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La responsabilité indéniable des hommes dans l'organisation de la prostitution

Chapitre 2 Caractéristiques des acteurs liés au milieu de la prostitution à Québec, 1919-1938

1. Une affaire de femmes Vraiment ? Caractéristiques socio-économiques et évolution du visage de

1.1 La responsabilité indéniable des hommes dans l'organisation de la prostitution

hommes, il en est tout autrement pour ce qui est de la répression policière. Entre 1919 et 1938, 886 d'entre eux sont appréhendés pour des délits liés aux activités prostitutionnelles. En fait, ils sont même plus nombreux que les femmes puisqu'ils représentent 53,4 % de l'ensemble des personnes arrêtées au cours de ces vingt années. Il est tout de même important ici de rappeler que ces statistiques ne concernent que les gens qui sont arrêtés et non pas les proportions réelles de clients ou encore de prostituées. Aussi, comme on peut le voir sur le graphique 1, le nombre d'infractions dont les individus de sexe masculin sont à l'origine varie d'une année à l'autre. De toute la période étudiée, 1920 est l'année où ils en commettent le moins avec 25 et 1924 l'année où ils en commettent le plus avec 88. Ainsi, de 1920 à 1924, le nombre d'infractions pour lesquelles ils sont responsables augmente continuellement allant jusqu'à tripler en l'espace de cinq ans. Après 1924, 1927 et 1934 sont les deux autres années où les hommes sont accusés à plus de 80 reprises. Sinon, pour l'ensemble de la période étudiée, ces derniers se retrouvent au poste de police en moyenne 55 fois par année.

Déjà, une rupture semble s'observer avec ce qui se passait à Québec près d’un demi-siècle plus tôt. En effet, dans son étude qui porte sur le troisième quart du XIXe siècle, Boulianne mentionne que les hommes représentent seulement 35% de l'ensemble des individus appréhendés pour des infractions relatives à la prostitution260. L'étude d’Allen qui porte sur la période 1880-1905 s'intéresse aussi au phénomène de la prostitution, mais

260 Boulianne, « La répression des bordels », p. 43-48. Il faut toutefois préciser que Boulianne se base sur

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elle ne dévoile pour tous les chiffres qui pourraient permettre une comparaison. Certaines statistiques mises de l'avant par l'auteur nous permettent tout de même de supposer que la proportion d'hommes soit très faible parmi l'ensemble des individus qu'il a répertoriés261.

Graphique 1 : Nombre d’infractions selon le sexe des individus arrêtés pour des délits liés à la prostitution, 1919-1938.

Les femmes font également partie du paysage de la prostitution et force est de constater que le nombre d'infractions dont elles sont à l'origine varie lui-aussi d'une année à l'autre. En effet, il existe un écart considérable entre l'année 1931 où 22 accusations sont répertoriées, soit le nombre le plus bas pour les deux décennies considérées et l'année 1938 où il y en a le plus avec 161. À l'instar de celles de leurs homologues masculins, le nombre d'infractions qu'elles commettent de 1920 à 1924 augmente considérablement - à l'exception de l'année 1922 - pour passer de 51 à 141. En fait, tout sexe confondu, on remarque que ces cinq années englobent à elles seules 35% du total des infractions répertoriées durant l'entre-deux-guerres. Est-ce que ces données reflètent un durcissement de la répression à la suite des changements opérés dans la législation quelques années plus tôt ? Il est difficile de le dire. De la même façon, il est difficile d'identifier les raisons

261 Allen, « Prostituées de rue », p. 70-74. Il mentionne par exemple que seulement 15 clients ont été

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qui peuvent expliquer la baisse considérable du nombre d'infractions, notamment celles liées aux individus de sexe féminin, durant la période de la Crise des années 1930. À Montréal la situation paraît un peu différente. Andrée Lévesque note une augmentation du nombre d'arrestations et de condamnations au cours de la décennie 1930, mais selon la chercheure, cette répression accrue est peut-être davantage le reflet d'une inquiétude généralisée que d'une croissance véritable de l'activité prostitutionnelle262. Des historiens ont effectivement montré qu'en situation de crise se développe souvent une volonté de réaffirmer l'unité sociale à travers une entreprise de redéfinition plus stricte de la normalité263. Cela s'accompagne d'un ostracisme marqué pour les groupes jugés déviants comme par exemple les prostituées264. Dans la Vieille Capitale, l'analyse des données judiciaires ne révèlent pas un tel phénomène.

1.1.1 Encore les classes populaires

Après avoir montré que la place des hommes au sein du milieu prostitutionnel de la ville de Québec est telle qu'elle ne peut être ignorée, essayons d'en savoir davantage sur le niveau socio-économique de ces derniers.

