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1905-1914 : L’antimilitarisme anarcho-syndicaliste et la préservation de la caserne

A) Séparer le bon grain de l’ivraie

1) Favoriser et utiliser les socialistes modérés

a) Le traitement favorable des socialistes unifiés du Rhône

Le traitement accordé aux anarcho-syndicalistes et aux socialistes unifiés est très différent. Les seconds bénéficient d’une tolérance envers leurs manifestations publiques. La législation de l’époque n’accorde en effet pas de « droit à la manifestation » : les autorités, en vertu d’une loi assez ancienne du 7 juin 1848, peuvent donc interdire selon leur bon vouloir « tout attroupement qui pourrait troubler la tranquillité publique ».195 Le commissaire spécial de la préfecture, en juin 1910, dit à propos du cortège

prévu le 26 pour exiger le retour du corps d’Aernoult « qu’il entre dans l’esprit des organisateurs de manifester pacifiquement ». L’organisation est assurée par le « Comité de Défense des victimes des Conseils de guerre et des bagnes militaires », encore partagé entre socialistes unifiés, syndicalistes modérés de la Bourse du Travail et membres de l’Union des Syndicats.196 Le secrétaire général pour la

police explique alors à la Sûreté Générale :

« Le journal Le Progrès lui donne depuis quelques jours une publicité intensive. Des organisations politiques et ouvrières importantes adressent des appels à leurs adhérents. De nombreux hommes politiques de Lyon ont fait publier leur adhésion. M. le Maire de Lyon préside en personne un meeting en faveur de Rousset mercredi prochain. Enfin la venue à Lyon pour le 26 de M.M. Jules Guesde et Compère-Morel paraît certaine. […]

Il apparaît que dans de telles conditions il y a lieu de tolérer la manifestation du 26 juin. Vouloir s’y opposer, ce serait s’exposer à des violences certaines, susceptibles de conséquences regrettables à raison des appuis donnés à la manifestation par la municipalité lyonnaise, par des parties importantes de la représentation politique du département et de la presse locale. »197

Si Herriot n’assiste finalement pas au meeting, son implication ainsi que celle des socialistes ont raison des réticences des autorités. Le cortège réunit environ 2 000 personnes. Malgré la présence de quelques « centaines d’individus suspects », il n’entraîne aucun incident et se disperse naturellement en raison d’« un violent orage ».198 Tant que le Comité de Défense reste sous influence socialiste, les

195-Jean-Marc BERLIÈRE, René LÉVY, Histoire des polices en France. De l’ancien régime à nos jours, Paris, Nouveau

Monde, 2013, pp. 211-212.

196-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 8 juin 1910.

197-A.D.R. 4M233, Minute de lettre du secrétaire général pour la police à la direction de la Sûreté Générale, 18 juin 1910. 198-A.D.R. 4M233, Note du secrétariat général pour la police, 27 juin 1910.

moyens d’action préconisés sont modérés, comme des pétitions en faveur de Rousset.199 Cette bonne

tenue encourage le préfet du Rhône à renouveler ses autorisations aux socialistes : au congrès de février 1912, 2 500 personnes menées par Jaurès, Vaillant et Sembat, défilent dans la ville.200

La politique adoptée envers les milieux anarcho-syndicalistes n’est pas la même : alors que l’Union des Syndicats organise le 1er mai 1913 un cortège contre les 3 ans, le préfet le fait interdire. Les

pouvoirs publics essayent d’utiliser les socialistes pour limiter les menées syndicalistes : averti du ralliement des responsables unifiés à la manifestation par la lecture du Lyon Républicain, le préfet les fait convoquer. Il les engage à se concerter avec les organisateurs pour faire annuler le cortège. Les socialistes, qui ne veulent pas se dédire, comptent tout de même participer : mais ils promettent « leur intervention pour maintenir leurs camarades et essayer d’empêcher des désordres regrettables. Ils [s’engagent] notamment […] à conseiller aux syndicats de s’abstenir de porter toute pancarte de protestation contre la loi de 3 ans ». Le préfet explique à l’Intérieur que malgré ce refus, « il [lui] est apparu que [ses] observations les [ont] impressionnés ». Il prend pour preuve le fait que le meeting a été peu de temps après déplacé de la Bourse du Travail vers l’Élysée-Darles rue de la Duire, « où pour se rendre il n’est pas prévu de passer par les principales rues de la ville et de suivre l’itinéraire indiqué dans les affiches pour le cortège […] ; c’est en somme […], ce [qu’il a] conseillé ».201

