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C ONDITIONS SOCIO - ÉCONOMIQUES DE LA GARDE ALTERNÉE

Nous tenterons, à l’aide d’études menées dans d’autres pays ainsi que des statistiques suisses de montrer quels facteurs sociaux et économiques peuvent favoriser la garde alternée ou au contraire être nuisibles à ce type de garde.

1. La garde alternée est-elle contrindiquée chez les enfants en bas-âge ?

Une garde alternée pour les enfants en bas-âge (nourrissons) reste controversée. Globalement selon les chiffres, plus l’enfant serait jeune et plus il resterait avec sa mère. Nous allons tenter de comprendre pourquoi ce sujet reste polémique.

Tout d’abord, il est évident que l’enfant en bas-âge a besoin de repères, il a besoin de stabilité et de continuité, cela a été affirmé par les trois professionnels que nous avons interrogés121. La Doctoresse CESALLI (psychiatre et psychothérapeute d’enfants et d’adolescents), nous a expliqué que plus l’enfant est jeune et plus sa mémoire est courte, ainsi, si les séparations sont trop longues il ne se souviendra plus de la personne122. Elle ajoute, qu’une séparation d’une semaine pour un bébé avec l’un de ses parents est déjà risquée. Pour savoir à quelle fréquence un nourrisson doit voir chaque parent dans l’idéal, elle applique la règle suivante : l’enfant ne doit pas être séparé de ses figures d’attache plus de jours qu’il n’a d’année(s). Pour illustrer cela avec un exemple, un bébé de deux ans ne devrait pas être séparé de ses parents plus de deux jours. En d’autres termes, dans l’hypothèse d’une garde exclusive à la mère avec un droit visite élargi pour le père, ce dernier doit avoir contact avec son bébé de deux ans tous les deux jours.

Les longues séparations sont aussi risquées pour le parent, le plus souvent il s’agit du père, car

120 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, la garde alternée, p. 306.

121 Cf. Annexes.

122 Annexes, section C, ch. 4.

les enfants grandissent très vite et le père risque de ne plus savoir comment s’occuper de son enfant et un fossé peut se créer.

AlexandraSPIESS (thérapeute systémique de famille) nous a confié qu’elle n’est pas favorable à une garde alternée pour les enfants en bas-âge, car cela pourrait nuire à leur développement.

Stephan AUERBACH (médiateur/coordinateur) est du même avis, mais dans les cas d’une distance géographique importante. En France, certains pédo-psychologues et psychiatres estiment que la résidence alternée serait nocive pour les jeunes enfants, avant six ans, en s’appuyant sur le fait qu’une séparation trop longue d’un bébé avec sa mère aurait un mauvais impact, cet impact ne serait pas aussi important lorsque le bébé est séparé du père123.

La Doctoresse CESALLI à l’inverse, soutient le fait que le bébé doit avoir plusieurs figures d’attache, les parents en premier lieu, mais aussi les grands-parents ou les beaux-parents qui peuvent jouer un grand rôle124. Pour elle, une garde alternée chez les nourrissons est tout à fait envisageable, par exemple le père de l’enfant le récupère à la crèche en sachant que la mère l’a allaité juste avant. Cela demande certes une organisation accrue, mais les parents doivent faire des sacrifices dans l’intérêt de leur enfant. Elle soutient que dans les pays scandinaves, plus égalitaires que la Suisse, la garde alternée est très pratiquée chez les nourrissons et ces derniers ont un très bon développement.

En somme, il y a deux écoles, les professionnels soutenant le risque d’un mauvais développement chez le nourrisson en cas de garde alternée et ceux, qui à l’inverse pensent qu’il est crucial que le bébé ait des contacts fréquents avec ses deux parents. Bien évidemment, une garde alternée avec un nourrisson demande une bonne entente entre les parents et une proximité entre leurs domiciles respectifs. Cela dépendra par-dessus tout de leur volonté organisationnelle.

2. La garde alternée/partagée : un mode de garde onéreux

Il est évident que le divorce a des conséquences financières importantes pour les père et mère et s’accompagne dans la majorité des cas d’une diminution du pouvoir d’achat de la famille125. La garde alternée peut de surcroît, engendrer des efforts d’adaptation importants aux couples fraichement séparés. Chaque parent doit pouvoir assurer ce mode de garde tant au niveau financier qu’au niveau de la disponibilité en temps. Les parents voient tous leurs frais fixes doublés : deux logements séparés, deux sets d’ameublement, des frais de transport, loisirs, vêtements, des jouets, parfois du matériel scolaire à double126. Raison pour laquelle, la garde partagée reste envisageable si le nombre d’enfants n’est pas élevé (maximum deux enfants), plus le nombre d’enfant est élevé plus sa pratique diminue. C’est pourquoi les parents sont encouragés à vivre à proximité afin de faciliter le quotidien de l’enfant et le leur.

