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Aucune science n’étant encyclopédique, l’économie environnementale (néoclassique) néglige le caractère socialement construit de la politique environnementale en partant de faits environnementaux observés. Corine Gendron détaille les manières de remédier à cette défaillance afin d’obtenir une approche non plus exclusivement économique mais socio-économique de l’environnement en arrimant deux approches sociologiques au champ de l’environnement : l’approche régulationniste, généralement étudiée hors des questions environnementales et l’analyse actionnaliste.

Les rapports sociaux, dans leur évolution dynamique, permettent alors de tirer des conclusions qui ne pourraient être démontrées ou déduites d’une analyse économique seule. On y découvre, entre autres, que le « steady state » est davantage idéologique qu’envisageable, que les dirigeants d’entreprises voient davantage l’internalisation des coûts comme un rapport de force imposé par le gouvernement, que les restrictions environnementales dans des problèmes internationaux et globaux sont des luttes d’influence entre pays plutôt que des décisions réfléchies et que les coûts environnementaux menacent d’être transférés vers le Sud. La réaction des dirigeants d’entreprise est bien un exemple de l’importance de l’apport sociologique à l’étude économique stricto sensu en environnement tel que décrit par Corine Gendron. Les autres conclusions le sont également, quoi que dans une moindre mesure puisque certains économistes avaient déjà suivi le chemin proposé (étude des problèmes internationaux par la théorie des jeux qui explique les rapports stratégiques conflictuels entre agents et illustration de la « pollution haven hypothesis40 » ).

Si cette approche socio-économique est assez attractive pour les raisons mentionnées ci-dessus et a le très grand mérite de faire réfléchir les économistes aux lacunes – non voulues mais présentes de part le caractère incomplet des modèles – de leurs interprétations, il n’en demeure pas moins vrai que l’économie environnementale, dans ses approches orthodoxes (qui si elles portent ce nom ne signifie nullement qu’elles sont tournées exclusivement sur elles-mêmes comme on le verra ci-dessous), peut

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Peu d’économistes ont réussi à montrer cette idée formellement mais un papier récent y a contribué (Arik Levinson et Scott Taylor: “Trade and Environment: Unmasking the Pollution Haven Effect”, mimeo, 2002)

rendre de nombreux services et je souhaiterais donc relever ici trois points où l’économiste orthodoxe peut ne pas être d’accord avec le sociologue hétérodoxe : les questions de l’optimalité, de l’évaluation des instruments de politique environnementale et de monétarisation.

Le principe de la recherche d’un optimum est assez mal perçu par nombre de disciplines en sciences humaines hors de l’économie. Les économistes avouent même qu’un optimum économique peut engendrer un sous-optimum écologique et vice-versa, comme Gendron le mentionne. Il y a deux remarques importantes à ce propos. Premièrement, les études d’optimisation ont pour but de

déterminer un choix unique dans le seul cas d’une analyse théorique mais agir de la sorte dans une

analyse appliquée reviendrait à imposer un choix, ce qui n’est pas réaliste (c’est au décideur et non au chercheur qu’il appartient de choisir - on revient en quelque sorte à une dimension de relation sociale) et le but de l’analyse appliquée est donc de montrer un chemin à suivre. Deuxièmement, il est maintenant possible de concilier optimum économique et optimum écologique tout en laissant libre choix au décideur, c’est-à-dire généralement dans des problèmes environnementaux, au politique. L’outil permettant cela s’appelle la programmation multi-objectifs (ou multicritères) et a été développé par des ingénieurs (non économistes) au début des années soixante-dix41. En développant un modèle d’optimisation à objectifs multiples (dans notre cas, un objectif économique visant à maximiser le bénéfice net d’une politique environnementale, et un objectif écologique visant par exemple à maximiser le nombre d’hectares de forêt protégés), on obtient une infinité de points correspondant à des optima de Pareto qui peuvent être choisis par le décideur politique dont la mission sera dès lors de peser les deux objectifs et de donner respectivement plus ou moins de poids à l’un ou à l’autre afin de déterminer l’optimum négocié qui lui sied le mieux. Cet outil très puissant a par ailleurs l’avantage de ne pas nécessiter une monétisation complète de toutes les variables, ce qui est la critique abordée ci-après.