b) Diminuer les succès des révolutionnaires : la libération de Rousset

En octobre 1912, le Comité de Défense Sociale lyonnais compte organiser un meeting avec Rousset, tout juste libéré, ainsi qu’une manifestation sur la voie publique contre les conseils de guerre.202 Les autorités prennent des mesures pour diminuer la portée de cette victoire. Elles emploient

des dispositifs judiciaires pour contraindre Rousset à ne participer à aucun de ces évènements. Le commissaire de la Sûreté signale au préfet qu’en raison d’une condamnation à 5 ans de prison et 5 ans d’interdiction de séjour le 26 mai 1903 pour vol, suivie de deux autres à l’armée en 1909 et 1910 pour coups et blessures à militaire, et outrages à supérieur et refus d’obéissance, l’ex-disciplinaire est encore interdit de séjour à Lyon, et demande si son arrestation paraît opportune.203 Le secrétaire général pour la

199-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 21 septembre 1910.

200-A.D.R. 4M233, Minute de télégramme du préfet du Rhône au ministère de l’Intérieur, 18 février 1912.

201-A.D.R. 1M182, Minute de lettre du préfet au ministère de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, 30 avril 1913.

202-A.D.R. 4M260, Note du commissariat spécial de la préfecture, 27 septembre 1912.

police transmet l’information aux autorités nationales.204 Celles-ci décident qu’en raison du non-lieu et

de la santé précaire de Rousset, sa présence sera tolérée.205

Retenu à Marseille et absent du meeting du 3 octobre,206, celui-ci arrive à Lyon par train dans la

nuit du 4 au 5 octobre 1912.207 Le directeur de la Sûreté appelle alors le secrétaire général pour la police

pour donner ses consignes : si Rousset « se prête à la moindre manifestation tant sur la voie publique que dans un meeting, l’interdiction de séjour dont il est l’objet lui sera immédiatement signifiée ».208 Il

lui est interdit d’aller à Paris, certainement pour empêcher le Comité de Défense Sociale parisien d’organiser des manifestations. Le directeurrecommande d’utiliser l’automobile de la brigade de police mobile pour arrêter Rousset s’il partait en voiture.209 Amené devant le secrétaire par des agents de la

Sûreté,210 l’ex-disciplinaire est mis au courant. De Marmande et son avocat Busquet veulent l’emmener

à Clamart pour des soins. Les autorités nationales restent inflexibles. Le secrétaire général demande le soir à de Marmande de donner sa parole de ne pas emmener Rousset. De Marmande dit à son protégé : « Emile, cela dépend de toi. » Rousset répond : « Moi, je veux bien donner ma parole d’honneur de ne pas partir. » De Marmande donne la sienne,211 et part seul le lendemain pour Paris.212 Les anarchistes

Toti, Chabert, Bernon et Bonneton, ainsi que deux frères de Rousset, lui proposent tout de même de l’emmener en auto, et « si [c’est] nécessaire, de le dissimuler dans une caisse », mais Rousset refuse catégoriquement.213 Le 11 octobre, le préfet écrit :

« Rousset a eu depuis son arrivée à Lyon une attitude absolument correcte. Il a même refusé des offres qui lui avaient été faites pour l’amener en auto à Paris et a déclaré qu’il voulait respecter les engagements pris vis-à-vis de moi. Son avocat-conseil a insisté pour qu’il soit autorisé à se rendre le plus tôt possible dans une commune de la Seine où on lui offre l’hospitalité et où il pourrait recevoir les soins nécessités par son état de santé qui m’a paru en effet très précaire. »214

204-A.D.R. 4M233, Minute de lettre du secrétaire général pour la police au ministère de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, 30 septembre 1912.

205-A.D.R. 4M233, Télégramme du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale au préfet du Rhône, 30 septembre 1912.

206-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 3 octobre 1912. 207-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat de la Sûreté, 5 octobre 1912.

208-A.D.R. 4M233, Résumé d’une communication téléphonique entre le directeur de la Sûreté Générale et le secrétaire général pour la police, 5 octobre 1912.

