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1914-1918 : La lutte contre le pacifisme clandestin

A) Le pacifisme de l’Union des Syndicats du Rhône

1) La création du « restaurant communiste » en 1914

Le premier acte de résistance des syndicats est la constitution d’un « restaurant communiste », dès le début du conflit. Il est dirigé par un dénommé Leclair, conseiller prud’homme,69 membre de la

commission exécutive de l’Union jusqu’en 1916.70 Ce lieu permet aux anarcho-syndicalistes de

contourner les restrictions imposées sur les débits de boissons, et de disposer d’un espace où tenir des réunions privées que les pouvoirs publics ne peuvent interdire. La dimension populaire du restaurant, qui se veut une cantine abordable pour les ouvriers, permet aussi de sensibiliser des individus non syndiqués à la propagande pacifiste. La première année de fonctionnement n’a pas laissé beaucoup de documents. Toutefois, une fête pour le premier anniversaire de la fondation a lieu le 28 août 1915, ce 68-A.D.R. 4M243, Lettre du commissaire spécial de la préfecture au secrétaire général pour la police, 22 février 1915. 69-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 6 décembre 1915.

qui laisse supposer une création le 28 août 1914.71 Les anarcho-syndicalistes ont déjà changé de place :

les locaux originaux, à l’école municipale de la rue Bonnefoi, ont été réquisitionnés par l’autorité militaire. Il est difficile de savoir si cette réquisition a été motivée par un besoin réel ou par la simple volonté de nuire au mouvement anarcho-syndicaliste. Dans tous les cas, en août 1915, le restaurant occupe le n°193 rue Duguesclin, et a déjà servi 10 000 repas bon marché aux travailleurs lyonnais.

Ce lieu illustre la continuité entre antimilitarisme et pacifisme aux yeux des pouvoirs publics. Le 6 décembre 1915, le commissaire le qualifie de « centre d’agitation » où Leclair organiserait « des conférences en faveur de la paix ».72 Toutefois, quatre jours plus tard, il parle plutôt d’un « foyer

antimilitariste et révolutionnaire ». Il ajoute que le principal problème du restaurant vient « de la dépression morale que peuvent créer dans la population ouvrière […] les déclarations sur la nécessité d’un prompt rétablissement de la paix à tout prix ».73 Le préfet demande en décembre 1915 au

gouverneur militaire d’interdire les réunions privées des anarcho-syndicalistes au restaurant :74 les

documents conservés prouvent cependant qu’il n’a pu obtenir ce qu’il désirait, puisque seules les réunions à caractère public peuvent être interdites par le gouverneur.

Le restaurant communiste finit tout de même par disparaître : l’augmentation du coût des aliments et des querelles de personnalité ont raison de son existence en 1917. Dès avril 1916, le secrétaire de l’Union des Syndicats, Bécirard, critique Leclair : des irrégularités auraient été constatées dans la comptabilité.75 La gestion est alors confiée à une commission de cinq membres issus de

l’Union.76 Malgré tout, la situation ne s’arrange pas. Le restaurant est endetté de 1 100 francs en

août 1916.77 Un sursaut d’activité a lieu en septembre 1916 qui permet le maintien de l’exploitation.78

En janvier 1917, Bécirard veut réduire les frais généraux. Le syndicat des métallurgistes, l’un des plus importants de l’Union, refuse de prendre à sa charge un quart des frais de fonctionnement.79 En février,

le restaurant, en déficit de 500 francs, est fermé.80 Il a tout de même permis un certain temps aux

anarcho-syndicalistes de disposer d’un lieu supplémentaire pour les réunions et la propagande pacifistes. Tout ceci ne constitue toutefois pas le cœur de l’action de l’Union pendant la guerre.

71-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 30 août 1915. 72-A.D.R. 4M264, Lettre du commissaire spécial au préfet du Rhône, 6 décembre 1915. 73-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 9 au 10 décembre 1915.

74-A.D.R. 4M268, Minute de lettre du préfet du Rhône au gouverneur militaire de Lyon, 16 décembre 1915. 75-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 14 avril 1916.

76-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 9 mars 1916. 77-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 24 août 1916. 78-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 14 septembre 1916. 79-A.D.R. 4M268, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 19 janvier 1917. 80-A.D.R. 4M268, Rapport non daté, 24 février 1917.

