• Aucun résultat trouvé

Université de Paris

2. La rencontre d’un objet et d’une méthode :

A l’inverse des pollutions, le bruit, en tant que nuisance, dégrade la qualité de vie de l’homme sans pour autant perturber les équilibres naturels. Aussi, cet objet met-il en perspective une problématique d’analyse aux dimensions spatio-temporelles singulières.

Tout d’abord, le bruit des avions, comme d’autres nuisances, est un objet clairement spatialisé. Il est un phénomène physique qui exerce une pression zonale localisée, donc implique le fonctionnement de territoires délimités ainsi que la vie de communautés entières, pour certaines préconstituées. Les populations touchées sont alors localement circonscrites. De plus, la réduction du bruit implique une

temporalité non moins singulière, comparativement aux attributs environnementaux qui composent la sphère du vivant. A titre d’exemple, la maîtrise technique laisse présager, chez les riverains d’infrastructures en tout cas, une réversibilité des situations d’exposition sonore à court ou moyen terme. C’est ce qui ressort de l’analyse de contenu d’une vague d’entretiens exploratoires réalisée auprès de 28 personnes exposées au bruit des transport (Faburel, Lambert, 1999), et des discours tenus lors de la mise en place de deux processus délibératifs avec des riverains d’Orly (infra).

Les dimensions spatio-temporelles impliquées par notre objet d’analyse apparaissent donc plus restreintes que celles convoquées par la dégradation des facteurs naturels (Theys, 1993 ; OCDE, 1996). Aussi, le bruit des avions peut-il faciliter l’exercice d’évaluation. Parce que clairement spatialisé, à la différence des pollutions qui se diffusent largement dans les milieux, cet objet permet de franchir avec une relative aisance la phase périlleuse du périmétrage et, pour ce qui nous concerne, d’échantillonnage, grâce notamment aux données disponibles sur l’exposition acoustique et sur les niveaux de gêne présumée des riverains (Plans de Gêne Sonore50).

Toutefois, même si elle facilite grandement l’usage de la MEC, cette singularité bénéficie à l’ensemble des procédés d’enquête appliqués aux effets du bruit des avions. A l’inverse, les opportunités que nous allons décliner maintenant renvoient aux fondements mêmes de la méthode. L’évaluation contingente repose sur un marché fictif. L’enquêté peut alors éprouver des difficultés à donner, dans un contexte imaginé et en l’absence de conséquences financières du choix exprimé, un équivalent monétaire pour une variation de l’utilité d’un bien non-marchand. Ce procédé d’évaluation présente donc un risque important de distorsion d’analyse du fait de la fragilité des opinions émises. C’est le biais hypothétique. L’expérience acquise (techniques cognitives, interactives...) et les règles édictées (NOAA Panel, 1993) enseignent que, pour essayer de limiter les conséquences de cette distorsion, le scénario doit tenter de présenter les traits d’un marché complet, clair et plausible (Lambert, Lamure, 1996). Or, le bruit des avions, au même titre que ceux provenant d’autres modes de transports, est directement ressenti par les populations exposées (santé globale51, aménités, perte financière…). Il s’immisce souvent distinctement dans le vécu de chacun, délimitant alors des espaces particuliers (supra). Aussi était-il possible de se détourner de la seule proposition de variation de l’attribut environnemental (« une diminution de moitié du bruit » par exemple). En effet, il est difficile pour tout un chacun de se représenter une variation de la charge environnementale52. Les

49 Voir notamment les travaux de T.A. Cameron, R.T. Carson, M. Hanemann, B. Kanninen, F. Bonnieux, B. Desaigues, O.

Chanel.

50

En France, documents officiels visant à l’arbitrage des ménages éligibles au fonds d’aide à l’insonorisation des logements à proximité des plus grands aéroports.

51

Telle que définit par l’OMS.

52

Parmi les rares applications de la méthode d’évaluation contingente au bruit des transports (10 à ce jour), nombre ont eu recours à cette proposition d’échange (voir notamment Soguel, 1994). Ceci n’est pas sans figurer une communauté d’esprit technico-scientifique entre économistes (attachés aux calculs d’élasticités à des fins prédictives) et psychoacousticiens

approximations d'analyse qui découlent de cette posture participeraient à l’explication de certaines des limites rencontrées et des inconnues, suggérées par les auteurs eux-mêmes, que les quelques évaluations contingentes appliquées au bruit des transports véhiculent (Feitelson, Hurd, Mudge, 1996). En outre, le bruit n’explique le plus souvent que très partiellement le ressenti des personnes exposées (infra).

En fait, il est possible d’asseoir le scénario d’échange sur une modulation de ce ressenti direct, et notamment de la gêne provoquée et de ses diverses manifestations (comportementales, psychologiques, sociales…). L’implication du vécu individuel pouvait clarifier et crédibiliser le scénario donc permettre de contourner en partie l’écueil d’une périlleuse mise en condition de marché, sans pour autant remettre en cause l’objectif évaluatif. Au contraire, nous pouvions même imaginer que c’est le coût social de cette gêne que les pouvoirs publics cherchent à connaître.

En outre, dans la mesure où la MEC vise à mesurer les CAP à partir d’un exercice de monétarisation auquel les enquêtés sont peu voire pas familiers, ce procédé s’expose aussi à l’indétermination des préférences individuelles (Willinger, 1996). Dès lors, le protocole d’enquête, les questions posées et les éléments composant le scénario d’échange peuvent-ils construire en grande partie ces préférences. C’est le biais informationnel (ou d’imposition pour les sociologues). Or, la sensibilité collective au bruit à proximité des aéroports ne cesse de croître (contentions judiciaires, militantisme associatif, emprise médiatique…). En outre, les entretiens exploratoires menés avant l’enquête avec des riverains de l’aéroport ont montré l’importante dotation en connaissances des riverains sur les moyens de contrevenir à leur gêne. Ceci a été confirmé lors des processus délibératifs dont il a été fait mention plus haut. Enfin, les résultats de ces démarches plus qualitatives stipulent que les actions attendues sont, à l’exemple de l’isolation phonique des logements, non seulement à forte connotation technique (supra) mais aussi largement partagées par les riverains de l’aéroport.

Dès lors, même si le risque d’un biais informationnel subsistera toujours, il était possible d’apprécier préalablement au scénario d’échange hypothétique : le degré de gêne des personnes exposées au bruit, les attentes de changement qui découlent du vécu sonore et les connaissances mobilisées pour construire ces attentes. Il était de ce fait possible d’apprécier la préexistence des préférences individuelles pour une modulation de cette gêne, dorénavant objet de l’échange. Par ailleurs, autre possibilité offerte dans ce registre, il était aisé de tester l’hypothèse de pré-expérience individuelle de la monétarisation. Pour ce faire, il convenait de questionner les personnes sur la consommation de médicaments qu’elles imputent au bruit et sur les dépréciations immobilières auxquelles les enquêtés se sont avérés très sensibles dans le cadre de notre travail sur l’aéroport d’Orly. Pour toutes ces

Outline

Documents relatifs