209-Ibid.

210-A.D.R. 4M233, Lettre du commissaire chef de la Sûreté au secrétaire général pour la police, 9 octobre 1912.

211-A.D.R. 4M233, Résumé d’une communication téléphonique entre le directeur de la Sûreté Générale et le secrétaire général pour la police, 5 octobre 1912.

212-A.D.R. 4M233, Résumé d’une communication téléphonique entre le directeur de la Sûreté Générale et le secrétaire général pour la police, 6 octobre 1912.

213-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 8 octobre 1912.

L’avocat Busquet informe le préfet le même jour que le gouvernement aurait finalement autorisé Rousset à quitter Lyon.215 Les autorités ont cependant réussi à empêcher les anarcho-syndicalistes

d’employer l’ex-disciplinaire dans leurs manifestations publiques, réduisant ainsi beaucoup leur intérêt. 2) Empêcher l’expression des opinions révolutionnaires

a) La surveillance des réunions publiques et des propos subversifs

Les pouvoirs publics cherchent de plus en plus à réguler les propos des anarcho-syndicalistes : une surveillance systématique des réunions publiques est exercée pour relever les discours passibles de poursuites judiciaires. Lors de l’affaire Durand, un certain Delpech, de la C.G.T., à la Bourse du Travail, « parle police et dit que les agents pénètrent partout et que la moindre parole imprudente des militants entraîne des poursuites ».216 Les commissaires notent en effet les paroles incriminant les

révolutionnaires, sous forme directe. En décembre 1911, les commissaires de la préfecture et du quartier de Saint-Pothin expliquent ainsi que Bodechon, du Comité de Défense Sociale de Paris, préconise dans une réunion des moyens illégaux pour défendre Rousset. Le commissaire de Saint- Pothin relève : « Allons à la bataille avec des pics, des pioches et des revolvers » ;217 le commissaire

spécial : « Préparons-nous à la bataille avec des pics, des pioches et des revolvers. »218

Le ministre de l’Intérieur exige en effet depuis mai 1911 que « des procès-verbaux réguliers [soient] dressés contre les auteurs responsables [d’écrits ou de propos antimilitaristes] et remis au Parquet […] pour assurer la répression des délits constatés. […] S’il s’agit de paroles, on ne devra pas se borner à en relater le sens, mais en reproduire autant que possible la teneur même avec […] toute la fidélité requise ».219 En juin, il demande qu’« un Commissaire spécial de police ou un Commissaire de

police [assiste] […] à toutes les réunions publiques politiques d’une certaine importance ».220

Le pouvoir central se fait particulièrement pressant : en octobre 1911, une nouvelle circulaire « au sujet des réunions révolutionnaires et antimilitaristes », se plaint que des réunions publiques se tiennent « sans qu’un commissaire de police y assiste, soit que l’autorité préfectorale néglige de faire usage des pouvoirs que lui donne […] la loi du 30 juin 1881 [sur les réunions] ; soit même […] que, 215-A.D.R. 4M233, Minute de télégramme du secrétaire général pour la police au ministère de l’Intérieur et à la Direction de la Sûreté Générale, 11 octobre 1912.

216-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 5 décembre 1910. 217-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat de quartier de Saint-Pothin, 3 décembre 1911. 218-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 3 décembre 1911.

219-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale adressée aux préfets de département, au préfet de police et au gouverneur général de l’Algérie, 31 mai 1911.

220-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale adressée aux préfets de France et d’Algérie et au gouverneur général de l’Algérie, 27 juin 1913.

préoccupée d’éviter quelque difficulté […] purement locale, elle prescrive au commissaire de police de s’abstenir de paraître à la réunion ». Le ministre reproche aux commissaires de ne pas forcer l’entrée de certaines d’entre elles, et rappelle que seules celles organisées sur lettres de convocations ou sur présentation de cartes individuelles échappent à la surveillance. Enfin, il attend que « le fonctionnaire délégué [s’attache] à reproduire le plus fidèlement possible dans son procès-verbal les termes mêmes des paroles ou des motions délictueuses prononcées, présentées ou votées ».