L’enfant doit pouvoir avoir une chambre à lui chez chacun de ses parents127. Idéalement, il devrait pouvoir bénéficier du même espace dont il disposait avant la séparation de ses

123 NEYRAND, p. 38.

124 Annexes, section C, ch. 5.

125 BODENMANN, p. 84.

126 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, rapport, p. 62.

127 CESALLI, p. 208.

parents128. Nous retrouvons cette exigence dans un arrêt cantonal129, le père requiert une garde alternée, ce que la Cour lui refuse faute d’espace chez lui pour accueillir convenablement ses deux enfants. Le juge estime que « le logement actuel de 2.5 pièces de A. n’est pas vraiment adéquat pour accueillir D. et C. plus souvent pour dormir. Vu leurs âges respectifs, ils ont besoin d’intimité et d’espace, ce qui ne peut leur être apporté chez A. puisqu’ils partagent une chambre et que leur père dort dans le salon. »130. Cette condition matérielle n’est pas citée expressément dans la loi, pourtant elle est vraisemblablement examinée par les juges.

Il faut dire que cela reste difficile de garantir à l’enfant exactement le même espace qu’il disposait dans le logement familial, même dans les familles aisées. En France par exemple, on constate dans une grande majorité des cas, que l’un des parents reste dans le logement initial (le plus souvent la mère), tandis que l’autre déménage dans un appartement plus petit131. Lorsque c’est la mère qui trouve un nouvel appartement, celui-ci est en général plus petit en surface que si c’est le père qui fait cette même démarche132. Cependant, le déménagement dans un lieu plus réduit ne signifie pas que l’espace dédié à l’enfant sera automatiquement plus petit, sous réserve d’une remise en couple133.

3. La garde alternée réservée aux classes sociales moyennes et aisées ?

Comme évoqué, il semblerait que la garde partagée soit d’avantage pratiquée dans les classes moyennes voire aisées. Ceci s’expliquerait principalement par deux facteurs, d’abord la bonne intégration des mères dans le marché du travail, et le niveau élevé d’études (études supérieures) des père et mère.

Concernant le premier facteur, les femmes qui ont un niveau d’éducation supérieur tendent à maintenir un taux élevé d’activité professionnelle, cela même après avoir donné naissance à leur enfant134. Même si ces mères décident de ne pas retrouver leur travail tout de suite après la naissance de leur enfant, elles ont de meilleures chances de réinsertion à l’avenir grâce à leurs études. Elles seront aussi plus disposées à assurer les coûts de prise en charge de l’enfant après un divorce. Cette corrélation entre la bonne insertion de la femme dans le marché du travail et la garde partagée existe aussi en France, où la garde alternée concerne surtout les classes moyennes et supérieures bi-actives135. Les femmes et les hommes appartenant aux professions intermédiaires, cadres et professions intellectuelles supérieures, sont surreprésentés dans les consentements mutuels136. Ce même rapport a été démontré par des études canadiennes, ou la garde partagée est préférée lorsque père et mère sont bien insérés professionnellement137. La garde alternée est donc plus attractive pour les mères qui font carrière138.

128 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, rapport, p. 62.

129 Arrêt du Tribunal cantonal de Fribourg, du 23 mars 2018, Cour de protection de l’enfant et de l’adulte, (106 2018 18), consid, 3.3.

130 Arrêt du Tribunal cantonal de Fribourg, du 23 mars 2018, Cour de protection de l’enfant et de l’adulte, (106 2018 18), consid, 3.3.

Un niveau d’étude supérieur chez les père et mère va de pair avec la garde alternée. Les pères avec un niveau d’études élevé seraient plus impliqués dans la vie familiale avant la séparation que les pères issus de milieux populaires139. Des études réalisées dans l’état du Wisconsin aux États-Unis, attestent que les pères ayant un haut niveau d’études et des ressources suffisantes préfèrent la garde alternée140. Ces pères seraient plus compétents aux yeux de leur conjointe pour s’occuper des soins liés aux enfants, à l’inverse des milieux populaires, où ces tâches sont perçues comme exclusivement féminines141. Cette perception des femmes sur la capacité de leurs conjoints à s’occuper de l’enfant est aussi démontrée au Canada142. Il est logique que lorsque les deux parents travaillent et ont un emploi stable, la garde alternée est le meilleur moyen de concilier la vie de parent avec la vie professionnelle.

