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1905-1914 : L’antimilitarisme anarcho-syndicaliste et la préservation de la caserne

B) Préserver la « caserne »

La répression des propos révolutionnaires vise en grande partie à empêcher qu’ils atteignent les soldats en garnison à Lyon. Des dispositions draconiennes sont prises pour réprimer le mouvement syndicaliste, jusque dans les casernes, notamment lors de la contestation de la loi de 3 ans en mai 1913. 1) L’importance croissante de l’armée dans le maintien de l’ordre à Lyon

Il faut cependant revenir d’abord sur une évolution importante, à savoir l’usage régulier de la gendarmerie, mais aussi de l’armée, dans le maintien de l’ordre. Ceci explique l’attention portée par les pouvoirs publics aux soldats, au-delà de la seule préparation de la mobilisation. Il s’agit d’éviter toute fraternisation entre la troupe et les manifestants : les pouvoirs publics l’ont appris à leurs dépens lors de la révolte des vignerons du Midi en 1907 : les soldats du 17e Régiment d’Infanterie avaient fraternisé à

Béziers avec les révoltés.241 Les conscrits effectuent désormais leur service militaire loin de leur lieu

d’origine afin d’éviter toute proximité entre manifestants et forces de l’ordre.

235-A.D.R. 4M453, Minute de lettre du préfet du Rhône au ministère de l’Intérieur, 25 décembre 1912.

236-A.D.R. 4M453, Copie d’une lettre du maire de Lyon au secrétaire de la Bourse du Travail, 21 décembre 1912. 237-A.D.R. 4M453, Minute de lettre du préfet du Rhône au ministère de l’Intérieur, 25 décembre 1912.

238-A.D.R. 4M453, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 23 décembre 1912. 239-A.D.R. 4M453, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 19 décembre 1912. 240-A.D.R. 4M453, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 23 décembre 1912.

241-Jules MAURIN, Rémy PECH, 1907, les mutins de la République : la révolte du Midi viticole, Toulouse, Privat, 2007,

Des gendarmes sont déjà employés dans le maintien de l’ordre entre 1905 et 1909, le corps des gardiens de la paix ne suffisant plus à prévenir seul les troubles lors des fêtes ou revues militaires. Les mouvements de grève et de contestation de la loi de 3 ans, entre 1910 et 1914, poussent le préfet à recourir à l’assistance additionnelle de régiments d’infanterie et de cavalerie. En juin 1910, le secrétaire général pour la police compte faire encadrer par des gardiens de la paix le cortège prévu le 26 pour réclamer le retour du corps d’Aernoult, en tenant en réserve l’effectif de gendarmerie disponible à Lyon. Il précise à la Sûreté Générale, en demandant son assentiment, qu’il veut demander à l’autorité militaire de consigner à la caserne de la Part-Dieu un régiment de cavalerie, au cas où des barrages devraient être établis.242 Une réquisition du préfet du 25 juin 1910 adressée au gouverneur militaire

réclame finalement bien le secours de 32 gendarmes et d’un régiment de cavalerie.243

Mais le dispositif le plus important est employé lors de la grève générale de 24 heures de décembre 1912. Le préfet est averti des projets des grévistes de bloquer les dépôts de tramways et d’organiser des manifestations. Il est de plus alerté par les lettres de plusieurs industriels, inquiets de voir leurs chantiers sabotés : par exemple la société Grange frères, adjudicataire de la construction du monument Gailleton, sur la place du même nom.244 Le maire et le préfet essayent d’infléchir la décision

du ministre de l’intérieur, qui a interdit les meetings dans les Bourses du Travail.245 Herriot notamment

affirme qu’une interdiction donnerait beaucoup plus d’importance à la manifestation et provoquerait des troubles sérieux.246 Ils ne sont pas écoutés : le maire « en présence de la décision prise […] laisse à

l’autorité supérieure et au gouvernement les responsabilités des désordres qui pourraient se produire ».247 Le préfet fait alors réquisitionner auprès du gouverneur militaire trois bataillons

d’infanterie casernés au fort Lamothe, ainsi que quatre escadrons de cavalerie à l’effectif de 100 hommes chacun, consignés à la Part-Dieu.248 Il réclame aussi 250 gendarmes à pied et 250 gendarmes à

cheval.249 Le corps des gardiens de la paix, qui représente 800 hommes à Lyon, n’est pas entièrement

affecté à la manifestation : il est donc possible d’estimer la part des forces militaires dans l’encadrement de la grève générale à environ deux tiers des effectifs mobilisés (entre 1 000 et 1 500 hommes, la taille exacte des bataillons d’infanterie n’étant pas précisée). Les incidents de la journée sont surtout matériels, à savoir des blocages et jets de pierre sur des tramways, et des sabotages de fils 242-A.D.R. 4M233, Minute de lettre du secrétaire général pour la police à la direction de la Sûreté Générale, 18 juin 1910. 243-A.D.R. 4M233, Minute de réquisition du préfet du Rhône adressée au gouverneur militaire de Lyon, 25 juin 1910. 244-A.D.R. 4M233,Lettre de la société Grange frères au préfet du Rhône, 14 décembre 1912.

