• Aucun résultat trouvé

6. Analyse des passages

6.3. Sélection des passages

Pour avoir une vision complète de la démarche des traducteurs, j’ai effectué la sélection des passages en deux temps : j’ai tout d’abord effectué un premier repérage qui m’a permis d’identifier les passages potentiellement intéressants du point de vue de mon cadre critique. J’ai ensuite effectué une deuxième sélection, afin de relever les passages qui contiennent les quatre principaux points que je souhaite étudier, à savoir la simplicité de la syntaxe de Wladimir Kaminer et le registre familier et oral du narrateur, ainsi que la visibilité des référents culturels russo-soviétiques et l’accessibilité de l’ironie. Comme Russendisko a été traduit en russe par deux professionnels qui se sont répartis les chapitres, j’ai également choisi de sélectionner les passages en fonction des traducteurs, non pas pour effectuer une comparaison précise de leur travail, ce qui n’est pas réalisable dans

42

le cadre réduit de ce travail, mais plutôt pour avoir un aperçu de leurs méthodes et pour repérer d’éventuelles différences flagrantes.

6.4. Analyse micro- et mésostructurelle des passages sélectionnés

Je vais commencer mon analyse en examinant l’entame du premier chapitre du roman, qui comporte tous les éléments de mon cadre interprétatif (simplicité de la syntaxe, registre oral et familier, accessibilité de l’ironie et visibilité des référents culturels issus du monde communiste et russo-soviétiques). Ce chapitre est représentatif du reste de l’œuvre. Il raconte en effet le début des aventures du narrateur lors de son arrivée à Berlin et donne un bon aperçu du style et du ton que l’auteur va employer tout au long du roman.

Kaminer, p.9 Clauss, p.7 Klimenyouk, p.5

Russen in Berlin

On constate tout d’abord une première différence en ce qui concerne le titre. Le gentilé Russen (« Des Russes »39) devient dans la version française le nom propre du pays (Russie), enchâssé entre deux prépositions (de et à). Cette première modification, qu’on peut assimiler à une recatégorisation, modifie la voix du narrateur, qui gagne en mouvement. Elle produit également une légère expansion des pistes interprétatives, le lecteur français pouvant penser avoir affaire à un récit de voyage, alors que celui-ci ne sera qu’à peine évoqué. Cette première modification est curieuse, car rien n’empêchait Lucile Clauss de traduire le titre littéralement (« Des Russes à Berlin »). Le traducteur russe a de

39 Ma traduction.

43

son côté effectué une traduction littérale, car ce titre ne comporte pas de difficulté particulière sur le plan de la langue.

La deuxième phrase du passage comporte quelques éléments intéressants. Tout d’abord, le groupe nominal Juden aus der Sowjetunion est rendu en français par le complément des Juifs soviétiques en RDA. Il est surprenant de voir que Lucille Clauss effectue une explicitation (en RDA). On peut supposer qu’elle a estimé que son lecteur n’avait pas les connaissances encyclopédiques nécessaires pour relier Erich Honecker à l’Allemagne de l’Est. Plusieurs choix traductifs de Lucile Clauss renforcent l’impression qu’elle cherche à inscrire le récit dans l’Encyclopédie française en donnant l’impression d’une Allemagne contrite. Ainsi, l’expression als eine Art Wiedergumachung (« comme une sorte de compensation40 ») a subi une recatégorisation. Elle est en effet rendue en français par une proposition infinitive (pour se faire pardonner). Le substantif Zahlungen (« paiement, versement41 »), qui est un terme peu connoté en allemand42, est lui traduit par un hyponyme (indemnisations), alors que le verbe beteiligte (« participer à43 ») est explicité par la construction avoir versé son tribut. Dans les trois cas, la version française emploie un registre plus soutenu.

Ces choix traductifs produisent ainsi un accroissement de la voix narrative, qui semble davantage explicite et détaillée. On remarque également une contraction des pistes interprétatives, le texte français étant moins ironique. Il met en effet l’accent sur la culpabilité allemande et propose au lecteur l’image d’une Allemagne devant expier les fautes commises lors de la Seconde Guerre mondiale, effet qui n’est pas présent dans le texte source.

