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Le traducteur face à la dimension culturelle de la traduction : analyse comparée des traductions allemande et russe du roman Russendisko de Wladimir Kaminer

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Academic year: 2022

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Le traducteur face à la dimension culturelle de la traduction : analyse comparée des traductions allemande et russe du roman Russendisko

de Wladimir Kaminer

PINGOUD, Adrien Germain

Abstract

La traduction de la culture est une opération délicate et complexe, notamment en traduction littéraire. Le traducteur est en effet confronté à deux tâches qui paraissent parfois incompatibles : rendre accessible au lecteur la culture présente dans le texte source tout en conservant les spécificités littéraires de l'œuvre. Ce mémoire se propose ainsi d'effectuer une analyse comparée de deux extraits tirés des traductions russe et française du roman Russendisko de Wladimir Kaminer et d'examiner les pratiques du traducteur lorsqu'il se retrouve face à la dimension culturelle d'un texte. Ce travail s'appuie sur la méthode de critique des traductions proposée par Lance Hewson afin de déterminer dans quelle mesure les effets produits par les décisions du traducteur ont une influence sur l'interprétation du texte source. Il examine également si le concept de l'Encyclopédie élaboré par Umberto Eco peut être un outil utile pour expliquer certains choix traductifs étonnants.

PINGOUD, Adrien Germain. Le traducteur face à la dimension culturelle de la traduction : analyse comparée des traductions allemande et russe du roman Russendisko de Wladimir Kaminer. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:133105

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Adrien Pingoud

Le traducteur face à la dimension culturelle de la traduction : analyse comparée des

traductions russe et française du roman Russendisko de Wladimir Kaminer

Directrice de mémoire : Mme Mathilde Vischer Mourtzakis Jurée : Mme Claire Allignol

Mémoire présenté à la Faculté de traduction et d’interprétation (Département de traduction, Unité de français) pour l’obtention de la

Maîtrise universitaire en traduction, mention traductologie

Université de Genève

Janvier 2020

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Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement ma directrice de mémoire, Madame Mathilde Vischer Mourtzakis pour sa patience, ses conseils et sa

compréhension.

Mes remerciements vont également à Madame Claire Allignol pour son soutien lors de mes empoignades avec le russe, à Madame Irina Ivanova pour m’avoir

mis le pied à l’étrier, ainsi qu’à Monsieur Lance Hewson, qui a inspiré mon intérêt pour la traductologie.

J’adresse aussi mes remerciements à ma famille et à mes amis, sans qui rien n’aurait été possible, en particulier ma mère Karin Pingoud pour son soutien

inconditionnel, Marie-Hélène Pingoud Brasey pour sa relecture attentive, Denise Hofer pour ses précieux commentaires et Dafne Carrasco pour ses

encouragements constants au cours de ses trois dernières années.

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Tout argument contre la traduction se résume en un seul : elle n’est pas l’original.

Georges Mounin

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Table des matières

1. Introduction……….…………..7

2. Traduction et culture……….……….……8

2.1. Définition de la culture……….….….……10

2.2. Le « tournant culturel » de la traductologie………...11

2.3. Sourciers ou ciblistes……….……….……14

2.4. L’ethnocentrisme en traduction……….……….…15

2.5. La culture en traductologie, une approche multidisciplinaire……....16

2.6. L’implicite culturel……….17

3. Approche théorique………...………..20

3.1. Umberto Eco et Lance Hewson : le concept d’Encyclopédie………20

3.2. L’interprétation « juste » selon Jean-Jacques Lecercle………..23

3.3. La méthode de critique des traductions de Lance Hewson…………24

4. Méthodologie……….………..26

4.1. Récolte des données macrostructurelles ………26

4.2. Élaboration d’un cadre critique………..27

4.3. Analyse micro- et mésostructurelle………27

4.3.1. Terminologie utilisée……….28

4.3.2. Description des effets sur le plan mésostructurel…..………31

4.3.3. Hypothèse sur l’Encyclopédie………..……….33

5. Une œuvre récente et populaire : Russendisko de Wladimir Kaminer…..…..33

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5.1. Biographie de Wladimir Kaminer………..……33

5.2. Un Russe qui écrit en allemand………..……34

5.3. L’humour chez Wladimir Kaminer………..……..36

5.4. Description de la réalité ou fiction ?...37

6. Analyse des passages………..38

6.1. Premières constatations sur le plan macrostructurel………..38

6.2. Élaboration du cadre critique……….………41

6.3. Sélection des passages………41

6.4. Analyse micro- et mésostructurelle………42

6.5. Synthèse des résultats………...…………..80

6.6. Utilité pratique du concept de l’Encyclopédie………...…85

7. Conclusion………...86

8. Bibliographie………...…90

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1. Introduction

La traduction littéraire est souvent pour le traducteur un espace de liberté et de créativité, mais c’est également un domaine complexe où des problèmes parfois inattendus peuvent surgir, notamment en raison des différences entre la réalité culturelle représentée dans le texte source et celle connue par le lectorat cible.

En effet, tout individu possède sa propre vision du monde, qui passe par le filtre de la langue et de la culture. Le traducteur, qui est par essence un médiateur interculturel, est continuellement confronté dans son travail aux limites de sa langue et de ses références culturelles. Certaines expressions de la langue source sont-elles « intraduisibles » ? Comment traduire tel ou tel événement culturel qui n’a pas d’équivalence dans la langue cible ? Quels sont les choix opérés et les stratégies adoptées par le traducteur pour rendre intelligible une culture ou un contexte étranger au lecteur ? Ces questions sont fondamentales en traductologie et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de me pencher sur ce vaste champ de recherche qui associe traduction et culture.

Je souhaite ainsi comparer dans ce mémoire le roman Russendisko de l’écrivain Wladimir Kaminer à ses traductions française et russe en examinant certains passages sélectionnés pour leurs potentielles difficultés de traduction. Il n’existe en effet que peu d’analyses portant sur les traductions d’une œuvre récente et populaire et la critique moderne se consacre principalement à examiner la « grande littérature » du passé. Le cas de Wladimir Kaminer, sur lequel j’ai déjà eu l’occasion de me pencher dans le cadre du cours de traduction littéraire de Madame Vischer, me semble dans cette optique doublement intéressant. En effet, la carrière de cet écrivain a débuté il y a peu et Russendisko, paru en 2000, est son premier roman. Cet œuvre a été extrêmement bien accueillie en Allemagne, au point de devenir un best-seller et d’être traduit dans plus d’une douzaine de langues. Mais Wladimir Kaminer possède également un profil particulier qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de ce travail. Cet auteur n’écrit en effet pas dans sa langue maternelle, le russe, mais dans la langue de son pays d’adoption, l’allemand, ce qui donne à ses récits une tonalité particulière. Il s’attache en outre dans plusieurs de ses œuvres à décrire l’ère soviétique telle qu’il l’a vécue et ses romans sont truffés de références au communisme. Les traducteurs sont alors confrontés dans ce contexte à plusieurs réalités distinctes : la réalité soviétique, la réalité allemande, leur réalité propre et la réalité de leurs lecteurs respectifs. Le traducteur français doit donc s’efforcer de rendre accessible le contexte soviétique décrit en allemand par un auteur d’origine russe à des lecteurs francophones. Le traducteur russe doit, dans une sorte de retour en arrière, s’attacher à traduire une réalité bien connue des ses lecteurs dans un récit écrit en allemand par un compatriote. Comme on peut le constater, la tâche de ces traducteurs est complexe.