2) La lutte de l’Union contre les « jusqu’au-boutistes » de la C.G.T.

a) L’Union des Syndicats et Merrheim

L’Union cherche pendant tout le conflit à faire basculer les instances nationales de la C.G.T. du côté pacifiste, sans y parvenir. La fin de l’année 1914 est plutôt calme. Le commissaire spécial ne relève qu’un ordre du jour en faveur de la paix, voté le 10 février 1915 sous l’impulsion du secrétaire de l’Union, Million.81 Celui-ci est alors mobilisé.82 Mais avant de partir, il a eu l’occasion d’échanger

plusieurs fois par lettre avec Merrheim, le dirigeant de la « Fédération des ouvriers des métaux et similaires de France » affiliée à la C.G.T., qui refuse l’adhésion à l’Union sacrée.83

Henri Bécirard, qui « [succède] à Million en qualité de Secrétaire de l’Union des Syndicats »,84

poursuit les échanges avec Merrheim, pour faire progresser le courant pacifiste minoritaire dans la C.G.T.. À une réunion d’avril 1915, il donne connaissance d’une lettre de Merrheim « protestant […] contre l’attitude actuelle des camarades de la C.G.T. qui vont à la remorque des socialistes et du Gouvernement ». Bécirard ajoute que pendant un voyage à Paris, « il a pu se convaincre que Jouhaux, Bled et Marck, de la C.G.T., [ne sont] que les domestiques de M. Viviani ».85 37 des 40 délégués à la

réunion votent « un ordre du jour approuvant la conduite de Merrheim et l’encourageant à continuer la lutte ». Merrheim en personne se rend à Lyon le 1er mai 1915, où il doit tenir une conférence privée à

l’Union sur les résultats d’un congrès syndical tenu à Londres.86 Il explique avoir fait son possible pour

laisser la porte ouverte à la reprise des relations internationales entre organisations ouvrières.87

Il prévient ensuite par lettre Bécirard le 1er juin de son projet d’organiser à Paris une

« conférence des Unions et Fédérations de syndicats ». À cette occasion, les querelles avec les représentants de la Bourse du Travail lyonnaise resurgissent. Le nommé Paoletti, du syndicat des verriers, « accuse l’administration de la Bourse d’être à la remorque du parti unifié ». De leur côté, les délégués de la Bourse du Travail, dont le dénommé Arragain, « estiment que leur rôle est plus intéressant que celui des dirigeants de l’Union qui eux ne visent qu’à créer une agitation factice, qui ne doit servir qu’à faciliter les menées de Merrheim pour prendre la place de Jouhaux ».88

81-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 11 mars 1915.

82-A.D.R. 4M243, Lettre du commissaire spécial de la préfecture au secrétaire général pour la police, 22 février 1915. 83-A.D.R. 4M264, Minute de lettre du secrétaire général pour la police au ministère de l’Intérieur, 16 février 1915.

84-A.D.R. 4M264, Minute de lettre du secrétaire général pour la police au ministère de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, 13 mars 1915.

85-A.D.R. 1M144, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 16 avril 1915. 86-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 24 avril 1915. 87-A.D.R. 1M144, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 3 mai 1915. 88-A.D.R. 1M144, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 17 juin 1915.

Le comité général de l’Union désigne deux délégués pour la conférence : Henri Bécirard, et la secrétaire du syndicat des ouvrières en parapluie, Ratgris-Roulet,89 également secrétaire du comité

d’action syndicaliste féministe. Cette nomination est représentative de l’importance acquise dans l’Union par les syndicats féminins depuis le début de la guerre. Malgré les récriminations des membres de la Bourse qui « approuvent l’attitude de Jouhaux qui a fait tout son devoir en prêtant son appui au gouvernement contre l’invasion boche »,90 l’Union vote à 12 voix contre 8, et 3 abstentions, l’envoi des

délégués à la conférence le 15 août, pour, selon Paoletti, « ramener la C.G.T. dans les principes syndicalistes et pacifistes ». Mais le congrès organisé est un échec :

« La grande majorité des congressistes s’est prononcée contre les menées anarchistes ou antimilitaristes en faveur de la paix. Merrheim a été très violemment attaqué par les délégués du Nord, de Reims et de Nancy qui l’ont invité à venir se rendre compte de l’attitude des Allemands à l’égard de la classe ouvrière dans les régions envahies.