245-A.D.R. 4M233, Minute de lettre du préfet du Rhône au maire de Lyon, 15 décembre 1912.

246-A.D.R. 4M233, Minute de télégramme du préfet du Rhône au ministre de l’Intérieur, 14 décembre 1912. 247-A.D.R. 4M233, Note non signée, non datée.

248-A.D.R. 4M233, Minute de réquisition du préfet du Rhône adressée au gouverneur militaire, 14 décembre 1912. 249-A.D.R. 4M233, Minute de réquisition du préfet du Rhône adressée au gouverneur militaire, 14 décembre 1912.

télégraphiques.250 L’emploi des forces de l’ordre est donc limité en grande partie aux gardiens de la

paix et aux gendarmes, affectés à l’encadrement des manifestations et à la surveillance des dépôts de l’O.T.L..251 Six gendarmes sont tout de même blessés dans des altercations sur la place du Pont.252

Le recours récurrent aux militaires pose d’ailleurs problème lors de la contestation contre les 3 ans : alors que le préfet réclame 500 gendarmes à pied et 80 gendarmes à cheval pour un meeting le 1er juin 1913, le gouverneur militaire répond qu’il doit amputer les effectifs de 200 gendarmes.253

L’ampleur de la contestation, étendue aux Bourses du Travail de Tarare, Givors et Oullins, ainsi qu’aux autres départements de la 14e Région militaire, a en effet amené les autres préfets à exercer leur « droit

de veto » : ils réquisitionnent eux aussi des troupes de gendarmerie. La préfecture lyonnaise obtient finalement 120 gendarmes à pied de la 14e Légion Bis, 70 de la Compagnie de la Drôme, 55 de la

Compagnie de l’Isère, et 40 de la Compagnie du Rhône accompagnés de 80 gendarmes à cheval.254

2) Les mesures de protection du soldat

a) Éviter les contacts avec les antimilitaristes

L’importance des soldats dans le maintien de l’ordre, et l’intérêt croissant des anarcho- syndicalistes pour les conscrits, amènent les pouvoirs publics à essayer d’empêcher tout contact des soldats avec les milieux syndicaux. En janvier 1911, le ministre de l’Intérieur écrit :

« Mon administration se préoccupe de la propagande de plus en plus active qui s’exerce par le fait des Bourses du travail ou des Unions de syndicats en vue de la diffusion des idées antimilitaristes et antipatriotiques. C’est ainsi que sous prétexte de faire fonctionner des caisses dites du “Sou du Soldat”, […] en vertu d’une décision prise en Octobre dernier au Congrès tenu à Toulouse par la Confédération générale du Travail, il est arrivé qu’on a introduit des ferments de désorganisation dans l’armée.[…] Des incidents récents ont fourni la preuve que certaines Bourses du Travail s’attacheraient à favoriser la désertion de militaires sous les drapeaux. […]

Je vous recommande de surveiller de très près les Bourses ou Unions de Syndicats qui se livreraient à de semblables agissements et de me signaler très exactement tout acte délictueux, afin de me permettre le cas échéant d’en saisir mon Collègue de la Justice. »255

250-A.D.R. 4M233, Notes de l’officier de semaine des gardiens de la paix, 16 décembre 1912.

251-A.D.R. 4M233, Note du secrétariat général sur la répartition des effectifs pour grève de 24 heures, 14 décembre 1912. 252-A.D.R. 4M233, Lettre du chef d’escadron commandant la gendarmerie au préfet du Rhône, 18 décembre 1912. 253-A.D.R. 4M234, Lettre du gouverneur militaire de Lyon au préfet du Rhône, 30 mai 1913.

254-A.D.R. 4M234, Note du secrétariat général pour la police, 1er juillet 1913.

