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A chaque épisode de crise financière se pose, inévitablement, la question de savoir si l’on a affaire à une situation d’insolvabilité (incurable sans recapitalisation) ou d’illiquidité temporaire nécessitant un assouplissement des conditions de refinancement obtenues par les banques auprès de la banque centrale. Force est de constater que la distinction est peu aisée en pleine crise et qu’au final la distinction importe peu quand il s’agit de prévenir la formation d’un risque systémique. Toutefois, si de manière générale, on craint qu’une crise d’illiquidité ne dégénère en crise d’insolvabilité ; dans le cas de la crise des subprimes, c’est l’insolvabilité des emprunteurs subprimes qui a entraîné une formidable crise d’illiquidité des instruments structurés contenant des tranches de crédits subprimes. Il n’a plus été possible de valoriser ces instruments et par là même de continuer à les échanger. Le doute planant sur les porteurs ultimes de risques subprimes parmi les banques ayant investi massivement dans ces instruments, la crise d’illiquidité a gagné l’ensemble du marché interbancaire.

Les troubles financiers actuels semblent ainsi davantage résider dans les problèmes de liquidité que dans les problèmes de solvabilité. A cet égard, on peut convenir que les dispositifs d’adéquation des fonds propres sont parvenus à élever durablement le niveau de solvabilité des banques. En dépit de leurs imperfections, ces dispositifs ont fait des exigences de solvabilité un critère incontournable d’appréciation des performances bancaires dont le marché s’est saisi. Ce faisant, les gros apporteurs de fonds sont devenus aussi voire plus exigeants que les autorités de supervision elles-mêmes en matière de solvabilité. Rien de tel, en revanche, en matière de liquidité.

Comme le rappelle Charles Goodhart, à l’inverse de la tendance observée au niveau des ratios de fonds propres, la proportion d'actifs liquides dans les bilans des banques n'a cessé de baisser (17).

(17) – Charles Goodhart cite en particulier le cas des banques britanniques : « Comme l’a souligné Tim Congdon (Financial Times, Septembre 2007), dans les années cinquante, les actifs liquides représentaient en général 30 % de l’actif total des banques de dépôts britanniques et se composaient, dans une large mesure, de bons du Trésor et de titres publics à court terme. Actuellement, ces avoirs correspondent à 0,5 % environ et les actifs liquides traditionnels à quelque 1 % du passif ».

Bien sûr cela s'explique en partie par la titrisation qui permet de rendre liquide ce qui au départ ne l'est pas, et par l'approfondissement des marchés financiers permettant de « liquider » avec plus de facilité des actifs de long terme. Cependant, cela traduit aussi le fait que la gestion du risque d'illiquidité n'a pas suscité (en tout cas pas encore) la même attention que celle du risque d'Insolvabilité, au niveau des superviseurs comme à celui des banques. La gestion du risque d'illiquidité fait l'objet de dispositions réglementaires anciennes, différentes selon les pays, et n'avait pas mobilisé l'attention des superviseurs depuis longtemps. En France, par exemple, le dernier règlement applicable date de 1988 et soumet les banques à un coefficient de liquidité d'au moins 100 % entre leurs actifs facilement mobilisables (crédits à court terme, bons du trésor et titres de créances négociables, une fraction des obligations et des actions cotées sur un marché officiel français ou sur un marché organisé étranger ... ) et leurs exigibilités à court terme (une fraction des comptes à vue et à terme, des titres de créances négociables…).

La gestion encadrée du risque de liquidité repose, essentiellement, sur deux moyens d'action : limiter la transformation d'échéances en exigeant des banques qu'elles adossent une certaine proportion à définir de leurs passifs à des actifs de même maturité, d'autre part augmenter la part des actifs liquides ou facilement négociables. Un arbitrage existe entre ces deux leviers puisqu'en accroissant la part des actifs liquides, la transformation peut être plus grande et que, à l’inverse, en réduisant la transformation, on réduit aussi le besoin en actifs liquides. Ainsi que le fait remarquer Goodhart, il existe à ce niveau un important besoin d’investigation empirique : comment mettre un chiffre unique devant la transformation d'échéance, comment rendre mesurables et donc comparables les positions de liquidité des banques, comment fixer la relation entre les deux ?

