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1905-1914 : L’antimilitarisme anarcho-syndicaliste et la préservation de la caserne

B) Des politiques publiques de surveillance entre continuité et rupture

Il faut signaler tout d’abord un fait important : malgré leur participation à l’Union des Syndicats, les anarchistes lyonnais continuent les réunions dans leurs groupements habituels. Cependant c’est là que le manque de documents se fait le plus sentir : pour certaines années entre 1905 et 1909, il n’existe parfois qu’un seul rapport sur les agissements de ces groupes. Leur implication dans les milieux syndicalistes explique peut-être en partie cette raréfaction, toutefois celle-ci est tellement drastique qu’il semblerait bien que des documents n’aient pas été conservés. Mais il est possible de retracer quelques évènements. Entre 1904 et 1906, il semblerait que la Fédération antimilitariste régionale du Sud-Est, apparue après le départ de l’anarchiste Sébastien Faure de Lyon, ait pris le nom d’une organisation fondée à Paris, l’Association Internationale Antimilitariste33 (A.I.A.),34 et y ait

adhéré. Par ailleurs, certains éléments attestent que l’action antimilitariste des anarchistes est toujours aussi vive, voire s’intensifie.

31-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 28 décembre 1907.

32-A.D.R. 4M233, Télégramme du préfet du Rhône au ministre de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, 14 octobre 1909.

33-Jean MAITRON, Le mouvement anarchiste en France, tome 1 : des origines à 1914, Paris, Gallimard, 490 p.

1) La continuité dans la surveillance du mouvement anarchiste

Les quelques rapports de police à notre disposition ont en effet peut-être été conservés pour leur importance. Ils relèvent des opérations de répression de l’anarchisme, en dehors du milieu syndical. Le 14 juillet 1906, le commissaire spécial annonce ainsi que l’anarchiste Laplanche, accompagné de Rosset et Favier, de l’Association Internationale Antimilitariste, est allé retirer le matin même en gare de Perrache 2 000 placards commandés au journal L’Anarchie et relatifs au 14 juillet.35 Un procès-

verbal du même jour du commissaire spécial adjoint de la gare montre en réalité que le préfet du Rhône en a ordonné la saisie :

« Agissant en vertu des instructions de Monsieur le Préfet du Rhône,

Nous sommes rendus rue du Bélier, dans le magasin de livraison des colis postaux de la gare de Perrache et avons constaté la remise au Sieur Laplanche Joseph, âgé de 28 ans, […], pâtissier domicilié à Lyon, rue Masséna, 122, […], venant en lieu et place du Sieur Chayne, domicilié à Lyon, rue Bossuet 52, […] du colis postal n° 03 : 578, expédié de Paris […] et contenant un lot d’affiches portant en tête : “La Bastille de l’Autorité” et commençant par ces mots : “14 juillet ! Les fenêtres se bariolent etc.” et finissant par ceux-ci : “… La Terre enfin libérée verra des hommes libres. - Or donc ! Sus à l’autorité”. »36

Un rapport rédigé sur Chayne montre un certain renouvellement du mouvement anarchiste : « Il est avéré que cet individu prend une part active au développement de l’idée anarchiste à Lyon. Il fréquente du reste assidûment les chefs du groupe anarchiste lyonnais, Ruby, Dumas, Favier, etc. »37

Quelques éléments permettent tout de même d’établir la continuité entre les groupements anarchistes d’avant 1905 et ceux qui suivent. Un rapport sur la venue à Lyon de Clemenceau en mai 1907 conserve ainsi la trace de la participation à une réunion à la Guillotière de 40 libertaires et syndicalistes :38 parmi

les orateurs et l’assemblée, des individus déjà présents entre 1900 et 1904 se détachent, comme Martenot, l’ex-rédacteur du Quotidien de Sébastien Faure. L’auteur du rapport note également un nom, celui d’un certain « Bessira » : il s’agit probablement d’Henri Bécirard, qui sera amené à jouer un rôle très important pendant la guerre, en tant que secrétaire de l’Union des Syndicats.

35-A.D.R. 1M181, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 14 juillet 1906.

36-A.D.R. 1M181, Procès-verbal établi par commissaire spécial adjoint à la gare de Perrache, 14 juillet 1906. 37-A.D.R. 1M181, Rapport non signé, 15 juillet 1906.