Le 8 mai 1911, il précise que la C.G.T. a demandé aux Bourses du travail les noms des conscrits syndicalistes et leur adresse aux régiments, pour « leur faire parvenir des brochures de propagande antimilitariste » et pour leur demander de refuser de « maintenir l’ordre à l’occasion des grèves ».256

Vingt jours après, il revient sur les dangers de l’antimilitarisme, sur lesquels « [il n’a] pas à insister, tellement peuvent en être graves les conséquences, tant au point de vue de la défense nationale que du point de vue de l’ordre à l’intérieur ».257 Les instructions sont appliquées scrupuleusement. Le 2 juillet

1911, le commissaire de Vaise interroge deux jeunes gens, Joseph Pyon, 16 ans, et Alphonse Quentin, 17 ans, arrêtés pour chant antimilitariste et outrages à deux sous-officiers devant la caserne de Serin. Pyon précise les paroles de la chanson : il nie avoir prononcé le mot « Biribi », mais concède qu’évoquant les bagnes militaires il a dit « nous ne sommes pas des voleurs mais des prisonniers militaires, qui n’ont jamais courbé l’échine devant ces Messieurs les Gradés ». Arrêté par le sergent Barudel, de garde devant la caserne, aidé d’un autre sous-officier, le sergent Mouly, il est accusé d’avoir traité les militaires de « sales rempilés », ce qu’il nie. Comme circonstance aggravante, le sergent fait remarquer que « les croisées de la caserne étaient garnies de soldats qui ont certainement vu ce qui s’est passé et entendu la chanson antimilitariste ». Le commissaire fait écrouer les deux jeunes, mis à disposition du procureur de la République.258 Le secrétaire général suit les instructions et signale

l’incident à la Sûreté Générale.259 Les pouvoirs publics vont aussi chercher directement les soldats dans

les réunions syndicalistes. Le 3 octobre 1912, le commissaire spécial de la préfecture note après une réunion du Comité de Défense Sociale :

« Parmi les personnes qui assistaient hier soir au meeting de la Bourse du Travail en faveur de Rousset, on remarquait trois militaires de l’Infanterie. Un seul a pu être retrouvé à la sortie et suivi. Il a parcouru en compagnie de trois individus diverses rues de la ville en chantant des chansons antimilitaristes et, vers une heure du matin, s’est rendu au fort Lamothe où il est en garnison. Il a pénétré dans la caserne par une issue interdite. Trouvé dans les couloirs de sa compagnie par le sergent de garde, il a reconnu avoir assisté au meeting de la Bourse du Travail. C’est un nommé Henry Lucien, soldat au 98e d’infanterie […]. Ce militaire ne jouit pas d’une bonne

réputation et il professe des opinions révolutionnaires. »260

256-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale adressée aux préfets de département, au préfet de police et au gouverneur général de l’Algérie, 8 mai 1911.

257-A.D.R. 4M21, Circulaire du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale adressée aux préfets de département, au préfet de police et au gouverneur général de l’Algérie, 31 mai 1911.

258-A.D.R. 4M21, Copie d’un procès-verbal établir par le commissaire de police de Vaise, 3 juillet 1911.

259-A.D.R. 4M21, Minute de lettre du secrétariat général pour la police à la direction de la Sûreté Générale, 3 juillet 1911. 260-A.D.R. 4M233, Note du commissariat spécial de la préfecture, 3 octobre 1912.

Le militaire, qui a déjà été envoyé précédemment aux compagnies de discipline à l’Île d’Oléron, est signalé au gouverneur militaire de Lyon « à telles fins [qu’il jugera] utiles ».

b) La bataille des tracts

L’utilisation croissante des tracts à destination des conscrits entraîne de nouvelles réponses des pouvoirs publics. Dès 1910, « Royer, secrétaire de l’Union, parle de la lacération, par la police, des affiches de la Confédération et déclare que le but de l’autorité est d’empêcher la propagande ».261 Les

autorités essayent aussi d’engager des poursuites judiciaires contre les auteurs et colleurs d’affiches. Un procès-verbal du commissariat des Brotteaux est ainsi transmis au procureur de la République en avril 1912, à la suite de la découverte d’un manifeste du Comité d’entente des jeunesses syndicalistes de la Seine, intitulé « Aux Conscrits ». L’affiche les invite, « s’il faut tirer », à n’obéir qu’à leur conscience et à « [viser] hardiment ceux qui servent les exploiteurs ». Mais « les recherches faites pour découvrir l’auteur de l’affichage de ce placard [demeurent] infructueuses ».262

