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Engagement et responsabilité des artistes contemporains libanais : Wael Koudeih et Tania Saleh sur les réseaux socionumériques

A- Le sécularisme, la production musicale et artistique et les réseaux socionumériques

Selon Social Bakers,105 les tops cinq célébrités sur Facebook au Liban sont Nancy Ajram, W a e l J a s s a r , E l i s s a , Fairouz et Myriam Fares et la majorité interprète la musique la plus commerciale de la région. Il est à noter que Tania Saleh et Rayess Bek ne figurent pas dans la liste des célébrités libanaises présentes sur Facebook fournie par Social Bakers (Figure1). Ce manque de visibilité vient en accord avec leur aspect contre-culture. En effet, et selon sa définition, une contre-culture est soutenue par une minorité, ce qui explique la réputation limitée de ces deux artistes relativement à celle de chanteurs s’inscrivant dans le courant commercial dominant. Il e n est de même pour la liste de célébrités libanaises présentes sur Twitter fournies par Social Bakers, dans laquelle Tania Saleh et Rayess Bek ne sont pas mentionnés, et selon laquelle les quatre célébrités les plus réputés sur Twitter au Liban sont Elissa, Hayfa Wehbe, Yara et Ramy Ayach, des chanteurs pop représentant, des degrés divers, la culture « Bubble Gum » dominante au Liban (Figure 2). Selon Carole Corm:106

« Beyrouth a beau crée les sons les plus punk ou électro du Moyen-Orient, elle produit aussi la musique la plus commerciale de la région, destinée à faire rêver des peuples réprimés à tous les points de vue. Les meilleurs représentants de cette musique dite “bubble gum” sont nos divas nationales, telles Haifa Wehbé ou Nancy Ajram. Ici, aucune prétention à faire de la vraie musique. Les chanteuses le disent parfois clairement. On ne m’aime pas pour ce que je chante, mais pour ce que je représente. »

105 Le site de Social Bakers consulté entre avril 2014 et août 2014

http://www.socialbakers.com/facebook-pages/country/lebanon/

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CORM Carole. La pensée de midi. Beyrouth XXI siècle https://dictionnaires.ensad.fr/cairn/revue-la-pensee-de-midi-2007-1-page-102.htm

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Figure 1: Top 5 célébrités libanaises sur Facebook

107 Article publié en ligne sur le site de Time-Out Beirut le 01/04/2006. National Icon? Figure 2: Top 5 célébrités libanaises sur Twitter

81 Au niveau de Youtube, trois points peuvent être retenus concernant les cinq « Fastest Growing » chaînes, (1) l’absence de nos principaux acteurs de terrain, (Tania Saleh, Rayess Bek) (2) la présence de deux chanteurs libanais reconnues: Nancy Ajram et Wael Jassar (3) l’apparition d’affiliation médiatique de la musique pop, c’est le cas de Virgin Radio, et Radio One Lebanon, et d’autres à connotation divertissante comme le cas « Star Academy Arabia ».

Alors que nos premières observations ont confirmé l’existence d’une contre-culture au Liban, le sécularisme, une analyse primaire des réseaux socionumériques souligne l’aspect minoritaire de cette culture dont les acteurs demeurent absents ou plutôt invisibles au niveau des indices de popularité nationale. Cependant, ce manque de visibilité nie-t-il leur existence et le développement de leurs communautés sur les réseaux socionumériques?

Notre travail repose majoritairement sur deux artistes contemporains, la chanteuse Tania Saleh et le rappeur Rayyes Bek. Ainsi, nous tenterons de savoir comment ces deux figures développent leurs messages culturels contre le confessionnalisme, comment ces messages trouvent leur place dans la société, quels sont les processus de détachement par rapport à la culture officielle, et quelles sont les modalités de définition de cette recherche d’écart idéologique concernant leur art engagé ainsi que leur présence sur les réseaux socionumériques tels Facebook, Twitter, blogs, et leurs sites officiels.

Par conséquent, nous nous inscrirons dans un cadre large d’étude sémiotique comportant un volet sémio-pragmatique et sémio-discursif. Dans un premier temps, nous analyserons la dynamique de création de l’image publique des deux artistes à travers leurs sites officiels et les réseaux socionumériques. Nous identifierons les liens forts et les liens faibles entre les sites officiels de Tania Saleh et de Wael Koudeih avec autres sites web.

