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P ROCÈS - VERBAL D ’ AUDITION DE M ADAME A LEXANDRA S PIESS ( THÉRAPEUTE SYSTÉMIQUE DE FAMILLE )

1) Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier ?

« Je suis thérapeute de famille au sein de la fondation As’trame qui existe dans plusieurs cantons romands et qui propose des consultations individuelles et/ou familiales, avec comme problématiques : la séparation, le deuil, la maladie, et toute problématique qui pourrait s’inscrire dans rupture de liens familiaux. On a une approche systémique, on ne fait pas un travail intrapsychique, on privilégie le travail sur la relation. Nous évaluons comment chaque crise ou transition familiale impacte les relations. Parfois, on a des demandes pour les enfants qui peuvent présenter des signes de souffrance, on va voir les parents avant. On travaille avec les enfants sur leurs représentations, l’histoire qu’ils se racontent de leur famille et de la séparation dans une perspective relationnelle, à savoir, comment la séparation a changé les relations au sein de la famille. »

2) Comment les familles viennent vers vous ?

« Nous avons des demandes volontaires, les parents ont entendu parler de nous, dans certains cas, ils nous ont trouvé sur internet. Il y des familles qui sont orientées vers nous, par des professionnels qui sont en premières lignes, c’est-à-dire les pédiatres, les infirmières scolaires, parfois aussi le Service de protection des mineurs. Les familles sont aussi orientées par les tribunaux, à Genève il s’agit du TPAE et du TPI où les thérapies sont exhortées ou ordonnées par le juge.

Il faut savoir qu’on ne fait pas de la médiation. Lorsque les parents sont en procédure, ils ne sont pas en mesure de travailler dans un cadre thérapeutique. Mais lorsqu’on travaille avec eux on leur demande de ne pas utiliser les propos de séance en procédure. »

3) Que pensez-vous de la garde alternée, est-elle selon vous la modalité de garde idéale ?

« Je trouve que le principe de la garde alternée est très bien, à savoir, de permettre à l’enfant de respecter son droit de voir ses deux parents. Cependant, elle ne doit pas être appliquée dans toutes les situations. On doit prendre en compte un certain nombre de facteurs, et pas uniquement légaux. On doit regarder comment s’organisait la vie commune du couple avant la séparation, même si cela ne doit pas prédéfinir la garde après la séparation, car un parent qui ne s’occupait pas de façon prépondérante de l’enfant peut tout à fait s’adapter après le divorce pour s’occuper davantage de l’enfant. »

4) Êtes-vous d’avis qu’une garde alternée devrait être déconseillée pour les enfants en bas-âge ?

« Je ne suis pas favorable à la garde partagée pour les tous petits. Ce n’est pas bon pour la construction de l’enfant et son développement, s’il est tout le temps déplacé, par exemple en allant une nuit chez l’un des parents et une nuit chez l’autre, il perd ses repères. Un petit a besoin de continuité et de régularité. Dans la toute petite enfance, on doit prendre en compte la figure d’attachement principale de l’enfant, c’est la première personne vers qui il se tourne quand un sentiment d’insécurité survient, et souvent il s’agit de la mère. Si les parents parviennent à faire en sorte que l’enfant puisse être fréquemment en contact avec le parent chez qui il ne vit pas, des nuits peuvent progressivement être mises en place, puis des temps plus longs. Surtout, ce qui est important c’est que les deux parents puissent être confortables avec les modalités de garde. Trop d’inconfort c’est le risque de le faire porter à l’enfant.

Je pense que l’âge idéal, pour une garde alternée serait autour des 6 ans. À cet âge les enfants ont un souci d’égalité et de loyauté aux deux parents, ils ont besoin de faire plaisir

à leurs parents et veulent les voir à temps égal, ils sont à l’école primaire donc ils ne sont pas encore trop chargés. Ce qu’on souhaite en cas de garde alternée c’est une bonne communication entre les parents même si elle se passe par email, afin d’offrir à l’enfant une continuité dans le soutien auquel il a le droit. »

5) Demandez-vous aux enfants ce qu’ils pensent personnellement au sujet de leur propre garde ?

« On peut le percevoir dans ce que l’enfant exprime au sujet de la garde. Il est difficile de mettre l’enfant en position décisionnelle car c’est une énorme pression pour lui, et il n’a pas envie de blesser ses parents. On doit prendre en compte les aspects de loyauté. On ne va pas poser la question en tant que telle, à moins qu’il exprime un inconfort chez l’un des parents, là on va lui demander pourquoi et qu’est-ce qu’il préférerait et aussi de quoi il aurait besoin pour pouvoir mieux accepter la décision de ses parents ou celle du juge qui a pris son intérêt en compte.»

6) Utilisez-vous des méthodes particulières lors des thérapies ?

