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L ES CONDITIONS RELATIVES À L ’ INSTAURATION D ’ UNE GARDE ALTERNÉE

L’absence de règle en matière de garde a conduit à une jurisprudence abondante, les juges examinent ainsi l’éventualité d’une garde alternée en vérifiant toute une série de conditions qu’ils appliquent au cas par cas. Notre Haute Cour, a cependant rendu un arrêt de principe sur la garde alternée30. Si l’ancien droit ne permettait pas l’instauration d’une garde partagée sans l’accord des deux parents31, le droit actuel permet au juge, indépendamment de l’accord des parents, d’examiner si une garde alternée est envisageable à l’aune du bien de l’enfant32. Le bien de l’enfant étant le principe suprême, la garde alternée doit être avant tout compatible avec ce principe (cf. infra ch. 2). L’intérêt des parents est ainsi relégué au second plan. Les critères que nous allons examiner, sont les critères essentiels, dans l’ordre d’importance, que le juge considère à chaque fois qu’il doit trancher sur la question de la garde partagée.

1. Les conditions jurisprudentielles

En premier lieu, le juge examine si chacun des parents dispose de capacités éducatives. Les parents doivent disposer d’une bonne capacité et volonté de communication et de coopération

25 BURGAT, N 49 ; Arrêt du Tribunal fédéral 5C.42/2001, du 18 mai 2001, consid. 3.a, ;Message du Conseil fédéral concernant la révision du code civil suisse (Entretien de l’enfant), du 29 novembre 2013, FF 2014 531, 545.

26 SALZGEBER/SCHREINER, p.68.

27 SÜNDERHAUF/WIDRIG, p. 894. Cf. supra.

28 KILDE, p. 236.

29 SÜNDERHAUF/WIDRIG, note n°60.

30 ATF 142 III 617.

31 Arrêt de la Cour de justice de Genève, du 28 juin 2013, litige sur la garde de leur fille, le père souhaitant l’instauration d’une garde alternée, et la mère refusant celle-ci. La Cour précise, outre, l’incapacité des parents à coopérer, que la garde alternée ne peut être imposée à l’un des parents contre sa volonté, elle attribue la garde de la fille à la mère. Et arrêt du Tribunal fédéral 5C.42/2001, du 18 mai 2001, consid. 3d, refus d’instaurer la garde alternée à cause du refus de la mère.

32 Message du Conseil fédéral concernant la révision du Code civil suisse (Entretien de l’enfant), du 29 novembre 2013, FF 2014 531, 546.

compte tenu des mesures organisationnelles et de la transmission régulière d’informations qu’engendre la garde alternée33. À noter qu’on ne saurait déduire un manque de coopération entre les parents du seul refus de l’un d’eux à vouloir instaurer une garde alternée. En revanche, dans l’hypothèse où les père et mère souhaitent une garde partagée, celle-ci ne sera pas envisageable s’il existe un conflit grave et persistant portant sur des questions liées à l’enfant en raison de l’incompatibilité avec le bien de l’enfant, qui pour rappel, est le l’élément cardinal34. On précisera, que cette première condition est une prémisse nécessaire à l’instauration d’une garde alternée.

Si les parents disposent de capacités éducatives équivalentes, le juge examine dans un second temps, les autres critères d’appréciation qui sont interdépendants. Ces critères sont notamment, la situation géographique et la distance séparant les logements respectifs des parents, la stabilité qu’apporte à l’enfant le maintien de la situation antérieure, à savoir qu’une garde alternée sera attribuée plus facilement si les deux parents s’occupaient de l’enfant à parts égales et de façon alternée durant la vie commune, la possibilité pour chaque parent de s’occuper personnellement de l’enfant, l’âge de ce dernier et son appartenance à une fratrie ou un cercle social déterminé35. Il est également tenu compte du souhait de l’enfant quant à sa propre prise en charge, ce souhait aura une valeur plus ou moins importante en fonction de l’âge de l’enfant et de sa capacité de discernement36. Le poids de chacun des critères cités ci-dessus varie en fonction des circonstances du cas d’espèce. Chez les nourrissons et les enfants en bas âge, les critères de stabilité et de la possibilité pour le parent de s’occuper personnellement de l’enfant pèseront plus lourds que pour un adolescent, pour lequel on accordera plus d’importance à l’appartenance à un cercle social.