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L’origine de l’auteur joue également un rôle sur un autre plan. En effet, Wladimir Kaminer emploie dans ses romans une langue qui paraît à première vue simple et dépouillée, mais qui est en réalité complexe et pleine de nuances, notamment grâce au sens aigu de l’ironie dont l’auteur fait preuve. Son utilisation de la Wortbildung allemande est subtile et nombre de ses créations comporte un double sens qu’il n’est pas évident de déceler au premier abord.

Toutes ces remarques montrent ainsi l’intérêt de se pencher sur le travail des traducteurs russe et français de Russendisko.

Pour effectuer cette recherche, je vais me fonder sur différents concepts traductologiques que j’estime particulièrement intéressants. Je vais tout d’abord effectuer une analyse de certains passages de l’œuvre en m’inspirant de la méthode de critique des traductions élaboré par Lance Hewson (2011). Je tenterai ainsi de comprendre dans quelle mesure les choix du traducteur exercent une influence sur l’interprétation du texte cible. J’essayerai également d'expliquer dans la mesure du possible les choix des traducteurs au moyen du concept d'Encyclopédie élaboré par Umberto Eco (1984), repris par Jean-Louis Cordonnier (2002) et développé par Lance Hewson (2011, 2012). Ce concept, qui décrit l’ensemble des connaissances et références culturelles dont dispose un individu à un moment donné, peut être essentiel pour comprendre les décisions des traducteurs. Or, cet outil n’a, à ma connaissance, jamais été étudié du point de vue pratique et je souhaite ainsi examiner à quel point il permet d’expliquer certains choix traductifs qui paraissent à première vue injustifiables.

Comme on peut le constater, le traducteur fait sans cesse face dans son travail à différentes réalités culturelles. L’objectif de ce mémoire consiste ainsi à examiner les conséquences de cette confrontation dans le cas des traductions russe et allemande du roman Russendisko. Je souhaite également mettre en évidence la relation de coexistence et de concurrence entre les Encyclopédies et tenter de déterminer leur influence sur les traductions. Je souhaite finalement examiner si le concept d’Encyclopédie recèle un intérêt pratique pour analyser la confrontation culturelle qui est au cœur de toute traduction littéraire.

2. Traduction et culture

Traduire la dimension culturelle d’un texte a toujours représenté un défi majeur pour le traducteur. Il s’agit en effet d’une opération primordiale dans la communication entre les cultures et l’un des moyens privilégiés pour comprendre l’Autre, ses représentations du monde et ses mœurs. La traduction joue un rôle crucial dans cette transmission. Paul Bensimon a ainsi pu dire que

« depuis les temps les plus anciens, la traduction est un des moyens essentiels de

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la communication interculturelle, et l’un des modes majeurs du croisement des cultures » (Bensimon 1998 :10).

L’importance de ce thème justifie donc les nombreuses recherches entreprises par les traductologues à ce sujet, mais également les longs débats dont il fait toujours l’objet. Comme le démontre Denys Cuche dans son ouvrage1, la culture est un phénomène complexe et difficilement saisissable. La traduction de la culture n’a cependant que peu intéressé les premiers traducteurs, qui portaient en premier lieu leur attention sur la structure linguistique des textes. Ce n’est que lors du « tournant culturel », au début des années 1970, que la traductologie naissante s’empare vraiment de la culture pour en faire l’un des thèmes majeurs de la réflexion traductologique aujourd’hui.

Le traductologue Itamar Even-Zohar (1973), en élaborant sa théorie des polysystèmes, fut l’un des premiers à mettre en avant l’importance de la complexité culturelle en traduction. À sa suite, de nombreux chercheurs ont alors renoncé à la vision purement linguistique pour une approche plus large et multidisciplinaire. Les pratiques traductives employées avant le tournant culturel (adaptation, manipulation, traduction ethnocentrique, annexion…) sont majoritairement rejetées et une nouvelle réflexion voit le jour. Cependant, la difficulté à définir le phénomène culturel pousse la traductologie à s’enrichir des apports d’autres disciplines : sociologie, psychologie, histoire ou encore anthropologie2.

Cette approche multidisciplinaire permit de mettre en avant l’omniprésence du fait culturel. La culture n’est alors plus vue comme un simple champ de la traduction, mais comme englobant cette dernière et participant à sa construction.

La traduction est ainsi désormais considérée comme une manifestation culturelle, qui influence les rapports d’altérité et les représentations du monde (Cordonnier 2002 :48). Susan Bassnet et André Lefevere (Bassnet et Lefevere 1990 :8) avancent même que l’unité de traduction opératoire n’est plus le mot, ni le texte, mais la culture. C’est pour cette raison que Jean-Louis Cordonnier a décrit la traduction comme étant « une opération éminemment culturelle, en ce sens qu’on ne traduit pas toutes les cultures de la même façon, et qu’il y a une interaction entre les modes de traduire et les modes d’être des cultures ».

(Cordonnier, 2002 :40). Les nombreuses recherches actuelles témoignent ainsi

1 CUCHE, Denis, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : La Découverte, 2010

2 « Une théorisation donc qui fasse appel aussi à la philosophie, à la littérature (entendue ici dans son acceptation traditionnelle), à l’anthropologie, à la psychanalyse, à la biologie, à la sociologie, à la politique… Car la traduction est croisement. Croisement dans l’homme et entre les hommes. Croisement donc, entre les cultures » (Cordonnier 1995 :10).

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de l’actualité du thème et la réflexion traductologique sur la culture offre encore de nombreux champs inexplorés.

Je vais donc présenter dans ce chapitre les différentes étapes de la réflexion traductologique sur la notion de culture et me pencher sur les chercheurs qui ont contribué à approfondir cette question. L’ampleur du sujet mériterait à lui seul plusieurs recherches, c’est pourquoi ce chapitre ne vise pas à l’exhaustivité, mais plutôt à donner un aperçu cohérent des diverses tendances traductologiques sur le sujet. En effet, de nombreuses pistes concernant la traduction de la culture ont été explorées et les débats restent vifs aujourd’hui.

2.1. Définition de la culture

La traduction est traditionnellement vue comme un processus d’échange, située

« à la lisière de la langue et de la culture » (Ladmiral 1998 :23). Le traducteur ne peut se contenter de transposer un message dans une autre langue, il doit aussi traduire la culture de l’Autre et jouer ainsi un rôle de médiateur interculturel3. Cependant, avant d’aborder le thème la culture en traduction, il est nécessaire de donner une définition de ce terme. Il n’existe toutefois que peu de consensus à cet égard. De nombreux chercheurs issus de toutes les disciplines des sciences humaines se sont prêtés à l’exercice et il en résulte un nombre impressionnant de définitions. Jean Delisle en a relevé plus de 160 dans les textes académiques entre 1871 et 1950 (Delisle 2014 :38). La seule position qui semble faire l’unanimité chez les chercheurs est que toute tentative de trouver une seule et même définition applicable dans tous les cas est vouée à l’échec. Je vais ici en présenter quelques-unes afin de mettre en évidence la difficulté de saisir le phénomène.

Selon Michel Ballard (2005), la culture n’a acquis son sens moderne qu’au XIXe siècle :

« Dans son sens classique, le mot culture désigne les manifestations intellectuelles et artistiques d’une nation, tant sur le plan de la création d’objets que sur celui d’un contact personnel avec eux. Aujourd’hui, il faut y ajouter le sens de manifestations, coutumes, institutions, non seulement d’une nation, mais d’un groupe ou d’une communauté » (Ballard, 2005 :126).

