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S ŒURS SISMOLOGUES : SCIENCE ET SPIRITUALITÉ

Les relations houleuses qu’ont entretenues, et entretiennent toujours, les Québécoises et Québécois par rapport à leur passé catholique teintent grandement ce film. Alice représente cette génération née durant la Révolution tranquille166 qui a appris à rejeter d’emblée toute forme de dogme catholique, mais à quel prix? Dans son texte « Fluid Relations : Québec Cinema and the Church » (2005), Erin Manning se penche précisément sur la représentation du religieux dans La turbulence des fluides. L’auteure suggère que, par rapport à l’histoire du cinéma québécois, la proposition de Briand est l’une des plus nuancées face à l’héritage religieux.

      

166 On tient cette information du gros plan sur son passeport (00 :06 :48) sur lequel on peut lire : « Date de naissance : 07 déc. 1967 ».

What La turbulence des fluides proposes, rather, is a story of fluid relations that offers an unusually nuanced engagement with the challenges posed by the interlocked futures of science and faith, of international environmental politics and extended communities, of life and death […] This is a rare film that allows us to explore the depths of our own prejudices, our own affiliations and renunciations167.

La scène dans laquelle Alice visite le monastère du village, pour réparer la station sismographique enfouie dans son sous-sol, témoigne de cette représentation nuancée dans laquelle se côtoient science et religion.

Dans cette scène, Alice et sa collègue se rendent au monastère pour changer le papier du sismographe afin de le réactiver. Pendant que la sœur les dirige vers la voûte dans laquelle est situé l’appareil, Alice s’arrête sur un grand cadre de photographies représentant les chambres dans lesquelles logeaient les orphelines et orphelins accueillis par le monastère. On entend en hors champ la voix de la sœur qui leur explique que le sismographe était entretenu par une sœur qui a défroqué de leur église il y a un an. Au grand étonnement de la communauté religieuse baie-comoise, cette sœur est passée du jour au lendemain de religieuse à serveuse de nuit dans un casse-croûte. La sœur ajoute que cette femme ne

      

167 Manning, Erin (2005), « Fluid Relations : Quebec Cinema and the Church », Nouvelles vues sur le cinéma québécois, n° 4, p. 2 et p. 5-6.

voulait que personne ne touche à ses appareils de sismographie. Elle la décrit comme une femme protectrice qui veillait sur ses appareils tout comme elle veillait sur les orphelin.e.s de la pouponnière. À ce moment, Alice arrête son chemin et réfléchit. Par la mise en scène, on devine que le personnage fait, à ce moment précis, une réalisation importante : Colette, la serveuse qu’Alice visite la nuit et qui veille sur les allées-venues de la jeune Camille somnambule, était un an plus tôt la sœur responsable de la station sismologique et s’occupait plusieurs années auparavant de la pouponnière de l’orphelinat dans lequel Alice a été recueillie. Descendue à la voûte, Alice inspecte le sismographe. Durant ce temps, les trois femmes discutent de l’arrêt de la marée et de ses causes potentielles :

- [Sœur] Vous savez y’a longtemps on disait que la marée était la respiration de Dieu.

- [Catherine] Dieu serait-il en train d’étouffer?

- [Sœur] Oh ! Il fait peut-être exprès de retenir son souffle. [Rires]. Mais on va prier très, très fort pour qu’il reprenne ses sens. -[Alice] C’est bien gentil, mais je ne pense pas que ça fasse de différence.

-[Sœur] Ah tout est possible quand on a la foi. Mais vous je

comprends. Vous êtes des scientifiques. Les scientifiques ont du mal avec une force supérieure qui échappe à la raison. (0:51 :38-0:52 :02)

Dans cette séquence, on assiste à une opposition classique entre raisonnement scientifique et croyances religieuses. Ce qui est intéressant et assez inusuel ici est qu’aucune de ces trois femmes ne se sent menacée ou agacée par les croyances de l’autre. Elles rigolent à la fois de l’idée de penser la marée comme une respiration

de Dieu et de la difficulté qu’ont les scientifiques à s’abandonner dans une explication « qui échappe à la raison ».

La séquence qui suit cette scène dans la voûte relate précisément ce qu’entend Manning lorsqu’elle qualifie La turbulence des fluides de : « a story of fluid relations that offers an unusually nuanced engagement with the challenges posed by the interlocked futures of science and faith »168. Après avoir réparé le fil du sismographe, Alice monte à l’étage pour s’assurer de la prise d’informations sismiques par l’imprimante à ondes. Elle demande à sa collègue de sauter sur la plaque dans la voûte pour vérifier si l’appareil enregistre les vibrations. Après quelques essais, Alice remarque que les religieuses, curieuses des mouvements de l’appareil, se sont attroupées autour d’elle. La sismologue se prête au jeu : afin d’assouvir la curiosité des religieuses, elle demande à sa collègue de continuer de sauter, malgré le fait que sa vérification est terminée. L’engouement des religieuses face au fonctionnement de l’appareil témoigne de ce désir de Briand de mettre en scène une cohabitation respectueuse entre le passé religieux québécois, représenté par les sœurs du monastère de Baie-Comeau, et les avancées de la science et de la technologie, représentées par Alice et son sismographe. Rappelons également que ce sismographe réside depuis des décennies dans la voute d’un monastère catholique et qu’il était opéré par la sœur sismologue Colette !