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Engagement et responsabilité des artistes contemporains libanais : Wael Koudeih et Tania Saleh sur les réseaux socionumériques

C- Anatomie des sites officiels et des réseaux socionumériques en forme et en contenu

Le concept d’image publique englobe des notions de construction identitaire, développée et maintenue à travers une dynamique complexe de communication. En ligne, et surtout sur les réseaux socionumériques, cette construction est réalisée dans un espace de représentation de soi dominée par la culture. Contrairement à ce qu’on a élaboré dans la première partie, dans ce contexte la notion de la culture ne revient pas à la culture dominante, mais à la culture telle que l’individu se l’approprie. Comparée à un moule qui forge les personnalités individuelles, la culture « est assez souple pour permettre des adaptations individuelles; chaque personne assimile la culture d'une manière idiosyncratique, la reconstruit à sa façon dans une certaine mesure ».125

Dans son analyse, Fanny Georges nous montre le passage de l’identité telle qu’elle était conçue du temps du Web 1.0, et l’identité qui se déploie ensuite avec le web 2.0. Dans l’étape précédente à la socialisation du web, l’identité déclarative était le critère principal pour distinguer les différents utilisateurs du web. Ensuite, Georges reprend le concept d’hexis en tant que « l’action de l’être, ou plutôt l’action d’avoir de façon répétitive, c’est-à-dire l’action de conquérir le territoire par sa fréquentation répétitive ».126 Ensuite elle explique que « cette hexis127 serait représentée visuellement par une représentation (ex.: un avatar) au milieu d’autres représentations de personnes (d’autres avatars) ».

125 ROCHER Guy. Introduction à la sociologie générale. Chapitre IV: Culture, civilisation et idéologie.

Montréal: Éditions Hurtubise HMH ltée, 1992, troisième édition. P 101-127

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GEORGES Fanny. Sémiotique de la représentation de soi dans les dispositifs interactifs. L’Hexis numérique. Linguistics. Université Pantheon-Sorbonne - Paris I, 2007. P 7

127 Définition de Hexis : Une habitude soit du corps, soit de l'esprit. Un pouvoir acquis par la coutume, la pratique, l'usage

105 Georges explique ainsi l’hexis numérique : « À l’écran, le sujet se confond au soi de la représentation. Il s’immerge. Une relation de contigüité physique se construit entre l’avatar et la personne qui le manipule. La personne et la marionnette se confondent et la figure technique prend figure humaine. Il y a bien une réduction (en cela un vide) mais elle s’accompagne d’une transformation (qui conditionne le plein). Ainsi l’humeur, la disponibilité, la présence, se transforment en un pictogramme, les amis, les traits de caractère, se transforment en des liens hypertextuels, les paroles en des textes. La personne se transforme en une représentation interactive. Cette projection donne naissance à un second corps : l’hexis numérique se transforme en des liens hypertextuels, les paroles en des textes. La personne se transforme en une représentation interactive. Cette projection donne naissance à un second corps: l’hexis numérique. »

Assurément, le portrait que l’individu peut montrer sur le net, peut être réaliste, expressionniste, surréaliste, ou cubiste. Il a le pouvoir de choisir quelle et comment sera sa mise en scène face à autrui. Mais en tout état de cause, il ne cessera pas d’être un portrait, un fragment, une représentation, un instantané ou un ensemble de fragments. Les fragments digitaux, à titre gestaltiste, servent de figure et de fond en faisant qu’avec de vagues données fragmentées, notre perception arrive à se faire une idée de la totalité de la personne qui est derrière une série de clichés, un profil, ou un article. Nous sommes face à une personnalisation de l’individu présent sur l’écran, ayant à cet instant une dimension narrative dans la mesure où l’histoire se raconte par elle-même sans que nous la connaissions.

