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Quelle relation banque – entreprise ?

Les relations banque – entreprise font l’objet de multiples analyses, réactions et discours. Ces relations revêtent une importance d’autant plus grande qu’elles mettent en présence deux partenaires d’un poids économique non négligeable (106).

Le banquier, par sa contribution au financement de l’entreprise, par sa participation éventuelle dans le capital, occupe une place centrale dans le système de gouvernance. Mais la nature des rapports qu’il va entretenir directement avec le dirigeant et avec les actionnaires le place souvent en situation d’influencer les décisions d’investissement et de politique financière. Ainsi, dans l’esprit des dirigeants, le banquier est perçu de manière très différente :

· Le banquier : un mal nécessaire. La relation de l’entreprise avec sa ou ses banques est souvent considérée comme risquée, générant un sentiment de méfiance partagée. Elle est porteuse d’une certaine ambiguïté qui peut se résumer par la remarque souvent entendue du côté du banquier : « lorsque tout va bien pour l’entreprise, celle-ci n’hésite pas à mettre en concurrence les banques, mais lorsque des difficultés apparaissent le dirigeant sollicite un soutien plus affirmé ». Pour le dirigeant de la PME, le banquier constitue une contrainte et un recours incontournable, ce qui alimente parfois un sentiment de résignation. Il a ainsi l’impression de n’être perçu que comme un « risque » finançable ou pas. Son sentiment est que tant que son entreprise se porte bien il n’y a jamais de problèmes avec son banquier. Mais lorsque sa situation se complique, le soutien attendu n’est pas au rendez-vous. De même, les grandes entreprises, dès qu’elles réalisent des profits, cherchent le plus souvent à réduire leur endettement. La relation apparaît ainsi dominée par l’opportunisme de chacun des acteurs dans une logique client-fournisseur. Dans cette optique, la coopération est limitée, voire inexistante, avec comme seule perspective pour le dirigeant de minimiser le coût et les contraintes liées au financement.

· Le banquier : un contre-pouvoir du dirigeant. Dans le cadre de la politique financière, la présence forte de la banque dans le passif de l’entreprise la conduit naturellement à gagner en influence dans le processus de prise de décision. Celle-ci s’exerce principalement dans deux types de situation.

Tout d’abord, lorsque le banquier est un actionnaire. Dans cette situation, il en possède les prérogatives et, par sa présence dans le conseil d’administration, il est en mesure de

(106) – Siham Bikorbane, Université Montesquieu, Bordeaux IV, IRGO et Isabelle Maque, Université de la Rochelle, Institut de gestion, IRG, Cf. Eric Lamarque, « Management de la banque », opcit, p. 115 et s.

contrôler le dirigeant. Il possède ainsi une information privilégiée qui ne lui est pas accessible quand il est simple créancier. Lorsqu’il s’agit d’une entreprise de taille plus modeste, la présence du banquier au capital est possible au travers de ses filiales de capital-investissement. Il a été clairement observé que celui-ci avait un droit de regard et surtout un droit d’amendement sur les projets développés par les entreprises qu’il soutenait. Ensuite le banquier, en tant que prêteur, exerce son influence sur le dirigeant et son conseil d’administration lorsque la situation de l’entreprise devient très risquée. Pour les plus petites structures, la situation est du même ordre. Face à un risque de faillite avéré, et sachant que la banque ne sort jamais sans dégâts d’un processus de liquidation, celle-ci contraint le dirigeant à prendre les mesures nécessaires pour redresser la situation.

· Le banquier : un allié du dirigeant. Dans le système de gouvernance, le dirigeant occupe une position charnière entre les actionnaires et les autres parties prenantes. Dans cette position, parfois inconfortable, il est à la recherche d’alliés pour exercer un contre-pouvoir face aux propriétaires (actionnaires). Le banquier constitue alors un recours possible. Pour que les actionnaires ne soient pas une nouvelle fois sollicités lors de la recherche de nouveaux financements, le recours aux banques apparaît comme une bonne alternative qui semble satisfaire l’ensemble des acteurs de la politique financière. Le dirigeant diversifie les sources de son financement et il peut ainsi mieux maîtriser le coût du capital de l’entreprise. Les actionnaires sont satisfaits de ne pas être sollicités de nouveau et considèrent, dans un premier temps, que le recours au financement bancaire obligera le dirigeant à gérer convenablement son entreprise (au moins pour assurer le remboursement du banquier). Si l’entreprise est de bonne qualité, le banquier trouvera un débouché sûr pour son offre de crédit avec une marge bénéficiaire. Cette perspective favorable se traduit souvent par une hausse du cours de bourse lors de l’annonce du recours au financement bancaire par une société cotée.

La vision du banquier comme partenaire est présente, également, chez certains dirigeants de PME qui constatent parfois que sans le soutien d’une banque ils n’auraient pas pu mener à bien leur projet. Ils conviennent assez bien également du rôle important du banquier lors d’opérations complexes (développement à l’international, introduction en bourse, financement complexe …).

Par conséquent, les économistes se sont depuis longtemps interrogés sur la manière dont ces agents coordonnent leur activité. Ces relations sur les continents européen et américain recouvrent les disparités importantes dues, notamment, à la diversité des structures économique, politique et

sociale des différents pays, aux niveaux inégaux de la concurrence et à la plus ou moins grande importance de la dimension financière et bancaire.