3 BASSNET, Susan, « The Translator as a Cross-Cultural Mediator », in : The Oxford Handbook of Translation Studies, dirigé par Kirsten Malmkjoer et Kevin Windle, 2011, Oxford Handbooks Online, 94-107

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Dans cette définition, Michel Ballard souligne le fait que la culture est un phénomène avant tout créatif, visible et matériel, mais également que cette notion ne concerne pas uniquement les grands groupes humains.

Jean-René Ladmiral(2015 :8) propose également une définition de la culture :

« Elle désigne les modes de vie d’un groupe social : ses façons de sentir, d’agir ou de penser ; son rapport à la nature, à l’homme, à la technique et à la création artistique. La culture recouvre aussi bien les conduites effectives que les représentations sociales et les modèles qui les orientent (système de valeurs, idéologies, normes sociales…). »

Dans cette définition, Jean-René Ladmiral met l’accent sur l’aspect intangible et immatériel de la culture, qui est visible dans les comportements d’un groupe donné et dans sa vision du monde, plutôt que dans les objets qu’il produit.

Selon Jean-Louis Cordonnier (Cordonnier 2002 :40), la culture s’exprime dans les pratiques collectives d’un groupe et dans les capacités qu’ont les individus appartenant à ce groupe à réagir de façon similaire dans une situation donnée.

« En ce qui nous concerne, nous nous référons ici au sens aujourd’hui très répandu de modes de vie et de pensées communs à une communauté donnée, et qui conduisent les individus appartenant à cette communauté à agir dans certaines situations sociales d’une façon commune ».

Comme on peut le voir, la culture revêt de nombreuses facettes (création, objets matériels, comportements, visions du monde, etc.) et il est extrêmement difficile de toutes les réunir dans une seule et même définition. On peut cependant déduire de ces tentatives quelques traits importants pour le présent travail : la culture est un phénomène général qui imprègne toutes les facettes de la vie. On la retrouve donc immanquablement chez l’auteur d’un texte, qui la transmet dans ses écrits, mais également chez le traducteur, au travers de ses pratiques traductives et de sa vision du monde.

2.2. Le « tournant culturel » de la traductologie

Pendant des siècles, la principale controverse en traduction s’est focalisée sur l’opposition sens/signe : les traducteurs doivent-ils en premier lieu s’efforcer de rendre chaque mot par un autre et effectuer une traduction littérale au plus proche du texte source, ou au contraire s’en détacher pour se consacrer à faire avant tout ressortir le sens du texte ? Cependant, au milieu du XXe siècle, ce débat perd en importance (sans pour autant disparaître) et l’introduction en traduction des méthodes de la linguistique permet de développer de nouvelles

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réflexions. La traduction est alors vue comme un transcodage, l’élément X de la langue source étant remplacé par l’élément Y en langue cible, celui-ci étant considéré comme équivalent (Snell-Hornby 1990 :80). Comme le remarque cependant Paul Bensimon (1998 :13-14), le tournant culturel remettra en question cette approche linguistique de la traduction :

« Au lieu de considérer l’"exactitude" d’une traduction selon des critères purement linguistiques, l’approche culturelle scrute les fonctions respectives du texte premier dans la culture d’origine et du texte traduit dans la culture réceptrice ».

Déterminer les fonctions d’un texte acquiert ainsi une importance capitale pour parvenir à une traduction adéquate. Katharina Reiss et Hans Vermeer sont parmi les premiers à avoir développé cette réflexion dans leur théorie du skopos4. Ces chercheurs soulignent que la traduction doit être effectuée en fonction du public et de la culture cible. Le texte source perd en importance en faveur du texte cible, qui devient l’objet principal de la traduction. L’approche linguistique, qui met au premier plan le concept d’équivalence, est ainsi rejetée. Jean-Louis Cordonnier rapproche cette recherche de l’équivalence à de l’ethnocentrisme : « Le deuxième axe autour duquel se déroule la pratique de l’annexion est celui de la recherche des équivalents, dont le rôle est de se substituer aux connotations culturelles étrangères. L’expérience de vie étant sensiblement, voire parfois excessivement différente d’une culture à une autre, l’ethnocentrisme peine pour réaliser l’impossible, c’est-à-dire établir l’équivalence : autre endroit où niche l’intraduisibilité » (Cordonnier 1995 :171).

La notion d’équivalence reste toutefois aujourd’hui un concept clé en traductologie, mais ses fonctions ont évolué :

« The problem of defining equivalence remains central to the field, but the emphasis has shifted away from endeavouring to see equivalence in terms of sameness between languages, and more towards exploring ideas of equivalent effect » (Bassnet, 2011 :95).

Il s’agit alors de parvenir à l’équivalence en analysant l’effet produit par le texte source et à le reproduire dans le texte cible, indépendamment des structures linguistiques.

4 REISS, Katharina et VERMEER, Hans, Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie, Tübingen : Niemeyer, 1984

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Susan Bassnet souligne alors l’importance de prendre en compte ces deux contextes (source et cible) pour parvenir à une traduction adéquate :

« Without this kind of contextual understanding, which necessarily involves rethinking one’s own position and mediating between the potential gaps created by fundamental cultural différences, adequate translation will not take place » (2011 :96).

Le traducteur doit ainsi s’efforcer de remettre en question ses propres schémas culturels, afin de mettre à jour les différences entre les cultures en présence.

Comme l’indiquent Susan Bassnet et André Lefevere (Bassnet et Lefevere 1990) dans l’introduction critique de leur recueil de textes sur les aspects culturels de la traduction, le tournant culturel fut d’une importance majeure en traductologie.

Michel Ballard (2005 :10) remarque ainsi qu’il « est difficile de séparer une langue de sa culture dans la mesure où l’une de ses fonctions est de dire le monde, désigner des objets, des notions, dont la traduction permet de percevoir et d’explorer les spécificités ».

Cependant, certains désaccords sont apparus parmi les chercheurs quant à cette analogie entre langue et culture, cette langue-culture dont le concept a été formulé par Henri Meschonnic5 en 1973. Parmi ceux-ci, Serge Rolet :

« Les travaux qui portent sur la traduction des cultures ne prennent pas le risque de prétendre récuser Saussure. Ils maintiennent néanmoins, quelques fois jusqu’à une totale confusion, l’analogie entre la culture et la langue, alors que, manifestement, en termes saussuriens6, ce qui peut être traduit appartient exclusivement à la parole » (Rolet 2012 :888).

Serge Rolet critique ainsi les Cultural Studies qui mettent en avant la langue comme porteuse de sens. Selon lui, la langue est plutôt un système qui permet de faire passer le sens. « La langue elle-même ne se traduit pas » (2012 :88), poursuit-il, car « c’est l’exécution qu’on peut traduire, non le schéma » (2012 :88).

Selon lui, c’est précisément cette fusion entre langue et culture qui est responsable de la difficulté de traduire l’aspect culturel d’un texte et propose

5 MESCHONNIC, Henri, Pour la poétique II, Paris : Gallimard, 1973

6 Dans son Cours de linguistique générale (1915), Ferdinand de Saussure différencie le langage (la faculté de pouvoir communiquer au moyen de signes) de la langue (un système de signe particulier à un groupe) et de la parole (l’usage effectif de signes pour communiquer dans un contexte donné).

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plutôt de la rattacher à la parole. Finalement, Serge Rolet critique le terme de culture, qu’il considère comme « opaque », même s’il admet que, en dehors de ce qu’il appelle « l’approche multiculturaliste », l’idée d’une traduction des cultures reste d’un grand intérêt (2012 :892).