Mais la meilleure preuve de l’activité de ces mouvements, malgré le manque de rapports sur leurs réunions, reste les dispositions prises par les pouvoirs publics pour empêcher la propagande par le fait. Celles-ci sont similaires à celles de la période précédente : la surveillance de la voie ferrée à l’occasion des déplacements présidentiels continue, sans véritable changement dans les dispositifs, comme le prouvent les télégrammes du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale conservés dans les dossiers 1M181 et 1M182 des archives départementales du Rhône. Les quelques rares nouveautés résident dans une surveillance accrue des individus étrangers suspects. Un télégramme de juillet 1909 de la Sûreté demande ainsi à ce qu’aucun passeport ne soit délivré aux individus suspects à la frontière à destination du département de la Manche, le président de la République se rendant en voyage à Cherbourg.39 De même, lors d’un voyage de l’empereur de Russie

en Italie, le commissaire spécial d’Annemasse envoie le signalement de deux suspects russes, partis de Genève vers la France, à l’Intérieur et aux préfets des départements placés sur leur chemin supposé.40

Certains documents montrent que les pouvoirs publics ont des raisons de continuer à considérer la « propagande par le fait » comme une possibilité : un article du Progrès du 6 mai 1906 annonce ainsi qu’« à la suite de la bagarre qui a eu lieu jeudi, rue Président-Carnot, et au cours de laquelle le garde Fontaine avait reçu un coup de couteau dans le dos, un camelot nommé Bernon avait été immédiatement arrêté. […] Après une minutieuse enquête, on parvint à établir que Bernon était bien, comme il l’affirmait, étranger à l’agression. Le véritable coupable, de nombreux témoignages le stipulent, était un nommé Favier, militant antimilitariste bien connu. Celui-ci a été arrêté hier dans un tramway et aussitôt écroué ».41

Lors de la venue à Lyon du président de la République, accompagné de Clemenceau, en mai 1907, une lettre de menace anonyme est envoyée aux services de police de Lyon :

« Messieurs de la police, vous aurez beau prendre toutes les précautions que vous voudrez vous n’empêcherez pas le coup de se faire. Si ce n’est pas de près ce sera de loin, car on en a assez comme ça, que les impôts augmentent toujours pour payer ces sales rosses, sales bêtes, fumiers, charognes, scélérats.

Ça m’étonnerait que l’on manque le coup, ça ne fait rien si l’on est pris.

39-A.D.R. 1M182, Télégramme du ministère de l’Intérieur et de la direction de la Sûreté Générale aux préfets de départements, aux commissaires spéciaux et de police et aux commandants des compagnies départementales de gendarmerie, 26 juillet 1909.

40-A.D.R. 1M182, Télégramme du commissaire spécial d’Annemasse au ministère de l’Intérieur et à la direction de la Sûreté Générale, en communication aux commissaires spéciaux de Bellegarde, Modane, Chambéry, Ambérieu et Lyon, 22 octobre 1909.

Il y aura quelqu’un de caché dans votre préfecture depuis jeudi. L’on peut bien rester un jour ou deux sans manger avec des précautions.

Pas adieu mais au revoir. Caserio. »42

Un couteau, une bombe et un revolver sont également dessinés sur le papier. La police prend au sérieux la menace et effectue des recherches « dans le but de découvrir les individus qui font l’objet de la lettre », qui restent cependant infructueuses.43

La venue du président de la République à Lyon témoigne de l’organisation désormais bien rodée des pouvoirs publics : par lettre du 13 mai 1907, le gouverneur militaire de Lyon annonce au préfet « qu’en exécution de [sa] réquisition du 11 mai 1907, [il a] donné les ordres nécessaires aux Colonels Commandants la 14e Légion de Gendarmerie et la 14e Légion bis pour que 200 gendarmes à pied et 100

gendarmes à cheval, avec leurs cadres, soient rendus à Lyon, le 18 mai 1907, à 10 heures du matin, à la caserne de gendarmerie de la rue Saint Hélène, pour assurer le maintien de l’ordre à Lyon, à l’occasion du voyage présidentiel les 18,19 et 20 mai 1907 ».44 Les gendarmes ne sont désormais plus seulement

employés pour la surveillance de la voie ferrée mais aussi pour le maintien de l’ordre même, une tendance qui ira en s’accentuant avec les troubles à venir entre 1910 et 1914. L’éventuelle présence d’anarchistes sur le chemin du cortège présidentiel est vérifiée : selon le commissaire spécial de la préfecture, « il résulte des recherches effectuées qu’aucun des anarchistes des trois catégories n’a son domicile dans un immeuble situé sur l’un quelconque des itinéraires que suivra le cortège présidentiel ».45