Le devoir d’analyser la situation concrète et particulière de chaque famille au regard du bien de l’enfant appartient exclusivement au juge et non au curateur ou à un expert37. Autrement dit, le juge établit, sur la base d’un rapport lui étant destiné et au regard des circonstances du cas d’espèce, s’il convient d’attribuer la garde partagée aux parents ou une garde exclusive à l’un d’eux. Dans l’hypothèse où le juge arrive à la conclusion qu’une garde exclusive serait plus compatible avec le bien de l’enfant, il doit déterminer auquel des parents cette garde doit être attribuée, ceci selon les mêmes critères d’évaluation, avec de surcroît, la capacité de chaque parent à favoriser le contact entre l’enfant et l’autre parent38.

Afin d’assurer une sécurité juridique et surtout d’assurer les intérêts de l’enfant, le tribunal ou l’autorité de protection de l’enfant rédigent une ordonnance en détaillant les modalités de soins, de garde et de relations personnelles.

2. L’intérêt supérieur de l’enfant

La maxime de l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe suprême et reconnu de façon quasi universelle, elle est aujourd’hui utilisée dans de nombreux ordres juridiques comme principe

33 BURGAT/AMEY, p.2.

34 GAURON-CARLIN, p.26 ; ATF 142 III 617 consid. 3.2.3.

35 BURGAT/AMEY, p. 2 ; GAURON-CARLIN p. 24 ; ATF 142 III 617 consid. 3.2.3.

36 BURGAT/AMEY, p. 2 ; GAURON-CARLIN p. 26 ; ATF 142 III 617 consid. 3.2.3. (Pour plus de détails, voir infra, ch. 2.2).

37 GAURON-CARLIN, p.25.

38 ATF 142 III 617, consid. 3.2.4.

cardinal lorsqu’un enfant est impliqué dans une affaire. Nous allons définir cette notion, puis évoquer quelques facettes essentielles de ce principe.

2.1 Définition

L’intérêt supérieur de l’enfant est ancré à l’art. 3 al. 1 CDE39, cette convention est entrée en vigueur en Suisse à partir de 1997. Elle prescrit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions concernant l’enfant.

Le législateur suisse parle du bien de l’enfant (« Kindeswohl ») notion encore plus large que l’intérêt de l’enfant (« Kindesinteresse »), ce dernier n’étant qu’un aspect du bien de l’enfant40. Il s’agit d’un droit constitutionnel (art. 11 al. 1 Cst). Le bien de l’enfant ne peut pas être défini de façon absolue, mais doit l’être en fonction des circonstances et de la personne ou de l’autorité qui doit appliquer ce principe41. Pour les parents, l’éducation de leur enfant doit avoir pour but de réaliser le bien de l’enfant et les mesures à prendre à cette fin doivent également servir ce bien. Pout les autorités, le bien de l’enfant est un critère décisif qui doit primer sur l’intérêt des parents42.

Par ailleurs, l’art. 133 al. 2 CC, ordonne au juge de tenir compte de toutes les circonstances importantes pour le bien de l’enfant. Le Code civil n’en dit pas plus sur ces circonstances, elles ont été explicitées par la jurisprudence du Tribunal fédéral. Ces circonstances importantes sont : les relations personnelles entre parents et enfants ; les capacités éducatives respectives des parents, leur aptitude à prendre soin de l’enfant personnellement ; l’aptitude à favoriser les contacts avec les autres parents ; les intérêts communs de la fratrie ; la stabilité des relations nécessaires à un développement harmonieux des points de vue affectif, psychique, moral et intellectuel43. Le juge doit procéder méticuleusement à cet examen en fonction des circonstances du moment présent, tout en gardant le principe de l’autorité parentale conjointe à l’esprit44.

