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1. LA CONSTRUCTION MEDIATIQUE DES OBJETS

1.2. L A CONSTRUCTION DE L ’ AGENDA MEDIATIQUE

1.2.1. L’ agenda setting

Le concept d’agenda peut être défini comme « l’ensemble des problèmes fai-sant l’objet d’un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités

publiques et donc susceptibles de faire l’objet d’une ou plusieurs décisions » (Gar-raud, 1990, p. 27 dans Hassenteufel, 2010). De ce fait, l’agenda représente l’existence d’un objet et l’importance relative que les médias (dans le cas de l’agenda média-tique) lui accordent, qui se présente de manière hiérarchisée, sans avoir aucun critère scientifique pour établir ces priorités (Charron, 2012).

Au cœur de ce sub-chapitre, nous allons nous intéresser plus précisément à la théorie de l’agenda setting, dont McCombs et Shaw sont les créateurs, même si avant eux il y a déjà eu quelques auteurs qui se sont intéressés aux effets que provoquent des médias dans l’opinion publique.

C’est pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918), moment d’une pro-pagation notable de l’information propagandiste, que Lasswell (1927) a voulu étudier et connaître les effets médiatiques sur le public dans ce contexte; il a commencé à parler de la « théorie de la seringue hypodermique » (hypodermic needle), en se basant sur les messages que les gens recevaient des médias (manipulés par le régime poli-tique du pays), qui arrivaient directement au récepteur sans aucune instance d’intermédiation. La métaphore de la seringue consiste à considérer que c’est comme si l’information était injectée à l’individu. D’où, il s’agissait d’une communi-cation unidirectionnelle, où le récepteur restait passif et ne participait pas à l’acte de communication (Aruguete, 2009).

D’autre part, Lippmann (1922, p. 29), avec “The World Outside and the Pic-tures in Our Heads”, voulait remarquer comment les médias configurent l’image extérieure que le public a du monde, qu’il appelait « pseudo-environnement », puisqu’il était construit par les médias, et résulte à la fois de nos propres perceptions du monde. Lippmann soutenait qu’il existait une quantité énorme d’informations, que l’individu pour lui-même ne pouvait pas embrasser (le monde tel qu’il existe en de-hors de nous), et que c’est grâce à la sélection que faisaient les médias, que le public pouvait connaître la réalité – médiatisée. Pour Lippmann, les médias sont donc les connecteurs entre les événements mondiaux et les images de ces événements dans l’esprit des gens (Aruguete, 2009). C’est pour cette raison que les éléments éminents

de l’agenda médiatique deviennent des éléments importants dans l’opinion publique (McCombs, 1993). Dans une de ses études sur l’influence de la télévision à l’opinion publique, Lippmann démontrait que les "leçons" à répétition que nous apprenons de la TV depuis notre enfance, ont tendance à constituer la base d’une vision générale du monde qui fait de la télévision « une source primordiale des valeurs, idéologies et représentations ainsi que des attitudes, croyances et images » (Marchand, 2004).

Du même, Cohen (1963) avait réfléchi aussi aux effets des médias dans l’opinion publique, en affirmant que les médias ne nous disent pas ce qu'il faut pen-ser mais ce à quoi il faut penpen-ser. Quelques années plus tard, McCombs et Shaw (1993) ajouteront à cette observation de Cohen que les médias non seulement nous disent à quoi penser, mais aussi comment le penser. Au surplus, dans le même sens, déjà Albert Camus avait remarqué: « non, ce n'est pas ce que le public veut, c'est ce qu'on l'a amené à vouloir, ce qui n'est pas la même chose » (Combat, 1944 dans Marchand, 2004).

Nous pourrons en montrer un exemple avec nos analyses, d’autant plus que les deux agences de France et Espagne abordent des sujets similaires, ils ne sont pas agencés de la même façon, de manière à ce que la lecture de la crise dans une agence espagnole soit différente de celle que l’on en fait dans une agence française. Ce fait pourrait avoir un impact sur la perception que les citoyens de ces deux pays ont de la crise : pour les Espagnols la crise va être entendue plutôt comme un problème national, alors que pour les Français elle sera plus proche d’une question mondiale.

McCombs et Shaw (1972) ont démarré leurs recherches, dans le but de savoir pourquoi certains événements apparaissent dans l’agenda médiatique et pas d’autres. En plus, ils veulent comprendre comment la sélection faite par les médias pourrait avoir une influence sur la formation de l’opinion publique, ainsi que sur les con-duites politiques (Dearing et Rogers, 1996, dans Marambio, 2005).

D’après ces auteurs, les médias font une sélection et hiérarchisation des évé-nements, dès lors, l’information arrive au public de manière ciblée. Ce n’est pas uni-quement cela qu’ils envisagent, mais, en outre, qu’il existe une corrélation entre

l’information médiatique et l’opinion publique, du fait que, le public donnera la même importance que les médias aux sujets. Plus précisément, McCombs & Shaw (1993 p. 62) démontrent que les choix et la hiérarchisation de l’information par les médias sont transférés dans les mêmes proportions à l’importance que le public ac-cordera à chaque événement.

Par conséquent, nous pouvons définir l’agenda setting, comme une théorie qui montre la relation causale entre l’importance que les médias accordent à certains sujets, et par suite, la perception que les consommateurs en ont, qui reste assez proche (Charron, 2012).

L'explication réside en ce que la compréhension des gens sur une grande partie de la réalité sociale est déterminée par l'action quotidienne des médias, tel qu'expo-sée par McCombs (1996, p.45) : « ne semble réel que ce que légitiment les médias, parce que le reste de la réalité n'existe pas » (Meyer, 2009), cet argument reste assez au « pseudo-environnement » auquel faisait référence Lippmann quelques années avant, comme nous l’avons dit précédemment.

Dans la théorie de l’agenda setting interagissent notamment trois agendas : soit l’agenda médiatique, qui est le résultat des décisions quotidiennes prises par de nom-breux journalistes et leurs superviseurs, sur les nouvelles du moment (McCombs, 1993) et grâce à lui, il est possible de mesurer la présence de quelques sujets dans les médias. Il y a ensuite l’agenda public, où l’accent est mis sur les inquiétudes du public, qui peut être examiné à travers des enquêtes d’opinion (Meyer, 2009), ce qui permet de mesurer l’importance qu’a la sélection des sujets dans l’audience. Il y a enfin l’agenda politique, qui est le résultat des débats et inquiétudes des institutions et partis politiques ; il va permettre de mesurer la réaction de ces groupes, face aux sujets qui sont sortis dans les médias, ou en revanche, l’absence de ceux que ces institutions voulaient voir entrer dans la sphère publique (Marambio, 2005).

1.2.2.Sélection de l’information: qui est dans l’agenda