Le 15 mai 1907, le commissaire du quartier d’Oullins attire l’attention du secrétaire général pour la police sur des décorations placées dans la ville pour les fêtes, « ces espèces de tonneaux ou panneaux placés en bas des mâts, plantés sur différents points de la ville, notamment place Bellecour ; l’espace laissé libre, entre la boiserie et le sol est de 8, 10 et 12 centimètres ; qui empêcherait un criminel, ou un mauvais plaisant, de glisser la veille, par cet interstice, un explosif ou un simple pétard, avec une mèche assez longue pouvant être allumée, debout, dès lors, sans éveiller l’attention, avec un cigare ou une cigarette et que l’inflammation se produise juste au moment du passage de notre cher et sympathique Président, alors que le Criminel pourrait s’éloigner tranquillement » ?46 La peur d’un

42-A.D.R. 4M233, Lettre de menace anonyme, non datée. (Voir Annexes p. 226) 43-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 15 mai 1907.

44-A.D.R. 4M233, Lettre du gouverneur militaire de Lyon au préfet du Rhône, 13 mai 1907. 45-A.D.R. 4M233, Note du commissariat spécial de la préfecture, 11 mai 1907.

attentat est ainsi toujours bien présente : une batterie de mesures similaires à celles adoptées lors du voyage présidentiel de 1900 sont prises pour empêcher des inconnus d’accéder à la salle du banquet prévu à la chambre de commerce,47 ainsi que pour vérifier la conduite et la moralité des maîtres

d’hôtels et des cuisiniers.48

La surveillance des anarchistes par le commissaire spécial de la préfecture est encore renforcée : « La surveillance individuelle dont les principaux anarchistes et antimilitaristes lyonnais sont actuellement l’objet, a fait ajourner jusqu’après le voyage présidentiel, les réunions hebdomadaires de la section antimilitariste ainsi que celles du groupe libertaire “l’Émancipation”.

Les quelques anarchistes que l’on rencontre encore soit au café de l’Isère, rue Paul Bert, 26 (café Chamarande), soit au Bar Suchard, rue Boileau, 83, ne sont pas rassurés ; leur fanfaronnade habituelle a fait place à la crainte d’être arrêtés au cours des fêtes, aussi la plupart d’entre eux se disposent-ils à aller à la campagne pendant les journées de dimanche et de lundi, ne voulant pas disent-ils, être témoins de la mascarade gouvernementale.

On ne prévoit donc, du côté antimilitariste et libertaire, ni de manifestations, ni de placards ou imprimés séditieux ou injurieux, l’argent faisant complètement défaut pour faire quoi que ce soit ; d’autre part on ne signale aucun fait anormal de la part des dangereux de la secte anarchiste qui sont furieux d’être surveillés et filés par des agents à l’occasion de leurs déplacements, et qui ont hâte de voir arriver la fin des fêtes présidentielles pour être débarrassés de la filature dont ils sont l’objet. »49

La surveillance des fêtes du 14 juillet est assurée de manière similaire aux années précédentes : les incidents lors des retraites militaires sont toujours présents. En 1907, certainement en raison des troubles lors de la révolte des vignerons du Midi, le gouverneur militaire de Lyon notifie au préfet que sur décision du ministre de la Guerre, la revue habituelle des troupes le 14 juillet est annulée à Lyon.50

En 1908, un conseiller de la préfecture s’adressant aux commissaires des quartiers sur le parcours des retraites les « prie de vouloir bien suivre le 13 juillet au soir, la retraite aux flambeaux dans la traversée de [leur] circonscription, de façon à intervenir si des cris séditieux tels que “A bas l’armée” et “A bas la Patrie” étaient poussés par les antimilitaristes. […] La retraite sera escortée par un service de police important commandé par un adjudant des gardiens de la paix ». Une copie des dispositions du service 47-A.D.R. 1M181, Mesures d’ordre du banquet à la Chambre de commerce de Lyon, 19 mai 1917.