2.3. Sourciers ou ciblistes

Parmi les nombreux débats qui ont émaillé la réflexion traductologique depuis sa naissance, la controverse sourcier/cibliste occupe une place importante. Les sourciers mettent en avant le texte source et à la fidélité de la traduction, alors que les ciblistes privilégient eux le texte cible et la réception de celui-ci. Jean- René Ladmiral revient sur ce débat dans son ouvrage Le prisme interculturel de la traduction (1998). Il considère ainsi entre autres que l’équivalence parfaite est impossible à atteindre en traduction (1998 :25-26) et que le traducteur est sans cesse confronté à des choix : avoir recourt ce que Ladmiral appelle la

« parolisation », qui consiste à mettre en avant la culture source, à

« surtraduire », ou alors employer des périphrases, ce qui implique de

« soutraduire ». Le traducteur, conscient de transmettre non seulement une langue, mais également une culture, doit ainsi prendre des décisions qu’il sait subjectives, car relevant de sa propre interprétation du texte. Mais comment traduire l’implicite culturel et le non-dit ? C’est sur cet axe que s’articule l’opposition sourciers-ciblistes. Les sourciers accordent une importance essentielle au signifiant de la langue source et à l’altérité culturelle spécifique du texte original, alors que les ciblistes soulignent l’importance du sens du discours, qui est à traduire en employant les outils de la langue d’arrivée (1998 :24-25).

Jean-René Ladmiral prend alors clairement le parti cibliste (1998 :25). Il s’oppose ainsi à Henri Meschonnic et Antoine Berman7, qui appartiennent à la tendance sourcière et qui dénoncent le caractère annexionniste et ethnocentrique de la tradition cibliste. Jean-René Ladmiral lui critique la tradition sourcière, dans laquelle il relève une tendance à la « philologisation » et à

« l’ethnologisation » du texte source :

« Surtout, l’objet de la traduction, ce n’est pas l’étrangeté culturelle et linguistique d’un texte-source, mais sa singularité en tant qu’œuvre. Quoi qu’il en soit de sa spécificité culturelle, l’enjeu d’un texte littéraire n’est pas culturel, mais littéraire ; et l’enjeu d’un texte philosophique n’est pas culturel, mais philosophique. […] En règle générale, on ne traduit pas des langues, ni des

7 BERMAN, Antoine, L’Épreuve de l’étranger : Culture et traduction dans l’Allemagne romantique, Paris : Gallimard, 1984

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cultures, ni même des langues-cultures : on traduit des textes ! C’est pourquoi il faudra faire le choix d’une traduction cibliste » (1998 :26).

Jean-René Ladmiral préfère ainsi renoncer à la notion de « langue-culture » développée par Henri Meschonnic (1973), qui selon lui réduit la portée de ces deux termes. Il admet cependant qu’il s’agit d’un concept intéressant d’un point de vue théorique, mais de peu d’utilité dans la pratique même de la traduction (1998 :28).

L’ancienne opposition mot/sens se retrouve ainsi dans la polémique sourcier/cibliste et malgré le réel changement de paradigme induit par le tournant culturel, ce débat reste toujours d’actualité en traductologie (Bassnet 2011 :107).

2.4. L’ethnocentrisme en traduction

Comme nous l’avons vu plus haut, l’un des reproches formulés à l’encontre de la tradition cibliste est de produire des traductions considérées comme ethnocentriques. La critique de l’ethnocentrisme en traduction est relativement récente et doit beaucoup aux recherches de Jean-Louis Cordonnier et particulièrement son ouvrage intitulé « Traduction et culture » (Cordonnier 1995). Dans ce travail, l’auteur effectue une analyse historique de la perception de l’altérité en Europe et examine de manière détaillée à quel point elle a contribué à construire la culture européenne. Il souligne en particulier l’impact majeur de la traduction dans ce processus, qui a notamment permis de donner accès aux textes de la Grèce antique et de la science arabe. Mais pour Jean- Louis Cordonnier, la découverte du Nouveau monde a joué un rôle encore plus considérable en mettant l’Europe face à une altérité radicale, dont personne ne soupçonnait l’existence. L’apparition de cet « Autre » (les civilisations américaines préhispaniques) a ainsi bouleversé les représentations du monde qui prévalaient à l’époque.

Jean-Louis Cordonnier décrit ensuite les modes de traduire européen, qui ont été largement influencés par la découverte américaine (1995 :11) et qui se fondaient sur une perception ethnocentrique du monde. Les spécificités culturelles des textes sont gommées au profit d’une interprétation qui met en avant la culture cible. Jean-Louis Cordonnier nomme ce phénomène la traduction-annexion et estime que cette pratique s’est développée lors de la constitution des États-

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Nations européens et des langues-cultures nationales. Il appelle alors à rejeter cette pratique ethnocentrique et introduit le concept d’ouvertude8.

Cet ethnocentrisme s’est toutefois révélé avoir des effets positifs, en contribuant à la constitution des différentes cultures européennes (Cordonnier 2002 :41).

Cependant, la tâche assignée à la traduction a évolué :

« Aujourd’hui, même si la traduction continue à assumer son rôle millénaire d’emprunt aux autres cultures, sa tâche ne consiste plus à ériger une culture nationale par l’exclusion de l’Autre, dans une « annexion », mais d’ouvrir le Même à l’Autre par l’accueil de l’Autre (en encourageant la traduction de l’Autre vers nous et inversement) avec la certitude que ce « décentrement » est source d’enrichissement » (Cordonnier 1995 :18).

Jean-Louis Cordonnier introduit alors le concept de traduction-dévoilement9, qui fonctionnerait tant sur le plan littéraire et culturel que sur le plan linguistique, ethnologique ou politique, contribuant ainsi à l’enrichissement des deux cultures en présence (1995 :13).

Antoine Berman (1984), qui a également critiqué l’ethnocentrisme en traduction, a mis en évidence les différences entre traduction décentrée et traduction ethnocentrique :

« Dans le premier cas, le traducteur oblige le lecteur à sortir de lui-même, à faire un effort de décentrement pour percevoir l’auteur étranger dans son être d’étranger ; dans le second cas, il oblige l’auteur à se dépouiller de son étrangeté pour devenir familier au lecteur » (Berman 1984 :235).

Dès lors, Jean-Louis Cordonnier plaide pour une importance accrue de la critique en traduction, car celle-ci peut contribuer à mettre en évidence cette annexion de l’Autre et permettre de rompre avec l’ethnocentrisme contemporain (2002 : 45-46).

2.5. La culture en traductologie : une approche pluridisciplinaire

8 Le traducteur qui adopte cette attitude s’efforce de sortir de l’ethnocentrisme hérité du passé et s’engage à apporter à sa culture des éléments nouveaux qui permettront d’améliorer les relations interculturelles (Cordonnier 2002 :47).

9 Ce type de retraduction doit mettre en avant la différence culturelle et remplacer les traductions ethnocentriques du passé qui ne sont plus acceptables aujourd’hui (Cordonnier 2002 :47).

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Étant donnée la complexité du phénomène culturel, de nombreux chercheurs ont plaidé pour une approche multidisciplinaire de la notion de culture en traduction.

Jean Delisle (2014) a par exemple souligné l’intérêt d’une approche sociologique de la question (2014 :40). Il décrit dans sa recherche les différentes fonctions de la traduction et met en évidence « la place et l’importance qu’elles occupent au sein d’une société et entre les sociétés ». Constatant l’apport fécond de la sociologie de Pierre Bourdieu en traductologie, il introduit alors le concept de sociotraduction, qui doit permettre aux traducteurs de délaisser une approche purement linguistique au profit d’une analyse qui englobe également les enjeux sociétaux de la traduction(2014 :55).