Selon Goffman (1983), « toute interaction est régie par un ensemble de normes »128. Le soi, en ligne, n’est que le résultat d’une « négociation » entre différents « participants » constituant la construction identitaire de l’individu (Coutant, Stenger, 2010)129. L’identité socionumérique est un processus individuel et collectif. En effet, la

128 COUTANT Alexandre et STENGER Thomas. Processus identitaire et ordre de l'interaction sur les réseauxsocionumériques, Les Enjeux de l'information et de la communication Volume 2010/1. Éditions GRESEC, 2010. P 45-64

106 constitution de son profil commence dès son inscription sur un réseau social ou autre plateforme favorisant l’échange, l’interaction entre individus, etc. Au fur et à mesure, le profil apporte davantage d’informations sur les usagers en fonction de leurs activités. L’invention de soi permet à ce dernier de se créer une légitimité, une certaine stabilité ou consistance, vis-à-vis de sa communauté mais également de se démarquer des autres: « La représentation acquiert un caractère distinctif par son alimentation: plus le profil de l’utilisateur comporte des signes, plus la représentation est distinctive ».130

(Stenger, 2001)

Dans un cadre sémio-pragmatique, ces signes peuvent être distingués selon deux critères principaux: « les signes saisis par le sujet » et « les signes valorisés par le dispositif ». Dans cette perspective, les signes saisis par le sujet représentent « l’identité déclarative » de l’utilisateur, elle comporte les centres d’intérêts, le métier, la date de naissance etc. alors que ceux valorisés par le dispositif peuvent être classés en « identité agissante » comportant l’historique de l’utilisateur par exemple, et « identité calculée » revenant au nombre d’amis, nombre de groupes, etc. (Fanny Georges, Antoine Seilles, Guillaume Artignan et Bérenger Arnaud, 2009).131

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Figure 16 : Représentation de soi et l’identité numérique selon Fanny Georges

130 STENGER Thomas. La prescription de l'action collective sur les réseaux socionumériques. Hermès, n° 59, 2011. P 127-133

131 GEORGES Fanny, S E I L L E S Antoin, A R T I G N A N Guillaume e t BÉRENGER Arnaud.

Sémiotique et visualisation del’identité numérique : une étude comparée de Facebook et Myspace. HAL, 2009. En ligne https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00410952/document

107 À l’origine, l’individu agit en fonction des outils qui sont mis à sa disposition par le dispositif Web. Dans la construction de l’identité à travers le web participatif, certains usagers restent très attentifs sur ce qui est publié à leur sujet visant à véhiculer une bonne image d’eux-mêmes. Ces derniers sont vus comme faisant partie de « communautés interactives ». (Cardon, 2008)132

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Selon Alexandre Coutant et Thomas Stenger (2008),133 l’identité socionumérique est un travail de négociation. En effet, les individus sont constamment dans des « modalisations » c’est-à-dire qu’il y a une mise en scène d’une identité donc une construction identitaire en fonction du public, de la communauté. Pour certains, leurs profils constituent une « version améliorée – idéalisée – d’eux-mêmes » qui témoignent de leurs idéaux, de leurs aspirations.

132 CARDON Dominique . Les réseaux sociaux de l’Internet. Dans Réseaux, n° 152, article introductif. Éditions Le Seuil, 2008. P 7-17

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a- L’identité calculée et l’identité agissante de Tania Saleh et Wael Koudeih et leur engagement via les réseaux socionumériques

L’identité calculée de nos deux chanteurs comporte des domaines identifiés sur leurs pages Facebook et Twitter officielles. Ces domaines comprennent sur Facebook le nombre de mention « j’aime » et le nombre de personnes qui « en parlent », et sur Twitter le nombre de « tweets », le nombre d’abonnés et d’abonnement. Ces domaines ne peuvent pas être contrôlés par les deux artistes et nous renseignent sur la fréquence de leur activité et la magnitude de leur base fans symbolisant leur « communauté socionumérique » suivant leurs derniers « posts » sur la toile. Ces informations ont été collectées deux fois, la première fois p e n d a n t le mois d’avril 2014 et la deuxième en septembtre 2014. Cela nous permettra d’identifier l’évolution de ces chiffres sur un intervalle de trois mois. Dans cette même perspective, nous nous baserons sur les statistiques faites par le site tchèque de surveillance et d’analyse des réseaux socionumériques « Socialbakers.com » pour examiner la distribution de la base de « fans » des pages Facebook des deux chanteurs dans le monde, l’évolution de leur base de « fans » globalement dans le monde et localement au Liban, de même pour le nombre de personnes qui « en parlent » pendant le mois d’avril. Similairement, « Socialbakers.com » nous permettra d’observer l’évolution du nombre des abonnés et des abonnements des deux artistes sur la même période.

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Figure 17 : Distribution des fans- Statistiques - Espace de l’identité calculée de Rayess Bek relevé sur Facebook le 8 septembre 2014.