Dans la version russe, on constate au contraire une implicitation de certains termes : le groupe nominal Juden aus der Sowjetunion est traduit par un substantif simple (евреев, « les Juifs »), comme si l’ajout de la provenance de ces Juifs n’avait pas été jugé nécessaire par Nikolaï Klimeniouk, qui estime peut-être que la présence des Juifs en URSS fait partie des connaissances encyclopédiques de son lecteur ; la proposition dafür, dass die DDR sich nie an den deutschen Zahlungen für Israel beteiligte est simplifiée et devient la subordonnée потому, что ГДР не платила Израилью (« parce que la RDA n’avait pas payé Israël44 »), comme s’il s’agissait d’un fait connu qui n’appelait

40 Ma traduction.

41 Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.756

42 L’auteur aurait pu utiliser des termes plus explicites tels que « Entschädigung » ou

« Ausgleich » si son intention avait été de produire une impression de culpabilité.

43 Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.104

44 Ma traduction.

44

pas d’explication. Ces éliminations lexicales (nie, deutschen Zahlungen) produisent une réduction de la voix du narrateur, qui devient plus banale et qui semble ne rapporter que des événements connus de tous. Or, dans le texte allemand, on sent poindre l’ironie de l’auteur : Honecker accueille les Juifs

« comme une sorte de compensation45 » (als eine Art Wiedergutmachung) et non pas « à titre de compensation » (« zur Wiedergutmachung46 ») comme l’on pourrait s’y attendre. Le substantif Art est ici employé pour souligner qu’il ne s’agit pas d’une réelle indemnisation, mais plutôt d’une compensation un peu absurde et qui est en réalité opportuniste47. Ce trait d’ironie n’apparaît cependant ni dans la version française, ni dans la version russe. À noter également le découpage des phrases dans la version russe qui ne suit pas celle du texte source (une phrase en allemand contre trois en russe), ce qui altère le rythme de la voix narrative. Celle-ci paraît ainsi plus saccadée et moins orale chez Nikolaï Klimeniouk.

Dans la phrase suivante, Wladimir Kaminer poursuit dans le ton ironique en relayant la propagande est-allemande. Si la traduction française est proche du texte source, il est intéressant de constater que l’Allemagne de l’Ouest (Westdeutschland) est remplacée par un hypéronyme (l’Ouest). Il s’agit d’une implicitation qui modifie légèrement le sens du texte en élargissant les pistes interprétatives. Lucile Clauss a peut-être procédé de cette manière afin de permettre au lecteur francophone de mieux s’identifier au texte en l’incluant.

Le traducteur russe a procédé de la même façon (на Западе, « à l’Ouest »). Il ne s’agit évidemment pas ici d’inclure le lecteur russe, mais peut-être plutôt de renforcer l’image de la confrontation entre les deux blocs capitaliste et soviétique et qui occupe une place importante dans l’Encyclopédie russe.

Nikolaï Klimeniouk a également décidé de fusionner cette phrase avec la précédente. Ce choix est surprenant, car il semble lier le non-paiement des indemnités de guerre de l’Allemagne de l’Est au fait que tous les anciens nazis vivent à l’Ouest. Ce procédé a pour conséquence de masquer la portée ironique du passage et constitue ainsi une réduction des pistes interprétatives.

L’utilisation dans ce contexte d’un terme militaire48 (окопались, se retrancher,

45 Ma traduction.

46 Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.2023 et

https://de.pons.com/%C3%BCbersetzung?q=zur+Wiedergutmachung&l=defr&in=&lf=de&q nac= pour la traduction.

47 https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-relations-RDA-Israel.html, consulté le 22.11.2019. La RDA était censée payer 500 millions de dollars à titre de réparation.

48 Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.289

45

s’embusquer), qui peut être utilisé de façon ironique49, produit toutefois un effet de voix qui se rapproche du texte source.

Kaminer, p.9 Clauss, p.7 Klimenyouk, p.5

Die vielen Händler, die traductions. En effet, le substantif Nachricht (la nouvelle, l’information50) est remplacé en français par le terme rumeur. Cette légère hyponymisation ne change pas l’interprétation du texte, Lucile Clauss reprenant le substantif Gerücht présent dans le premier passage examiné.

Il en va autrement dans la version russe. En effet, Nachricht devient Благую весть (« la bonne nouvelle51 »). Cette explicitation entraîne une expansion des pistes interprétatives, le texte russe portant un jugement de valeur qui est inexistant dans l’original. Le choix traductif de Nikolaï Klimeniouk ne provient pas d’une difficulté du texte source et il est difficile de comprendre cette décision traductive étonnante. En effet, même si cette décision d’Erich Honecker fait partie de l’Encyclopédie russe et a effectivement constitué une bonne nouvelle pour les Juifs soviétiques (et Wladmir Kaminer est bien placé pour le savoir), le texte original n’en fait pas mention.

On constate ensuite dans la version française une modification de la focalisation.