Ainsi, dans sa description des fonctions de la traduction ayant une dimension culturelle (telles que la traduction comme source d’inspiration, la traduction façonneuse de culture, la traduction transgressive, …), il cherche à mettre en évidence à quel point la traduction opère comme un stimulant sur les cultures et les civilisations.

Dans un autre domaine, Jean-René Ladmiral et Marc Edmond Lipiansky mettent en avant la contribution de la psychologie et de la psychosociologie dans la communication interculturelle (Ladmiral et Lipiansky 2015 :43). Dans leur recherche portant sur les interactions de deux groupes d’étudiants bilingues dans le cadre d’un projet de traduction, ils cherchent à comprendre quels effets les différences culturelles et psychologiques ont sur la communication interculturelle.

L’approche multidisciplinaire de la notion de culture en traduction ne se réduit bien évidemment pas à ces auteurs et il existe de nombreuses contributions sur le sujet provenant d’autres disciplines (anthropologie, histoire, etc.) qui auraient pu être présentées ici.

2.6. L’implicite culturel en traduction

Comme le souligne Paul Bensimon, « La transposition de l’implicite culturel, qui entretient un rapport étroit avec la réception et la lisibilité de l’œuvre traduite, constitue l’un des principaux enjeux de la traduction de la culture » (Bensimon 1998 :11). Il met ici en évidence la complexité de la tâche du traducteur, qui doit en effet non seulement permettre au lecteur d’accéder à l’implicite culturel d’un texte traduit, mais également préserver un certain confort de lecture pour le public cible. Le traducteur doit ainsi avoir une connaissance exhaustive de la culture source comme de la culture cible. Jean- Louis Cordonnier insiste lui aussi sur l’importance des connaissances culturelles du traducteur :

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« […] le degré de méconnaissance de la culture étrangère est directement proportionnel au degré de résistance de la traduction. Plus cette méconnaissance est grande et plus cette résistance l’est aussi. On peut dire également que plus l’implicite culturel étranger est méconnu de la part du destinataire de la traduction, plus les possibilités de solutions de la traduction sont réduites pour le traducteur. En fait, les résistances à la traduction révèlent l’état des interactions culturelles » (Cordonnier 1995 :56).

Il est ainsi essentiel pour le traducteur de posséder une connaissance approfondie de la culture source, en particulier lorsqu’il se retrouve face à l’implicite culturel présent dans les allusions et les connotations. À cet égard, on peut souligner l’apport important de Corinne Wecksteen sur la traduction des référents culturels (Wecksteen 2005). Elle analyse en effet dans ce travail les différentes traductions du roman Maybe The Moon d’Armistead Maupin et expose les difficultés rencontrées par le traducteur pour repérer certaines allusions, car elles renvoient à une réalité culturelle étrangère implicite.

Il en va de même pour les connotations, qui véhiculent de la « valeur ajoutée » (2005 :112). Certaines connotations ne sont parfois explicites que pour un groupe limité de personnes et même un lecteur provenant de la culture originale peut avoir du mal à les interpréter. Devant ces difficultés, Corinne Wecksteen estime alors que le traducteur doit faire un choix :

« La tâche du traducteur serait donc de déterminer quel est le trait le plus pertinent dans le texte original (même s’il s’agit d’un trait sous-jacent), afin de le faire apparaître de façon visible dans le texte-cible, si la langue-culture d’arrivée n’a pas forcément intégré sémantiquement la variable sous-jacente contenue dans le texte-source » (2005 :117).

Une connaissance encyclopédique de la culture source et de la culture cible est donc indispensable au traducteur, qui se tient à la lisière entre deux langues- cultures, pour rendre accessible l’implicite et le non-dit.

Corinne Wecksteen note ainsi que « […] la traduction des référents culturels révèle, de manière exacerbée, toutes les difficultés auxquelles le traducteur est confronté » (2005 :122).

L’implicite peut également se retrouver dans la valeur accordée à un terme par une culture donnée. Dans son travail sur l’importance des valeurs culturelles en traduction, Carina Wurzinger (2012) montre que le traducteur porte une grande responsabilité dans la transmission de ces valeurs :

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« As a member of a sociocultural group, readers are expected to know about the values that are relevant in their societies and necessarily interpret a text against this background. Where there is a conflict of values, there may be conflicts in the communication process » (2012 : 1).

Elle reprend la définition de l’anthropologue Clyde Kluckhohn qui considère la valeur comme un concept implicite ou explicite, caractéristique d’un groupe, qui influence les modes, les moyens et les fins d’action (2012 :4). En effet, même si un individu possède ses propres valeurs, celles-ci sont influencées par celles du groupe auquel il appartient. Carina Wurzinger souligne alors que le processus d’acquisition des valeurs est souvent inconscient et éminemment culturel (2012 :5). La communication entre différents groupes culturellement différents implique une transmission de leurs valeurs les uns aux autres. C’est pourquoi Carina Wurzinger écrit :

« As experts in cross-cultural communication, translators are necessarily dealing with values, since values and communication are interdependent » (2012 :6).

Selon Carina Wurzinger, les valeurs culturelles sont également au fondement des idéologies et des normes sociales et s’inscrivent ainsi dans la perspective de la traduction des cultures. Le traducteur lui-même a son propre système de valeurs qui l’influence lors de son travail. Il est alors de sa responsabilité d’en être conscient afin d’éviter tout débordement de ses valeurs dans le texte cible (2012 :10). Cependant, le texte source véhicule lui aussi des valeurs culturelles parfois implicites, qu’il s’agit de repérer et surtout de transmettre au lecteur :

« In the case of communication across cultural boarders, culture-specific values implicitly transmitted in the original text might be explicitly rendered in the translation in order to communicate the relevant message, if this is part of the purpose of the translation » (2012 :13).

L’implicite en traduction ne se retrouve ainsi pas uniquement dans les connotations ou les allusions, mais également dans le système de valeurs diffusé au sein d’un groupe.

Comme on peut le voir, le concept de culture a énormément enrichi la réflexion traductologique de ces dernières décennies. L’apport de la traductologie aux Cultural Studies est désormais évidente et se retrouve jusque dans la définition de la notion de culture, autrefois chasse gardée des anthropologues. Le tournant culturel a ainsi ouvert la voie à de nombreux chercheurs provenant d’horizons et de disciplines différentes et permis un foisonnement des théories traductologiques. Il a cependant relancé un débat qui n‘était toutefois pas éteint, l’opposition entre sourciers et ciblistes. Cette controverse a mis en évidence la

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vivacité de la pensée traductologique et l’importance culturelle de la traduction.

Mais ces réflexions sur la culture ont également permis de pointer un phénomène jusque-là plutôt négligé : l’ethnocentrisme. Les recherches sur le sujet montrent à quel point ce trait est fondamental non seulement dans la pratique de la traduction, mais également dans la construction culturelle des identités nationales. Finalement, on se rend compte que la culture est omniprésente et se cache même dans les plus petits détails. Traduire l’implicite culturel, qu’il se niche dans les référents culturels ou dans les valeurs d’un groupe social donné, pose d’énormes problèmes au traducteur dans sa pratique quotidienne. La culture est ainsi un concept complexe, mais essentiel dans la compréhension de la réflexion traductologique actuelle.