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Figure 18 : Distribution des fans- Statistiques - Espace de l’identité calculée de Tania Saleh relevé sur Facebook le 8 septembre 2014.

111 La lenteur de la croissance de la communauté de Wael Koudeih sur les réseaux socionumériques peut être due à plusieurs variables telles que le manque d’intérêt qu’accorde l’artiste à ce relais, l’appropriation de la langue française non-enseignée dans un nombre d’institutions scolaires libanaises et arabes, ainsi qu’à l’interdiction de ses chansons et d e ses albums dans de nombreux pays arabes. Ces chiffres sont loin d’être similaires à ceux enregistrés sur la page Facebook de Tania Saleh pour qui la plus grande proportion de la base de fans est localisée en Egypte avec un pourcentage de 41.8%, suivie par l’Iraq à 11.6%, la Syrie à 9.2%, la Jordanie à 5.7% et le Liban à 5.4%. Cette grande diversité au niveau de l’origine des fans confirme clairement que Tania est une figure représentative de la région arabe et que l’appropriation de son art n’est pas limitée à la société libanaise. À la différence de Wael Koudeih, la page Facebook de Tania Saleh a enregistré 1145 nouveaux fans pendant le mois d e s e p t e m b r e .

Intéressons-nous maintenant à l’espace de l’identité agissante de nos deux acteurs de terrain. Similairement à l’espace de l’identité calculée, les éléments de cette première ont été relevés uniquement sur les réseaux socionumériques. L'intervalle du temps sur lequel ces informations empiriques ont été recueillies varie en fonction de la fréquence de l'activité de chaque acteur de terrain sur le réseau socionumérique considéré. Ainsi les informations concernant l'activité de Tania Saleh sur Facebook et Twitter ont été collectées entre avril 2014 et septembre 2014. Par contre, et à cause de son activité limitée sur les réseaux socionumériques, les informations concernant Wael Koudeih s'étalent sur toute sa période d'abonnement à chaque réseau, voire dès 19 août 2008 pour Facebook et 17 Décembre 2009 pour Twitter.

Au-delà de son activité restreinte, on remarque que la grande majorité des postes publiés par Wael Koudeih sert à promouvoir ses chansons et ses concerts. Les premiers postes ont été publiés le 25 et le 26 Août 2008 suite à un concert donné par l’Orchestra de Rayess Bek, le 20 août à Casablanca au Maroc. Le premier poste est une vidéo tournée sur scène par Wael Koudeih lui-même. Dans cette vidéo l’artiste demande à ses spectateurs, « Sommes-nous des terroristes? » (Hal nahnou irhabiyin?), en précisant

112 que la réponse doit être entendue à Washington, « Voulons-nous la paix? » (Hal nahna badna l Salam?), « Voulons-nous les droits de l’homme? » (Hal nahna badna hou’ou ‘ el ensen?), une série de questions auxquelles le public répond sur un ton flagrant par « Non! » [nous ne sommes pas des terroristes] et « Oui! » [nous voulons la paix, nous voulons les droits de l’homme]. Dans son discours, Wael Koudeih précise:

« alors M. Georges Bush a dit: « on va balayer les dictatures au Moyen-Orient, on va leur balancer des missiles dans la gueule », et c’est comme ca, c’est comme ca qu’on construit une démocratie, est-ce que c’est comme ca? »

Lorsque son public répond par un non, il leur promet en criant: « je vais envoyer cette vidéo à CNN, à BBC, à Euronews. Je vais leur montrer que les Arabes veulent la paix! Les arabes veulent la paix ». Les spectateurs réagissent en hurlant à plusieurs reprises: « Ressortez! » en faisant allusion aux soldats américains en Iraq. Cinquante mille spectateurs ont assisté à ce concert qui a été dédié aux droits de l’homme. On remarque aussi qu’à cette période, Wael Koudeih avait initié une interaction avec ses fans sur Facebook: il répondait à leurs commentaires, les remerciait pour leur contribution et exprimait son opinion concernant les régimes politiques et religieux dans le monde arabe.

Figure 19 : Interaction entre Wael Koudeih et son public au niveau des commentaires sur ses propres postes.