Dans la version allemande, ce sont les commerçants qui répandent la nouvelle (Die vielen Händler, […] brachten diese Nachricht in die Stadt). Il s’agit ainsi d’une focalisation zéro, alors que chez Lucile Clauss, ce sont les héros

eux-49 Dictionnaire russe Ozhegov (Ожегов, Сергей Иванович, Словарь русского языка, 2003), p.438

50 Dictionnaire général français-allemand, allemand-français, Larousse, Paris, 2009, p.449

51 Ma traduction.

46

mêmes qui sont les sujets de la phrase (Nous avions eu vent de cette rumeur […]). Ce passage à la focalisation interne modifie ainsi légèrement la voix narrative, qui paraît plus personnelle, plus active.

Kaminer, p.9 Clauss, p.7 Klimenyouk, p.5

Normalerweise le parti ne voulait pas de Juifs dans ses rangs. plan syntaxique, la première phrase du texte source a une structure qui ne suit pas l’ordre canonique allemand (sujet – verbe – objet). Normalerweise est en effet antéposé, ce qui indique la volonté de Wladimir Kaminer de mettre en évidence la normalité du processus. Le complément de lieu (in der Sowjetunion) n’apparaît lui qu’en quatrième position. Or, dans la version française, la normalité n’est que faiblement marquée (Jusque-là) et c’est le complément de lieu, placé en deuxième position, qui est mis en avant (en URSS). Ce remaniement syntaxique produit une légère expansion des pistes interprétatives en donnant plus d’importance à l’espace géographique concerné qu’au processus de l’action. De plus, Lucile Clauss relie les deux propositions du passage par une conjonction de coordination à valeur causale (car), alors que cette relation est implicite en allemand (absence de « denn » ou de « weil »). Cette différence

52 tentent (sic). Cette erreur de concordance est plus probablement dû à un oubli de correction qu’à un choix volontaire du traducteur.

47

structurelle produit une réduction de la voix du narrateur dans la version francophone : le texte cible respecte les conventions écrites du français littéraire, alors que le texte allemand est lui beaucoup plus familier et oral, ce qui est l’une des caractéristiques principales du style de Wladimir Kaminer.

Dans la version russe, le complément de lieu (В Советском Союзе) est également placé en début de phrase, cependant la normalité est plus marquée (было принято, « il était d’usage53 ») que dans la version française. Toutefois, le découpage de la phrase en deux propositions s’éloigne à nouveau du style oral et familier propre à Wladimir Kaminer. On constate également en début de phrase le passage d’une tournure personnelle (Normalerweise versuchten die meisten […]) à une tournure impersonnelle (В Советском Союзе было принято […]). Cette modification de la focalisation atténue la voix du narrateur, qui paraît plus neutre, et renforce l’impression de normalité du processus. En effet, la présence de die meisten en allemand produit un effet différent en laissant penser que certains juifs ne cachaient pas leur origine, ce qui réduit la portée de Normalerweise. La tournure verbale russe было принято ne permet pas cette interprétation.

D’autres éléments sont à noter sur le plan stylistique. En effet, la proposition ihre jüdischen Vorfahren zu verleugnen (« renier ses ancêtres juifs54 ») semble peu compatible avec l’adverbe Normalerweise. Il s’agit d’un paradoxe, un procédé humoristique qui consiste à formuler volontairement une expression qui va à l’encontre du sens commun (on peut en effet douter qu’il était « normal » pour les Juifs soviétiques de renier ainsi leurs ancêtres, même si certains ont pu le faire par opportunisme ou indifférence). Cette exagération, qui renforce le ton ironique imprégnant tout le passage, n’est pas rendue dans la version française, qui est beaucoup moins intense (dissimuler leur origine). La conjonction car, déjà examinée plus haut, mais également l’adjectif indispensable, plus littéraire que l’adverbe nur (qui est très oral dans ce contexte), produit également une réduction de la voix du narrateur qui paraît plus lisse et moins familière. On peut également noter l’élimination du verbe hoffen, qui concourt à cette réduction.

Dans la version russe, la proposition ihre jüdischen Vorfahren zu verleugnen est également rendue de manière moins intense (скрывать свое еврейское происхождение, « dissimuler ses origines juives55 »). Cependant l’emploi de

53 Ma traduction.

54 Ma traduction.

55 Ma traduction.

48

l’expression не могло быть и речи, qui s’utilise à l’oral comme à l’écrit56, permet de conserver le ton familier du texte source.