48-A.D.R. 4M233, Renseignements du commissariat spécial de la préfecture sur les maîtres d’hôtel et cuisiniers, 19 au 20 mai 1907.

49-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 15 mai 1907. 50-A.D.R. 1M181, Lettre du gouverneur militaire au préfet du Rhône, 9 juillet 1907.

d’ordre pour le 14 juillet, accompagnant une lettre du gouverneur militaire démontre également l’emploi nouveau de la gendarmerie pour la surveillance de la revue militaire.51 Les incidents avec les

antimilitaristes au cours des fêtes sont donc loin de disparaître : en 1909, le secrétaire général de la mairie écrit ainsi au préfet que « la place [militaire de Lyon] insiste pour qu’un service de police très sérieux soit fait sur tout le parcours de la retraite, en vue de mettre ordre à certaines manifestations hostiles à l’armée qui se produisent trop souvent et qui se sont produites encore l’année dernière ».52

Toutes les dispositions évoquées dans cette partie, de la surveillance de la voie ferrée à la surveillance des voyages présidentiels, restent sensiblement les mêmes jusqu’au début de la guerre, en 1914. Le dossier 1M182 de la préfecture atteste de leur emploi entre 1908 et 1914, par exemple pour un nouveau voyage présidentiel à Lyon, en mai 1914.

2) L’intensification de la répression de l’antimilitarisme

Les moyens de surveillance de l’antimilitarisme et de l’anarchisme restent donc relativement semblables à ceux de la période précédente : toutefois la présence de Clemenceau comme président du Conseil et surtout ministre de l’Intérieur entre 1906 et 1909 semble amener une intensification de la répression des menées antimilitaristes. Lors de sa venue à Lyon, les anarchistes Chazeau et Dumas « redoutent d’être arrêtés ».53 Mais la menace que fait peser la présence de Clemenceau sur le

mouvement antimilitariste n’est pas que théorique. Certains documents témoignent d’un procès ayant touché la section lyonnaise de l’Association Internationale Antimilitariste, vers la fin 1907 : il débouche sur des arrêtés d’expulsions concernant des anarchistes étrangers : le 27 décembre 1907, le groupement, au nombre de 25 militants, dont les dénommés Chazeau, Chabert, Henri et Albert Bécirard, Favier, Laplanche et Dumas, ainsi qu’Arin, Knussen et Strube, les trois étrangers concernés, tient une discussion sur les sanctions prises.

« Pierre Dumas propose […] qu’un membre de l’association l’accompagne chez M. Moutet, avocat, pour le prier de faire connaître le résultat de ses démarches en faveur des camarades étrangers expulsés de France à la suite du procès des antimilitaristes. […]

L’un des expulsés, le nommé Arin, se lève et reproche amèrement aux assistants leur manque de solidarité […] ; il expose dans des termes violents que le groupe n’a fait aucune protestation contre la mesure prise à leur égard et déplore cette indifférence.

51-A.D.R. 1M182, Lettre du gouverneur militaire de Lyon au préfet du Rhône, 10 juillet 1908.

52-A.D.R. 1M182, Note du secrétaire général de la mairie de Lyon adressée au préfet du Rhône, 8 juillet 1909. 53-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 18 mai 1907.

Pierre Dumas cherche à justifier le groupe en expliquant qu’il a fait tout ce qui était possible ; il s’ensuit un colloque violent entre tous les assistants qui s’insultent mutuellement au point que Dumas quitte la salle en déclarant qu’il abandonne le groupe. »54

Les assistants qui restent décident alors de publier une brochure rendant compte du procès des antimilitaristes. Si les mesures des pouvoirs publics n’ont pas permis de mettre en prison les militants anarchistes français, elles ont semé la zizanie. En janvier 1908, le commissaire spécial note ainsi :

« Le désaccord continue à régner dans le clan anarchiste et les réunions que la section lyonnaise de l’Association Internationale Antimilitariste tient assez régulièrement, chaque semaine, au Café de l’Isère, rue Paul Bert, 26, sont marquées, depuis surtout le retour des acquittés de la Cour d’Assises, par de vifs incidents provoqués par des commérages et des questions de personnalités. La plupart des militants déplorent, bien entendu, cet état de choses si préjudiciable à la bonne marche du parti, mais ils sont impuissants à le faire cesser en raison de la profonde antipathie qui divise les compagnons les plus en vue comme Favier, Chazeau et Pierre Dumas. […]

Pierre Dumas ayant […] fait courir le bruit qu’il allait fonder un nouveau groupement, a été violemment attaqué dans la dernière séance de l’A.I.A. par Camille Favier et Chazeau, qui l’ont accusé de vouloir diviser les forces libertaires antimilitaristes.

