• Aucun résultat trouvé

Sélection de l’information: qui est dans l’agenda et pourquoi?

1. LA CONSTRUCTION MEDIATIQUE DES OBJETS

1.2. L A CONSTRUCTION DE L ’ AGENDA MEDIATIQUE

1.2.2. Sélection de l’information: qui est dans l’agenda et pourquoi?

D’après Kingdon (1984, p. 174 dans Hassenteufel, 2010), l’intégration de cer-tains sujets sur l’agenda médiatique a lieu à partir de la conjonction de trois flux : « lorsqu’un problème est reconnu, [qu’] une solution est développée et disponible au sein de la communauté des politiques publiques, [qu’] un changement politique en fait le moment adéquat pour un changement de politique et [que] les contraintes potentielles ne sont pas trop fortes ». En effet, cet auteur s’aperçoit que plus loin de la connaissance du fait, il reste nécessaire de connaître autant le fond (ses causes, conséquences, solution) que les politiques qui sont autour de lui.

Les journalistes prendront différents critères qui justifient leur prise de déci-sion, afin de faire leur sélection et leur hiérarchisation des nouvelles (« salience »). De telle manière, une figure très importante pour réaliser cette besogne est celle du « gatekeeper », c’est-à-dire, les journalistes chargés de faire la sélection des événe-ments les plus pertinents du jour à publier dans le média qui, par conséquent, mar-quent l’agenda (normalement ce type de décision est pris par les directeurs ou chefs de rubriques, dans le cas de l’AFP c’est le Desk qui prend la décision finale).

Par ailleurs, pour sélectionner l’information, le journaliste va se baser sur plu-sieurs critères de même que la nouveauté, le conflit, la quantité, la référence locale, le politiquement incorrect et l’actualité (Marambio, 2005). Puis, finalement il y aura une touche professionnelle-personnelle pour prendre la décision finale, ainsi que le confirmaient les journalistes que nous avons interviewés. Outre ces critères de sélec-tion, qui reflètent plutôt l’environnement du public, d’autres aspects jouent un rôle important au moment de choisir des informations, telle que la propre culture du journaliste et ses aptitudes professionnelles, non moins que la ligne éditoriale de son média et ses directives de travail. À titre d’exemple, nous trouvons la discussion qu’il y a eue autour de la publication des dessins des caricatures de Mahomet, publiées en

2005 par un journal danois, Jyllands-Posten2, du côté des journalistes danois il n’y avait aucune provocation, en revanche certains médias arabes ont trouvé ces dessins offensants, ils ont trouvé ces dessins offensants. Ceci illustre très bien la façon dont la culture et le contexte déterminent la licéité ou illicéité des informations et par conséquent leur choix.

Il est nécessaire de prendre en compte le type de média (audiovisuel, écrit, web), de la même manière que la concurrence des autres médias (« si tel media parle de ça notre média doit en parler aussi ») et les intérêts du public auquel s’adresse le média.

Par conséquence, pour analyser l’opinion publique, on se sert des sondages et des enquêtes, comme par exemple la méthode de sondages d’opinion Gallup utilisée par McCombs et Shaw, pour connaître les sujets qui préoccupent le plus le public. D’ailleurs, les médias prennent en considération les résultats de ces études et de tous les sujets qui sont au centre des préoccupations de l’opinion publique. Cette corres-pondance entre média et audience est importante attendu que, plus les sujets inté-ressent la population, plus ils vont suivre les informations médiatiques, en consé-quence cela favorisera la part d’audience. Ainsi cette fidélité des médias entraîne plus de revenus économiques (d’autant que le thermomètre de popularité d’un média est mesuré par l’audimétrie, de ce fait, les revenus publicitaires d’un média vont dé-pendre en quelque sorte du pourcentage de cet indicateur).

McCombs & Evatt (1995) décrivent les contributions et l'influence des mes-sages médiatiques par la métaphore des couches d'un oignon. La couche externe est un ensemble de sources que les journalistes utilisent couramment pour les nouvelles. La couche la plus interne est au cœur du journalisme lui-même, à savoir les pra-tiques, les valeurs et les traditions dans lesquelles chaque journaliste est formé, en commençant par sa formation universitaire et en continuant des expériences quoti-diennes du travail. Il y a donc une relation directe entre les représentations

2 Le dessinateur du quotidien danois, Kurt Westergaard, est l’auteur de la caricature de Mahomet avec un turban en forme de bombe, publiée le 30 septembre avec d’autres dessins et caricatures de Mahomet, qui ont créé une controverse.

sionnelles des journalistes (ainsi que leur critère un peu personnel), et le contexte national où ils travaillent.

Au-delà des critères internes du média lui-même, il existe également certains facteurs externes qui font partie de la création de l’agenda, tels que la pression des institutions, les différents intérêts de l’environnement politique et économique aux-quels se soumettent les médias. Le conditionnement des sources d’information et la pression qu’elles exercent pour avoir un certain contrôle sur l’information média-tique, comptent également. Il s’agit d’une situation que les médias essayent d’éviter, surtout au niveau des agences de presse, afin de rester impartiales et d’informer sur tout ce qui se passe dans le monde.

