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1.3 Instruments sociolinguistiques et ethnographiques dans la collecte de données

1.3.5 De Retour du terrain

Le retour de terrain est une phase cruciale pour la gestion, la conservation et la protection des

données recueillies. Dans le cas où, comme dans notre étude, le terrain est éclaté en plusieurs

voyages et plusieurs périodes, la gestion systématique des matériaux recueillis est très

importante. Aujourd’hui, les chercheurs ont à leur portée plusieurs moyens de stocker des

données qui demeurent accessibles en tout lieu et de manière sécurisée.

Le retour du terrain peut signifier l’arrêt définitif du recueil des données et le début du

dépouillement et de l’analyse. Dans notre cas, nous avons continué de recueillir des données

28

Ibid., p. 33.

29

sur les pratiques langagières familiales par le truchement de la Toile ; nous développerons cet

aspect dans le point suivant. Nous aborderons aussi les outils d’analyse employés à notre

retour du terrain dans le dépouillement et le traitement des données. Nous ferons de notre

mieux pour expliciter au maximum les informations collectées sur le terrain et celles qui sont

venues ensuite, lors de la rédaction de cette thèse, dans la mesure où elles peuvent être

cruciales et pertinentes pour notre recherche et qu’elles complètent et enrichissent nos

analyses.

1.3.5 (i) Plateforme de réseaux sociaux

Avec l’apparition sur la Toile de plusieurs sites dédiés aux réseaux sociaux, les chercheurs

s’intéressent désormais à ce terrain jadis inconnu. Les réseaux sociaux fournissent quantité

d’informations sur l’identité et l’expression des personnes participant à une enquête (Boyd et

Heer, 2006). Dans notre cas, cela a prolongé de manière infinie notre terrain d’enquête pour

l’analyse des pratiques langagières. Le fait de suivre certains de nos participants sur les

réseaux sociaux permet de compléter nos informations sur leurs pratiques langagières, mais

également sur les aspects identitaires et d’attitudes qui nous intéressent.

Certains membres des familles étaient présents sur la plateforme Facebook. Nous leur avons

demandé la permission de devenir leur ami

30

, ce qui permet d’avoir accès à leur profil et de

pouvoir communiquer, partager des commentaires, des photos, des vidéos et des informations

diverses. Les quatre enfants suivis par ce moyen sont (i) le deuxième enfant de la

FAM A

(ii)

les deux premiers enfants de la

FAM B

et (iii) la fille ainée de la

FAM D

. Les autres enfants sont

aussi inscrits sur Facebook, mais nous ne sommes pas en contact avec eux. Nous avons aussi

commencé à suivre les parents qui ont un compte Facebook. Il s’agit des parents de la

FAM C

(le père et la mère y sont très actifs depuis 2007) et le père de la

FAM B

(inscrit depuis 2008).

Nous consultons les profils des enfants et des parents depuis 2007 pour les

FAM A, B

et

C

,

alors que les enfants de la

FAM D

sont suivis depuis 2008.

Les informations figurant sur la page du profil des utilisateurs signalent de plusieurs façons

leurs orientations langagières avec leurs contacts, leur biographie et leurs centres d’intérêt.

Les commentaires postés par eux ou par leurs amis donnent des informations sur les variétés

30

Le terme ami est un terme générique qui signifie que l’on a le droit de rentrer dans le réseau social d’un individu inscrit sur

des langues qu’ils utilisent sur leurs murs

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. Différentes langues sont utilisées par nos

participants en fonction de leurs interlocuteurs et de leur compétence linguistique sur un

thème abordé.

Nous partons du principe que les renseignements mis par nos participants sur leur compte

Facebook sont conformes à leurs pratiques et attitudes langagières effectives, car l’image

qu’ils veulent donner d’eux-mêmes et les informations qu’ils communiquent sont toujours

susceptibles d’être vérifiées dans la vraie vie, et la critique sociale se trouvant décuplée par le

biais des réseaux sociaux. On peut faire l’hypothèse très plausible que nos participants vont

communiquer avec leurs contacts dans la langue qu’ils utilisent avec eux dans la vie réelle. En

ce sens, Facebook permet de vérifier en partie les déclarations faites sur l’emploi des langues

par les participants dans les questionnaires et dans les entretiens.

1.3.5 (ii) Triangulation

La triangulation est un outil d’analyse fréquemment utilisé par les ethnographes après la

collecte de données et qui sert à authentifier les informations recueillies en les soumettant à

une sorte de contre-interrogatoire. Par triangulation, Moran-Ellis et al. (2006 : 47) entendent

que « comparing findings from two or more different research methods enables the

researcher to conclude whether an aspect of a phenomenon has been accurately measured ».

Plus loin, ces auteurs soulignent « this claim rested on the assumption that if different

research methods produced similar results about a phenomenon then accurate measures had

been used. In contrast, if they produced divergent results, one or more of the measurement

instruments were flawed (Campbell et Fiske, 1956) ».

Les données font donc l’objet de vérification dans une démarche de corroboration pour tester

à la fois la fiabilité des méthodes employées et la validité des résultats. Nous avons pu vérifier

une partie des informations sur le terrain en comparant les données obtenues par divers outils.