La femme Ratgris-Roulet, de Lyon qui voulait lire le factum préparé par la Ligue d’action féministe en a été empêchée comme ne représentant pas une organisation confédérée. L’ordre du jour de la majorité de la C.G.T. préparé par Jouhaux a été approuvé par 127 délégués sur 147. »91

Malgré tout, les contacts continuent : en octobre 1915, Merrheim fait connaître à Bécirard les résultats d’un congrès international pacifiste tenu à Berne le 5 septembre. Mais la situation de l’Union est alors assez mauvaise : plusieurs groupements, dont le syndicat des Tramways, ont réduit leurs cotisations mensuelles, car ils se plaignent d’assurer à eux seuls le fonctionnement de l’organisation.92

À la suite d’une autre conférence internationale tenue à Zimmerwald, Merrheim envoie une lettre au secrétaire de l’Union pour lui faire « connaître qu’une active correspondance s’échange actuellement entre les minorités pacifistes de tous les pays belligérants et neutres, afin de renouer les liens internationaux et lutter ensemble pour amener la fin de la guerre ».93 L’Union des Syndicats reçoit

1 000 brochures résumant les décisions de la conférence, pour les mettre en vente dans les réunions, afin de financer la propagande de la Fédération des Métaux de Merrheim. L’Union vote également, sur sa demande, pour la création d’un Comité International Permanent pour la Paix à Berne, et l’envoi de trois délégués français sur place.94

89-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 8 juillet 1915. 90-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 22 juillet 1915. 91-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 21 août 1915. 92-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 14 octobre 1915. 93-A.D.R. 1M146, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 11 novembre 1915. 94-A.D.R. 4M268, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 9 décembre 1915.

Pour mettre fin aux critiques des membres de la Bourse du Travail qui l’accusent d’être « à la remorque de Merrheim », Bécirard accepte d’organiser une conférence avec Jouhaux à Lyon. Ce dernier vient le 19 décembre.95 Il est violemment pris à partie, notamment par Paoletti, qui l’accuse

« d’avoir mis la C.G.T. à la remorque du gouvernement ». Jouhaux répond qu’il ne veut pas faire le jeu des Allemands et qu’il préfère créer un mouvement en faveur de la paix avec les représentants des syndicats anglais.96 En mars 1916, après avoir reçu une lettre de Merrheim, Bécirard « déclare qu’il est

temps de mettre un terme aux palinodies du secrétaire confédéral ». Un ordre du jour réclamant le maintien des principes de la lutte des classes et réprouvant la conduite de Jouhaux est voté.97

b) Une action minoritaire limitée par les pouvoirs publics

Les autorités, bien au courant des affrontements entre syndicalistes, commencent à partir de 1916 à gêner l’action des minoritaires de la C.G.T.. En avril 1916, Merrheim, qui doit tenir une réunion publique à Lyon, est convoqué avec le secrétaire du syndicat de la métallurgie lyonnaise, Garin, par le commissaire spécial de la préfecture. Ce dernier leur notifie l’interdiction de la réunion.98 À cette

occasion, Bécirard « proteste vivement contre les entraves qui sont journellement apportées à la vie syndicale et corporative ». Il réclame le retour au régime de droit commun d’avant-guerre.99

Les anarcho-syndicalistes veulent réagir en organisant un congrès régional. Le premier projet est de tenir un congrès à Valence, préparé par l’Union des Syndicats locale, en juillet 1916 : une demande d’autorisation est déposée auprès de la préfecture de la Drôme. Les membres de l’Union du Rhône craignent alors que l’autorisation ne soit notifiée qu’au dernier moment pour faire échouer le projet.100 Finalement, la préfecture de la Drôme fait tout bonnement interdire le congrès.101 L’Union

s’entend alors avec le militant de la C.G.T. Bourderon, pour que les syndicats de Marseille organisent un congrès départemental le 15 août 1916 : tous les délégués des organisations syndicales importantes du sud-est de la France y seraient en réalité invités en secret. De même, Merrheim doit venir en août 1916 à Lyon pour une nouvelle conférence : l’Union envoie 500 convocations individuelles aux adhérents des syndicats et militants unifiés. Aucune communication n’est insérée dans la presse.102 Mais