3. Approche théorique

Le présent chapitre sera consacré à présenter les divers concepts qui sont au fondement de ce travail. Il s’agit en particulier du concept d’Encyclopédie élaboré par Umberto Eco (1984) et approfondi par Lance Hewson (2012), de l’approche interprétative de Jean-Jacques Lecercle (1999) et de la méthode de critique des traductions élaboré par Lance Hewson (2017).

3.1. Umberto Eco et Lance Hewson : le concept d’Encyclopédie

Dans son ouvrage intitulé « Sémiotique et philosophie du langage » (1984), Umberto Eco reprend les concepts clé des différentes courants philosophiques et sémiotiques ayant trait au langage (signe, mot, métaphore, signifié, …). Il souhaite en particulier dépasser l’opposition Dictionnaire/Encyclopédie, qui selon lui doit être reconsidérée (Eco 1984 :107). En effet, il est d’usage de concevoir le Dictionnaire comme une représentation purement linguistique, sémantique et neutre, alors que l’Encyclopédie10 participerait au domaine de l’expérience, de l’extralinguistique, du monde réel (Haiman 1979 :330).

Cependant, pour Umberto Eco, cette opposition n’a pas lieu d’être, car la langue intègre ces deux approches :

« Nous pensons […] que l’on doit postuler une langue L qui contienne, parmi ses règles de signification, des instructions pragmatiquement orientées. Si cela était impossible, on aurait tout au plus un dictionnaire de L, très rigoureux mais insuffisant pour rendre compte des signifiés situationnels » (Eco 1984 :75).

10 Umberto Eco emploie le concept de « l’encyclopédie » sans utiliser de majuscule. Cette notion étant centrale dans mon travail, j’emploierai systématiquement la majuscule à l’instar de Lance Hewson (2012), afin de la différencier du substantif ordinaire.

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Ces « instructions » sont précisément ce que fournit l’Encyclopédie. On peut le voir dans la situation suivante : quand une femme commande un café à un serveur, elle ne s’attend pas à se voir apporter un seau d’un litre. L’employée et la cliente partagent des connaissances situationnelles encyclopédiques qui leur permettent de se comprendre, alors que ces informations ne sont pas présentes dans l’expression « j’aimerais un café ». Selon Eco :

« Une théorie du signifié dépasse cette contradiction si elle réussit à formuler un modèle capable d’intégrer, tout ou partie, sémantique et pragmatique. Mais cela présuppose que l’on entende L non comme un dictionnaire succinct mais comme un système complexe de compétences encyclopédiques » (Eco 1984 :75).

L’Encyclopédie joue donc un rôle clé chez Umberto Eco. Il la définit comme un

« postulat sémiotique », c’est-à-dire un principe qui guide la représentation des signes des systèmes signifiants. Chaque individu possède sa propre Encyclopédie, qui est un vaste ensemble regroupant les informations, les images, les signes qui lui permettent de se représenter le monde.

Lance Hewson (2012) s’est également penché sur la question et a mis en évidence sept caractéristiques fondamentales de l’Encyclopédie : sa première caractéristique consisterait en sa nature diachronique, c’est-à-dire qu’elle doit être considérée comme en évolution dans le temps. L’Encyclopédie serait comme une vraie encyclopédie dont les entrées deviendraient de plus en plus fournies et hétérogènes suite à l’addition de nouvelles informations.

La deuxième caractéristique découle de la première, l’Encyclopédie n’est jamais achevée. Chaque entrée comporte des contenus qui sont susceptibles d’évoluer, voire de disparaître. Elle est donc incomplète et instable.

La troisième caractéristique de l’Encyclopédie serait sa capacité à entretenir ou conserver des informations contradictoires ou incohérentes. On peut prendre ici l’exemple du policier, qui cumule les images antagonistes de garant de la sécurité et de l’ordre au sein de la société d’un côté, et d’agent répressif de l’État de l’autre. Ou Nestlé, considérée comme une entreprise modèle du système capitaliste ou comme une compagnie amorale exploitant les ressources de la planète.

L’Encyclopédie est également caractérisée par son hétérogénéité. Les contenus de l’Encyclopédie peuvent varier selon les régions géographiques ou les classes sociales. En Russie par exemple, Moscou est souvent considérée par ses habitants comme le centre politique et économique du pays. Or, à St- Pétersbourg, ancienne capitale des tsars et à la frontière avec l’Occident,

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Moscou est considérée comme une ville concurrente et un peu arriérée, qui a un retard à combler au niveau culturel. D’un autre côté, en Sibérie, Moscou est apparaît plutôt comme une force coercitive et centralisatrice lointaine, ayant peu de considération pour les réalités sibériennes. Que dire alors de la représentation de Moscou chez les Touktches, peuple indigène habitant le nord de l’Extrême- Orient russe ?

La cinquième caractéristique de l’Encyclopédie est sa propension à privilégier les contenus populaires plutôt que spécialisés. Elle comporte donc une grande part d’approximations, d’idées reçues et d’erreurs. Ce mélange hétéroclite, composé de fictions, de légendes urbaines et de faits avérés, contient ainsi différentes « vérités ». Des vérités historiques (Jacques Chirac était le Président de la France), des vérités cinématographiques (le Terminator vient du futur), des vérités populaires (Rihanna est amoureuse d’Ed Sheeran), etc.

La sixième caractéristique de l’Encyclopédie est sa propension à proposer des contenus bien plus fournis concernant sa culture et son histoire et à posséder des informations approximatives et des clichés en ce qui concerne les contenus des autres cultures. Ainsi, la majorité des Suisses connait l’histoire de son pays, la raison de la diversité de ses langues et cultures et même probablement certains détails historiques, tels que la bataille de l’Escalade ou la soupe de Kappel.

L’entrée de la France, proche voisine et en interaction quotidienne avec le pays, est très documentée dans l’Encyclopédie suisse. Les pratiques culturelles et les grands traits de l’histoire française font partie de la culture générale suisse.

L’entrée de l’Angleterre est déjà moins précise et en majorité composée de clichés tels que les fish & chips, Big Ben ou encore Shakespeare. Parallèlement, les villes de Raqqah ou de Deir-ez-Zor en Syrie n’ont vraisemblablement acquis que récemment une entrée dans l’Encyclopédie suisse et il est probable que ces entrées disparaîtront une fois la guerre terminée. On voit à travers ces exemples que l’Encyclopédie contient beaucoup plus d’entrées vides ou lacunaires que d’entrées bien fournies et que celles-ci concernent en premier lieu la représentation de la culture et l’histoire de son pays.

La dernière caractéristique est celle qui m’intéresse le plus dans le cadre du présent travail. Elle postule que l’Encyclopédie est indissociable de la langue qu’elle utilise (sans pour autant en être le seul élément) et qu’on ne peut la transposer dans une autre langue. Or, le traducteur est sans cesse confronté dans son travail à la concurrence de différentes Encyclopédies : celle de l’auteur, celle du lecteur (qui peut varier et qui doit être déterminée) et celle du traducteur lui- même qui, ayant une connaissance bien plus poussée de la langue et la culture de l’Autre et de sa propre langue et culture, est souvent le seul qui a les moyens de faire coexister ces diverses Encyclopédies (Hewson 2012 :51).

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On peut alors poser différentes hypothèses concernant l’image que se fait le traducteur de l’Encyclopédie de son lecteur et des stratégies qui en découlent.