La fin de la circulaire montre la déconnexion du ministre des réalités du terrain : il demande qu’un agent qui serait victime de voies de fait à une réunion, prenne des dispositions pour arrêter le délinquant et le remettre au parquet. Il ajoute : « Il ne devra pas perdre de vue enfin qu’il est armé du droit de prononcer la dissolution de la réunion quand il s’y produit des collisions ou voies de fait. »221

La capacité d’un commissaire victime de violences à dissoudre, même accompagné d’un secrétaire, une réunion de quelques centaines d’individus, reste sujette à caution. Mais les quelques incidents provoqués par ces nouvelles instructions restent mineurs. M. Giraud, commissaire du quartier de Saint- Louis, envoyé en janvier 1912 à une réunion publique du Comité de Défense Sociale, écrit :

« Un léger incident s’est produit à mon entrée, en compagnie de mon secrétaire, M. Rambaud. À peine m’étais-je installé à une table, qu’un individu m’a interpellé et m’a réclamé le prix de l’entrée, soit 0,20 c. J’ai […] fait connaître la mission officielle que j’avais à remplir. […] J’ai maintenu énergiquement mon droit d’entrer librement, sans payer, du moment que la réunion était publique. Finalement cet individu s’est éloigné vers le groupe de militants […]. Certains propos que j’ai cru ne pas devoir entendre ont […] été proférés, et finalement l’incident a été clos.

Il paraîtrait que mon prédécesseur payait à l’entrée le prix fixé, et c’est ce qui avait motivé la réclamation dont j’avais été l’objet. […] Toutefois je ne crois pas que légalement on puisse exiger une pareille redevance, et pour ma part je continuerai à agir ainsi, à moins d’ordre contraire. […]

Après le départ des militants, l’un d’eux étant resté pour s’entendre avec M. Rebattet le tenancier, sur le prix de la location […], j’en ai profité pour causer avec lui, c’était un farouche, et me montrant généreux, je lui ai donné 0,20 c. sous prétexte de faire la recette un peu plus grosse, mais en réalité pour qu’il ne puisse arguer du non-paiement du secrétaire qui m’accompagnait. »222

221-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale adressée aux préfets de départements, au préfet de police et gouverneur général de l’Algérie, 30 octobre 1911.

Pendant toute la période, les pouvoirs nationaux s’impliquent dans la répression des propos révolutionnaires : à la réunion qui précède la grève générale de 24 heures en décembre 1912, Merrheim appelle à « ne pas répondre à l’ordre de mobilisation » en cas de guerre.223 Le lendemain,l’Intérieur et

la Sûreté demandent au préfet du Rhône si le parquet de Lyon a été saisi :224 le préfet a devancé ces

demandes.225 La gestion de la répression est ensuite centralisée : une circulaire de juin 1913 confie aux

préfets le rôle d’apprécier si une réunion nécessite ou non la présence d’un commissaire.226

b) La censure des chansons et des spectacles

La répression des révolutionnaires prend également la forme d’une interdiction des chansons et spectacles antimilitaristes, notamment ceux d’un chansonnier très connu à l’époque, Montéhus. En janvier 1911, le ministre de l’Intérieur demande au préfet d’interdire si possible les représentations :

« Je vous prie de prendre les mesures nécessaires pour qu’un commissaire de Police y assiste avec mission de constater par procès-verbal toutes les infractions, telles que provocations aux crimes et délits, excitations des militaires à la désobéissance, etc., relevées dans les œuvres chantées ou déclamées. […]

Vous voudrez bien en outre, vous concerter avec l’autorité militaire pour faire consigner à la troupe pendant toute la durée des représentations de Montéhus les établissements où paraîtra ce chansonnier. D’autre part, dans le cas où les spectacles […] seraient annoncés […] dans des théâtres municipaux, il y aura lieu d’inviter les Maires à refuser l’usage de ces salles […].

En ce qui concerne enfin les théâtres, […] il conviendra de signaler à leurs propriétaires les responsabilités qu’ils pourraient encourir en y tolérant des spectacles qui n’ont aucun caractère artistique, et qui constituent de véritables provocations à commettre des actes réprimés par la loi. »227

Une note de la préfecture propose d’user de l’influence d’Herriot pour faire interdire tout spectacle : la propriété de la salle Rameau, où Montéhus donne parfois des représentations, revient en 223-A.D.R. 4M233, Copie d’un rapport du commissariat de quartier de la Guillotière, 16 décembre 1912.