95-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 3 décembre 1915. 96-A.D.R. 4M264, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 20 décembre 1915. 97-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 9 mars 1916. 98-A.D.R. 1M147, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 10 avril 1916. 99-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 14 avril 1916. 100-A.D.R. 1M147, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 15 juin 1916. 101-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 13 juillet 1916. 102-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 10 août 1916.

l’étroit contrôle des autorités ne permet pas de conserver la confidentialité du projet. Le 12 août 1916, le préfet du Rhône, informé par un indicateur,103 envoie la lettre suivante au gouverneur militaire de la

14e région :

« Je suis informé que les nommés Bécirard Henri, demeurant à Lyon, notoirement connu comme anarchiste dangereux, et Pechier, pacifiste également connu, distribuent secrètement des convocations dans divers milieux civils et militaires, pour annoncer une réunion qui […] aurait un caractère nettement antimilitariste et pacifiste […]. Le nommé Merrheim, de la Confédération Générale du Travail, venu spécialement de Paris, doit prendre la parole au cours de ladite réunion. […] L’anarchiste Bécirard, convoqué sur mon ordre et informé que cette réunion ne pourrait être tenue, s’est retranché derrière des faux-fuyants […]. D’ailleurs les assurances qui auraient pu être données par cet individu éminemment suspect, ne pouvaient donner aucune garantie.

Dans ces conditions et dans l’intérêt de l’ordre public et de la défense nationale, j’ai l’honneur de vous prier […] d’interdire la réunion précitée […]. »104

Le congrès de Marseille est également interdit par les autorités.105 Malgré des démarches des

organisations syndicales des Bouches-du-Rhône et de la Drôme auprès d’un député socialiste pour infléchir les autorités,106 un congrès prévu à Valence est de nouveau interdit.107 Certainement à cause du

contrôle du courrier, les convocations arrivent de toute façon trop tard à l’Union des Syndicats.108

Malgré tout, Bécirard affirme que le congrès a finalement pu se tenir secrètement en décembre 1916.109

Désigné comme délégué à une conférence confédérale à Paris les 24 et 25 décembre, il en revient en disant que « Jouhaux […] commence à s’apercevoir que sa conduite rencontre des adversaires déterminés dans toutes les corporations ».110 Bécirard envoie alors à Merrheim une lettre pour organiser

un débat avec Jouhaux à Lyon.111 Après avoir laissé miroiter la possibilité de sa venue pour mars, sous

la condition que le comité confédéral soit d’accord avec le projet,112 Jouhaux se dérobe à l’invitation.113

103-A.D.R. 1M160,Minute de lettre du préfet du Rhône au ministère de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, 14 août 1916.

104-A.D.R. 1M148, Minute de lettre du préfet du Rhône au gouverneur militaire de Lyon, 12 août 1916. 105-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 24 août 1916.

106-A.D.R. 4M260, Minute de lettre du préfet du Rhône au ministère de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, 31 août 1916.

107-A.D.R. 4M260, Minute de lettre du préfet du Rhône au ministère de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, 9 novembre 1916.

108-A.D.R. 1M148, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 19 octobre 1916. 109-A.D.R. 1M148, Rapport non signé, 21 décembre 1916.

110-A.D.R. 4M268, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 19 janvier 1917.

111-A.D.R. 4M268, Lettre de la direction de la Sûreté Générale au préfet du Rhône, 13 janvier 1917. 112-A.D.R. 4M268, Rapport non signé, 24 février 1917.

3) Le pacifisme et les grèves

a) Le retour à l’action révolutionnaire

En mars 1917, l’Union des Syndicats est de moins en moins convaincue de la possibilité de mener une action pacifiste : des perquisitions menées par les autorités, ainsi que l’endurance de la majorité confédérale, pèsent alors sur le moral des syndicalistes. Dans une réunion, une militante du syndicat de la confection pour dames, Jeanne Chevenard, « [déclare] que la police [surveille] de très près le mouvement pacifiste » et « [estime] qu’actuellement il n’y [a] rien à faire ». Elle veut attendre les résultats du blocus sous-marin et de la crise économique : « Un jour viendra, peut-être plus proche qu’on ne le croit, où la famine facilitera un soulèvement populaire. »114