Jean-Charles Rochet (2008) défend, quant à lui, l'idée de conditionner les exigences de liquidité au niveau de solvabilité des banques, dans la lignée de la « prompt corrective action » (18) aux Etats-Unis. En temps normal, il s'agirait de soumettre les établissements à un ratio simple et uniforme et d'exiger des établissements sous-capitalisés un supplément de liquidité.

En cas d’exposition à un choc macroéconomique de grande ampleur (perspective macro-prudentielle), il faudrait en revanche aller plus loin et convenir d’une politique de refinancement au cas par cas conduite par la banque centrale en étroite association avec les autorités de supervision pour contrôler et évaluer finement l’exposition de chaque banque.

(18) – Mesure d’intervention rapide auprès des banques sous-capitalisées, introduite aux Etats-Unis à partir de la réforme du FDIC en 1991 (Federal Deposit Insurance Corporation’s Improvement Act).

L’une des propositions de Dominique Plihon et de Michel Castel va, également, dans le sens d’une politique de refinancement individualisée : ils suggèrent de passer d’une enveloppe globale de refinancement à des enveloppes individuelles par groupes bancaires, différenciée selon le type d’actifs présentés par la banque. En tout cas, le défi empirique est grand puisque cela implique de mesurer l’exposition aux chocs macroéconomiques (généralisation des stress tests) et leurs conséquences en termes de liquidés, de connaître les facteurs de liquidité propres à chaque groupe, de mesurer le coût social de la fourniture de liquidité par la Banque Centrale, etc…

Conclusion.

A l’évidence, les fonctions de la banque sont importantes et sources de sa responsabilité spécifique. La réglementation bancaire internationale en matière de protection contre le risque de crédit a eu pour cadre le comité de Bâle.

La gestion du risque de liquidité s’impose aussi comme le nouveau grand chantier de ce dernier, eu égard à la “crise des subprimes”.

En effet, celui-ci a désigné un groupe de travail qui a remis, en février 2008, un premier rapport pour souligner les enjeux et les pistes des mesures à prendre. La tâche est importante car il faudra parvenir à concilier des pratiques nationales très hétérogènes.

Le Comité de Bâle avait, paraît il (Goodhart. 2008), déjà tenté de parvenir à un accord sur la gestion du risque de liquidité dans les années quatre-vingt. Il semble qu'il fut alors obligé de se concentrer sur l'accord d'adéquation des fonds propres. Sans doute faudra-t-il du temps pour parvenir à un accord sur l'ajustement des besoins de liquidité et qu'une fois l'accord finalisé, l'innovation financière aura de nouveau défié le régulateur sur d'autres chantiers.

Faut-il le déplorer et vouloir brider l'innovation financière ? Cela reviendrait à briser aussi la dynamique du système financier et dans le même temps le ressort qu'il constitue pour l'économie réelle. En revanche, il serait utile de faire à nouveau porter la réflexion au niveau de l’organisation des dispositifs de supervision. La multiplicité des autorités de tutelle fait obstacle à une adaptation plus rapide de la réglementation. Cette multiplicité s'explique, d'une part, par la définition nationale des dispositifs de supervision alors que l'échelle des activités financières ne l'est plus et, d'autre part, par des dispositifs de supervision encore spécialisés par métiers (ce qui implique autant d'autorités que de métiers au sein d'un même pays) dans beaucoup de pays alors que ces métiers sont intégrés au sein des groupes bancaires et financiers.

Les réseaux de comités de concertation (19) ont eu beau s’étendre pour faciliter la coopération des superviseurs, il est loin d’être certain qu’ils se substituent efficacement à une réforme structurelle de la supervision touchant à son organisation institutionnelle (quelles autorités pour quels métiers ?) et géographique (à quelle échelle trans-nationale définir les responsabilités des autorités). A moins de revoir les statuts de ces dits comités, tout au moins à l’échelle européenne, et d’en faire ce qu’ils ne sont pas encore, de véritables instances de réglementation.

(19) – Au niveau international : le Comité de Bâle (1974), l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (1983), l’Association Internationale des Contrôleurs d’Assurances (1994). Au niveau européen : le Comité Européen des Contrôleurs Bancaires (2004), le Comité Européen des Régulateurs de Marchés de Valeurs Mobilières (2001), le Comité Européen des Contrôleurs des Assurances et des Pensions de Retraite (2003), etc.