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Le développement de la gouvernance de l’action publique et d’un modèle concerté de la gestion de l’environnement « exigent » une régulation consensuelle des conflits. Il s'établit dès lors une négociation, non pas avec l'ensemble des acteurs se sentant concernés par les projets, mais essentiellement avec ceux dont il sera “ nécessaire ” d'obtenir un accord (Papadopoulos, 2000). Il se produit un "filtrage" qui donne à certains acteurs et pas à d'autres le statut d'interlocuteur "valable" (Gaudin, 1999) et "privilégie les groupes organisés au détriment des intérêts atomisés" (Djouldem, 1997). La question ne tient pas à l'obligation légale d'obtenir cet accord, car les entreprises, dans les cas de lignes THT étudiés peuvent avoir recours à l'expropriation ou la mise en servitude, mais bien aux conséquences politiques de ne pas avoir l'appui de certains acteurs.

Cette négociation au cœur de la conduite des projets et favorisée par le cadre des APC, donne lieu au déploiement de tactiques et de stratégies qui révèlent une asymétrie d’informations et de ressources entre les acteurs qui produisent des traitements inégaux et souvent peu efficaces d’un point de vue politique. La mise en œuvre des APC montre ainsi un faible degré de transparence (Valluy, 1996) et de contrainte. Sans fondement juridique et bien que des représentants de l’État puissent en être signataires (Protocole ) les APC sont moins accessibles par définition. Bien que ceux-ci soient publics, dans les faits, sauf exception, les maires et les propriétaires connaissent peu le contenu des APC. Dans le cas des ententes avec le monde agricole, seuls les représentants nationaux des agriculteurs maîtrisent véritablement le contenu de ces derniers. Cependant, ils interviennent que de manière exceptionnelle dans la négociation à l’échelle des projets. Or, compte-tenu de la manière dont les démarcheurs des entreprises s’y prennent pour cadrer de manière bilatérale la négociation (tactiques et stratégies), il existe une réelle asymétrie de l’information.

L’absence de fondement légal des APC fait en sorte qu’en cas de manquement, un recours en justice ne peut être envisagé. De plus, les sanctions possibles en termes d’image de marque restent faibles. Les projets de ligne THT ont des répercussions médiatiques qui dépassent rarement le niveau local et le mode de négociation privilégié, toujours de manière bilatérale entre un maire et un propriétaire fait en sorte que les négociations et leurs résultats s’ébruitent peu. Enfin, les entreprises disposent d’importants moyens pour produire une « bonne image » de leurs interventions lors des projets (plaquette, affiches, site Internet, journaux locaux, etc.) qui permet de contrer les offensives à cet égard. Les entreprises peuvent également compter sur l’appui de leur tutelle et des ministres à vocation économique au sein du gouvernement afin de minimiser les sanctions qui pourraient se produire suite à des manquements. Enfin, des sanctions par un recours aux actions unilatérales sous la

forme de régulation classique restent possibles (la taxe communale sur les pylônes en France peut en être un exemple) mais peu probable dans un contexte croissant de dérégulation.

Nos résultats confirment les effets des APC identifiés par P. Lascoumes et J. Valluy (1996). Premièrement, ils conduisent à soustraire la production de règles de l'espace public pour la maintenir dans un espace néo-corporatiste entre un ou plusieurs industriels et l’État ou un groupe constitué d’acteurs. Il pose ainsi un problème de légitimité et de l'imputabilité des décisions (Papadopoulos, 2000; Valluy 1996) reliées à ces projets publics. Deuxièmement, ils démontrent une dépendance de l’État face aux industriels. La négociation comme mode relationnel officialise ainsi un état de rapports de force entre l'État (ou un groupe constitué d’acteurs) et les entreprises. En effet, les services administratifs reconnaîtraient ainsi leur relative incapacité de contrôle d’un secteur d’activités en donnant libre cours aux arrangements tous azimuts. La mise en oeuvre des APC pose ainsi la question de la responsabilité de l'action publique et du contrôle des engagements qu'ils contiennent. A cet égard, les moyens de vérifier directement l'application concrète des APC par l'État sont très faibles (Djouldem, 1999 ; Ogien, 1999).

La recherche d'une efficacité plutôt économique et d'un relatif consensus par la mise en oeuvre des APC semble se faire au détriment d'une autre efficacité, plus politique, et d'un traitement plus égalitaire des acteurs et donne l'impression d'une privatisation de l'action publique. Les risques de voir se développer une négociation partenariale au sein d'une élite régionale au lieu que se mette en place une démarche plus ouverte, transparente et inclusive sont réels au sein du modèle "concertée" de l'action publique et de la gouvernance en général. Comme le précise à juste titre M. Djouldem, (1999, p. 133) "le risque le plus important que génère la contractualisation est le déficit démocratique d'une intervention publique privatisée"98.

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98

Il s'agit également d'un des principaux résultats de la thèse de M. Gauthier sur la médiation environnementale au Québec (1998).

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Note biographique

Louis Simard termine actuellement une thèse en sociologie à l’Institut d’études politiques de Paris. Il est membre du Centre de sociologie des organisations du CNRS, chercheur à la Chaire d’études sur les écosystèmes urbains de l’UQAM et chargé de cours à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM. Ses travaux portent notamment sur les politiques procédurales, les actes publics conventionnels et l’apprentissage organisationnel dans le secteur de l’environnement. Il a également

participé à différents travaux portant sur le suivi environnemental, l’évaluation environnementale stratégique et la participation du public dans ce secteur.

De la conformité à l’acceptabilité ? De la mise en œuvre des actes publics

conventionnels (APC) : le cas des lignes THT au Québec et en France

Omer Chouinard

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