2.2 L’avis de l’enfant

Au niveau procédural, il faut tenir compte de l’avis de l’enfant afin de respecter le bien de ce dernier. L’audition de l’enfant découle de l’art. 3 al. 1 CDE et est régit par l’art. 12 CDE. Nous avons vu que l’opinion de l’enfant est une condition parmi d’autres45, l’enfant devant être en principe, capable de discernement pour pouvoir être auditionné dans le cadre d’une procédure.

On apprécie la capacité de discernement d’un enfant en fonction d’un acte particulier, suivant la nature et l’importance de cet acte46.

39 Convention relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, ratifiée par la Suisse le 24 février 1997, (RS 0.107).

40 MEIER/STETTLER, N 495.

41HAUSHEER/GEISER/AEBI-MÜLLER, N 15.20.

42 HAUSHEER/GEISER/AEBI-MÜLLER, N 15.20.

43 ATF 142 III 481, consid. 2.7 ; Arrêt du Tribunal fédéral 5A_985/2014, du 25 juin 2015, consid. 3.2.1.

44 MEIER/STETTLER, N 497.

45 Cf. section. B, ch. 1.

46 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, la garde alternée, p. 318.

En droit de la famille la capacité de discernement est fixée à l’âge de douze ans47. Dans toutes les affaires concernant l’autorité parentale et la garde de l’enfant, ce dernier doit être entendu personnellement et de manière appropriée par le juge des mesures protectrices de l’union conjugale ou du divorce, ou l’autorité de protection de l’enfant, ou le tiers qui en a été chargé, à moins que son âge ou d’autres justes motifs ne s’y opposent (art. 314a al. 1 CC et art. 298 al.

1 CPC)48.

Dans la pratique, l’audition de l’enfant est possible dès l’âge de six ans révolus, afin que le juge puisse se faire une idée personnelle, car un enfant de cet âge ne sait s’exprimer de façon totalement autonome en faisant abstraction de facteurs d’influence extérieurs49. Cette audition de l’enfant ne signifie cependant pas qu’il faut directement lui demander s’il préfère vivre auprès de son père ou de sa mère50. Ce dernier point est critiqué par PRADERVAND-KERNEN, à juste titre à notre sens, car c’est précisément pour son attribution que l’enfant est interrogé, donc pourquoi ne pourrait-on pas directement lui poser la question ? Sans pour autant considérer ses dires comme l’expression libre de sa volonté et les exécuter51.

Notre Haute Cour a affirmé que « si un enfant capable de discernement refuse de manière catégorique et répétée, sur le vu de ses propres expériences d’avoir des contacts avec l’un de ses parents, il faut les refuser en raison du bien de l’enfant ; en effet, face à une forte opposition, un contact forcé est incompatible avec le but des relations personnelles ainsi que les droits de la personnalité de l’enfant »52. Dans ce sens, le Tribunal fédéral confirme le fait que le Tribunal administratif ait accordé un poids prépondérant à la volonté clairement exprimée d’une jeune fille, capable de discernement, de vouloir vivre avec sa sœur ainée chez le concubin de leur défunte mère plutôt que d’aller vivre avec son père53.

À Genève, l’enfant ne serait que rarement entendu par le juge. En effet, l’audition de l’enfant est le plus souvent déléguée au Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale (SEASP). C’est par le biais du rapport de ce service, que le juge est informé sur la situation de la famille. Toutefois, si le juge veut entendre l’enfant, il va en informer les parents et l’enfant sera convoqué par une ordonnance adressée au parent gardien, puis une lettre adressée directement à l’enfant54. L’enfant est informé sur le fait que ses déclarations ne forment qu’un élément du dossier et que le juge seul décidera des modalités du droit de garde, et qu’il a le droit de refuser de s’exprimer55. Suite à l’audition, un procès-verbal est dressé et envoyé aux parents avec accord de l’enfant, si l’enfant n’est pas d’accord, un résumé est rédigé sur la base de notes confidentielles du juge, et transmis au parent56.

47 PRADERVAND-KERNEN, p. 343.

48 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, la garde alternée, p. 318-319.