113 Cependant, cette initiative n’a pas duré longtemps. L e s t r a c e s v i r t u e l l e s d e Wael Koudeih sont absentes sur la toile ; a u c u n e r é a c t i o n s u r des commentaires o u sur ses propres postes, aucune interaction avec son public ne peut-être enregistrée. Cela peut peut-être dû à un changement dans la stratégie de communication avec le public. Comme nous l’avons indiqué précédemment, Wael Koudeih accorde beaucoup plus d’importance à la communication officialisée par les médias qu’à la communication via les réseaux socionumériques. Par ailleurs, sa page Facebook a perdu sa dimension de communication personnalisée et a été transformée en un relais de promotion de concerts et de productions musicales.

Cela devient visible au niveau des postes postérieurs: le deuxième poste publié le 26 août 2008 est un album de 12 photos montrant l’orchestre sur scène.

Wael Koudeih abandonne son activité sur Facebook pendant neuf mois et publie le 14 mai 2009 un lien « Youtube » vers sa nouvelle chanson: « Les Élections » (Al Intikhabet). Cette chanson est sortie avant les élections législatives du Liban qui ont eu lieu le 7 Juin 2009 et fait écho à la question que les Libanais se demandent périodiquement: « Pour qui voterai-je? » (Min badi entekheb?) Pour répondre à cette question, Wael Koudeih recherche une p e r s o n n a l i t é politique qui pourrait l e représenter: un citoyen laïque qui est pour le mariage civil et contre la doctrine religieuse, un représentant politique qui n’est pas de sa confession religieuse et qui sera prêt à travailler pour le développement du Liban. Au cours de ses questionnements, Wael Koudeih dresse l a l i s t e des problèmes sociopolitiques au Liban tels que le manque d’appartenance nationale, le confessionnalisme, la corruption, la détérioration de l’éducation publique et autre…

En revenant sur les comptes virtuels de Rayess Bek sur les réseaux socionumériques, Wael Koudeih poste une annonce résumant ses concerts à venir pendant le mois de septembre, puis une autre, aussi trois mois plus tard, informant ses fans de la prochaine sortie de son nouveau album. Le 8 janvier 2010, il publie un autre lien « Youtube » présentant un « preview » de son nouvel album « L’homme de gauche » dans

114 lequel il déclare: « Je suis un homme de gauche et pro -palestinien ». Sa nouvelle chanson « À qui? » (La min?), s’adresse aux politiciens libanais et leur demande à qui ils mentent et vendent des rêves. Cette activité semble la plus récurrente dans l’historique Facebook de Wael Koudeih. En effet, entre août 2008 et mai 2013 il a publié quarante- deux postes parmi lesquels dix-huit, voire 42,9% sont des liens « Youtube » ou « Soundclound » vers ses chansons disponibles gratuitement en ligne, treize (13), voire 31%, sont des annonces pour des concerts à venir ou une prochaine sortie d’album, deux, 4,7%, annonçant la compétition Rayess Bek Remix, un 2,4% réclamant le droit d’auteur du générique de la série Shankabout qui a gagné le prix Emmy en 2011, un article de presse concernant la guerre en Libye (mars 2011), un renvoyant vers la chanson de Tania Saleh Wehdeh et divers postes par le public. Le nombre maximal de commentaires sur ses postes est de trois, son « preview » de sa chanson « à qui? » a suscité le plus grand nombre de mentions « j’aime »: 42, les autres varient entre 2 et 17. Ses postes sont rarement partagés sur les réseaux socionumériques, partagés par une ou deux personnes au maximum. Les mêmes annonces et liens sont partagés également sur Twitter où nous retrouvons des chiffres comparables.

Tania Saleh à son tour est beaucoup plus active que Wael Koudeih sur les réseaux socionumériques. Similairement à notre premier acteur de terrain, Tania Saleh utilise sa page Facebook pour annoncer ses concerts et les sorties de ses albums, cependant ses postes se différencient par leur sens de convivialité et d’humour. Ainsi, elle utilise des expressions telles q u e :

« je vous attends pour partager mon cadeau » (18 décembre 2012), « rencontrez-moi » (18 décembre 2012), « honorez-nous par votre présence », une expression très commune et conviviale à la libanaise (Sharfouna) (19 décembre 2012). Parfois, elle a même recours au suspense pour annoncer l’arrivée imminente de son nouvel album : “I OFFERED MYSELF A GREAT GIFT THIS SEASON:) AND IT'S COMING SOON:)” « Je me suis offert un magnifique cadeau cette saison :) il

115 arrive prochainement :) » (16 décembre 2012).

