• Aucun résultat trouvé

Dans son chapitre « Sex and the Nation », Marshall se penche précisément sur la mythification du récit historique québécois, ainsi que sur la dimension performative dans laquelle s’inscrit la représentation de l’identité nationale au cinéma.

As with accounts of the Quiet Revolution, myth can become reality, and narrativization of this kind itself becomes part of nationalist self- image. […] Such discourses, even the existence of this book, stress the performative aspect of constructing the national33.

L’omniprésence du processus identitaire national dans le contexte québécois est perçue par Marshall comme une spécificité faisant de la cinématographie

      

33 Marshall, Bill (2001), Quebec National Cinema, Montreal et Kingston, McGill et Queen University Press, p. 19.

québécoise un objet culturel idéal à l’étude de la construction d’un imaginaire national par un cinéma national :

Rather, the national-allegorical tension is positive and productive, for it makes national cinema or any other manifestation of national culture possible. This is why the case of Quebec is so interesting. The “national” is inescapable because of unsettled political questions34.

Les idées de Marshall quant à l’aspect performatif dans la construction d’une identité nationale ainsi que sa considération du cinéma québécois comme étant un corpus de choix dans l’étude de cette construction constitue une compréhension de la cinématographie nationale québécoise qui interpelle directement la nôtre.

Toutefois, c’est la section sur l’hétérosexisme du discours nationaliste québécois qui rejoint le plus directement le noyau de notre thèse. Marshall se penche précisément sur ce qu’il appelle le « phallo-nationalism »35 et la « legacy of Quebec’s colonial Oedipus »36 dans la représentation de l’hétérosexualité et de l’homosexualité dans le cinéma québécois. L’auteur constate que cet hétérosexisme-nationalisme est si déterminant dans l’histoire québécoise qu’il scinde la cinématographie nationale en deux tendances : la première est « one that constructs a national position read in unified, masculine, heterosexual, and Oedipal terms » tandis que la deuxième est « one that is more heterogeneous,

      

34 Ibid., p. 4. 35 Ibid., p. 120. 36 Ibid., p. 105.

challenging that dominant masculine position »37. Une contestation qui sera

rendue possible par la mise en scène d’une diversité d’identités masculines et féminines non-hétérosexistes. Marshall mentionne le double préjudice sexuel du discours nationaliste fait à la fois aux homosexuels et aux femmes. Or, dans « Sex and the nation », c’est davantage l’allégorie homosexuelle masculine et non l’allégorie genrée féminine qui occupe les lignes du chapitre.

Ce n’est que dans le chapitre « Women’s cinema » que l’auteur se penche précisément sur le sexisme envers les femmes du discours nationaliste hétérosexiste et de l’impact de celui-ci sur les opportunités de réalisation pour les femmes au Québec. Ce chapitre de Marshall, comme son titre l’indique, traite du cinéma des femmes. L’auteur entend par le terme « women’s cinema » ceci :

“Women’s cinema” does not here necessarily mean feminist cinema, but simply films made by women. (…) we have seen that much Quebec Cinema, particularly as it constructs the national, has been profoundly gendered and has had great difficulty in coming to terms with “the feminine”38.

Avec la dernière phrase de la citation ci-haut, l’auteur revient, dès la première page du chapitre « Women’s Cinema », sur un sujet traité dans l’un des chapitres précédents, « Sex and Nation ». Il est donc clair ici que ce chapitre ne traitera pas de la représentation de la femme ou de la féminité dans les œuvres réalisées par des hommes cinéastes. Il est aussi implicitement suggéré que le chapitre « Sex and Nation », abordant le lien entre discours sexuel et question nationale,

      

37   Ibid., p. 108-109 38 Ibid., p. 208.

n’inclut pas les œuvres réalisées par des femmes cinéastes39. Alors qu’en est-il de la mise en image des corps féminins par les cinéastes hommes? Doit-on assumer que les représentations des corps féminins sont automatiquement moins problématiques, plus intéressantes ou diversifiées lorsque mises en scène par des cinéastes femmes? C’est entre autres ce que nous tenterons de voir dans cette thèse.

Selon Marshall, l’une des spécificités du cinéma québécois en ce qui concerne le cinéma des femmes est l’illustration du passage d’un patriarcat privé à un patriarcat public lors de la Révolution tranquille :

It is in this sense that women in Quebec can be understood to have moved from a private patriarchy (exclusion from public life) to a public patriarchy (no longer excluded from the public arena but subordinated within it)40.

Ce constat est tout à fait éclairant en ce qui concerne l’histoire spécifique des femmes au Québec. Nous discuterons d’ailleurs, dans le deuxième chapitre de notre thèse des liens entre le FLQ (Front de libération du Québec) et le FLF (Front de libération des femmes), mais aussi de la critique de cette association et de son rôle dans cette subordination des femmes à laquelle fait référence Marshall. Il

      

39 Les noms d’Anne-Claire Poirier, Márta Mészáros et Elisabeta Bostan ne sont mentionnés qu’à titre d’exemple dans une série d’énumérations et non dans une analyse du lien sexe et nation. Les films principaux de l’étude sont tous réalisés par des hommes. Il s’agit de Le Temps d’une chasse (Francis Mankiewicz, 1972), Les Bons débarras (Francis Mankiewicz, 1980), La Petite Aurore l’enfant martyre (Jean-Yves Bigras, 1951), Léolo (Jean-Claude Lauzon, 1992), La Pomme, la queue et les pépins (Claude Fournier, 1974), Il était une fois dans l’est (André Brassard, 1973), Le Soleil se lève en retard (André Brassard, 1976), Being at home with Claude (Jean Beaudin, 1992) et Pouvoir intime (Yves Simoneau, 1986).

aurait toutefois été intéressant dans « Women’s cinema » d’étudier des films adhérant aux deux tendances du cinéma québécois identifiées plus tôt par Marshall, soit la position masculine unifiée et hétérosexiste et celle qui la conteste41. En effet, les films choisis par Marshall et les analyses qu’il en fait

suggèrent que les films réalisés par les femmes appartiennent tous à la deuxième tendance : celle de la contestation. Or, il nous semble qu’afin d’étudier ce passage d’un patriarcat privé à un patriarcat public, il aurait été intéressant de présenter une étude conjointe des deux tendances observées dans le chapitre « Sex and nation ».

En choisissant d’étudier la mise en scène des personnages féminins par les cinéastes femmes, Marshall n’avait aucune obligation de présenter une étude comparative de la représentation des femmes par les cinéastes hommes. Il semble pourtant qu’une zone d’ombre demeure et c’est précisément celle-ci que nous souhaitons mettre en lumière par le biais de cette thèse : l’étude de la représentation des corps féminins dans le cinéma québécois par une approche féministe ne prenant en considération ni le sexe ni le genre des cinéastes.

« MASCULINITÉ, SEXE ET ESPACE DANS L’AFFIRMATION DE L’IDENTITÉ CULTURELLE :