Plusieurs compagnons sont intervenus pour expliquer qu’il y avait malentendu et, finalement, Dumas a promis de rester à la condition qu’on ne ferait plus de questions de personnalités.

L’incident est clos pour l’instant mais on prévoit qu’il ne tardera pas à s’en produire d’autres, qui pourraient bien paralyser, pendant quelque temps encore, l’action de la propagande antimilitariste. »55

L’action des pouvoirs publics face aux groupements anarchistes semble ainsi mettre en échec le mouvement antimilitariste, au moins en 1907 et 1908. Les autorités lyonnaises considèrent d’ailleurs désormais anarchisme et antimilitarisme comme des termes presque équivalents. Alors même qu’entre 1900 et 1904 les commissaires parlaient plutôt d’« anarchistes » et de « libertaires », tous les documents de la période montrent une raréfaction du second terme au profit du qualificatif « antimilitariste ». Ils reconnaissent et enregistrent ainsi la réorientation qui s’est produite dans ces groupes vers l’intensification de la contestation de l’armée. En mai 1907, le commissaire spécial parle 54-A.D.R. 4M260, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 28 décembre 1907.

ainsi de « réunion antimilitariste et anarchiste » au café Chamarande.56 Dans une réunion de

décembre 1907, il écrit qu’on y remarque « les anarchistes ou antimilitaristes Favier, Dumas, Chazeau, […], les frères Bécirard »,57 etc. Cette association entre anarchisme et antimilitarisme n’est pas tout à

fait innocente : les anarchistes ne sont pas les seuls à porter des thématiques antimilitaristes. Les syndicalistes révolutionnaires et même certains membres de la S.F.I.O. lyonnaise défendent des idées semblables. Mais dans un contexte international de plus en plus tendu, les pouvoirs publics cherchent à faire entrer dans le cadre de la surveillance individuelle tout individu qui leur paraîtrait susceptible de perturber une potentielle mobilisation. Comme le rappelle Clemenceau lui-même dans une circulaire de 1906, pour le fichage des individus qui font l’objet « d’une surveillance comme anarchiste ou comme suspect au point de vue national », les agents doivent se « placer à l’unique point de vue de la sûreté publique, en dehors de toute préoccupation d’ordre politique ».58 Confondre anarchisme et

antimilitarisme permet alors de faire entrer certains individus par ailleurs plutôt modérés dans cette catégorie « dangereuse », et de donner à une surveillance en réalité de plus en plus politique toutes les apparences d’une surveillance de la criminalité.

3) La modification du carnet B en 1909 : vers une surveillance politique de l’antimilitarisme

La fin de la période démontre la réorientation de la surveillance de l’anarchisme vers celle de toute manifestation antimilitariste. Une modification extrêmement importante du carnet B a lieu en 1909. Le premier chapitre avait montré à quel point les autorités lyonnaises s’en désintéressaient jusqu’à ce moment :59 une circulaire du 30 janvier 1909 de la Sûreté Générale change complètement ses

buts. Dans une minute de lettre, certainement adressée par la suite aux commissaires spéciaux de la préfecture et de la Sûreté, le secrétaire général pour la police en détaille le contenu. Il explique :

« Il y a lieu d’inscrire, à l’avenir, aux Carnets B et au Registre de la Préfecture (qui prend également le nom de Carnet B) non seulement les individus susceptibles d’être poursuivis en vertu de la loi de 1886 sur l’espionnage mais encore :

1° Les étrangers qui, soit par des manifestations d’hostilité contre la France, soit par leurs antécédents, soit par le caractère équivoque de leurs relations, de leurs ressources ou de leurs emplois paraissent susceptibles de prêter leur concours à des manœuvres préjudiciables à la Défense 56-A.D.R. 4M233, Rapport du commissariat spécial de la préfecture, 18 mai 1907.