Comme on pouvait s'y attendre, les membres de la grande bourgeoisie sont très minoritaires parmi les hommes arrêtés pour des délits liés à la prostitution. En fait, ils sont si peu nombreux que nous les avons regroupés avec les individus appartenant à la moyenne bourgeoisie afin de faciliter l'exercice de comparaison entre les différentes classes sociales. C'est ainsi que nous avons créé trois catégories; les élites qui comprennent la grande et la moyenne bourgeoisie, la petite bourgeoisie et puis enfin les classes populaires. Pour l'ensemble de la période étudiée, nous avons répertorié 32 personnes qui appartiennent aux élites, 34 personnes qui appartiennent à la petite

262 Lévesque, « Le Bordel », p. 29-30. 263

Florence Tamagne, « Genre et homosexualité : De l'influence des stéréotypes homophobes sur les représentations de l'homosexualité », Vingtième siècle. Revue d'histoire, no. 75 (sept. 2002), p. 66.

264 Ibid., p. 66-67. Martel montre toutefois que durant la décennie qui suit la Crise économique, le journal

La Presse semble préférer couvrir des crimes de nature économique que les comportements immoraux des

femmes. Selon elle, cela peut participer à expliquer la situation de crise qui prévaut alors et qui peut avoir comme effet de tourner les intérêts du quotidien vers d'autres enjeux; Martel, « La reconstruction de la criminalité », p. 89-90.

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bourgeoisie et 212 personnes qui appartiennent aux classes populaires265. Cette forte proportion de gens issus des milieux défavorisés parmi les individus impliqués dans l'activité prostitutionnelle ne semble pas être quelque chose de nouveau à Québec. Selon Boulianne, la majorité des individus de sexe masculin arrêtés sous l'accusation d'avoir fréquenté un bordel entre 1850 et 1870 étaient issus des classes laborieuses266. Du reste, nos données montrent que c'est près d'un homme sur quatre qui vient des classes moyennes ou aisées. Un résultat qui encore une fois vient contredire le discours social sur la prostitution qui tend à considérer les gens issus des milieux ouvriers comme les seuls responsables de ce phénomène.

Parmi les élites masculines se trouvent plusieurs représentants des professions libérales ainsi que quelques marchands. Y figurent également des hommes appartenant au monde de l'immobilier. Même si cela relève plutôt de l'anecdote, soulignons tout de même la présence de deux ecclésiastiques. Fait plutôt ironique puisque ces derniers font partie des acteurs sociaux qui dénoncent avec le plus de véhémence la présence du vice commercialisé. Au sein de la petite bourgeoisie se trouve une forte proportion de commerçants, mais aussi de propriétaires dont le tiers possède un établissement hôtelier. Enfin, la variété d'occupations répertoriées chez les membres des classes populaires n'a d'égale que le poids que détient cette catégorie parmi les individus arrêtés pour des délits liés à la prostitution. Y sont représentés par exemple des travailleurs manuels tels que des cordonniers, des mécaniciens et des peintres ou encore des travailleurs mobiles comme des voyageurs de commerce et des chauffeurs du C.N.R.. Cependant, deux types d'occupation paraissent revenir beaucoup plus souvent que les autres. Il s'agit d'une part, des commis/employés et d'autre part, des journaliers. En fait, près de 40% du total des infractions perpétrées par les membres des classes populaires sont le fait d'hommes qui déclarent occuper l'une ou l'autre de ces occupations267.

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Nous avons réussi à identifier le type d'occupation pour environ un tiers de l'ensemble des hommes répertoriés, soit 285 individus. Sur ces 285 individus, nous avons dû en laisser 7 de côté en raison de notre difficulté à déterminer le niveau socio-économique correspondant à leur occupation. Nous sommes donc arrivés à un total de 278 individus.

266 Boulianne, « La répression des bordels », p. 48.

267 Sur les 212 hommes appartenant aux classes populaires, nous avons répertorié 36 journaliers et 46

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Graphique 2 : Niveau socio-économique des hommes arrêtés pour des délits liés à la prostitution, 1919-1938

Par ailleurs, il est intéressant de souligner le nombre très faible de militaires et d'étudiants parmi les individus masculins répertoriés268. Plusieurs historiens qui se sont penchés sur le phénomène de la prostitution aux XIXe et XXe

siècles ont pourtant montré la forte représentation que ces groupes sociaux détenaient parmi les clients des maisons de débauche269. Du côté des étudiants pour qui ce comportement - se rendre au bordel - relevait d'une épreuve initiatique ou encore d'un rite de passage vers le statut d'adulte, cela est peut-être révélateur d’un certain changement dans leur processus de socialisation. Par contre, la timide présence des militaires est plus surprenante dans la mesure où durant la Seconde Guerre mondiale ces derniers semblent être partie intégrante du milieu

268 Sur les 285 hommes dont nous avons réussi à trouver le type d'occupation, nous n'avons répertorié que 3

militaires et 2 étudiants.