La monétarisation d’un bien est souvent critiquée, et fréquemment critiquable. L’affirmation que la valeur de l’environnement ne puisse être obtenue par à partir des méthodologies basées sur le consentement à payer (CAP) est tout aussi vraie. En effet, comme être certain de la valeur d’un bien à partir soit de dépenses révélées ou pire, hypothétiques ? Néanmoins, soyons pragmatique, refuser l’idée du CAP revient à accepter un prix nul (et donc une surexploitation du bien ou un approvisionnement nul). Encore une fois, il est important de faire la distinction entre deux aspects de ce problème : soit le bien en question est imparfaitement mesurable (monétisable), soit il ne l’est pas ou on ne souhaite pas qu’il le soit. Dans le premier cas, de même que l’échec des instituts de sondage français lors du premier tour des élections présidentielles ne nécessite pas la suppression des

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Le précurseur dans ce domaine, qui est aussi l’auteur du premier ouvrage de référence sur cette technique, ausis bien en théorie qu’en application à des porblèmes environnementaux est Jerry Cohon (Jared Cohon: “Multiobjective Programming and Planning”, Academic Press, 1978).

sondages, on se doit d’accepter l’idée du CAP tout en sachant que cette méthode ne donne pas de valeur exacte et précise mais juste une valeur probable. Dans le second cas, si on décide de ne pas donner de valeur monétaire à un bien, il est possible, au cas par cas, soit d’effecteur une analyse coût- efficacité au lieu d’une analyse coût-bénéfice, soit d’intégrer ce problème dans une formulation à objectifs multiples comme expliqué précédemment.

L’acceptation de la cause de l’inefficience de la politique environnementale par le manque de volonté politique et le laxisme des pouvoirs publics entraîne automatiquement le même effet pour les normes et les instruments économiques. Mais cela n’a rien à voir avec la manière dont les économistes évaluent (et nomment) les politiques environnementales. Les politiques environnementales sont déterminées économiquement en fonction de l’impact qu’elles ont sur le comportement des agents économiques. Les instruments économiques influencent toujours le comportement des agents et les normes ou règlements influencent parfois mais déterminent toujours le comportement d’un agent (d’où le nom de « Command-and-Control »). En effet, une taxe influence le comportement d’un agent qui devra décider entre le paiement de la taxe ou la dépollution (et choisira rationnellement la position la moins coûteuse). Par contre, une norme n’influencera jamais l’agent économiquement rationnel dont la pollution est inférieure à la norme, elle exigera uniquement un effort pour certains et non pour tous.

Affirmer qu’une norme n’est pas statique (dans certains cas), que les instruments sont aussi une forme de régulation (ce que les économistes ne nient pas du tout puisqu’ils présupposent l’intervention de l’État) et que les normes et instruments influencent tous deux le comportement des agents (ce qui n’est pas exact comme expliqué ci-dessus) pour montrer que la discussion du choix des instruments est un faux débat semble assez réducteur. Néanmoins, il est vrai que ce débat est généralement exacerbé par les économistes au nom de la théorie sans (assez) regarder la pratique. On peut facilement montrer que les normes sont davantage utilisées que les instruments économiques : elles sont sans doute plus claires – et risquent par là même d’être plus efficaces – et certainement plus socialement acceptables, comme il est correctement mentionné dans le texte (qui a encore envie d’accepter sans discussion une taxe supplémentaire ?).

La thèse défendant la réglementation est parfaitement sensée mais ne va pas à l’encontre de l’école néoclassique. Si le choix gouvernemental se porte sur une minimisation des coûts, l’économiste ne peut que prôner les instruments économiques (une norme uniforme sera systématiquement plus chère qu’une dépollution ou un paiement d’une taxe en fonction des coûts marginaux de dépollution). Si le choix gouvernemental se porte sur la certitude de ne pas dépasser un certain niveau de pollution, l’économiste se doit de proposer une norme qui pourra obtenir le résultat demandé avec une plus grande certitude. Et si le gouvernement souhaite dépenser le moins possible en étant certain de ne pas dépasser un certain niveau de pollution, l’économiste proposera un instrument alliant l’objectif quantité à celui du prix ; c’est-à-dire, soit un permis transférable en cas de pollution régionale ou

globale (mais pas locale pour un aspect de coût de la mise en œuvre et de grandeur de marché), soit un système hybride (réglementation à atteindre par une taxe, par exemple).

Le débat entre instruments économiques et réglementation n’est donc pas faux ni mauvais, il est même utile mais il est certain que les économistes devraient sans doute être plus explicites dans leurs motivations et ne pas donner la sensation que leur seule préoccupation est la découverte de l’optimum à l’exclusion du reste.

En somme, l’économie environnementale orthodoxe est sans doute assez hétérodoxe pour l’économie néoclassique standard. Les économistes de l’environnement utilisent le cadre théorique de l’économie néoclassique mais vont plus loin dans la recherche de solution et ne s’arrêtent pas toujours à l’optimum. Ils pèsent en général très fréquemment l’efficience (optimalité) avec l’efficacité (et parfois avec l’équité). L’apport des approches hétérodoxes est une autre pierre à l’édifice de l’étude environnementale en sciences humaines, un complément mais pas un remplacement d’une science économique néoclassique qui a déjà beaucoup évolué (et est toujours en train d’évoluer) lorsqu’elle est appliquée à un domaine tel que celui de l’environnement.

Séance 3

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