Ce qui se dégage de ces facteurs, c’est qu’une coparentalité143 avant la séparation est primordiale. En effet, lorsque les père et mère assument à parts quasi égales, les soins et tâches éducatives liées à l’enfant – tout en ayant une activité professionnelle – en se faisant confiance mutuellement, la garde alternée assure une continuité dans la prise en charge de l’enfant et n’impose pas d’énormes changements pour les père et mère.

4. Vers une égalité des genres ?

Jusqu’aux années quatre-vingt, la relation mère-enfant, a été privilégiée par le Tribunal fédéral, en particulier pour les enfants en bas-âge144. Quelques années plus tard, le Tribunal fédéral a nuancé ceci, en affirmant que la relation mère-enfant n’avait pas un caractère absolu et qu’il fallait retenir la solution qui était la plus à même d’assurer l’intérêt de l’enfant145. Depuis plusieurs années maintenant, il y a une tendance législative vers une coparentalité égalitaire et ceci dans de nombreux pays. Certes, la garde alternée a séduit certains parents comme les politiques, mais la garde exclusive confiée à la mère reste encore la solution la plus retenue146. De nombreux facteurs y sont pour quelque chose, d’abord les mentalités qui mettent du temps à évoluer, les parcours de vie genrés et l’insertion différenciée sur le marché du travail147. Les statistiques suisses montrent que les tâches domestiques et les soins aux enfants reviennent principalement à la femme et dans 60% des ménages c’est également la femme qui s’occupe des tâches ménagères148. Si nous regardons de plus près les différentes tâches liées aux enfants assumées par les mères, nous constatons que ce sont elles qui : restent à la maison quand les enfants sont malades (73,9%), aident les enfants à faire les devoirs (54,5%), habillent les enfants ou vérifient qu’ils sont bien habillés (64,5%)149.

139 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, la garde alternée, p. 322.

140 BARTFELD, p. 11.

141 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, la garde alternée, p. 322.

142 JUBY/LE BOURDAIS/MARCIL-GRATTON, p. 159.

143 Le terme coparentalité désigne « l’ensemble des relations que les adultes en charge d’un enfant établissent ou maintiennent l’un avec l’autre en vue de le socialiser et d’en prendre soin ».

COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE, rapport, p. 8.

144 STETTLER, p. 50.

145 STETTLER, p. 50.

146 Annexes, section A, ch. 4.

147 COTTIER/WIDMER/GIRARDIN/TORNARE rapport, p.63.

148 OFS 2019.

149 OFS 2019.

En Suisse, les trajectoires professionnelles féminines sont majoritairement modelées par la vie familiale, contrairement aux parcours de vie masculins, peu perturbés par les contraintes familiales150. Les statistiques confirment ces propos puisque, quelle que soit leur situation familiale, le taux d’activité des hommes est de 90% ou plus151. Pour une grande majorité de femmes, devenir mère va de pair avec des taux d’activité de moins de 70% ou une inactivité professionnelle152.

Cette dichotomie liée au genre apparaît aussi dans les volontés et les ressentis des parents. Les pères demandent d’avantage une garde alternée153 contrairement aux mères, qui elles préfèrent une garde exclusive. En pratique, on observe que le parent non-gardien (le plus souvent le père) voit les contacts avec son enfant diminuer après la séparation154. Parfois cela va même jusqu’à un désengagement de ce dernier au fil du temps155. Nous comprenons donc pourquoi les pères, craignant un éloignement avec leur enfant, souhaitent d’avantage une garde alternée. Les mères quant à elles voient les choses d’un autre œil, notamment dans les ménages où la répartition des tâches est inégalitaire (mère qui travaille à temps partiel ou ne travaille pas et père qui travaille à temps plein ou presque). Étant celles qui s’occupent de façon prépondérante des enfants, et estimant qu’elles sont seules en mesure de s’occuper de l’enfant, l’instauration d’une garde partagée est vue comme une injustice et une non-reconnaissance de leur compétence156. Force est de constater qu’en Suisse, en présence d’enfants, la majorité des ménages fonctionne avec un système dit semi-traditionnel, la femme travaillant à temps partiel et l’homme à temps plein. Les aménagements sociétaux restent inégalitaires en Suisse avec des places de crèches très limitées et un congé paternité quasiment nul. Nous citerons une phrase de l’étude interdisciplinaire sur la garde alternée qui a retenu toute notre attention pour sa pertinence : « il est illusoire, voire dangereux, de se diriger vers un modèle égalitaire contraignant de prise en charge des enfants par les parents après la séparation, sans avoir au préalable rendu compatible à ce projet les conditions cadres nécessaires, telles qu’une politique de la petite enfance généralisée et des aides familiales orientées vers tous les types de familles »157. Alors par quels moyens pouvons-nous tendre vers une prise en charge égalitaire afin que la garde alternée prenne tout en sens ? C’est ce dont nous traiterons dans le chapitre qui suit.