269

Voir entre autres Lola Gonzalez-Quijano, « Entre désir sexuel et sentiments : l'apprentissage amoureux des étudiants du Quartier latin du second XIXe siècle ». Dans Véronique Blanchard et Régis Revenin (dir),

Les jeunes et la sexualité : initiations, interdits, identités (XIXe -XXIe siècle), Paris, Éditions Autrement,

2010. p. 180-188; Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, Histoire de la virilité, Tome 2 : Le triomphe de la virilité: Le XIXe siècle, Paris, Seuil, 2011. p. 77; Rotundo, American Manhood, p. 126. et Lévesque, La norme et les déviantes, p. 139.

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prostitutionnel dans la Vieille Capitale, notamment dans le quartier du palais près du port270. À l'image des craintes des réformateurs et des autorités étatiques qui, au lendemain de la Grande Guerre, attendaient avec la plus grande appréhension le retour des soldats, nous pouvions donc supposer que ceux-ci seraient plus nombreux parmi les individus impliqués dans la prostitution. Or cela ne semble pas être le cas à Québec, du moins parmi ceux qui sont arrêtés et accusés devant la justice civile.

1.1.2 Des francophones, oui ! Mais aucune trace de la « traite des blanches »

De prime abord, pour établir plus exactement le profil linguistique ou l'origine ethnique des individus arrêtés pour des délits liés à l'activité prostitutionnelle, il faudrait pouvoir consulter les registres d'écrous. Malheureusement, ceux-ci nous sont inaccessibles. Nous nous sommes donc basés sur l'unique source d'information à notre disposition, soit les données nominatives. Nous avons créé trois catégories : les francophones, les anglophones et les autres, puis le classement s'est fait sur la base de l'étude des prénoms et des noms de famille271. Cela dit, nous sommes conscient des limites découlant de ce système de classement. Par exemple, l'emploi de ces catégories heuristiques ne permet pas de prendre en compte des phénomènes tels que les transferts linguistiques des divers groupes ethniques, l'assimilation d'un groupe par un autre ou encore la force d'attraction d'une langue. L'analyse des seules données nominatives ne permet pas non plus de déterminer la race ou encore la religion des individus arrêtés. En revanche, il faut mentionner que selon certains historiens qui ont étudié les caractéristiques démographiques de la province de Québec, il existe dans la Vieille Capitale une très forte corrélation entre origine ethnique française et langue maternelle française, du moins jusqu'à la fin des années 1930272. Cette corrélation paraît s'appliquer aussi aux groupes britanniques. En effet, le recensement de 1931 montre que 95% des Québécois de langue

270 D'Amours et Keshen, « La campagne de prévention », p. 103. 271

Les individus possédant un prénom et un nom français furent classés parmi les francophones. Ceux ayant un prénom ainsi qu'un nom anglais furent classés parmi les anglophones et les personnes dont le prénom et le nom n'étaient ni français ni anglais furent classés dans la catégorie « autres ». Aussi, dans le cas où l'origine du prénom et du nom différait l'une de l'autre, la prééminence fut accordée au premier. Par exemple, Larry Beaudry fut considéré comme un anglophone.

272 Voir Paul-André Linteau et al. Histoire du Québec contemporain, tome I: De la Confédération à la

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maternelle anglaise sont d'origine britannique273. Dans cette optique, nous pensons que la différenciation des individus en fonction de leurs noms reste un élément révélateur du profil linguistique des gens impliqués dans la prostitution.

À l'instar de ce qu'on peut observer pour l'ensemble de la population de la ville de Québec au cours de l'entre-deux-guerres, les francophones sont largement majoritaires parmi les gens qui œuvrent dans le milieu prostitutionnel. Sur l'ensemble des individus arrêtés entre 1919 et 1938, 89% sont des francophones, 8% sont des anglophones tandis que le 3% restant est composé de gens qui ne parlent ni le français ni l'anglais274. La place beaucoup moins importante occupée par les anglophones par rapport à ce que des chercheurs comme Allen et Boulianne ont montré pour la seconde moitié du XIXe siècle s'explique évidemment par l'évolution des caractéristiques démographiques de la Vieille Capitale entre 1850 et 1950. En effet, à l'image de ce qui passe sur le plan économique, la stagnation démographique qui frappe la Vieille Capitale lors des années 1871-1891 disparaît au profit d'une période d'expansion accélérée pendant laquelle le taux de croissance annuelle de la population passe de 13,5 ‰ en 1911 - première année où cette

donnée est disponible - à 32,2 ‰ en 1931275. En l'espace de 40 ans, le nombre d'habitants fait plus que doubler pour passer de 68 840 individus en 1901 à 150 757 individus en 1941276. Cette croissance reste toutefois à relativiser quand on sait que durant pratiquement la même période, la population de l'île de Montréal augmente de plus de 175 % et que pour l'ensemble de la province, l'augmentation moyenne se situe autour de 75 %277.