7) « Il ne s’agit pas vraiment de méthodes, car chaque famille est unique, et il faut évaluer les propres besoins de chacune des familles. Certains professionnels séparent les niveaux de couples parentaux et de couples conjugaux. Je crois très fort au fait que pour que la coparentalité puisse s’exercer de manière constructive, elle doit être dépolluée des conflits conjugaux. Il faut que les conflits conjugaux soient travaillés. Si les ex conjoints partent chacun de leur côté avec la certitude que l’autre a bousillé sa vie, ce n’est pas constructif.

Je pense que la reconnaissance est importante, il s’agit d’un axe de travail, et pas d’une méthode. Il est important que chacun prenne sa part pour faire baisser le niveau de rage et le niveau de conflit. Il est très fréquent que les conflits de parents séparés soient des reports de blessures conjugales sur la parentalité. Les parents ont tendance à utiliser les tribunaux dans le but que ces derniers constatent que l’un a manqué à ses obligations conjugales. Le travail coparental est d’abord un travail d’ex-couple. On va soutenir les parents pour qu’ils puissent avoir à nouveau accès à ce qui les a guidés pour fonder une famille ensemble, pourquoi ils ont choisi l’autre, dans le but d’honorer ce qu’ils ont fait dans le passé. Ne pas faire de la terre brûlée du passé commun est essentiel pour l’enfant, pour le sens de son existence.

Avec l’enfant, on travaille sur ses représentations de l’histoire de la famille, comment ses parents se sont rencontrés, mais aussi l’histoire de la séparation pour qu’il puisse grandir.

L’enfant doit se raconter une histoire cohérente, respectueuse et protectrice de son attachement à ses deux parents. C’est l’axe appelé « récit » (intérieur), sur la représentation qu’il a des liens familiaux. Il y a un axe sur les émotions, on aide l’enfants à identifier ses émotions et à les relier à ce qu’il se passe au sein de sa famille ou dans son quotidien. Un autre axe de l’estime de soi aussi qui est parfois mis à mal dans les situations de haut conflit. On travaille aussi sur les rôles, à savoir si la séparation peut amener l’enfant à prendre un rôle particulier au sein de la famille, un rôle de : confident, comptable, juge, messager (très fréquent) et comment cela va l’impacter et impacter ses relations intrafamiliales. On lui demande s’il entend beaucoup de critiques aussi. On le questionne sur les espaces relationnels, c’est-à-dire, l’espace de vie chez le père et la mère, ce qu’il apprécie et ce qu’il n’apprécie pas. On sait aussi qu’un enfant qui va par exemple dépeindre quelque chose de merveilleux chez l’un des parent et quelque chose de diabolique chez l’autre, peut éveiller le questionnement autour d’un processus d’aliénation parentale. »

8) Représentez-vous les enfants lors des médiations ?

« On ne représente pas directement les enfants. En réalité, on est dépositaires du vécu de l’enfant et on va l’utiliser pour amener les parents à mieux soutenir leur enfant et ainsi leur permettre de construire une parentalité qui soit respectueuse du bien de leur enfant.

On va repérer lorsqu’un enfant a énormément de colère et qu’il le dépose auprès d’un parent et pas auprès de l’autre, il va par exemple essayer de protéger le parent le plus fragile. Donc cette colère ne sera pas perçue par ce parent qui va dire que l’enfant ne fait pas de crise chez lui, mais en réalité l’enfant a peur d’exprimer sa colère. Ou il peut y avoir un grand sentiment d’insécurité au moment de la transition (par exemple l’enfant va partir très vite et sans dire au revoir). L’enfant perçoit chez sa mère ou son père la difficulté et la tristesse au moment du transfert, et va exprimer lui aussi cette difficulté en pleurant par exemple. C’est pour cela qu’on va privilégier la transition à la sortie de la crèche ou de l’école pour éviter ce genre de situation.

Parfois l’enfant va nous confier qu’il n’est pas à l’aise chez un parent, mais cela ne veut pas dire qu’il ne veut plus aller chez lui. Donc notre travail n’a rien à voir avec une curatelle. Nous cherchons vraiment à faire exister le vécu de l’enfant dans le travail avec la famille. »

9) Pensez-vous que les cantons devraient imposer des cours à tous les parents afin de les sensibiliser aux conflits parentaux ?

« C’est ce que nous tentons de mettre en place avec l’association « ScopalE – Séparation et coparentalité autour de l’enfant » dans l’idée de construire un module de cours sur la coparentalité. Mais je ne pense pas qu’il faut imposer ce type de cours, car on ne doit pas négliger la grande proportion de parents qui s’en sortent très bien. Cependant, elle pourrait être ordonnée dans certains cas. »

C. Procès-verbal d’audition de la Doctoresse Séverine CESALLI (psychiatre et