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P ROCÈS - VERBAL D ’ AUDITION DE M ONSIEUR S TEPHAN A UERBACH ( MÉDIATEUR / COORDINATEUR ) (20

1) En quoi consiste votre métier concrètement ?

« Pendant 15 ans j’ai travaillé au Service social international (SSI) qui est un réseau mondial d’organisations étatiques ou à but non lucratif et qui détient des bureaux nationaux, il intervient dans les conflits familiaux internationaux, et les thématiques couvertes par les différentes Conventions de la Haye, j’étais médiateur dans ce cadre-là.

Actuellement, je travaille en tant qu’indépendant, je fais partie du Réseau enfants Genève (REG) qui a pour objectif de favoriser la coopération parentale post divorce/séparation. Je travaille également sur une nouvelle association « ScopalE – Séparation et coparentalité autour de l’enfant » qui a pour vocation de changer le paradigme vers un consensus parental. Je suis appelé par le SSI à intervenir de façon ponctuelle dans des médiations, par exemple, en ce moment je travaille dans un cas d’enlèvement entre la Suisse et le Royaume-Uni.

Le but est d’arriver à long terme avec un nouveau dispositif, nous collaborons avec l’État, les juges et les politiques. Le projet devrait démarrer l’année prochaine, il s’agit de projets pilotes dans un but avant tout préventif. On veut apprendre aux parents ce qu’est la coparentalité. »

2) Est-ce que vous faites souvent face à des familles en situation hautement conflictuelle ?

« Oui, en général, le conflit est toujours très élevé. On a souvent des cas appelés

« enlèvement parental d’enfant » où les pères emmènent les enfants dans les pays du Maghreb ou des situations où des mères reviennent en Suisse avec l’enfant depuis l’étranger. Dans le cadre de mon travail j’ai plutôt vu des situations hautement conflictuelles. Mais je n’ai presque jamais eu des parents qui sont dans l’incapacité de dialoguer. Ce sont plutôt des parents qui avaient une façon destructive de communiquer.

Mon expérience montre que si on les accompagne de manière adéquate les parents progressent. Il faut recentrer la discussion sur l’enfant. Nous leur demandons de partager des souvenirs, des photos etc. et on remarque tout de suite que les positions s’assouplissent, les parents se rendent compte que l’autre aime aussi l’enfant. »

3) Quelle est la cause du conflit dans la majorité des cas que vous avez ?

« Les causes peuvent être extrêmement multiples, une des causes peut être la peur d’un parent que l’autre parent parte avec enfant. Mais ça peut être n’importe quoi d’autre, par exemple : l’infidélité, la violence, l’emprise psychologique. Cependant, la majorité des conflits sont autour de l’éloignement de l’enfant d’un parent. »

4) Avez-vous souvent des cas où les parents se disputent une garde alternée ? Ou à l’inverse chaque parent souhaite obtenir une garde exclusive ?

« Il y a un élément de genre là-dedans. C’est assez stéréotypé, mais cela est confirmé dans la pratique. Actuellement, ce sont les pères qui veulent le plus souvent une garde alternée, c’est une vraie tendance. Les mères quant à elles, réclament le plus souvent la garde exclusive. J’ai rencontré des pères qui veulent une garde exclusive, mais plus tard en médiation, on se rend compte que derrière cette position il y a des ouvertures et une souplesse. C’est là qu’on voit le désavantage des procédures judiciaires, qui ont une certaine rigidité. Souvent, si on regarde plus en profondeur en médiation, on se rend compte que le parent réclame une garde exclusive en guise de représailles (à cause d’un

éloignement de son enfant par l’autre parent par exemple), donc en vérité il ne souhaite pas réellement la garde exclusive et n’arriverait pas à l’assurer. Donc les positions sont souvent plus nuancées que l’on ne le pense.

Aujourd’hui il y a une tendance vers les gardes partagées, mais les statistiques montrent qu’elles sont assez peu pratiquées. »

5) Les enfants peuvent-ils participer aux médiations ? Si oui, à partir de quel âge ?

« C’est plutôt rare que les enfants participent. Cela dépend beaucoup des médiateurs. J’ai eu une médiation où un des parents est à l’étranger, donc il a fallu communiquer par Skype, et comme il n’avait pas vu son enfant depuis plusieurs mois, j’ai demandé que l’enfant puisse voir le parent via Skype pendant que l’autre attendait dehors. Certains médiateurs choisissent de faire participer les enfants. Ce qui est le plus courant, c’est qu’une personne indépendante des médiateurs (souvent un psychologue) qui travaille avec l’enfant en question, représente ce dernier durant la médiation, dans le but de décharger l’enfant.

Concernant l’âge je n’ai pas vraiment de réponse, car cela dépend encore une fois des médiateurs. »

6) En tant que médiateur pouvez-vous encourager les parents, lorsque la situation le permet, à réfléchir sur une garde alternée ?