Une autre remarque peut être faite concernant l’expression sauberem Pass. En allemand, l’adjectif « sauber » peut avoir une connotation ironique57, comme dans l’expression « Du hast das sauber gemacht ! »58, qui est à relier en français aux expressions « C’est du propre ! » ou « Nous voilà propres ! ». La phrase nur mit einem sauberen Pass konnte man auf eine Karriere hoffen est ainsi marquée ironiquement et cette ironie est par ailleurs soulignée dans la phrase suivante (Die Ursache dafür war nicht der Antisemitismus) qui met hors de cause l’antisémitisme dans ces pratiques. Comme nous le verrons plus bas, il s’agit cependant d’une antiphrase, qui en réalité dénonce de manière humoristique l’antisémitisme qui régnait dans le parti communiste, notamment à l’instigation de Staline59. Lucile Clauss a certainement remarqué la connotation ironique de sauber, mais il est difficile en français de rendre cette ironie. Son choix traductif de placer l’adjectif propre entre guillemets permet alors de souligner le caractère ambigu du terme. Cependant, cette solution produit une contraction des pistes interprétatives, la voix du narrateur paraissant moins moqueuse. La phrase la plupart des Juifs tentent de dissimuler leur origine, car, pour faire carrière, il était indispensable d’avoir un passeport « propre » paraît ainsi excessivement sérieuse par rapport à la phrase du texte source qui comporte les différents éléments ironiques mentionnés plus haut.

Il est étonnant de voir que la version russe élimine totalement le problème en abandonnant toute référence à l’expression sauberen Pass. Cette élimination est d’autant plus curieuse que rien ne la justifie sur le plan de la langue. On aurait pu supposer un oubli de la part du traducteur, cependant une nouvelle élimination apparaît plus bas : la phrase Und Juden hatte man ungern in der Partei a disparu dans la version russe. Il ne peut plus ici s’agir d’un oubli et l’on constate que la plupart des critiques de Wladimir Kaminer concernant la condition des Juifs en Union Soviétique ont été gommée dans la version russe.

On a ainsi l’impression que Nikolaï Klimeniouk cherche à ménager

56

https://www.multitran.com/m.exe?l1=2&l2=4&s=%D0%BD%D0%B5%20%D0%BC%D0%

BE%D0%B6%D0%B5%D1%82%20%D0%B1%D1%8B%D1%82%D1%8C%20%D0%B8

%20%D1%80%D0%B5%D1%87%D0%B8, consulté le 24.11.2019.

57 Duden Deutsches Universalwörterbuch, p.1507

58 https://www.duden.de/rechtschreibung/sauber, consulté le 42.11.2019.

59 RIASANOVSKY, Nicholas (1994) Histoire de la Russie, Éditions Robert Laffont, Paris, p.628.

49

l’Encyclopédie de son lecteur, qui, comme toute Encyclopédie, a tendance à atténuer ses aspects négatifs, dans le cas présent l’importance de l’antisémitisme en URSS. L’adverbe отнюдь (« pas du tout, aucunement60 »), présent dans la version russe mais absent en allemand (nicht) est un autre indice de cette transformation des pistes interprétatives.

Un dernier point important dans ce passage me semble être l’élément Die Ursache dafür, qui est traduit en français parle pronom démonstratif Ce et en russe par le substantif Проблема (« le problème61 »). En effet, l’allemand ne dit pas qu’il ne s’agit pas d’antisémitisme, mais plutôt que l’origine de cette situation n’est pas l’antisémitisme. L’auteur laisse donc entendre que l’antisémitisme était présent dans le parti communiste, mais pas dans ce contexte. De plus, il s’agit également d’une antiphrase, figure stylistique qui on le rappelle consiste à exprimer une phrase positive tout en sous-entendant le contraire62. Ce procédé ironique est souligné par la phrase suivante (Und Juden hatte man ungern in der Partei) qui contredit la première proposition. Or, la version française, en éliminant l’idée de l’origine, élude la présence de l’antisémitisme dans le parti et paraît plus neutre. L’effet ironique de l’antiphrase s’en retrouve affaibli et la phrase Et le parti ne voulait pas de Juifs dans ses rangs surprend le lecteur français, car elle paraît contradictoire avec la phrase précédente.