En effet, dans certaines économies, les acteurs refusent de s’engager dans une relation durable pour conserver la liberté de choix quant aux opportunités futures. L’adaptation à l’incertain s’effectue au fur et à mesure des événements qui surviennent. Autrement dit, ce type de contrat, dit « discret » ou « transactionnel », possède deux avantages pour les parties contractantes : d’une part, l’incertitude environnementale étant forte, le contrat à court terme, flexible, permet la réversibilité des engagements. La banque comme l’entreprise peuvent décider à tout moment de cesser la relation, en cas d’irruption d’événements non anticipés. D’autre part, un contractant dupé par un comportement opportuniste de la part de l’autre contractant (non respect de l’engagement initial) peut sortir rapidement de la relation sans que son désengagement entraîne des coûts irrécupérables. Dans ce cas, la banque diversifie sa clientèle et l’entreprise ses sources de financement.

Or, l’évolution des relations d’échange semble avoir amorcé une inflexion. Ces évolutions sont la traduction d’une orientation plus relationnelle de l’échange (Kumar, 1996) qui opère ainsi une mue : d’un état transactionnel et statique, il se métamorphose pour prendre un caractère relationnel et dynamique (MacNeil, 1978 ; Dwyer, Shurr et Oh, 1987). En effet, le rôle des banques a poussé les entreprises à concentrer leurs efforts et leurs ressources sur l’établissement de liens relationnels durables. En outre, la prolifération des services bancaires, à côté des contrats de crédit, a conduit à complexifier la relation et donc les contrats liant les deux acteurs.

Comme l’explique McNeil (1978), le contrat classique soulignait que l’échange était transactionnel et séparé de toutes les relations passées et futures. Les parties ne sont pas concernées par la transaction, le but de l’échange est à court terme, spécifique et limité au contenu de la transaction à un point donné dans le temps. Tous les événements ou conflits imprévisibles sont résolus à travers des règles légales et externes et la conclusion du contrat est liée à l’échange des biens. Désormais, l’approche par les contrats ne suffit pas à gouverner les échanges, spécialement, sur le long terme.

Les parties s’engagent souvent à long terme, dans des échanges coopératifs et interactifs où la relation est importante et où l’on s’attend à ce qu’elle génère dans le futur des bénéfices mutuels. Les contrats relationnels représentent le pôle opposé des contrats transactionnels et sont caractérisés par des relations personnelles, une communication relativement dense et extensive et des éléments significatifs d’une satisfaction personnelle non économique.

Il est important de souligner que c’est la “répétition dans le temps des relations de crédit entre une banque et un emprunteur” qui donne la naissance à la relation de long terme entre les deux agents. Dans la suite (Chapitres 3 et 4), nous parlerons, indistinctement, de « relations de long terme banque – entreprise », de « relations de crédit de long terme », ou, encore, de « relations de clientèle ».

Deux systèmes traditionnellement opposés illustrent ces deux approches : les pays anglo-saxons où le système bancaire est qualifié de transactionnel et dans lesquels les marchés financiers sont extrêmement développés et l’Allemagne ou le Japon où le système bancaire est qualifié de relationnel et dans lesquels les marchés financiers sont beaucoup moins développés. Cette opposition permet d’étudier deux systèmes bancaires, l’un où les relations sont peu développées et l’autre où ces mêmes relations sont très développées et importantes. Face à ces deux pôles, une voie intermédiaire est-elle possible ? Ne faudra-t-il pas plutôt regarder au sein de chacun des acteurs les modes d’organisation permettant d’optimiser cette relation ?

Notons que pour la doctrine (107) à côté du modèle relationnel il existerait, plutôt, le modèle de la banque à l’acte.

Elle considère que le modèle de la banque à l’acte illustre une relation contractuelle limitée dans le temps. Il est de plus en plus présent en France où les banquiers subissent une certaine dispersion des entreprises. Ces dernières, et les PME en particulier, souffrent, aujourd’hui, de la restriction ou de la sélectivité accrues dans l’octroi de crédits. L’absence de stratégie coopérative et ses conséquences négatives pour les deux parties se traduisent régulièrement par des conflits.

Les entreprises reprochent aux banques de ne pas connaître suffisamment leur activité et de refuser certains crédits par une mauvaise appréciation de leurs spécificités ainsi que de manquer de clarté dans leur tarification. Les reproches des banques traduisent le manque d’informations sur la santé ou l’activité des entreprises et les comportements conduisant certaines à ne faire appel à elles qu’en cas de difficultés. La caractéristique de ce modèle est donc le risque de rétention d’informations. Aucune des parties n’est vraiment assurée de la coopération de l’autre et la méfiance qui en découle a tendance à renforcer les pratiques individualistes. Les implications se font sentir au niveau de l’organisation de la banque (organisation par produit, filiales spécialisées) et sur les pratiques de maîtrise des risques (procédures standardisées, scoring, diversification des risques, recherche de sûretés réelles).

(107) – Monique Zollinger, Eric Lamarque, « Marketing et Stratégie de la Banque », Dunod, Paris, 2004, p. 255 et 260.

Section I