’être abandonné.

L’Evêque de Sion pouvait fonder son droit de résister aux prétentions savoyardes, sur des titres en vertu desquels l’empereur d’Allemagne l’aurait institué comte et préfet du Valais374, pays qui englobait toute la vallée du Haut-Rhône jusqu’à l’Eau froide de Villeneuve. Mais sa légitimité était bien faible face aux prétentions locales de l’Abbé de Saint-Maurice qui entendait gérer à sa façon les biens, tel le Pays valaisan d’Outre-Rhône, que Sigismond avait jadis donnés à son couvent et que ses successeurs avaient fini par lui laisser. La préséance de l’Evêque de Sion sur ce mauvais coucheur abbatial fut réduite à peu de chose lorsque la Maison de Savoie se fut emparée du Bas-Valais jusqu’à la Morge de Conthey. L’Abbé de Saint-Maurice, devenu un grand seigneur romand, put alors affermir les droits qu’il avait acquis dans nombre de localités de l’ancien domaine épiscopal. L a r e c o n q u ê t e é p i s c o p a l e e t h a u t - v a l a i s a n n e

L’alliance imprudente contractée par la duchesse Yolande de Savoie avec le duc de Bourgogne Charles le Téméraire, signa en 1475-1476 la fin du régime savoyard en amont de Saint-Maurice. L’Evêque de Sion et les communes du Haut-Valais s’emparèrent du Bas-Valais, de la Morge de Conthey à Massongex. Le Bas-Valais devint un pays sujet du Haut-Valais, et sera soumis à l’arbitraire d’un gouverneur qui siègera au château de Saint-Maurice. Jusqu’à la grande Révolution de 1798, les communes d’Outre-Rhône constitueront une circonscription de la bannière de Saint-Maurice, arrondissement administratif, judiciaire et militaire de ce bailliage.

En 1536, l’évêque et l’Etat des VII Dizains (sorte de fédérations des communes

des sept régions haut-valaisannes englobant Sierre et Sion) occuperont aussi

le Chablais savoyard en aval de Massongex jusqu’à la Dranse de Thonon. Ils en firent les gouvernements de Monthey, d’Abondance (ou Saint-Jean d’Aulps) et d’Evian. Par un traité du 4 mars 1569, ils restituèrent les deux derniers au duc de Savoie, mais conservèrent définitivement le gouvernement de Monthey. Cet ancien mandement savoyard, au climat doux et au relief apaisant, devint le joyau des possessions épiscopales et fut constitué en un gouvernement valaisan distinct du gouvernement général de Saint-Maurice.

Avec l’acquisition définitive de Monthey, l’Evêque de Sion avait uni la puissance spirituelle, qu’il exerçait depuis les temps reculés de la christianisation, et la puissance temporelle territoriale dont les comtes – plus tard ducs – de Savoie l’avaient en partie dépossédé. Il ne manquera au domaine épiscopal que les riches mandements savoyards d’Aigle, occupés provisoirement, en 1475-1476, par les Bernois qui les incluront en 1536 dans le Pays de Vaud. (Le décanat d’Aigle

demeure cependant, aujourd’hui encore, sous la responsabilité canonique du siège diocésain de Sion.)

On sait que les conquêtes territoriales ne sont pas bonnes pour le pouvoir d’Etat. C’est ce que dut méditer l’Evêque de Sion aux prises avec les turbulences émanci-patrices des communes haut-valaisannes. Au début du XVIIesiècle, les patriotes de l’Etat ou République des VII Dizains s’emparèrent de sa puissance temporelle. C’était aussi un effet réflexe de la Réforme protestante qu’ils avaient contribué à maîtriser brutalement. A la même époque, et sans doute pour les mêmes raisons, les droits seigneuriaux de l’Abbaye de Saint-Maurice commencèrent à être rognés

de toutes parts comme le dit intelligemment Dupont-Lachenal375. Cent ans plus tard, le pouvoir temporel du haut clergé aura largement fait place, dans tout le pays, à la souveraineté des patriotes haut-valaisans. L’un des derniers privilèges territoriaux de l’Abbé de Saint-Maurice dans le Pays valaisan d’Outre-Rhône tombera en 1774. La Diète acquit alors les droits que ce seigneur exerçait depuis le Moyen Age sur le territoire du Rosel, dont elle fixa les limites pour prévenir les conflits intercommunautaires. Les contestations relatives au rachat de certains droits féodaux, prétendus par l’Abbaye ou l’Hospice Saint-Jacques sur le territoire de la Commune de Dorénaz, ne seront toutefois liquidées qu’au milieu du XIXesiècle.