Les pouvoirs publics, face à ces difficultés, adoptent une autre approche lorsque le besoin s’en fait le plus sentir : en mai 1913, l’Union des Syndicats veut afficher et distribuer près des casernes 500 affiches, 10 000 manifestes et 5 000 papillons contre la loi des 3 ans.263 Le ministre de l’Intérieur

demande, alors que l’agitation s’étend dans tout le pays, de faire procéder à des perquisitions dans les Bourses du travail et les Unions de syndicats.264 Le 26 mai, le commissaire de la Guillotière, en vertu

d’une plainte contre X pour provocation de militaires à la désobéissance, se rend au siège de l’Union : il y saisit des affiches intitulées « Contre la loi des 3 ans » et « Coup de force », remises au juge d’instruction Hauss à Lyon.265 Après avoir visité plusieurs syndicats, il perquisitionne sans succès le

domicile de Royer, secrétaire de l’Union. Le commissaire de Saint-Pothin perquisitionne la Bourse du Travail, puis le domicile du secrétaire Dreyer, sans succès. Il trouve quelques brochures antimilitaristes et anarchistes chez un dénommé Tournier.266 D’autres perquisitions sont effectuées : une chez

Alexandre Cudet, du syndicat des terrassiers, par le commissaire de l’Hôtel-de-Ville, qui trouve quelques brochures ;267 une autre chez l’anarchiste Pierre Morin, par le commissaire de Perrache ;268

261-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 5 décembre 1910.

262-A.D.R. 4M21, Copie d’un procès-verbal établi par le commissaire de police des Brotteaux, 7 avril 1912. 263-A.D.R. 4M234, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 21 mai 1913.

264-A.D.R. 4M234, Télégramme de presse contenant un article de L’Humanité, 26 mai 1913.

265-A.D.R. 4M234, Lettre du commissaire de la Guillotière au secrétaire général pour la police, 27 mai 1913.

266-A.D.R. 4M234, Lettre du commissaire de police de Saint-Pothin au secrétaire général pour la police, 26 mai 1913. 267-A.D.R. 4M234, Lettre du commissaire de l’Hôtel-de-Ville au secrétaire général pour la police, 27 mai 1913. 268-A.D.R. 4M234, Lettre du commissaire de Perrache au secrétaire général pour la police, 26 mai 1913.

une dernière chez Million, trésorier de l’Union des Syndicats, par le commissaire de Part-Dieu, qui trouve quelques pétitions contre la loi des trois ans.269 La Bourse du Travail lyonnaise qualifie cette

politique inédite du gouvernement d’« antidémocratique ».270

Les perquisitions ne semblent pas être suivies de conséquences judiciaires : Million, par exemple, continue son activité de trésorier à l’Union et en devient même secrétaire avant la guerre. Mais elles ralentissent la campagne d’affichage. Malgré tout, le commandant de la place de Lyon signale encore fin mai que « des placards annonçant [des] manifestations […] sont distribués aux soldats […] en particulier aux abords du fort Lamothe ».271 Le 7 juin 1913, un dénommé Roche est

arrêté pour avoir crié « À bas l’armée » lors d’une retraite militaire : une perquisition chez lui permet la découverte d’affiches antimilitaristes supplémentaires.272 Les anarcho-syndicalistes, après ces coups

durs, continuent la campagne avec des papillons écrits à la main.273 L’agitation passée, les autorités se

désintéressent de ce problème d’affichage : en novembre 1913, le garde des Sceaux décide de ne pas ouvrir d’information à propos de papillons antimilitaristes transmis par le commissaire de Vaise.274

3) Réprimer les mutins

La répression de mai 1913 touche cette fois directement les militaires. Le commissaire spécial est chargé de suivre l’état d’esprit des soldats, après que certains régiments ont pris part à des protestations contre les trois ans à Toul, Belfort et Dijon.275 Le 22 mai, il rend un rapport rassurant :

« Il résulte des renseignements recueillis dans les milieux militaires qu’il ne s’est produit aucune agitation dans les différents corps de la garnison de Lyon depuis le vote de la Chambre sur le maintien sous les drapeaux de la classe libérable cette année.

Les militaires touchés par cette mesure paraissent l’accepter avec une certaine résignation ; […] rien dans leur attitude ne permet de croire qu’ils nourrissent, tout au moins actuellement, le dessein de protester bruyamment […]. »276

Mais Le Nouvelliste, un jour plus tard, mentionne des incidents assez graves : 269-A.D.R. 4M234, Lettre du commissaire de Part-Dieu au secrétaire général pour la police, 26 mai 1913. 270-A.D.R. 4M234, Télégramme de presse contenant un article de L’Humanité, 26 mai 1913.