224-A.D.R. 4M233, Télégramme du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale au préfet du Rhône, 17 décembre 1912.

225-A.D.R. 4M233, Minute de télégramme du secrétaire général pour la police à la direction de la Sûreté Générale, 17 décembre 1912.

226-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale adressée aux préfets de France et d’Algérie et au gouverneur général de l’Algérie, 27 juin 1913.

227-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur adressée aux préfets de départements, au préfet de police et au gouverneur général de l’Algérie, 23 janvier 1911.

effet à la mairie dans quelques années.228 Le 31 mai 1911, le ministre donne pour consigne de « relever

avec le plus grand soin tous les écrits, discours, chansons, pièces de théâtre, affiches, tracts, prospectus et autres procédés de propagande servant à la diffusion de ces doctrines [antimilitaristes] ».229 Les

autorités locales n’appliquent les instructions qu’en octobre 1912, lors d’une tournée de Montéhus dans la région. Le préfet de la Loire interdit en premier ses spectacles. La Bataille Syndicaliste écrit :

« Le stupide arrêté du préfet de la Loire […] provoque une vive et légitime agitation. Nous avons sous les yeux le programme des soirées données par la troupe de Montéhus. Celles-ci débutent par une conférence sur la Chanson de Mme Marcelle Capy-Marquès, puis des artistes chantent des œuvres universellement appréciées […]. Il faut décidément un préfet béotien et lourdement autoritaire pour oser pareille interdiction. »230

Le chansonnier doit se rendre à Tarare le 9 octobre. Le maire prend un arrêté similaire : rappelant « le caractère antipatriotique et démoralisateur » des œuvres interprétées, il considère « que la liberté ne doit pas dégénérer en licence ».231 Le préfet du Rhône demande à celui de la Loire,

M. Lallemand, de lui faire parvenir son arrêté.232 Il le publie avec peu de modifications :

« Vu l’article 3 du décret du 6 janvier 1864 ; Vu l’article 99 de la loi du 5 avril 1884 ; Vu l’article 471 du Code Pénal ; […]

ART. 1er – Sont interdits, sur tout le territoire du département du Rhône, tous concerts ou

spectacles comprenant des chansons, pièces ou exhibitions qui comportent des injures à l’adresse de l’armée nationale ou l’apologie d’actes contraires aux obligations et à la discipline militaires.

ART. 2 – Sont également interdits tous concerts ou spectacles dans lesquels sont exposées des théories anarchistes […]. »233

Les anarchistes du Comité de Défense Sociale et de la Jeunesse Syndicaliste Intercorporative, notamment Chabert et Bonneton, contournent l’interdiction en décembre 1912 en créant un « comité d’entente des groupes artistiques syndicalistes » : ils prévoient un concert à la Bourse du Travail.234 Le

228-A.D.R. 4M21, Note non signée, non datée.

229-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale adressée aux préfets de département, au préfet de police et au gouverneur général de l’Algérie, 31 mai 1911.

230-A.D.R. 4M453, La Bataille Syndicaliste, « Il est interdit de chanter », 5 octobre 1912. 231-A.D.R. 4M453, Arrêté du maire de Tarare, 7 octobre 1912.

232-A.D.R. 4M453, Minute de lettre du préfet du Rhône au préfet de la Loire, 11 octobre 1912. 233-A.D.R. 4M453, Extrait des registres des arrêtés du préfet du Rhône, 30 octobre 1912. 234-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 21 décembre 1912.

préfet demande au maire de faire interdire la réunion.235 Celui-ci, avec un tact certain, rappelle l’arrêté

préfectoral au secrétaire de l’organisation syndicale : « Dans les circonstances actuelles, j’ai l’honneur de vous inviter à renoncer spontanément à la tenue de cette réunion. Au cas où il ne vous paraîtrait pas possible de déférer à mon invitation, je vous informe que par application dudit arrêté, j’ai décidé que la réunion antimilitariste qui est projetée était interdite. »236 La Bourse du Travail obtempère de bon cœur

et interdit aux anarchistes d’utiliser la salle.237 Même le secrétaire de l’Union de Syndicats, Royer, leur

refuse son local, en raison de leur implication dans des altercations violentes avec la gendarmerie place