Par exemple, le père de la

FAM D

déclare que sa femme a obtenu un diplôme de master en

histoire alors que celle-ci déclare qu’elle a arrêté ses études au niveau de la licence. Dans le

même foyer, les parents déclarent se parler en suédois à la maison, mais leur fille ainée

signale qu’ils ne se parlent qu’en pendjabi. En interrogeant plusieurs membres de la famille,

on peut obtenir des données plus fines et plus précises sur les pratiques et attitudes

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linguistiques. Les données obtenues par questionnaires et par entretiens peuvent donc être en

contradiction les unes avec les autres. Selon Duff (2008 : 144), « such disjunctions themselves

can be important findings ».

Pour Hammersley et Atkinson (2007 : 184), « even if the results tally, this provides no

guarantee that the inferences involved are correct. It may be that all the inferences are

invalid, that as a result of systematic or even random error they lead to the same, incorrect,

conclusion ». Ils préconisent l’emploi de cette méthode pour choisir les inférences les plus

pertinentes à partir des données. Autrement dit, cette méthode sert également comme grille de

lecture pour évaluer l’efficacité et donc la validité de chaque instrument employé dans le

cadre d’une enquête de terrain. L’ethnographie permet d’explorer plusieurs méthodes en vue

de produire des données où chaque outil livre certaines informations.

1.3.5 (iii) Member-Checking

C’est une méthode semblable à la triangulation qui consiste à faire analyser et vérifier les

interprétations dérivées du recueil des données par les participants eux-mêmes. D’après Gall

et al. (2005) cité par Duff (2008 : 171), « member checking is a procedure used by qualitative

researchers to check their reconstructions of the emic perspective by having field participants

review statements in the researchers’ report for accuracy and completeness ». Nous avons

utilisé cette technique auprès de nos enquêtés lors du dépouillement des données et lors de la

préparation des communications scientifiques que nous avons présentées dans de nombreux

colloques ou soumises à des revues scientifiques. Mais Duff rappelle que cette analyse est

effectuée avec la coopération des participants, ceux-ci devront posséder « the cognitive and

linguistic maturity, technical sophistication to understand some kinds of analysis, and

sufficient language proficiency, time, and reflexivity, or draft reports ». Nos participants, en

l’occurrence les parents avec lesquels nous avons mis en oeuvre cette technique, ont tous eu

un parcours universitaire à l’exception de la mère dans la

FAM B

. Ils ont les compétences de

réflexion nécessaires pour participer également à l’analyse des données recueillies.

Les textes des versions préliminaires des communications ont été envoyés par courriel à tous

les parents, à l’exception de ceux de la

FAM D

. Celle-ci s’est excusée de ne pas pouvoir

participer à cette méthode de contrôle par manque de temps. La

FAM A

n’a pas répondu à

notre courriel. Le père de la

FAM B

s’est intéressé à nos textes et il les a lus attentivement. Il a

envoyé ses commentaires qui nous ont été utiles. Au domicile de la

FAM C

, le père ne nous a

pas répondu. La mère a manifesté son intérêt et a émis son opinion sur les pratiques

langagières de sa famille, apportant ainsi des renseignements complémentaires. Ces deux

informateurs ont été particulièrement contents de voir le progrès dans le processus de

l’analyse des données et la contribution tangible de leur participation dans le domaine

scientifique.

Nous signalons toutefois que cette méthode peut être risquée comme le rappelle Duff, « if . . .

the participant does not like or disagrees with the analysis, chooses to withdraw from the

project based on what is shown, or wants to edit or censor his or her original contributions

substantially to leave a more favorable impression »

32

. Avant de communiquer nos propos à

nos participants, nous savions que nous courions ce risque. Dans la mesure où nous montrions

sans tabou la présence de plusieurs langues et variétés dans les répertoires verbaux de nos

participants, nous ne savions pas comment ils allaient réagir en découvrant leur image

projetée de cette manière. L’usage des variétés des langues, de l’est ou de l’ouest de l’Inde, a

été attesté plusieurs fois lors de l’enquête de terrain, mais thématiser la présence de ces

langues auxquelles ne sont pas assignées des valeurs de prestige pouvait surprendre les

participants. Dans ce sens, nos propos rejoignent ceux de Duff abordés plus haut. Nous avons

eu la chance de pouvoir utiliser cette méthode auprès de nos participants sans qu’il y ait un

désaccord entre nous et sans qu’il y ait de demande de modification de nos données. Il

convient de souligner cependant que parmi les huit parents auxquels s’adressaient ces

communications, seuls deux étaient prêts à coopérer avec nous de cette manière ; nous avons

donc peut-être échappé aux réticences des autres participants.

32

1.3.5 (iv) Transcription des données et réalisation d’un corpus

Ces familles étant plurilingues, chaque membre a généralement employé plus d’une langue

lors de la collecte des données, toutes méthodes confondues. Nous allons nous appuyer sur le

codage manuel de LIDES

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(2000) pour la transcription des conversations entre participants.

Ce guide, nous semble-t-il, est le plus approprié pour transcrire les données bi- voire

plurilingues propres à la communauté indienne migrante. Le logiciel Transana

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, qui a pour

but de transcrire, d’analyser et d’organiser les données, est notre outil principal. Ce logiciel

n’étant pas gratuit, nous avons transcrit une grande partie des conversations en version

d’essai.