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F EMME NATURE DÉMÉTÉRIENNE

3.6 A NALYSE DES TROIS ŒUVRES

3.6.1 À LORIGINE DUN CRI

La première œuvre sur laquelle nous nous pencherons dans ce chapitre est celle de Robin Aubert, À l’origine d’un cri. Contrairement aux deux autres œuvres de ce chapitre, le film d’Aubert ne présente pas de personnage principal féminin. Ce film explore majoritairement des enjeux en lien avec la filiation masculine. Or, par sa représentation de l’agentivité des personnages féminins secondaires, obtenue par leur lien privilégié avec la nature, À l’origine d’un cri propose bel et bien des figures de Femme-nature et un discours écoféministe.

Ancré dans un folklore québécois représenté par trois générations d’hommes arpentant les comtés québécois dans un « road-trip » forcé, le film d’Aubert propose de nombreuses scènes durant lesquelles ces hommes sont

confrontés à la fois à leurs rapports aux femmes, aux territoires, à la famille et à la nature. Ce film, réalisé en 2010, relate les déboires d’un père de famille dont la deuxième femme vient de mourir. Le père156 ne peut accepter le sort de sa femme. Quelques heures après son enterrement, le père prend la décision de sortir de terre le corps de sa femme. Il part en cavale le long du fleuve Saint- Laurent avec le corps de sa défunte. Il s’arrête de rouler tous les soirs dans un motel de bord de route. Durant la nuit, il plonge le corps de sa femme dans un bain de glace pour ralentir sa décomposition. Le clan féminin familial, composé des sœurs, nièces et filles du père (issues de son premier mariage), charge le fils et le grand-père (père du père) de retrouver le veuf en cavale157.

      

156 Nous utiliserons les termes « père », « grand-père » et « fils » pour faire référence aux personnages de Michel Barrette, Jean Lapointe et Patrick Hivon. Les prénoms de ces trois personnages ne sont jamais mentionnés dans la diégèse du film.

157 Nous croyons pertinent ici de souligner la mise en scène du chœur féminin qui sommera le fils et le grand-père de partir à la recherche du père. Bien que ce chœur ne soit pas en soi une figure de la Femme-nature, il est intéressant de prendre en considération l’important pouvoir qu’Aubert donne à ce chœur de femmes dans le récit. Contrairement aux hommes dans le film, ces femmes ont su tirer profit de leur différence de génération. Grand-mère, nièces, filles, petites-filles, ce chœur féminin reste à l’unisson et tire ses pouvoirs et influences de leur filiation familiale. Alors que les différences générationnelles sont ce qui mine le trio masculin, chez les femmes c’est plutôt la passation entre les générations qui les unit. Pour une scène de cuisine rendant hommage aux personnages féminins dans le cinéma québécois (mentionnons que ce chœur est composé entre autres de figures mythiques québécoises tel que de Johanne- Marie Tremblay (Jésus de Montréal, Denys Arcand, 1989), Charlotte Laurier (Les bons débarras, Francis Mankiewicz, 1980) et Nicole Leblanc (Le temps d’une paix, Pierre Gauvreau, 1980- 1986)), on se réfère à la séquence de 0:24 :51 à 0:27 :40.

Après plusieurs jours de recherche, le grand-père et le fils retrouvent le père. Ce dernier vient de remettre le corps de sa défunte au fleuve. Après une querelle entre le fils et le père, les trois hommes retrouveront une forme de paix intérieure. Ce « road-trip » aura permis aux trois hommes de se rapprocher et de découvrir la grande affection qui les unit. À peine revenu, le grand-père souffre d’une crise cardiaque et décède. Il lèguera à son petit-fils sa pelle mécanique, symbole suprême de passation pour les hommes de cette famille. La filiation familiale masculine est alors rétablie.

Plusieurs critiques ont souligné que, depuis les années 2000, une importante horde de cinéastes québécois ont mis en image une certaine « crise de la masculinité »158, pour laquelle les personnages féminins furent, dans certains cas, présentés comme une des causes et, par le fait même, rarement comme des personnages adjuvants ou alliés à cette « crise de la masculinité ». Or, dans le film d'Aubert, ce sont précisément les personnages féminins qui, par le biais de leur relation à la terre québécoise, permettront à ces trois hommes de rebâtir une relation familiale saine.

      

158 Pour des études ayant abordé la représentation de la masculinité dans le cinéma québécois des années 2000 à aujourd’hui, on se réfère aux sources suivantes :

- Bachand, Denis (2008), « Le prisme identitaire du cinéma québécois. Figures paternelles et interculturalité dans Mémoires affectives et Littoral », Cinémas : revue d’études cinématographiques, vol. 9, n° 1;

- Garneau, Michèle (2012), « Les rendez-vous manqués d’Éros et du cinéma québécois, de la Révolution tranquille à nos jours », dans Jean-Philippe Warren (dir.), Une histoire des sexualités au Québec au XXe siècle, Montréal, VLB éditeur, p. 208-224 ;

- Saint-Martin, Lori (2009), « Figures du père dans le cinéma québécois contemporain », Tangence, n° 91.

Plusieurs éléments du film nous permettent de tracer des liens entre ce film et le mythe de Déméter : le clan féminin qui les mettra sur la route (route que prendra Déméter pour retrouver Perséphone), la défunte qui sort de la terre pour parler à son mari (une femme qui se promène entre la terre des vivants et le royaume des morts) et la Mère-voyante qui met son fils en contact avec le pouvoir surnaturel de la nature. Notre analyse de ce film se penchera précisément sur ces deux entités narratives : la défunte et la Mère-voyante159 qui tirent leur pouvoir de leur relation avec la terre et le surnaturel.