En plus, elle publie souvent des statuts promouvant les causes qu’elle soutient telles que collecter des fonds pour les victimes de SIDA et soutenir le projet de loi sur la protection des femmes contre la violence conjugale. Finalement, elle partage des postes qu’elle a appréciés mettant en avant d’autres groupes musicaux et d’autres célébrités libanais faisant partie de la même contre-culture tels que Ziad Al Rahbani et rend hommage à des artistes décédés tels qu’Iman Homsi, « La Dame du qanoun » libanaise. De plus, Tania interagit constamment avec ses fans au niveau des commentaires sur ses propres postes. Ces derniers la complémentent, la soutiennent et l’encouragent à continuer son parcours.

En analysant les réseaux socionumériques de l’identité numérique de ces deux artistes, on remarque que le partage de l’information varie sur le Web. Contrairement à Wael Koudeih, Tania Saleh ne reproduit pas uniquement les mêmes postes partagés sur Facebook que sur sa page Twitter, mais consacre aussi des postes spécialement à ce réseau socionumérique. Ces postes comportent des l iens vers des chansons qu’elle apprécie telles que:

« democracy is coming to the USA » (3 décembre 2012), « Silent night » (25 décembre 2012) et « I belong to you » par Lenny Kravitz (2 février 2013), ses idées et ses opinions personnelles et politiques. Elle invite également ses fans à soutenir d’autres talents artistiques et fournit des liens vers de « bonnes nouvelles » dans le domaine de l’art et de la culture, ainsi que des projets artistiques et des documentaires historiques qu’elle trouve « intéressants ».

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b- L’identité déclarative de Tania Saleh et Wael Koudeih sur les sites officiels et les réseaux socionumériques

Selon Paul Ricœur, l’autobiographie est une forme narrative « porteu[se] de traces d’ipséité ». En effet, pour analyser la composition de l’identité personnelle, Ricœur reconnaît une dualité structurante de cette notion: « l’identité comprise au sens du même (idem) » et « l’identité comprise au sens d’un soi-même (ipse) ». « La différence entre idem et ipse n’est autre que la différence entre une identité substantielle ou formelle et l’identité narrative »134

. Nous nous intéressons à cette structure dans le sens qu’elle accorde à l’ipse ou l’identité personnelle de soi-même conformément à ce que propose Gustavo Gomez-Mejia dans son texte « De l'industrie culturelle aux fabriques de soi, enjeux identitaires des productions culturelles sur le Web contemporain ». Selon lui, « l’ipséité relève davantage d’une compréhension réflexive du temps biographique du sujet par le sujet, déterminée alors par la médiation nécessaire des récits personnels » (Gustavo, 2012).135

Cette notion de réflexivité inscrite dans le temps est aussi adoptée par Anthony Giddens dans sa définition de l’ « identité de soi » [Self-Identity]. Giddens définit le soi comme « un projet réflexif, duquel l’individu est responsable ». (Gidden, 1991).136 Dans cette perspective, l’autobiographie devient le moyen d’inscription de la personne dans des moments de définition et d’actualisation du soi tout en entretenant « un dialogue avec le temps ».137

Ce forgement de l’identité de soi se produit également à travers le « choix » d’un « style de vie » reflétant les éléments de définition d’être et d’un « planning de vie » inscrivant cette définition dans le temps.

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RICOEUR Paul. L’identité narrative. Citation relevée dans De l'industrie culturelle aux

fabriques de soi? Enjeux identitaires des productions culturelles sur le Web contemporain de GOMEZ – MEJIA Gustavo, 2011

135 GOMEZ –MEJIA Gustavo. P 443, Ibid. 2011

136 GIDDENS Anthony. Modernity and Self-identity. Cambridge, Polity, 1991

117 Dans notre étude, cette face de l’identité personnelle s’intègre dans l’identité publique des acteurs de terrain et contribue au façonnement de leurs images comme perçues par le public. Cette première identité est observable à travers plusieurs éléments implicites et explicites de la biographie. Commençons par le choix de la langue. Toute rédaction est un processus de codage réalisé par le biais d’un langage. Seule la connaissance de ce même langage permette le déchiffrage du code élaboré. Dans cette perspective, la langue devient un élément du contexte qui conditionne l’émission et la réception du