« La méthodologie et posture du médiateur dans la médiation ne prévoient pas de faire des suggestions. Les médiateurs vont questionner les solutions que les parents amènent. Nous faisons un check de la réalité, par exemple si un père veut une garde exclusive, et affirme qu’il a tout préparé etc. Je vais le questionner sur la faisabilité de ce qu’il réclame. Je vais lui demander : comment pensez que ce sera pour votre fille de voir sa mère seulement les weekends ? Qu’est-ce que vous pensez que votre fille souhaiterait si on le lui demandait ? Donc pas de suggestions directes, mais le but est d’amener les parents vers le questionnement. »

7) La garde alternée/partagée est-elle pour vous la solution idéale pour l’enfant et les parents ? Et dans quels cas peut-elle l’être ?

« Parfois la séparation est un vecteur de changements, notamment pour certains pères qui veulent s’investir plus. Le passé n’est pas un élément suffisant pour prescrire l’avenir. Du moins, ce n’est pas compatible avec la posture de la médiation où les parents peuvent essayer de nouvelles méthodes.

La garde alternée n’est pas forcément la solution idéale. Ce qui est idéal selon moi, c’est que les parents se mettent d’accord sur un modèle et l’acceptent tous les deux. C’est également l’idéal pour l’enfant, à savoir, l’absence de conflits et la fluidité des relations.

Je suis assez fortement opposé aux gardes alternées en bas âge sur des longues distances.

Rarement, les parents retiennent des solutions qui ne sont pas dans l’intérêt de l’enfant.

Par exemple, j’ai vu un cas de garde alternée entre le Canada et la Suisse, tous les deux mois pour un enfant en bas âge, c’est à mon avis nocif pour l’enfant. Il faut prendre en considération l’âge de l’enfant, la condition géographique aussi. Il ne faut surtout pas faire porter la charge de la logistique à l’enfant. »

8) Utilisez-vous des méthodes particulières pour favoriser le contact et la coopération entre les parents ?

« On utilise très souvent la méthode dite du « child focus », c’est-à-dire autour du vécu de l’enfant. Il y a différentes techniques. Par exemple, je demande une photo/vidéo de l’enfant, et tout de suite, c’est l’émotion qui monte, les parents se mettent à pleurer etc…donc

quelque chose se passe. Ainsi, les parents, au lieu de se fixer sur la loi ou leur avocat, se rendent compte du rôle qu’ils ont, ce qui permet d’avancer dans le cheminement.

Il y a aussi la technique de la « chaise vide », c’est-à-dire qu’on met une chaise vide durant la médiation, et cette chaise représente l’enfant qui n’est pas physiquement présent.

J’utilise aussi la technique de la projection vers l’avenir, je demande au parent de s’imaginer 10 ans plus tard, et de se demander ce qu’il aimerait se dire dans 10 ans qu’il a bien fait dans le présent. Il s’agit de relativiser le moment présent et de se demander ce que les parents veulent pour leurs enfants. »

9) Pourrait-on imaginer des cours de sensibilisation (au conflit parental) pour les parents ? Les cantons devraient-ils imposer ce genre de moyens préventifs ?

« La prévention est primordiale. On pourrait tout à fait imaginer des cours, les cantons pourraient imposer des médiations ou des mesures de protection de l’enfant, les bases légales existent déjà, mais on pourrait renforcer ces bases légales.

L’idée pourrait être que tous les parents qui se séparent passent par des cours obligatoires, ou ils apprendraient à communiquer de manière constructive autour de la séparation.

Je peux citer un projet dans ce sens-là, il s’agit d’un programme appelé « Kinder im Blick » qui provient d’Allemagne. C’est un programme de cours collectifs, en groupes (environs 12 personnes), pour les parents et sur plusieurs mois. Il s’agit d’un travail personnel des parents sur les besoins de l’enfant et la coparentalité. Plusieurs associations ont adapté ce programme en Suisse. Ce sont des cours que les tribunaux pourraient prescrire aux parents et je ne parle pas exclusivement de la médiation, mais aussi des consultations, avec des interventions interdisciplinaires d’ordre psycho-social. On peut citer l’Australie qui a imposé des centres de consultations aux parents avant de passer devant les tribunaux. Donc il y a une tendance vers ce sens-là. »

10) Comment les parents viennent-ils vers vous/par quels biais se dirigent-ils vers la médiation ?

« Soit par les tribunaux, des services étatiques, ou le Service social scolaire. Il y a différentes associations de médiations à Genève qui offrent des prestations. Parfois les parents se renseignent sur internet. La majorité des parents qui sont au courant, sont ceux faisant partie de la classe moyenne bien instruite et avec un bon niveau de formation. D’un autre côté, il y a toute une partie de la population précaire qui n’en n’a pas connaissance (à cause de la barrière de la langue par exemple). Enfin, il y d’autres parents qui sont déjà incrustés dans un conflit avec avocats.

Donc idéalement il faudrait imposer les moyens préventifs. »

B. Procès-verbal d’audition de Madame Alexandra SPIESS (thérapeute systémique de