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D ÉBATS ACTUELS EN S UISSE

La Suisse observe avec grand intérêt la pratique des pays optant pour la médiation et la consultation, comme l’Australie et le Québec, ou encore le projet de Dinant. Plusieurs conseillers d’état ont poussé le Conseil fédéral à améliorer la procédure déjà existante en matière de conflits familiaux dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation, pour mieux préserver l’intérêt de l’enfant.

D’abord en 2015, l’interpellation de Madame Viola AMHERD194 au Conseil national, pointait du doigt l’effet de l’absence d’une convention parentale sur le bien de l’enfant. Pour rappel, la réforme du 1er juillet 2014 a supprimé l’obligation pour les parents non mariés de soumettre à l’autorité de protection de l’enfant une convention pour obtenir l’autorité parental conjointe195. Le Conseil fédéral a indiqué qu’il n’existe aucun registre sur l’autorité parentale ni sur les déclarations remises au sens de l’art. 298a CC. Il a aussi précisé qu’il était encore trop tôt pour déterminer les conséquences de la révision intervenue en 2014 et a estimé qu’il fallait attendre au moins cinq ans pour constater les effets.

Trois ans plus tard (2018), c’est Monsieur Konrad GRABER, membre du Parti démocrate-chrétien, qui dépose une interpellation « favoriser le bien de l’enfant grâce à des procédures de médiation lors de conflits familiaux »196. Il indique que la Suisse peut optimiser ses méthodes de médiations lors des séparations conflictuelles, en donnant l’exemple de l’Australie et

191 MARIQUE/SACREZ, p. 25.

192 MARIQUE/SACREZ, p. 27.

193 MARIQUE/SACREZ, p. 32.

194 Interpellation Amherd 15.3730, « Absence de convention parental. Conséquences pour le bien de l’enfant », du 19 juin 2015.

195 Cf. p. 3.

196 Interpellation Graber 18.4191, « Favoriser le bien de l’enfant grâce à des procédures de médiation lors de conflits familiaux », du 12 décembre 2018.

d’autres pays. Le Conseil fédéral dans sa réponse, précise entre autres, que les offres de conseil familial sont de la compétence des cantons et des communes. Il indique qu’il suit avec grand intérêt les systèmes mis en place à l’étranger, mais il n’estime pas nécessaire de mettre sur pied un projet pilote puisque certains cantons suisses sont en train de tester des modèles de collaboration interdisciplinaire et l’obligation de participer à une médiation.

En 2019, Monsieur Stefan MÜLLER-ALTERMATT dépose un postulat cette fois-ci : « Moins de conflits en lien avec l’autorité parentale. Mesures en faveur de l’enfant, de la mère et du père »197. Ce postulat chargeait le Conseil fédéral d’évaluer les pratiques cantonales en matière de médiation en cas de conflits dans les familles séparées, mais aussi d’analyser l’efficacité des différents instruments (visites accompagnées, séances de conseil, mesures de contrainte, etc.) sur les conflits parentaux et le bien de l’enfant. Ensuite, le Conseil fédéral propose si nécessaire, des modifications législatives et procédurales, sur la base de ces analyses et de la pratique observée depuis l’entrée en vigueur du nouvel article 298 CC sur l’autorité parentale conjointe.

Le Conseil fédéral affirme qu’il est utile de mettre en place un système uniformisé qui empêcherait que l’enfant ne soit instrumentalisé pendant les périodes de conflits entre les parents.

Suite à ce postulat, le Conseil fédéral, sans prévoir une révision globale de la procédure, a jugé bon d’apporter des modifications ponctuelles en matière de droit de la famille. Il propose simplement que les procédures contentieuses dans ce domaine soient soumises à la procédure simplifiée lorsque la procédure sommaire n’est pas applicable198. La modification vise les procédures contentieuses de divorce, mais aussi toutes les procédures indépendantes concernant les enfants et leur entretien. Celles-ci seront régies par la maxime inquisitoire et la maxime d’office. Comme évoqué par le Conseil fédéral, le changement n’est pas flagrant. Sans entrer dans les détails, les procédures indépendantes (non matrimoniales) sont déjà régies par la procédure simplifiée, sur la base de l’art. 295 CPC, une procédure de conciliation est obligatoire (197 CPC)199. En revanche, la procédure sommaire s’applique en matière d’enlèvement d’enfant (302 al. 1 let. a CPC), sous réserve des dispositions procédurales de la LF-EEA et les Conventions de la Haye sur la protection des enfants et des adultes200.

On constate que le Conseil fédéral ne dit rien sur la médiation et les règlements à l’amiable des conflits dans ce domaine. Nous en déduisons, par sa réponse au postulat de Monsieur MÜLLER -ALTERMATT et son Message, que le Conseil fédéral n’est pas près d’harmoniser la pratique des cantons sur les règlements amiables des conflits parentaux, du moins dans un avenir proche, et encore moins d’imposer la médiation avant la saisine d’un tribunal dans ce domaine précis.

VII. Conclusion

Le premier constat que nous pouvons tirer, c’est le manque de clarté sur la définition de la garde partagée et alternée. La distinction qu’a fait le Conseil fédéral dans son message entre la garde partagée et la garde alternée a fait plus de mal que de bien, si on peut le dire ainsi, car elle n’est

197 Postulat Müller-Altermatt 19.3503, « moins de conflits en lien avec l’autorité parental. Mesures en faveur de l’enfant, de la mère et du père », du 9 mai 2019.

198 Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code de procédure civil suisse (amélioration de la praticabilité et l’application du droit), du 26 février 2020, FF 2020 2607, 2627.

