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1. LA CONSTRUCTION MEDIATIQUE DES OBJETS

1.2. L A CONSTRUCTION DE L ’ AGENDA MEDIATIQUE

1.3.4. Les médias et les représentations sociales

Les médias en tant « qu’outil culturel », avec leur façon de présenter la connais-sance et la mémoire collective des évènements traumatiques, ayant un fort impact émotionnel (de Rosa, Enrietto, et Gioiosa, 2005), jouent un rôle dans la représenta-tion de la crise au niveau nareprésenta-tional et internareprésenta-tional, et sont des outils importants pour la compréhension de l’élaboration sociale et politique d’évènements graves, et de l’intensification de la réflexion sur les pratiques et la culture du capitalisme contem-porain.

Comme nous avons observé dans les points précédents, les RS ne sont pas sta-tiques et rigides, elles peuvent changer, évoluer… Ces modifications vont dépendre en grande partie des acteurs du groupe social où elles sont créées. Mais outre les personnes concernées, les médias jouent un rôle important dans leur création.

Dès lors, nous les concevons, identités, représentations et médias doivent être étudiés conjointement tant ils sont complexes et intriqués (Rouquette, 1997).

Les médias concourent effectivement à l’élaboration et à l’évolution des repré-sentations sociales à travers l’institution d’un univers consensuel ; ainsi en servant de cadre de connaissance et de référence, ils permettent d’éprouver la cohésion du groupe ou de confirmer l’appartenance à une communauté idéologique (Valence et Roussiau, 2013).

Moscovici a réalisé une étude de la presse française, en essayant de regarder le fonctionnement de la communication de masse, et la manière dont les médias vont changer leur manière de communiquer en fonction du public vers lequel ils vont se diriger (sens commun, expert, militant), et aussi l’objectif de leur communication (convaincre, persuader, faire faire). Il a établi trois modes de communication : diffu-sion, propagation et propagande.

D’un côté, il y a la diffusion, qui est une manière de transmettre le message en permettant aux récepteurs de tirer leurs propres conclusions, et qui, selon nous, se situent les agences de presse que nous étudions dans ce travail.

La propagation est une autre manière de communication, qui est plus complexe que la diffusion, dans la mesure où les auteurs des articles doivent créer un lien et un feedback avec leur audience, pour les faire adhérer à la même conception de l’objet dont ils parlent. Par conséquent, il se réalise un processus de transformation de l’information de l’objet, pour qu'il arrive à être accepté et intégré dans le cadre des connaissances du groupe, et pour qu’il se lie avec les critères identitaires du groupe. La propagation va plutôt permettre d’élaborer des attitudes.

Puis, la troisième manière par laquelle la presse peut communiquer, se-lon Moscovici, c’est la propagande. Ici s’ouvrent deux prises de position claires,

« pour » ou « contre » ; c’est pourquoi il est nécessaire d'instaurer une situation de conflit entre les groupes sociaux pour ce type de communication. La propagande a pour autres fonctions d’inciter à des formes spécifiques d’engagement (ex. manifes-tant, milimanifes-tant, votant) et de renforcer les convictions préétablies des membres d’un groupe organisé (Rouquette, 1994). Cette polarité va contribuer à la création identi-taire du groupe, soit en faveur, soit contre. C’est pourquoi la propagande renforce plus les stéréotypes.

« Si la diffusion ou la propagation permettent une influence générale, vaste sur un ensemble important d’individus et de groupes dans la société, la propagande use d’un autre type d’influence : elle renchérit sur un sentiment d’urgence face à une menace ». (Orfali, 2016).

Tableau 1: Modes de communication (Moscovici) et effets (Orfali, 2016)

Modes

de communication Diffusion Propagation Propagande

Effets sur les RS Opinions Attitudes Stéréotypes

Catégories de

ci-toyens Citoyen penseur Citoyen acteur Citoyen pensé

Rapport aux

mou-vements sociaux Identité Enjeu Opposition

Niveaux sollicités Individuel Sociopolitique Institutionnel

Les représentations sont tributaires des processus de communication permet-tant le développement d’une vision partagée, d’un code commun à propos d’un ob-jet (Jodelet, 1991). Ces processus de communication prennent la forme d’interactions verbales, mais aussi de communication de masse (Moscovici, 1961 ; Wagner, Kronberger et Seifert, 2002 ; Bangerter et Heath, 2004 ; Marchand, 2005).

Ainsi les mass media participent à l’apport d’informations nécessaires à l’élaboration de RS.

D’après Moscovici (1985, p. 52), lorsque les masses sont là, la politique a pour mission de les organiser. Deux conditions les font mouvoir, la passion et les croyances ; il faut donc tenir compte de toutes deux. Chaque fois que des hommes sont rassemblés, ils sont pénétrés par des émotions analogues. Ils communiquent dans une foi supérieure. Ils s’identifient à une personne qui les tire de leur solitude, et lui vouent une admiration totale.

Egalement, les journalistes, pour transmettre les informations vont faire fina-lement un choix personnel, en prenant une forme de traitement concret d’une réali-té, et pour la fournir avec un degré d’exigence et d’approfondissement, qui permet-tra aux citoyens de forger leur propre opinion : « il s'appuie à cet égard sur un système de valeurs qui privilégie l'honnêteté par rapport à l'objectivité, celle-ci sup-posant que le traitement journalistique adéquat découle de la réalité elle-même, et non d'une intervention du journaliste rejetée par principe » (Cornu et Ruellan, 1993). Comme le souligne Rouquette (1998, p. 7), les médias font partie de notre vie ; ils nous informent, mais non seulement, ils nous aident aussi à appréhender / com-prendre notre monde, et ils vont marquer certains sujets de nos conversations per-sonnelles. Il y aura une rétroalimentation bidirectionnelle, du fait que les médias donnent des informations au public, le public va leur inspirer aussi leurs informa-tions. Ainsi l’adéquation entre conversations et médias ne peut être que locale ou temporaire, et non globale et permanente (Rouquette, 1998, p. 29). Plus l’événement est proche et plus l’individu s’y impliquera, d’après la phénoménologie de Merleau Ponty (1945), on ne comprend que si ça résonne personnellement ci encore. « Il n'y a rien là comme un raisonnement par analogie ». Nous le voyons souvent dans les médias : s'il y a une catastrophe loin de la France, le titre va faire allusion à des cen-taines de morts, mais s'il y a un mort français parmi les victimes, la société française sera plus proche de cet événement.

Retenons que les organes de presse se présentent comme des principes généra-teurs de prise de position (Bourdieu, 1977) qui participent dès lors à l’insertion des représentations dans l’organisation des rapports symboliques entre acteurs sociaux, et traduisent l’expression de l’ordre idéologique du système social dans lequel ils sont produits (Valence et Roussiau, 2013).

D’autre part, le traitement de l’objet crise par un média passe par son appro-priation selon la sensibilité éditoriale et en fonction d’un « contrat de de communi-cation » (Charaudeau, 1991 ; Burguet, 1999, 2000 ; Ghiglione & Chabrol, 2000) qui lie la source à son lectorat. Dès lors, il s’agit, au-delà de l’information, d’investir l’objet pour faire jouer et stabiliser les rapports de coopération / compétition et les relations identitaires qui structurent les champs politique et journalistique.

Si nous nous remontons à l’histoire générale de la presse française, elle a été une arme essentielle pour transmettre les évènements du moment, qui aidaient aux citoyens à comprendre la vie politique, sociale et économique, dans une étape de changements assez importants dans la société, où les journalistes ont dû prendre conscience des besoins des citoyens pour adapter leur discours (Blandin, 2010).