L a s u j é t i o n r u r a l e

Rien ne permet d’affirmer qu’après avoir substitué sa puissance à celle de l’Evêque, l’Etat prétendument républicain et populaire des VII Dizains se soit préoccupé du Pays valaisan d’Outre-Rhône. Il serait donc vain d’opérer des distinctions, néces-sairement spécieuses, entre les statuts juridiques de ce pays, selon que les secousses

de l’histoire l’ont placé sous les empires régionaux de la Maison de Savoie, de l’Abbé de Saint-Maurice, de l’Evêque de Sion ou de l’Etat des VII Dizains. Il suffit de constater que, déjà au temps de l’occupation savoyarde, les habitants d’Outre-Rhône s’étaient organisés durablement en cinq petites communautés

(Allesse, Arbignon, Collonges, Dorénaz et Rosel), et que ces communautés relevaient

directement, les unes (Arbignon, Collonges, Dorénaz) de la juridiction de l’Abbé de Saint-Maurice et les autres (Allesse, Rosel) des châtellenies savoyardes de Saillon, Martigny ou Saint-Maurice376. Au moment de la reconquête épiscopale et haut-valaisanne du Bas-Valais, toutes les communautés d’Outre-Rhône étaient assujet-ties d’une manière ou d’une autre à l’Abbé de Saint-Maurice.

Nous allons esquisser l’origine des droits seigneuriaux exercés par ce monastère sur les villages de Dorénaz, d’Allesse et du Rosel, sis sur le territoire actuel de la Commune de Dorénaz. Notre examen sera des plus succincts, car les rapports féodaux ne revêtent qu’un intérêt mineur dans l’histoire sociale – parsemée de légendes – de communautés que leur confinement, leur marginalité et la pau-vreté de leurs ressources, protégeaient de la convoitise des grands.

Le Diabley (village de Dorénaz) aurait été un fief de la famille agaunoise Wychardy. En 1302, un ayant-droit de cette famille, chanoine de Troyes et bourgeois de Saint-Maurice, aurait légué le village à l’Hospice Saint-Jacques, de Saint-Saint-Maurice, établissement dépendant de l’Abbaye qui en choisissait le recteur parmi ses chanoi-nes. C’est donc par ce legs que l’Abbaye aurait acquis la seigneurie de Dorénaz, sur laquelle elle exercera désormais ses droits de suzeraineté par l’organe d’un fonc-tionnaire portant le titre de châtelain377.

Les gens d’Allesse étaient rattachés à la châtellenie savoyarde de Martigny (La Bâtiaz), à laquelle ils prestaient la corvée. En 1431, ils seraient tombés sous la dépendance de celle de Saint-Maurice, par une décision du duc de Savoie, qui se serait fondé sur le fait qu’Allesse aurait été un pays de droit écrit et non de droit coutumier378. Après la conquête du Bas-Valais (1475-1476), les gens d’Allesse et dépendances auraient fait partie de la mense épiscopale à laquelle ils auraient payé un tribut. Quoi qu’il en soit, les consorts d’Allesse exploitaient en pleine propriété leurs terres de la montagne ; ils exerçaient en outre des droits de jouissance sur certains lieux des coteaux en vertu d’un privilège obtenu en 1351. Selon une reconnaissance tardive du 29 septembre 1766, les terres d’Allesse379

étaient divisées en quatre mas : le territoire du nord (Martorey, Chepelet, Molinets,

376Les médiévistes bénéficient aujourd’hui du travail entrepris par l’Abbaye de Saint-Maurice pour répertorier ses archi-ves; ces documents étant désormais aisément accessibles, il nous suffit d’y renvoyer les lecteurs désireux d’élargir les données délibérément sommaires que nous présentons ici.

377Dupont-Lachenal, p. 117, qui cite le Vallais historique de Rameau et l’article succinct sur Dorénaz publié par Tamini dans le Dictionnaire historique et biographique de la Suisse.

378Dupont-Lachenal, p.121; nous n’avons pu vérifier cette donnée juridique, à première vue fort surprenante.

Buys, Pluets, Caroz, Combasse, Preloz, Riva, Tarpein-nou) ; le territoire du sud (Ravoire, Combes, Praz de La Délèze, Oches, Planches, Crettes, Vésenot, Orient, Grands-Proz, Champex et Chanex) ; le territoire d’en haut (Mont d’Allesse, Cergna, Pradelé) ; le territoire d’en bas (Esserts, Sameudry, Chemenaux, Mollies, Reloey, Rebeudanne).