82 L’identification de ces liens contribuera au façonnement de l’image publique de ces deux figures artistiques réputées pour être « engagées ». Ce caractère engagé sera mis en question à travers la forme et le contenu des sites officiels et des réseaux socionumériques, afin d’analyser trois espaces distincts de l’identité de soi de nos deux acteurs de terrains: l’espace de l’identité calculée, l’espace de l’identité déclarative et l’espace de l’identité agissante. Cela nous permettra de repérer l’interaction entre ces trois espaces ainsi que leur appropriation par Tania Saleh et Wael Koudeih (Rayes Bek) et leur contribution à forger leur l’image publique. Dans un dernier temps, nous tenterons d’analyser les paroles des chansons des deux artistes, à identifier leurs labels et leurs contributions aux productions d’autres artistes afin de relever l’alignement de leur démarche professionnelle avec leur identité publique proclamée.

Selon la chercheuse Fanny Georges, l’identité digitale de l’individu peut se décomposer en trois identités différentes. « L’identité numérique est divisée en trois ensembles de signes: l’identité déclarative, l’identité agissante et l’identité calculée. L’identité déclarative se compose de données saisies par l’utilisateur (exemple : nom, date de naissance, photographie). L’identité agissante se constitue du relevé explicite des activités de l’utilisateur par le Système (exemple : « a et b sont maintenant amis ») ; l’identité calculée se manifeste par des variables quantifiées produites d’un calcul du Système (exemple : nombre d’amis, nombre de groupes). »

En effet, notre corpus se ramifie en deux branches principales, la première renvoyant à Tania Saleh et la deuxième à Rayyes Bek (Wael Koudeih). Chaque branche comporte trois sections: les réseaux sociaux, les travaux d’art (chansons) et la prise de position publique. (Figure 3)

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Figure 3 : corpus ramifié en deux branches sur une période définie. La première renvoyant à Tania Saleh, la seconde à Rayess Bek. Chaque branche comportera trois sections, les réseaux sociaux, les manifestations d’art (chansons) et la prise de position publique

Dans la catégorie des réseaux sociaux nous observons: la page Facebook officielle, la page Twitter officielle et le site officiel. Les éléments empiriques de cette catégorie ont été recueillis sur un intervalle de cinq mois: 1er avril 2014 – 1er septembre 2014 dans le cas de Tania Saleh. Un relevé différent a été réalisé pour

Wael Koudeih. Les informations empiriques provenant de ses réseaux

socionumériques ont été relevées sur l’intégralité de sa période d’inscription jusqu’au 1er septembre 2014. Ce fait est dû à la rareté de son activité socionumérique et sa présence sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui en mars 2016, deux ans après notre étude, Rayess Bek a 5842 personnes qui aiment sa page Facebook, et 715 « Followers » sur son compte Twitter. Cela explique son isolement des réseaux sociaux sur la toile, contrairement à Tania Saleh qui a 166640 personnes qui aiment sa page sur son compte Facebook et 2426 « Followers » sur Twitter. Des prises d’écran illustrant les espaces de l’identité calculée des deux acteurs de terrain ont été effectuées le 1eravril et le 1er septembre. Ce relevé réalisé à deux moments distincts visait à comparer l’évolution des chiffres sur l’intervalle de temps considérés. Les éléments recueillis seront associés à la prise de position publique des deux acteurs de terrain sur les différents outils

84 médiatiques (entretiens télévisés, entretiens presse et autres) afin de dégager la dynamique de construction de leur image publique. Nous allons analyser les paroles des chansons, les signes et les symboles avancés dans les vidéos, le choix de label et de maisons de production ainsi que la contribution aux autres productions artistiques dans le cadre des formes de manifestation de leur art engagé.

Bien qu’au départ la sémiologie fût centrée sur la linguistique, « avec le développement des moyens de communication non linguistiques, la sémiotique, en tant que réflexion sur les systèmes de signes ou de significations, s’est affranchie de la réflexion linguistique et a créé ses propres outils » (Jean-Jacques Boutaud, Sémiotique et Communication, 2004).108

Aujourd’hui la sémiologie est une pratique qui se tourne à la fois vers la linguistique, le discours, la pragmatique et l’anthropologie. Elle considère l’ « homme » comme un être conscient qui se définit à travers les différents aspects de la communication et de l’expression de soi parmi lesquels résident les signes. Ainsi on peut interpréter le discours de l’énonciateur afin de dégager la figure implicite de ses propos à travers les signes qu’il procure. Le savoir socioculturel se présente alors

comme un contrat qui charge les tâches d’une mémoire et d’une dimension

d’interprétation. Dans le cadre de cette définition, nous procédons à l’analyse des messages employés par les artistes « underground » afin d’affirmer leur identité « engagée » et de marquer leur position culturelle à travers leurs travaux, les réseaux sociaux et les outils médiatiques. De même pour le public qui s’approprie les messages idéologiques, les confirme, ou s’y oppose.

108 BOUTAUD Jean-Jacques. Sémiotique et Communication. Université de Bourgogne, Hermès, n° 38. C.N.R.S Éditions, 2004

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B- Construction de l’image publique et son identité digitale dans les réseaux