199 MEIER, p. 48.

200 MEIER, p.49.

pas assez marquée à notre avis. La preuve, elle a été abandonnée par la doctrine et par les tribunaux, qui utilisent les deux notions comme équivalentes. Par ailleurs, nous partageons le point de vue de la Doctoresse CESALLI, sur la connotation que le mot « garde » peut avoir. Ce mot n’est pas approprié à notre sens. Premièrement, parce qu’il fait penser au fait d’avoir un objet sous sa garde, et deuxièmement, parce qu’il fait accroître, en cas de conflit entre les parents, l’envie de vouloir la « gagner » à tout prix. La notion de « shared parenting » nous paraît plus adaptée, car elle n’évoque pas le lieu de vie de l’enfant (résidence/hébergement) ou encore l’« appartenance » de l’enfant à l’un ou l’autre parent (garde). Au fond, ce qui est partagé entre les parents, en cas de séparation, c’est le rôle parental, à savoir les soins, la prise en charge et les tâches éducatives. Donc pour exprimer cela, nous pourrions tout à fait imaginer utiliser la notion de « parentalité partagée » (une traduction possible de la notion anglaise), au lieu de la garde.

Le même constat peut être tiré s’agissant du taux de partage, mais cette fois-ci c’est entre la doctrine et les tribunaux que la pratique diverge. Les tribunaux, contrairement à la doctrine, ont tendance à prôner un partage (une alternance) strict par moitié, et n’ont pas l’air favorables à une garde alternée avec partage asymétrique. Or un partage 50/50 est très compliqué en pratique et peu suivi. La doctrine majoritaire considère déjà un partage de la garde avec un taux de 30%

de taux d’occupation d’un parent, à juste titre à notre sens, puisqu’à partir du moment où l’enfant passe une nuit, voire plusieurs chez un parent, il ne s’agit plus d’une simple visite, car l’enfant a besoin de ses affaires (brosse à dent, pyjama, vêtements, etc.) au domicile de ce parent, il y a une communauté de vie, et donc cela correspond à la définition même de la garde partagée. Ainsi, nous ne comprenons pas la réticence des tribunaux à ordonner des gardes alternées asymétriques, qui correspondraient au final, à la définition du Conseil fédéral de la garde partagée (avec jours de prise en charge plus ou moins variables). Cette divergence entre la pratique des tribunaux et la définition donnée par la doctrine nécessiterait une harmonisation à notre sens.

Au premier abord, il est étonnant de constater que la garde partagée soit si peu pratiquée en réalité puisqu’elle semble être le compromis idéal. D’abord pour l’enfant, qui garde un contact régulier avec ses parents, puis pour les parents, qui peuvent combiner vie de parent avec vie professionnelle. En analysant plus en profondeur, nous constatons que la société n’est pas encore tout à fait à l’aise avec ce mode de garde. Les mentalités restent globalement assez conservatrices en Suisse en ce qui concerne le droit de la famille. En principe, la loi s’adapte et change avec l’évolution de la société et des mœurs. Or ici, il semblerait que le législateur a quelque peu devancé la société, en voulant encourager la garde alternée, alors que la population suisse ne semble pas encore tout à fait prête. Pour qu’une garde partagée se répande davantage dans notre société, il faut avant tout qu’elle s’établisse au sein du couple. Une garde alternée n’est en réalité idéale que dans les couples où l’éducation de l’enfant est partagée entre les parents, et ce avant la séparation. La garde partagée est en outre sensible aux conditions sociales et économiques des parents.

Finalement, la situation exceptionnelle que nous vivons aujourd’hui prouve à quel point il est important de responsabiliser les parents sur leur rôle parental. Avec la crise pandémique du Covid-19, les gardes alternées/partagées ont été mises à mal, dû aux mesures de quarantaine et de confinement. En l’absence de toute recommandation du Conseil fédéral pour les parents pratiquant une garde alternée/partagée, certains parents ont décidé de modifier totalement le rythme afin d’éviter une propagation du virus d’un foyer à un autres, d’autres au contraire n’ont

rien changé201. Le meilleur moyen d’éviter la panique et la confusion que ce genre de situation extraordinaire engendre, mais aussi dans les circonstances ordinaires, c’est de s’y préparer et pour les parents, cela passe par la prévention, l’information et la sensibilisation. Plus les parents sont conscients de leur rôle, plus nous pouvons espérer que l’intérêt de l’enfant sera sauvegardé.

C’est pourquoi, nous sommes persuadés que les cours sur la parentalité seraient un outil fortement efficace. Ces cours devraient être diffusés et encouragés davantage.

Il est regrettable, à notre sens, que la pratique sur la mise à disposition d’offres de conseils pour les familles ne soit pas harmonisée au niveau national. Certaines familles profitent des prestations (cours, conseils de professionnels) si leur canton/commune les proposent (par exemple, Kinder im Blick dans certains cantons en Suisse alémanique). Dans les cantons où de telles offres n’existent pas, les familles se voient privées de telles aides.

Enfin, concernant la procédure, le projet de Dinant est remarquable à notre avis, puisqu’il vise une célérité de procédure, notamment en cas de rupture de lien entre l’enfant et un parent. Les différentes caractéristiques de ce projet, soit : la pluridisplinarité, la célérité de procédure, les formalités simplifiées (requêtes pré-formulées), l’effort consacré à trouver un règlement amiable avant toute procédure, et le paradigme en général, font que le bien de l’enfant est encore mieux préservé. Pourquoi la Suisse ne pourrait-elle pas s’inspirer de la philosophie de ce projet pour son propre système procédural ?

201 La Côte et le Temps.

Annexes

A. Procès-verbal d’audition de Monsieur Stephan AUERBACH (médiateur/coordinateur)