49 PRADERVAND-KERNEN, p. 349. Cette limite d’âge n’est pas absolue, le Tribunal fédéral a jugé non arbitraire qu’un tribunal renonce à entendre une nouvelle fois des enfants âgés de cinq et sept ans, alors qu’ils avaient déjà été interrogés pour une expertise psychologique (Arrêt du Tribunal fédéral 5P.322/2003, du 18 décembre 2003, consid, 3.2).

50 ATF 131 III 553, JdT 2006 I 83 ss, consid. 1.2.2.

51 PRADERVAND-KERNEN, p. 349.

52 Arrêt du Tribunal fédéral 5A_459/2015, du 13 août 2015 consid, 6.2.2.

53 ATF 144 III 442.

54 THORENS-ALADJEM, p. 172.

55 THORENS-ALADJEM, p. 172.

56 THORENS-ALADJEM, p. 172.

2.3 La représentation de l’enfant

Nous préciserons, en guise de remarque préliminaire, que l’enfant dispose d’un statut particulier (sui generis) dans le cadre d’une procédure de divorce, il n’est pas partie au procès, il possède le droit d’être auditionné et représenté, sous réserve d’être capable de discernement57.

L’art. 12 al. 2 CDE prévoit que l’enfant doit pouvoir être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative le concernant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, et ce en compatibilité avec les règles de procédure du droit national. Cet article garantit à l’enfant le droit de donner son avis dans le litige qui le concerne, mais ne lui donne pas le droit de former des conclusions propres comme pourrait le faire une partie à la procédure58.

En ce qui concerne notre droit national, en règle générale, selon l’art. 304 al. 1 CC, le mineur est représenté par ses représentants légaux, à savoir par les parents détenteurs de l’autorité parentale, sous réserve d’un conflit d’intérêts. Dans un tel cas, l’art. 306 al. 2 et 3 CC exclut la représentation de l’enfant par les parents. La CEDH précise « qu’en cas de conflit d’intérêt entre les parents et les enfants, il soit désigné un tuteur ad litem ou un autre représentant indépendant chargé de représenter les points de vue de l’enfant et d’informer celui-ci du contenu de la procédure »59.

Suite à la réforme sur le droit du divorce, est apparue une disposition légale qui assurait la représentation de l’enfant lorsque de justes motifs l’exigeaient (art. 146 al. 1 ancien CC)60. Le régime actuel est plus large, car les art. 299 ss CPC et 314abis CC prévoient que l’autorité compétente doit ordonner la représentation de l’enfant si nécessaire et désigner le représentant.

Il faut distinguer les cas qui relèvent de l’appréciation du juge, des cas dans lesquels la représentation doit être ordonnée61. En bref, dans le premier cas, il s’agit des situations énumérées à l’art. 299 al. 2 CPC, la nomination d’un représentant n’est donc pas automatique, mais dépend du pouvoir discrétionnaire du juge. En outre, l’art. 314abis CC énonce les cas où l’autorité de protection de l’enfant doit instituer une curatelle de procédure. Dans le deuxième cas, on parle de représentation impérative, en vertu de l’art. 299 al. 3 CPC, il s’agit des cas où un enfant capable de discernement manifeste la volonté d’être représenté. Le mineur capable de discernement peut agir seul ou par le biais de son représentant s’agissant des droits relevant de sa personnalité (au sens des art. 19c al. 1 et 305 al. 1 CC)62, la garde ou encore les relations personnelles font partie de ces droits.

En pratique, le tribunal ordonne une curatelle si les conclusions des parents divergent sur l’autorité parentale, l’attribution de la garde ou de droits de visite. Enfin, précisons que les frais d’honoraire du curateur sont assumés par les parents63.

57 HELLE, commentaire BOHNET/GUILLOD, N 30.

58 PRADERVAND-KERNEN, p. 353.

59 CourEDH, 2 février 2016, affaire N.TS et Autres contre Géorgie, n° 71776/12, par. i.

60 STETTLER, p. 58.

61 PRADERVAND-KERNEN, p. 354.

62 ATF 120 Ia 369, consid. 1.

63 THORENS-ALADJEM, p. 173.