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L’ ÉCOFÉMINISME À L ’ ÈRE DE LA MONDIALISATION

F EMME NATURE : FIGURES FÉMININES DÉMÉTÉRIENNES , ÉCOFÉMINISTE ET CINÉMA

3.3 L’ ÉCOFÉMINISME À L ’ ÈRE DE LA MONDIALISATION

Dans son article « Les défis de l’écoféminisme », Ariel Salleh propose que l’écoféminisme permet de constater que les femmes et l’environnement subissent

      

139 Ibid., p. 10. 140 Ibid., p. 17-18.

des formes semblables d’oppression et d’exploitation devant la conjoncture spécifique du capitalisme et de la mondialisation. Selon elle, il est primordial de démontrer que cette co-exploitation prend des proportions beaucoup plus importantes avec la globalisation de l’économie141. Le désir d’accumuler du capital à tout prix, jumelé à la centralisation des pouvoirs par les entreprises transnationales est, selon elle, en 1996, un facteur accentuant l’assujettissement conjoint de la nature et des femmes.

Une définition précise de notre compréhension de la mondialisation dans le cadre spécifique à la société québécoise est de mise, puisque les trois films en question ont été produits entre 2001 et 2010, soit une période de mondialisation post-(deuxio) référendaire hautement déterminante pour le Québec. Ces mises en image du rapport Femme-nature prennent un sens particulier lorsqu’on considère les revendications des écoféministes face aux effets de la mondialisation sur l’écologie et sur les corps féminins. Dans l’encyclopédie canadienne en ligne, on décrit la mondialisation comme un processus d’interdépendance des peuples et des pays du monde par le biais de l’évolution de la technologie des transports, des communications et du commerce international. Ce terme serait né dans les années 1960, mais aurait pris de l’ampleur et de l’importance au courant des années 1990142. Bien qu’un grand

      

141 Salleh, Ariel (1996), « Les défis de l’écoféminisme », Écologie et politique, n° 16, p. 108. 142 Encyclopédie canadienne, « La mondialisation ». En ligne :

nombre de penseurs ont vu des avantages économiques et politiques à la mondialisation, les critiques de celle-ci dénoncent les motivations capitalistes et la centralisation des pouvoirs qui soutirent la souveraineté aux nations et qui, au Canada par exemple, ont des conséquences bien précises sur de nombreux programmes sociaux.

En mettant en concurrence les États les uns contre les autres, les sociétés appliquent un « nivellement vers le bas », font valoir les critiques; avides de recevoir des investissements, certains gouvernements acceptent de réduire les impôts des sociétés, les normes sociales et environnementales ainsi que les conditions de travail143.

Les effets de la mondialisation se sont fait ressentir à différents niveaux durant le XXe et le XXIe siècle. Les pays, leur gouvernement et les peuples nationaux ont

également réagi de différentes façons à la mondialisation.

Dans son livre La revanche des petites nations : Le Québec, l’Écosse et la Catalogne face à la mondialisation (2001), le politologue Stéphane Paquin se penche sur les effets concrets de la mondialisation sur la nation québécoise. Tout comme la Catalogne, l’Écosse et beaucoup d’autres nations, le Québec ne subit pas passivement les conséquences de la mondialisation. Selon Paquin, le Québec serait, depuis les dernières années, un promoteur de la mondialisation au moyen de son support à la libéralisation des échanges144. Notons ici que nous localisons les débuts de l’ère de la mondialisation au Québec au milieu des années 1990,

      

143 Ibid.

144 Paquin, Stéphane (2001), La revanche des petites nations : Le Québec, l’Écosse et la Catalogne face à la mondialisation, Montréal, VLB éditeur, p. 24.

entre l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1994 et la défaite du référendum pour l’indépendance de la nation québécoise en 1995. Selon plusieurs historiens et politologues, la mondialisation est l’antithèse, voire la bête noire des mouvements nationalistes, et le Québec n’y fait pas exception. Selon Paquin, la mondialisation a eu un effet concret sur les programmes sociaux mis en place au Québec durant la Révolution tranquille : « En effet, les transformations de l’État providence dans la foulée de la mondialisation englobent le déclin des politiques en matière de redistribution de la richesse »145. Exportant hors de ses frontières plus de 60 % de ce qu’il produit, le Québec était en 2000 parmi les cinq économies les plus « mondialisées » qui soient146.

Cette brève description des processus de mondialisation, et sa place au Québec vise en fait à dépeindre le contexte social, économique et culturel dans lequel Robin Aubert, Manon Briand et Catherine Martin ont écrit et réalisé leur film respectif entre 2001 et 2010. Tout comme les contextualisations du nationalisme canadien-français catholique de la Grande Noirceur et de la Révolution tranquille, il est important, dans l’étude qui nous concerne, de penser l’époque dans laquelle se présentent nos trois figures et comment elles sont reliées. Il sera démontré que À l’origine d’un cri, La turbulence des fluides et Mariages s’inscrivent dans une pensée écoféministe de la mondialisation en féminisant la nature et en la présentant comme un espace polyvoque féministe.

      

145 Ibid., p. 21.

146 Lisée, Jean-François (2000), Sortie de secours : comment échapper au déclin du Québec?, Montréal, Éditions du Boréal, p. 23.

Avant de débuter nos analyses, nous proposerons ici le mythe de Déméter comme outil analytique pour ces trois œuvres. La figure démétérienne proposée comme lunette analytique par les écoféministes nous permettra de penser précisément la filiation mère-fille ainsi que le rapport Femme-nature qui, dans l’Hymne homérique à Déméter, donne une forme importante d’agentivité à la figure féminine dans sa quête consistant à retrouver sa fille. Il sera démontré que cette figure se retrouve à divers niveaux et sert différentes thématiques dans les trois œuvres à l’étude dans ce chapitre. C’est pour cette raison que nous procéderons non pas selon l’ordre chronologique de la production des films, mais plutôt en ordre croissant de la présence de la figure147. En d’autres mots,

notre analyse filmique débutera avec À l’origine d’un cri, œuvre dans laquelle la figure de la Femme-nature ne se retrouve que dans quelques séquences mettant en scène les personnages féminins secondaires. On poursuivra avec le film La turbulence des fluides dans lequel on retrouve une Femme-nature fragmentée en quatre personnages féminins. Notre analyse filmique se terminera avec Mariages, un film qui présente la filiation mère-fille la plus près de notre définition de la figure de la Femme-nature démétérrienne.

      

147 Tel que précisé plus tôt, la structure des chapitres précédents est en ordre chronologique puisque dans chacun des cas une œuvre du corpus avait été produite en réaction ou du moins influencée par une œuvre chronologiquement antérieure : Un homme et son péché de Grignon se propose comme une première critique de la vague propagandiste nationaliste des romans ethnographiques de la terre auxquels appartient Maria Chapdelaine. De son côté, Lefebvre stipule haut et fort que son Q-bec my love est créé en réaction à l’œuvre de Héroux, Valérie. Dans le cas du troisième chapitre, les œuvres ne sont pas liées de cette façon.