271-A.D.R. 4M234, Lettre du commandant de la place de Lyon au préfet du Rhône, 31 mai 1913. 272-A.D.R. 4M234, Rapport des gardiens de la paix du poste de police de la Manufacture, 7 juin 1913. 273-A.D.R. 4M234, Rapport des gardiens de la paix cyclistes, 21 juin 1913.

274-A.D.R. 4M234, Lettre du procureur de la République de Lyon au préfet du Rhône, 10 novembre 1913. 275-A.D.R. 4M234, L’Avenir Socialiste, « Prenez Garde », 23 au 30 mai 1913.

« Une certaine effervescence agitait depuis quelques jours les soldats libérables du 99e,

casernés au fort Lamothe. Quelques meneurs avaient projeté de profiter de l’arrivée des réservistes pour organiser contre le service de trois ans une manifestation qui devait avoir lieu samedi soir, au moment de la retraite, et le dimanche au camp de la Valbonne.

Bien que le secret fût gardé très rigoureusement par les meneurs, le colonel du 99e apprit ce

qui se préparait. Un soldat qui était du complot, habilement interrogé, dut tout avouer. […]

On assure qu’à la suite de cet incident les réservistes qui étaient attendus samedi à Vienne et à Lyon, où sont en garnison les bataillons du 99e, seront immédiatement dirigés sur le camp de la

Valbonne, où ils étaient attendus seulement dimanche matin. »277

Le commissaire spécial explique alors que l’article du Nouvelliste est « controuvé » (inventé de toutes pièces), mais un article paru dans Le Figaro du 26 mai confirme les dires du journal lyonnais.278

Le commissaire mentionne tout de même que l’état d’esprit des zouaves au camp de la Valbonne n’est pas des meilleurs : les soldats ne se seraient pas rendus à un appel du soir. Il craint que la proximité du camp, situé dans l’Ain, à la limite du département du Rhône, permette à cette effervescence de gagner la garnison de Lyon, « où les partisans d’une protestation bruyante contre le maintien de la classe libérable sous les drapeaux pourraient faire des adeptes par une propagande discrète ».279

Des évènements précipitent la répression des militaires : le 24 mai, un placard est apposé sur la porte de la caserne de Serin, incitant les soldats à rejoindre en uniforme militaire les manifestants contre la loi des 3 ans le 1er juin, et à agir comme leurs camarades des 17e, 135e, 122e, etc., des

régiments qui ont fraternisé avec des manifestants en différentes occasions.280 Le 25, le gouverneur

militaire signale que des placards antimilitaristes sont distribués à l’entrée du fort Lamothe et d’une des casernes du 157e régiment d’infanterie. Deux soldats, Laville et Jouffroy, du 99e d’Infanterie, sont

découverts en possession d’un placard de l’Union des Syndicats pour la manifestation du 1er juin et mis

en cellule. À la caserne de Serin, deux brochures de la C.G.T. et huit papillons sont glissés sous une porte donnant accès à la cour des cuisines.281 L’article du Figaro du 26 précise les dispositions prises

vis-à-vis des deux soldats de la 4e compagnie arrêtés : ils sont condamnés à quinze jours de prison dont

huit de cellule. Des perquisitions sont menées à Vienne à la 6e et 8e compagnies : deux soldats sont

condamnés à une peine similaire. L’article mentionne un projet de manifestation à Bellecour : 277-A.D.R. 4M234, Le Nouvelliste, « Incident au 99e », 23 mai 1913.

278-A.D.R. 4M234, Télégramme de presse contenant un article du Figaro, 26 mai 1913. 279-A.D.R. 4M234, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, non daté.

280-A.D.R. 4M234, Rapport des gardiens de la paix du poste de police de Serin, 23 au 24 mai 1913. 281-A.D.R. 4M234, Lettre du gouverneur militaire de Lyon au préfet du Rhône, 25 mai 1913.

« Les meneurs ne se tinrent pas pour battus […]. Ils avaient fixé, hier après-midi, la place Bellecour comme lieu de rendez-vous. Le projet fut une seconde fois éventé et samedi soir une perquisition eut lieu au fort Lamothe. […] Effrayés sans doute par [les] exécutions imprévues les soldats s’abstinrent de se rendre hier au rendez-vous fixé. Quelques groupes de quatre ou cinq unités […] devant leur petit nombre, s’abstinrent de toute attitude équivoque. Des mesures rigoureuses ont été prises d’ailleurs pour réprimer toute tentative de manifestation. De nombreux