Des mouvements de grèves et la place grandissante de la cherté de la vie dans les débats publics, permettent à l’Union d’organiser une contestation sous forme purement syndicale. Toutefois, si le pacifisme passe au second plan, il n’est au départ pas abandonné : pour le 1er mai 1917, Bécirard veut

donner l’apparence d’une réunion corporative à une conférence où est secrètement invité Merrheim.115

Ce dernier fait circuler un appel dans la Fédération des métaux pour le 1er mai. Il y critique la

suppression du droit syndical « sous le masque hypocrite d’une liberté l’annihilant », et la suppression du droit de réunion pour ceux qui luttent « pour la vérité ».116 Il demande aussi de soutenir « par la

pensée » les camarades russes. La révolution de février 1917 pousse le mouvement syndicaliste minoritaire vers des thématiques plus révolutionnaires que la simple reprise des relations internationales. Toutefois, les autorités veillent, et Merrheim ne peut pas venir à Lyon. La réunion du 1er mai à la Bourse du Travail est autorisée à la condition que Bécirard ne parle pas de la guerre.117

L’Union essaye alors d’organiser une agitation semblable à un mouvement de grève en cours à Paris, en ne parlant que du relèvement des salaires et des indemnités pour la cherté de la vie, laissant de côté le pacifisme. Jeanne Chevenard veut lancer une grève dans le syndicat de la confection.118 Une

réunion générale est tenue le 8 juin 1917, présidée par Garin, le secrétaire du syndicat lyonnais de la métallurgie. Bécirard explique que Jeanne Chevenard et lui sont surmenés par l’action syndicale depuis quelques semaines : un comité de grève est alors constitué pour les aider, où ils tiennent le rôle de secrétaires permanents.119

114-Ibid.

115-A.D.R. 4M268, Rapport non signé, 25 avril 1917.

116-A.D.R. 1M149, Circulaire de la Fédération des Métaux, vers le 1er mai 1917. 117-A.D.R. 4M268, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 2 mai 1917. 118-A.D.R. 1M149, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 30 mai 1917. 119-A.D.R. 1M149, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 9 juin 1917.

Tous les rapports sur les grèves de 1917 à Lyon conservés dans les dossiers 4M260 et 1M149 des A.D.R., prouvent qu’aucune fois le pacifisme n’est mentionné dans les réunions des corporations en grève entre mai et juillet, alors même que des industries comme celle du petit équipement militaire sont touchées.120 Malgré cette modération, les autorités répriment violemment le mouvement. Une note du

commissariat spécial résume le bilan de la répression : « 52 arrestations pour violences, actes de sabotage, outrages ou entrave à la liberté du travail. 12 acquittés ou relaxés. 40 condamnés à des peines diverses dont 18 avec sursis. »121 Certaines condamnations vont jusqu’à six mois de prison ferme.122

Henri Bécirard lui-même est mis en état d’arrestation « au lendemain de la grève » pour excitation au sabotage des tramways. Mais les témoignages de deux jeunes ouvriers arrêtés pour bris de matériel, expliquant qu’ils ont agi à son instigation, ne paraissent pas suffisants, et il est finalement relâché.123 Si la majorité des mouvements grévistes se concentrent entre mai et juillet 1917, l’agitation

se poursuit dans plusieurs syndicats jusqu’en décembre 1917. Les métallurgistes s’y distinguent particulièrement. Pendant une grande partie de la période, l’Union des Syndicats reste cependant sans nouvelles de Merrheim, qui, se sachant surveillé, a fait connaître à Bécirard et Garin qu’il ne pouvait plus correspondre avec eux.124

Les syndicalistes envisagent à partir d’août 1917 de transformer à nouveau les mouvements de grèves en mouvements en faveur de la paix : selon Bécirard, l’Union « se trouve [alors], au point de vue financier, dans une situation plus favorable qu’avant la guerre », grâce aux adhésions provoquées par les grèves.125 Pour profiter de cet état de fait, et faire de la propagande pacifiste sans risquer de

poursuites, il est décidé de publier les discours au parlement tirés du Journal Officiel de députés socialistes pacifistes, comme Brizon ou Raffin-Dugens. Le préfet du Rhône écrit au ministère de l’Intérieur :

« De plus en plus, l’Union des Syndicats tend à s’unir aux anarchistes et, de plus en plus