On retrouve dans la version russe le même gommage de l’antisémitisme : la cause (die Ursache dafür) n’est pas exprimée (Проблема) et l’adverbe отнюдь (« pas du tout, nullement ») affaiblit par son côté affirmatif l’effet ironique du texte original. On peut cependant remarquer que l’ironie est légèrement compensée plus bas par l’emploi de l’expression мало-мальски (« un tant soit peu63 »), qui est très orale en russe64 (все мало-мальски ответственные должности) et qui, reliée à l’adjectif ответственные, crée un effet humoristique. En effet, la phrase reproduit de manière adéquate l’effet de la version allemande jeder mehr oder weniger verantwortungsvolle Posten (« tous

60 Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.305

61 Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.381

62 « Figure par laquelle, par crainte, scrupule ou ironie, on emploie un mot, un nom propre, une phrase, une locution, avec l'intention d'exprimer le contraire de ce que l'on a dit ».

https://www.cnrtl.fr/definition/antiphrase, consulté le 20.12.2019.

63 Grand Dictionnaire russe-français, Éditions Rousski Yazik, Moscou, 2002, p.212

64 Dictionnaire russe Ozhegov (Ожегов, Сергей Иванович, Словарь русского языка, 2003), p.329

50

les postes plus ou moins à responsabilité65 », c’est-à-dire en réalité tous les postes).

Lucile Clauss a choisi en revanche de relier l’expression mehr oder weniger non pas à l’adjectif verantwortungsvolle, mais au substantif Posten (pratiquement tous les postes). Ce choix traductif change l’interprétation du texte en mettant en avant la quantité de postes et non pas le degré de responsabilité des postes. Or, dans la version allemande, le lien entre mehr oder weniger et verantwortungsvolle en renforce l’effet ironique. Cependant, ce choix traductif est en partie dû aux contraintes linguistiques du français. En effet, la locution « à responsabilité » ne peut se construire dans une phrase de la même manière que l’adjectif allemand « verantwortungsvoll » et la traduction que j’en ai donnée plus haut (« tous les postes plus ou moins à responsabilité ») est très littérale et peu acceptable du point de vue stylistique. D’autres choix auraient été possibles, comme par exemple « tous les postes comprenant un tant soit peu de responsabilité », mais cette tournure est très littéraire et il est difficile de rendre l’ironie de l’auteur tout en conservant la simplicité de sa syntaxe et de son lexique. Ce choix traductif de Lucile Clauss produit ainsi une contraction des pistes interprétatives en affaiblissant l’effet ironique présent dans le texte source.

Kaminer, pp.9-10 Clauss, p.7 Klimenyouk, p. 5

Das ganze sowjetische

51

Einheit ziemlich dumm da.

оказывалась вся первичная

организация.

Dans ce passage, la version française suit de près le texte source et l’on constate uniquement quelques différences sur le plan du registre. Ainsi, le verbe marschieren (« marcher66, défiler67 ») est rendu par l’expression réglait son pas, qui est moins usuel. L’expression « in Ordnung sein », que le dictionnaire unilingue Duden classe comme courante et familière68 est traduit par le verbe

« tolérer », qui est plus littéraire, et à l’inverse, le groupe verbal standen […]

dumm da (« avoir l’air stupide69 ») devient l’expression l’avaient dans le baba, tournure qui s’emploie la plupart du temps à l’oral. On peut au premier abord supposer que Lucile Clauss a voulu compenser la différence de registre par cette dernière expression très familière. Cependant, l’effet produit est différent, car cette soudaine baisse du niveau de langue provoque plutôt la surprise chez le lecteur de la version française, qui ne s’y attend pas. On peut encore noter que pour le mot composé Arbeitssieg, qui aurait pu poser des difficultés (littéralement « victoire du travail »), Lucile Clauss a opté pour une légère modification (victoire ouvrière) qui est parfaitement appropriée dans ce contexte.

La version russe est intéressante sur plusieurs points. On constate tout d’abord une explicitation, le référent culturel soviétique wie die Soldaten am Roten Platz étant rendu par la proposition как кремлевские курсанты на параде 7 ноября (« comme les cadets du Kremlin lors de la parade du 7 novembre70 »). On peut supposer que l’Encyclopédie du lecteur, qu’il soit allemand ou français, possède l’image bien connue de soldats soviétiques défilant sur la place Rouge. Or, la parade du 7 novembre est très connotée en Russie et a une signification bien

La version russe est intéressante sur plusieurs points. On constate tout d’abord une explicitation, le référent culturel soviétique wie die Soldaten am Roten Platz étant rendu par la proposition как кремлевские курсанты на параде 7 ноября (« comme les cadets du Kremlin lors de la parade du 7 novembre70 »). On peut supposer que l’Encyclopédie du lecteur, qu’il soit allemand ou français, possède l’image bien connue de soldats soviétiques défilant sur la place Rouge. Or, la parade du 7 novembre est très connotée en Russie et a une signification bien