Lance Hewson (2012 :51-53) définit quatre cas de figure : dans le premier cas, le traducteur ne tient pas compte des diverses Encyclopédies en jeu et traduit sans prendre le temps de déterminer celle de son lectorat cible. Dans le second cas, le traducteur estime que son lecteur modèle ne possède pas les entrées requises dans son Encyclopédie. Le traducteur dispose alors de différentes stratégies (notes de bas de page, réécriture, etc.) pour pallier ce manque. Dans le troisième cas, le traducteur postule que son lecteur possède les informations encyclopédiques nécessaires. Le traducteur n’explicite alors aucune référence du texte source, cependant cette situation est potentiellement risquée dans la mesure où le lecteur pourrait parvenir à une interprétation erronée du texte original, ses entrées encyclopédiques pouvant être insuffisantes. Le dernier cas concerne la traduction spécialisée, quand un expert écrit pour des experts. Le traducteur n’a alors pas besoin de déterminer l’Encyclopédie de son lectorat cible, étant donné que celui-ci possède les connaissances scientifiques lui permettant d’interpréter le texte source.

En reprenant le concept d’Encyclopédie forgé par Umberto Eco (1984) et approfondi par Lance Hewson (2012), je vais tenter d’analyser dans quelle mesure cette notion peut avoir un intérêt pour la pratique traductive. Je vais ainsi émettre des hypothèses concernant les choix traductifs des traducteurs français et russes de Russendisko afin d’examiner si ce concept permet d’expliquer leurs décisions traductives que j’estime questionnables ou surprenantes.

3.2. L’interprétation « juste » selon Jean-Jacques Lecercle

Comme on peut le voir, l’Encyclopédie est un concept riche qui permet de poser des hypothèses sur les pratiques du traducteur. Cependant, une autre question se pose : comment le traducteur peut-il s’assurer d’offrir à son lectorat les moyens de parvenir à une interprétation adéquate du texte source ? Dans son ouvrage

« Interpretation as Pragmatics » (1999), Jean-Jacques Lecercle propose une réponse. En effet, il y expose sa théorie de l’interprétation et défend quatre propositions : toutes les interprétations sont possibles (l’interprétation est par essence subjective) ; aucune interprétation n’est vraie (seul l’auteur peut la connaître) ; certaines interprétations sont justes ; certaines interprétations sont fausses (Lecercle, 1999 :31).

Ainsi, toutes les interprétations sont envisageables et l’on peut faire dire ce que l’on veut à un texte. Dès lors, lorsque le traducteur construit son interprétation du texte source, il ne doit ainsi pas viser l’interprétation vraie, qui est une tâche

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impossible, car infinie, mais plutôt parvenir à un éventail d’interprétations

« justes » :

« A just interpretation is one that conforms to the constraints of the pragmatic structure that governs the interpretation of the text, and that does not seek to close the interminable process of reinterpretation » (Lecercle 1999 :33).

En effet, le traducteur, de par sa connaissance de la langue et des différentes Encyclopédies en jeu, est capable d’éviter les interprétations qualifiées de

« fausses » :

« An interpretation is false if it is either delirious, disreagarding the constraints of the encyclopedia, or incorrect, disreagarding the constraints that language and the text impose on the construction of interpretation » (Lecercle 1999 :32).

Le traducteur se doit donc de rejeter les interprétations qui ne suivent pas les contraintes imposées par l’Encyclopédie et la langue. Le critique, lui, doit éviter la comparaison infinie des textes en jeu et des différentes interprétations mais rechercher les différentes possibilités et les limites qu’offrent ces textes et interprétations (Hewson 2011 :23). Le concept d’Encyclopédie est ainsi particulièrement intéressant, car il permet de comparer le potentiel interprétatif du texte source et de sa traduction et d’examiner s’ils véhiculent des pistes interprétatives similaires. En effet, certaines traductions, qui peuvent paraître étonnantes ou discutables, trouvent parfois leur sens (ou leur explication) en tenant compte de la problématique de l’Encyclopédie. Le but de ce travail sera alors d’examiner dans quelle mesure les choix du traducteur permettent de conduire à une interprétation « juste » selon la définition de Jean-Jacques Lecercle.

3.3. La méthode de critique des traductions de Lance Hewson

Dans sa méthode de critique des traductions, Lance Hewson (2011) propose une nouvelle approche des textes traduits, car il estime, à la suite d’Antoine Berman11, que la discipline manque d’unité et que certains aspects critiques, malgré leur importance, sont rarement pris en compte (Hewson, 2011 :15-16).

11 « […] si la critique veut dire analyse rigoureuse d’une traduction, de ses traits

fondamentaux, du projet qui lui a donné naissance, de l’horizon dans lequel elle a surgi, de la position du traducteur ; si critique veut dire, fondamentalement, dégagement de la vérité d’une traduction, alors il faut dire que la critique des traductions commence à peine à exister » (Berman, 1995 :13-14).

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Lance Hewson rejette également la polémique sourcier/cibliste12, qu’il estime improductive. Il souligne de même qu’un projet de traduction ne relève que rarement du seul traducteur. En effet, ce dernier n’est souvent pas celui qui met le point final au texte et les interventions de l’éditeur ou du réviseur peuvent avoir une importance significative dans le projet final (Hewson, 2016 :19). C’est pourquoi la critique des traductions doit tenir compte de ces « manipulations » (Hewson, 2011 :13).

À côté de l’analyse macrostructurelle (le livre) et microstructurelle (la phrase, le mot), Lance Hewson propose alors d’ajouter un troisième niveau d’analyse à la critique, le niveau mésostructurel (le passage) :

« […] the relationship between microstructural elements and the macrostructural level is often taken for granted. There is a need for an intermediate level between the micro-level and the macro-level (the « meso-level in my terminology) » (Hewson, 2011 :16).

Reprenant les hypothèses de Jean-Jacques Lecercle (1999), Lance Hewson estime que l’interprétation d’un texte est un processus interminable et qu’il ne faut pas tenter de rechercher l’interprétation « vraie », qui est chose impossible, car l’on peut toujours trouver d’autres interprétations, mais de se focaliser de préférence sur la recherche d’interprétations justes, c’est-à-dire, selon Lecercle (1999 :33), celles qui respectent les contraintes linguistiques et encyclopédiques du texte analysé. Mais le critique doit également tenir compte de la double appartenance d’une traduction :

« The critic’s task is particularly arduous, as she is faced with a text – the translation – which takes on a life of its own in the target culture, while simultaneously representing the source text, and its interpretative potential. The critic’s undertaking becomes one of comparing the interpretative potential of the two texts, in other words giving some indications of the nature of the interpretations that they encourage » (Hewson, 2011 :23).

Il s’agit donc d’examiner le potentiel interprétatif des textes en question et de les comparer à la lumière du cadre critique élaboré par le traducteur (Hewson 2011 :26).

12 Pour la position de Lance Hewson sur ce sujet, consulter Sourcistes – cibliers (Hewson, 2004)

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4. Méthodologie

Dans son ouvrage (Hewson, 2011 :24), Lance Hewson présente six différentes étapes de la démarche du critique. La première consiste à récolter les données entourant l’œuvre sélectionnée. Toutefois, l’objet de ce travail n’étant pas d’effectuer une critique des traductions, je vais me limiter à un rapide examen des éléments principaux afin de mettre en évidence le contexte de l’œuvre et de ses traductions.

La deuxième étape implique de construire un cadre critique qui comprend les pistes interprétatives considérées comme majeures ainsi que les principaux traits stylistiques de l’œuvre sélectionnée, afin de mettre en évidence ce qui est estimé être le cœur de l’œuvre.