Au bas Moyen Age, le Rosel380aurait entretenu des relations juridiques obscures avec la châtellenie de Martigny381. A compter de 1281 et jusqu’en 1774, il fut une seigneurie de l’Abbaye de Saint-Maurice dont nul ne semble avoir contesté la souveraineté. C’est à peine si, à la fin du XIIIesiècle, le comte de Savoie, alors maître du Bas-Valais jusqu’à la Morge de Conthey, revendiqua quelques droits sur ce territoire. La justice ne lui reconnaîtra qu’une réserve de chasse dans les forêts du mont, de la Saint Jean à la Toussaint. C’est en réalité le sacristain de l’Abbaye, haut fonctionnaire domestique, qui aurait exercé sa suzeraineté sur le Rosel, bien immobilier qui serait entré intuitu officii dans sa sphère personnelle, de même que la plaine de Salvan, qui, au nord du Trient, faisait face à la partie septentrionale du Rosel382. Ce voisinage et cette confusion administrative entre Salvan et le Rosel seront l’une des sources des malheurs qui accableront ce dernier hameau.

L e s d r o i t s f é o d a u x

Les rapports de sujétion rurale, ainsi esquissés, ne sont intéressants que dans la mesure où ils contribuent à faire comprendre la rigueur du temps. Les commu-nautés locales (urbaines ou rurales) ne pouvaient subsister sans le soutien d’une puissance extérieure, qu’il s’agisse d’un seigneur ecclésiastique ou laïc, voire d’une corporation supérieure de bourgeois citadins, comme – ailleurs en Suisse – celles de Fribourg et de Berne. Elles avaient besoin de ce soutien pour prévenir les immixtions d’usurpateurs externes, pour obtenir que crimes et délits fussent poursuivis et jugés, pour qu’une sécurité juridique minimale leur fut garantie par la tenue de registres embryonnaires énonçant l’état des personnes ou des droits réels, pour soumettre à un arbitrage judiciaire respecté leurs contestations civiles (successions p. ex.) voire administratives (litiges relatifs aux biens collectifs des communes et des consortages), pour régler tout contentieux paroissial éventuel, ou pour offrir un asile à leurs impotents et à leurs malades mentaux. A défaut de justification, les droits féodaux de tous genres, qui tendaient au premier chef à accroître le bien-être du seigneur bénéficiaire, trouvaient donc une raison d’être et une acceptation relative parce que le suzerain aménageait des institutions sociales rudimentaires dont les collectivités rurales n’auraient pas eu les moyens de se doter.

380Le Rosé dans le Dictionnaire géographique de Lutz.

381Philippe Farquet, Martigny au XIVe siècle, in Annales valaisannes – Saint-Maurice – Série 2, vol. 5 (1943), n° 1, pp. 1-16, p. 3, milieu.

Les communautés d’Outre-Rhône payaient, par conséquent, sans trop rechigner, la dîme que l’Hospice Saint-Jacques et l’Abbaye de Saint-Maurice prélevaient sur leurs récoltes, et qui était théoriquement rachetable ou convertible en numéraire. Ce n’était pas à proprement parler un impôt dans la mesure où, selon nos concep-tions démocratiques, l’impôt n’est perçu que pour financer la politique de l’Etat et a pour corollaire le droit des citoyens-contribuables de contrôler cette politique et de l’orienter vers l’intérêt collectif.

L a f i n d e l a s u j é t i o n r u r a l e

En 1798-1799, les armées du Directoire français libérèrent le Bas-Valais et balayè-rent les rapports féodaux de sujétion rurale. Le gouvernement helvétique plaça sous séquestre les biens et titres conservés par l’Abbaye de Saint-Maurice ; celle-ci dut même fusionner avec la Maison du Grand-Saint-Bernard, en 1805, pour n’être rétablie qu’en 1814, à la chute de l’autocratie bonapartiste.

En Outre-Rhône, certains privilèges fiscaux de l’Abbaye de Saint-Maurice et de l’Hospice Saint-Jacques, qui avaient subsisté sous la domination haut-valaisanne, semblent avoir été rétablis par la Restauration de 1815. La dîme des récoltes, due par les consorts du Rosel, dont la valeur avait en dernier lieu été fixée à cent deux pots de grain, ne fut ainsi rachetée qu’en 1830 par l’Etat du Valais. En février et juillet 1833, la Commune de Dorénaz devra encore acquitter des lods (droits de mutation) auprès de l’ancien seigneur abbatial pour acquérir des parcelles dans le Mont du Rosel. Enfin, le Conseil de Dorénaz consacrera sa séance du 27 jan-vier 1856 à débattre du sort à réserver aux réclamations de l’Hospice Saint-Jacques, ayant pour objet la dîme des années postérieures à la révolution nationale de 1848.