On peut également remarquer l’importance des « new values », il s’agit des cri-tères utilisés lors de la sélection d’éléments dignes d'être inclus dans la couverture médiatique d'un événement, qui expliquent pourquoi certains événements deviennent nouveaux tandis que d'autres sont cachés aux yeux du public (Galtung et Ruge, 1965). À leur tour, ils fonctionnent comme des lignes directrices pour présenter le matériel, savoir ce qu'il faut souligner et ce qu'il faut omettre, de nouvelles priorités, entre autres (Zunino et Aruguete, 2010).

Il est évident que toute sélection implique un choix et une prise de décision d’inclure ou exclure des informations ; il y aura donc des questions fortement repré-sentées et d’autres qui seront ignorées. Igartua et Humanes (2004) contemplent que ces décisions et priorités proviennent de deux mécanismes : d’une part le filtre et le choix des sujets plus intéressants d’après les salles de rédaction et, d’autre part, le suivi d’un sujet ayant pour effet de se concentrer sur le même sujet pendant une période (Aruguete, 2009). C’est la raison pour laquelle à une certaine période nous entendons beaucoup parler de la pauvreté et ce pendant quelques temps, alors qu’à d’autres périodes, les médias réduisent les sujets aux personnes sans abri3.

3 Voir notre rapport de recherche pour l'observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale : http://www.onpes.gouv.fr/Medias-et-invisibilite-sociale.html .

Une fois que le choix de l’information est fait, et l’agenda du jour marqué, il est nécessaire d’établir une hiérarchie des informations pour constituer un ordre de priorité et d’importance pour chaque sujet à traiter. Nous mentionnerons, à cet égard, qu’il y a deux processus importants: le priming et le framing.

Le priming (amorçage) est le début, autrement dit, l’activation du sujet, le choix et la préparation du sujet qui est reconstruit par le média et mis en contexte. Ce schéma s'inspire de l'impact que peut avoir l’agenda-setting sur la façon dont les indi-vidus évaluent les sujets publics, en imposant les domaines thématiques ou les ques-tions que les individus utilisent pour former ces propres évaluaques-tions (Scheufele, 2000).

Quant au framing (cadrage), McCombs (1997) a soutenu en particulier qu’il s’agit simplement d’une version plus raffinée de l’agenda-setting. Il qualifie ce phéno-mène d’« agenda de deuxième niveau » (Scheufele, 2000). Chaque objet aura ses propres caractéristiques ou attributs qui le définissent, mais le média met l’accent seulement sur quelques-uns. Autrement dit, que le média encadre le sujet pour in-terpréter la réalité, en faisant la sélection des aspects estimés les plus pertinents de la réalité (McCombs, 2006, p. 170, dans Rubio, 2005) et fournir à l’audience (au public) les éléments nécessaires pour assurer l’intelligibilité de l’événement, en plus d’attirer l’attention sur ces aspects particuliers de l’information, à l’exclusion d’autres. « Les cadres sont liés à la culture comme une structure macrosociétale » (Weaver, 2006). Patterson (1993) signale que les cadres sont plus forts lorsque l'exposition à un sujet est continue (McCombs & Evatt, 1995). Le contexte influe sur l'opinion en cernant des faits et d'autres considérations grâce à des critères d’évaluation spécifiques, leur conférant une plus grande pertinence apparente que ce qu'ils pourraient sembler avoir sous un autre cadre (Nelson et al., 1967 p. 569, dans Scheufele, 2000). Le fra-ming, à partir de cette perspective, signifie rendre les aspects d'une question plus sail-lants à travers de différents modes de présentation, par suite, modifier les attitudes des personnes (Scheufele & Tewksbury, 2006). Ses effets sont cognitifs puisque ce

cadrage suppose l’influence et structuration du sujet aussi par l’individu, et les effets accumulatifs dont parlait Shaw se sont installés à ce moment (Rubio, 2005).

Sur cette ligne, Luhmann (1973) va introduire le terme de « thématisation », pour faire référence à la manière de traiter l’information par les médias et comment elle arrive à la société. Pour aborder l’information, les médias élaborent des catégo-ries, soulignent l’importance du sujet (Wolff, 1991) et l’intègrent dans un contexte social, économique et politique, ainsi que dans un cadre d’interprétation qui le lie à d’autres événements (Lang et Lang, 1981 dans Zunino & Aruguete, 2010). Shaw (1977) définissait un « thème » comme l’accumulation d’une série d’informations engagée dans le traitement journalistique et dans une catégorie plus large des évé-nements (Dader, 1992, p. 302 dans Aruguete, 2012). Les époux Lang (1981) se sont intéressés à cette question, et ils proposent différentes définitions par rapport au thème, ils relèvent des préoccupations sur des aspects qui concernent personnelle-ment les gens, comme la perception des problèmes considérés comme centraux dans un pays, et à propos desquels le gouvernement doit agir ; également l'existence de politiques alternatives entre lesquelles les gens devraient choisir. Selon ces au-teurs, un thème est aussi une controverse publique où on l’on retrouve des raisons ou des divisions politiques sous-jacentes et déterminantes (Aruguete, 2012).