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2.1.1 « G ENDER AND N ATION »

2.1.2 F EMME NATION

Le concept opératoire de la Femme-nation a été mis en place par la branche d’études « Gender and Nation » pour penser précisément la passivité féminine (objet national) par rapport à l’activité masculine (sujet national), le caractère hétérosexiste du nationalisme, mais également la construction des liens entre corps féminins et territoire national.

V. Spike Peterson, dans son texte « Sexing political identities/nationalism as heterosexism » (1999), souligne justement les dimensions culturelles de la Femme-nation qui, selon elle, sont devenues aujourd’hui intrinsèques à la formation d’une identité nationale et donc rarement remises en question :

      

105 La troisième vague féministe voit le jour vers la fin des années 1980. Cette nouvelle vague est fondée sur le désir, chez plusieurs auteurs féministes, de revendiquer la pluralité de l’identité de la femme. Elle se veut une mise en lumière des différences qui existent entre les réalités des femmes de différentes nationalités, religions, classes sociales et orientations sexuelles. On accuse la deuxième vague de n’avoir présenté qu’un seul portrait, qu’une seule version de ce que peut être la réalité d’une femme.

Nation-as-woman expresses a spatial, embodied femaleness: the land’s fecundity, upon which the people depend, must be protected by defending the body/nation’s boundaries against invasion and violation. […] It is to emphasize how gender symbols/discourse/dichotomies stabilized through early state-making produced conceptual and structural effects in the modern era, and that these effects are depoliticized by being taken as “natural”106.

À l’évidence, cette analogie entre la fécondité de la terre et celle de la femme est loin d’être anodine.

L’implication d’un personnage féminin dans la création du lien à la communauté par une association entre la descendance d’un territoire à une mère symbolique (« motherland », langue maternelle) a été pensée par plusieurs théoriciennes et théoriciens venant du domaine de la fiction littéraire québécoise. L’écrivain et journaliste Malcolm Reid, par exemple, a observé la construction du lien entre femme et territoire national dans la littérature politique québécoise produite par la revue Parti pris durant les années 1960. Il écrit dans son livre Notre parti est pris : un jeune reporter chez les écrivains révolutionnaires du Québec, 1963-1970 (2009) :

N’oublions pas la symbolique érotique : la terre en tant que femme, la femme en tant que terre. Conclusion inquiétante… Pour confondre l’une et l’autre, la terre doit être bonifiée et animée de bonnes doses de mythe et la femme simplifiée, réduite à un objet de conquête […] faire d’un même combat la conquête du pays et la conquête de la

      

106 Peterson, V. Spike (1999), « Sexing political identities/Nationalism as heterosexism », dans Sita Ranchod-Milsson et Mary Ann Tétreault (dir.), Women, States, Nationalism : At Home with the Nation?, New York, Éditions Routledge, p. 68 et 63.

femme c’est se heurter inévitablement aux revendications autonomes des femmes107.

Bien que plusieurs ont observé des traces de la figure de la Femme-nation tel que nous la concevons dans nombreuses formes littéraires au Québec, aucune étude ne s’est penchée spécifiquement sur la présence de cette Femme-nation dans le cinéma québécois des années 1960 et 1970.

2.2 L’ÂGE D’OR DU CINÉMA QUÉBÉCOIS ET AUTRES CONTEXTES SOCIAUX

Afin de mieux positionner les films à l’étude dans ce chapitre, soit Valérie (1968), Q-bec my love (1969) et La vraie nature de Bernadette (1972), nous présenterons ici une brève description de différents facteurs sociaux, politiques et culturels qui agiront comme point d’amorce aux hypothèses que l’on souhaite soulever.

C’est au milieu des années 1950, période associée au déménagement de l’Office National du Film (ONF) d’Ottawa à Montréal en 1954, que l’on note la montée d’un groupe de cinéastes francophones tels que Michel Brault, Fernand Dansereau, Gilles Carle, Jacques Godbout, Gilles Groulx, Claude Jutra, Arthur Lamothe, Pierre Perrault et Clément Perron, pour ne nommer que ceux-ci. L’ONF deviendra une maison de production, mais aussi une importante école de cinéma pour ces jeunes artistes. Le terme « cinéma canadien-français » est alors

      

107 Reid, Malcolm (2009), Notre parti est pris. Un jeune reporter chez les écrivains révolutionnaires du Québec, 1963-1970, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 144.

remplacé graduellement par le terme « cinéma québécois », ce qui reflète plus que bien la montée, à l’époque, d’un mouvement nationaliste qui avait la quête identitaire de la province au centre de ses priorités. C’est le début de ce qu’on peut appeler la vague des films « identitaire-national ». Ces films, émergeant majoritairement au cours des années 1960, présentent, à travers leurs personnages, différentes quêtes identitaires socioculturelles. Ces quêtes sont en grande partie comprises comme une politique d’émancipation analogue à celle qui se mettait en place à l’époque de la Révolution tranquille. Durant cette période, le processus créatif des cinéastes était compris comme indissociable de cette émancipation identitaire. Comme l’explique Michel Houle dans son texte « Themes and Ideology in Quebec Cinema » (1980), comme la littérature et la chanson populaire de l’époque, le cinéma était au centre de l’élaboration de la nouvelle identité québécoise :

Culturally, it was the emergence of Québécois cinema, literature, and songs that was interpreted as the sign that a Quiet Revolution was happening. And it is this particular connection, this equation that caused a diffused awareness of the great Québécitude in the cinema of that period108.

Ce cinéma identitaire national aura profondément marqué l’histoire du cinéma québécois et surtout l’appréhension de la société face à sa représentation au grand écran ainsi qu’à la contribution du cinéma dans la construction de l’identitaire québécois.

      

108 Houle, Michel (1980), « Themes and Ideology in Quebec Cinema » dans Jump Cut: A Review of Contemporary Media, p. 10.

À la fin des années 1950 et au début des années 1960, malgré les grands bouleversements culturels prenant place dans la société québécoise, la censure est encore bien présente, autant dans la production cinématographique nationale que dans la distribution et la diffusion des films internationaux dans les salles de cinéma du Québec. Un événement en particulier initie la révolte des artisans du cinéma québécois contre le Bureau de censure : les coupures faites au film du cinéaste français Alain Resnais Hiroshima mon amour (1958). Alors que ce film avait été projeté dans son entièreté au Festival du film de Montréal, quelques mois plus tard, lors de sa sortie en salle, plusieurs minutes du film, plus précisément les scènes mettant en scène la relation adultère, sont coupées par le Bureau de la censure.

Devant la frustration grandissante des spectateurs québécois, le gouvernement met en place, au début des années 1960, une commission afin de réviser le rôle et les pouvoirs du Bureau de la censure. En 1967, cette commission suggère l’abolition complète de ce Bureau. C’est d’ailleurs cette fermeture qui mena plusieurs cinéastes à explorer les limites des mœurs sexuelles et de la mise en scène de la nudité pouvant être projetées sur grand écran sans que leurs œuvres soient censurées ou étiquetées comme étant pornographiques. C’est le début de ce qui fut appelé le Maple Syrup Porn.