La troisième étape consiste à identifier les passages considérés comme intéressants du point de vue du cadre critique et à les analyser sur les plans micro- et mésostructurel. Cette phase de l’analyse sera cruciale dans le cadre de mon travail, car elle permettra de relever dans quelle mesure les Encyclopédies en jeu divergent.

La quatrième étape comprend le passage du niveau micro- et mésostructurel au niveau macrostructurel. Je ne vais que succinctement aborder ce stade qui, comme mentionné plus haut, n’entre pas dans le cadre de ce travail

Dans la cinquième étape, Lance Hewson propose d’effectuer une synthèse des résultats sur le plan macrostructurel. Cette partie sera également réduite, car il ne s’agit pas de juger une traduction dans son ensemble, mais d’effectuer une analyse de certains éléments spécifiques à la lumière du concept d’Encyclopédie. Je n’utiliserai donc pas les catégories de « similarité divergente », « divergence relative », « divergence radicale » et « adaptation » élaborées par Lance Hewson (2011 : 181-183) et ne porterai ainsi pas de jugement sur la nature des traductions russe et française de Russendisko, comme le propose Lance Hewson dans sa sixième et dernière étape. Je m’efforcerai plutôt de saisir si et dans quelle mesure le concept d’Encyclopédie permet d’expliquer des choix traductifs surprenants.

4.1. Récolte des données macrostructurelles

La première étape consiste à récolter les données macrostructurelles entourant les deux textes comparés et à effectuer une première analyse. Ces données macrostructurelles regroupent diverses informations : nombre d’éditions, existence ou non de plusieurs traductions, analyse des éléments para- et péritextuels de l’œuvre et de sa traduction, informations sur l’auteur, le

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traducteur et leurs travaux antérieurs, données sur la structure du texte (chapitre, paragraphe). Ces éléments comprennent également tous les épitextes (commentaires, critiques, recherches) et péritextes (préface, notes, glossaire) entourant l’œuvre et ses traductions. Une fois ces éléments relevés, il convient d’examiner dans quelle mesure ils peuvent influencer l’interprétation du texte par le lecteur (Hewson, 2011 :24-25). Comme indiqué précédemment, cette étape n’est pas cruciale dans le cadre de ce travail et je vais me limiter aux informations concernant l’auteur, les traducteurs et le contexte entourant l’œuvre.

4.2. Élaboration d’un cadre critique

La deuxième étape comprend l’élaboration d’un cadre critique et constitue une importance fondamentale, car c’est sur cette sur cette base que seront effectuées les différentes observations sur les plans micro- et mésostructurel. Selon Lance Hewson, le traducteur ne peut pas être objectif et doit assumer sa subjectivité en construisant ce cadre critique qui lui servira de point de référence lors du travail d’analyse. Cette opération consiste à relever les principaux traits stylistiques et les pistes interprétatives majeures constatés suite à la lecture du texte source et qui devraient se retrouver dans la traduction (Hewson, 2011 :26). Ce cadre servira ensuite de référence et permettra de décrire les effets prévisibles produits par les choix du traducteur et d’effectuer une analyse de l’œuvre aux niveaux micro-, méso-, et macrostructurel. Cependant, comme le souligne Lance Hewson, il ne s’agit pas d’un exercice visant à découvrir de nouvelles interprétations :

« The aim is not to produce an interpretation per se, but to identify a limited number of elements that appear to have particuliar importance when interpretations are envisaged - and whose treatment by the translator is thus deemed to be important. When the translation(s) in some way alter or transform these elements, the critic will try to ascertain to what extent the translational choices encourage divergent interpretations » (Hewson, 2011 :26).

Le critique a ainsi pour tâche de repérer les choix du traducteur qui peuvent donner lieu à une interprétation différente du texte source. Élaborer un cadre critique permet donc de donner un objectif à la recherche et à limiter son champ, qui sinon serait potentiellement illimité.

4.3. Analyse micro- et mésostructurelle

La troisième étape consistera tout d’abord à identifier les passages qui sont pertinents du point de vue du cadre critique. En effet, le critique ne peut s’atteler à une analyse exhaustive de la traduction (Hewson, 2011 :27), ce qui reviendrait

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à effectuer une retraduction. Il conviendra ensuite d’examiner les choix du traducteur sur le plan microstructurel dans les passages sélectionnés, afin de pouvoir déterminer quels sont les effets de voix et d’interprétation potentiels induits par ces choix au niveau mésostructurel. Lance Hewson propose d’effectuer cette analyse en commençant par décrire le texte source sur différents plans (syntaxique, lexical, grammatical, stylistique et choix radicaux) et de le comparer ensuite au travail du traducteur (Hewson, 2011 :53).

4.3.1. Terminologie utilisée

Ce chapitre présente les différentes catégories13 employées dans le cadre de ce travail. Il donne des explications concernant la terminologie, le texte source et les choix traductifs potentiels.

Syntaxe :

Description du texte source : Choix traductifs Ordre canonique : l’auteur a employé

l’ordre syntaxique le moins marqué (l’allemand, le français et le russe sont toutes des langues SVO : sujet, verbe, objet).

Le traducteur peut effectuer un calque syntaxique ou un calque partiel, mais également opter pour un remaniement syntaxique, ce qui peut conduire à une simplification ou à une

complexification du texte cible.

Antéposition, postposition,

juxtaposition : l’auteur a décalé à gauche ou à droite certains éléments ou les a déplacés de manière

inattendue par rapport à l’ordre canonique.

Le traducteur peut effectuer un calque syntaxique ou un calque partiel, mais également opter pour un remaniement syntaxique, ce qui peut conduire à une simplification ou à une

complexification du texte cible.

Nature et découpage de la phrase Le traducteur a procédé à une modification des catégories

syntaxiques (exemple : une phrase devient une proposition relative) ou à une fusion/un découpage des phrases.

Nature des éléments de la phrase Le traducteur a procédé à une recatégorisation d’un élément de la phrase (exemple : un nom devient un

13 Ces catégories sont tirées de l’ouvrage déjà cité de Lance Hewson (2011) que je traduis librement, excepté les catégories de l’addition, la suppression, l’implicitation et

l’explicitation, qui proviennent de son article intitulé L’implicite : esquisse d’une approche traductologique (2017).

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adjectif).

Tournure verbale Le traducteur a procédé à une

modulation (exemple : une tournure active devient passive).

Cette partie décrit les choix traductifs potentiels sur le plan du lexique :

Choix traductifs : Explications :

Équivalent établi Le traducteur a opté pour un équivalent établi, c’est-à-dire un terme référencé dans les dictionnaires bilingues.

Emprunt Le traducteur a opté pour un emprunt,

c’est-à-dire qu’il a conservé le terme de la langue originale.

Explicitation/implicitation Le traducteur a effectué une explicitation, c’est-à-dire qu’il a ajouté des informations qui ne sont pas formulées explicitement dans le texte source.

Le traducteur a effectué une implicitation, c’est-à-dire qu’il a supprimé une partie des informations présentes dans le texte source.

Hyponymisation/hyperonymisation Le traducteur a utilisé un hyponyme, c’est-à-dire un terme plus spécifique que le terme présent dans le texte source (exemple : traduire animal en langue source par chat en langue cible).

Le traducteur a utilisé un

hyperonyme, c’est-à-dire un terme plus général que le terme présent dans le texte source (exemple : traduire chat en langue source par animal en langue cible).

Description Le traducteur a remplacé un terme ou

une expression par une description de ses formes et fonctions (exemple : traduire hamburger par sandwich à la

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