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économiques de l’environnement font partie de ces dispositifs théoriques et pratiques destinés à fournir un « cadrage marchand » plus efficace 70

II. L’interdisciplinarité pour revenir à la question fondamentale de l’articulation entre environnement, économie et démocratie

II.3. Retour réflexif : du cadrage aux débordements ou d’une norme à l’autre ?

Cette posture critique qui dénonce le cadrage normatif de la MEC n’est pas réductible aux vieilles et persistantes oppositions entre économie et sociologie. En premier lieu, si l’économie standard a certaines prédispositions pour le cadrage, la sociologie n’échappe pas à cette tentation. En dénonçant le cadrage marchand normatif de l’économie, la sociologie peut lui substituer une autre forme de cadrage qui évacuerait toute dimension économique au profit de considérations uniquement symboliques et sociales.

En second lieu, dénoncer le caractère normatif du cadrage au profit d’un principe d’exploration des débordements, n’est-ce pas, implicitement au moins, substituer une norme à une autre ? On aboutit là à une bien vaste question qui se pose à tous les niveaux de l’expérience sociale et scientifique. Comment échapper aux normes existantes autrement qu’en produisant de nouvelles normes ? Du point de vue de l’expérience sociale, la sociologie américaine a brillamment montré comment les groupes déviants, c'est-à-dire ne se confortant pas aux normes dominantes, créent leur propre code de conduite, en d’autres termes, leur propre norme (Voir, par exemple, Becker, 1963). Il en est de même pour la pratique scientifique.

Avec la formule « cadrage marchand », on utilisait la grille de lecture de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991). Toutefois, l’expérience a montré que les contre-propositions théoriques de ces auteurs qui voulaient rompre avec une sociologie du dévoilement considérée comme normative81 ont pu être l’objet d’utilisations et de transpositions abusives où les « cités » appliquées en calques constituaient de nouveaux référents normatifs. De même, lorsque la « sociologie de la traduction » propose une analyse symétrique en mettant en cause les dualismes normatifs qui opposent objet et sujet, savoirs scientifiques et savoirs profanes, nature et culture, n’est-elle pas porteuse d’autres normes ? La diffusion au sein de la communauté scientifique et chez les acteurs de terrain de notions comme celle de forum hybride, proposée par M. Callon et A. Rip (1992), laisse parfois penser que l’exploration des débordements prend aujourd’hui des airs de nouveau Thelos. S’il est difficile de concevoir un paradigme qui ne soit pas porteur implicitement au moins d’un projet de société, il conviendrait toutefois de circonscrire au mieux les concepts scientifiques à leur rôle d’outils d’analyse.

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Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991) écrivent à ce propos : « la sociologie, quand elle a la prétention de démasque r les faux-semblants ou les idéologies, peut être ramenée à l’activité ordinaire des acteurs quand ils cherchent à dévaluer une forme de justification pour en faire valoir une autre. ».

Conclusion

Constat est fait que la MEC ne prend en compte les débordements que pour mieux les cadrer. Le cadrage marchand qui est appliqué consiste en effet en un contrôle constant des processus sociaux et cognitifs à l’œuvre au cours de la construction des valeurs concernant l’environnement. A l’inverse, à l’occasion des enquêtes contingentes, nous plaidons pour une d’exploration des « débordements » qui concernent les discours tenus par les individus sur la nature, l’argent, la justice, l’équité, la démocratie, etc. La question est maintenant de proposer des protocoles d’enquêtes qui répondront au mieux à l’objectif qui vise à cerner les liens entre environnement, démocratie et économie. On peut, par exemple, utiliser le consentement à payer comme un artefact méthodologique, comme un stimulus qui n’aurait d’autre fonction que de provoquer des réactions et argumentaires chez les acteurs sociaux interrogés. On peut aussi s’inspirer de la démarche suivie par J. Burgess et al. (1985) qui, à l’issue d’une évaluation contingente, amenait les personnes interrogées à débattre ensemble de la façon dont chacun avait compris telle question, de la justification des réponses apportées, des interrogations suscitées par telle question, etc. Une chose est sûre, ce type de recherche appelle à un travail interdisciplinaire, sans autant prétendre ni à un illusoire comblement des oppositions épistémologiques entre nos deux disciplines, ni à la création d’une « méta-discipline ».

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