273

Ronald Rudin, Histoire du Québec anglophone: 1759-1980, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986. p. 27.

274L'origine du prénom et du nom de certains individus n'a pu être déterminée. En raison de cette difficulté,

mais aussi à cause de l'illisibilité et du caractère incomplet de certains autres noms, 47 individus au total furent laissés de côté. Ainsi, sur 1634 individus répertoriés, nous avons compté 1454 francophones, 130 anglophones et 50 « autres ».

275 Serge Courville et Robert Garon, Québec, ville et capitale, Québec, Archives nationales du Québec,

2001. p. 251.

276 Marc Vallières (dir.), Histoire de Québec et de sa région, Tome II: 1792-1939, Québec, Presses de

l'Université Laval, 2008. p. 1303.

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En fait, les mouvements migratoires qui caractérisent cette période de l'histoire du Québec expliquent en partie cette situation. À Québec même, le solde migratoire demeure négatif ou très faiblement positif tout au long de la première moitié du XXe

siècle, à l'exception de la décennie 1920-1930 où l'on constate un apport extérieur considérable278. Ce constat fait ressortir que la croissance de la population de la Vieille Capitale à partir de 1900 provient essentiellement de l'accroissement naturel. Effectivement, la fécondité proverbiale de la communauté canadienne-française permet de dégager des excédents annuels d'environ 17 à 20 pour mille279. C'est ainsi que les gens s'exprimant en français en viennent à représenter près de 95% de l'ensemble des habitants de Québec en 1941, soit 15% de plus qu'au tournant du siècle280. Du côté des anglophones, la situation est inversée. Depuis 1861, année où ils formaient près de 40% de la population totale, leur poids n'a cessé de diminuer pour ne plus représenter plus que 9% de l'ensemble des effectifs en 1921281.

Au début du XXe siècle, certes plusieurs Québécois émigrent dans l'espoir de trouver un avenir plus radieux, mais à l'inverse, la province devient également une terre d'accueil pour un nombre important d'immigrants. Seulement, cet afflux de nouveaux arrivants ne se répartit pas de manière uniforme sur le territoire québécois. Du côté de la ville de Montréal qui absorbe la grande majorité de ces nouveaux venus, la proportion d'individus, d'origine autres que française ou britannique parmi l'ensemble de la population, grimpe de près de 10 % entre 1901 et 1931282. À Québec par contre, la situation est nettement différente. Durant ces mêmes trente années, la proportion d'habitants d'origine autres que française ou britannique reste pratiquement inchangée, soit en moyenne 1,3 % de la population totale de la ville283. Ce contraste est dû en partie à la situation économique avantageuse dont jouit la métropole montréalaise, mais il est

278 Vallières (dir.), Histoire de Québec, p. 1307. 279

Ibid., p. 41-42. Il faut toutefois savoir qu'il existait des disparités selon que les femmes habitaient en ville ou en milieu rural.

280 Drolet, La ville de Québec, p. 38.

281

Rudin, Histoire du Québec anglophone p. 189-190.

282

Ibid.,

283

Gérard Bernier et Robert Boily, Le Québec en chiffres de 1850 à nos jours, Montréal, ACFAS, 1986. p. 44.

75 peut-être aussi lié au fait qu'au tournant du XXe

siècle, la Vieille Capitale constitue d'abord un « foyer d'appel » pour les ruraux de l'est de la province284.

À l'image de ces données, l'homogénéité du profil linguistique que nous avons dressé (graphique 3) laisse croire qu'à la différence d'autres vices dénoncés par la société québécoise et canadienne au cours du premier tiers du XXe

siècle, il ne paraît pas y avoir - à Québec du moins - de surreprésentation étrangère au niveau des gens impliqués dans les activités prostitutionnelles285.

Graphique 3 : Profil linguistique des individus arrêtés pour des délits liés à la prostitution, 1919-1938

284 Valérie Laflamme, « Partir pour la ville: étude des caractéristiques des pensionnaires dans la ville de

Québec au tournant du XXe siècle », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 55, no. 3 (2002), p. 408.

285Malgré que la perception négative entretenue par les contemporains à l'égard des immigrants chinois

était en partie liée à des jugements de valeurs - ces derniers étaient généralement perçus comme des gens ayant une moralité douteuse et du coup étaient associés à différents vices qui venaient heurter la morale judéo-chrétienne tels que la consommation d'opium, la prostitution et les jeux d'argent illégaux -, le dépouillement des sources judiciaires nous a permis de constater une certaine relation entre la communauté chinoise et les infractions relatives au jeu illégal à Québec au cours de l'entre-deux-guerres. À ce sujet, voir également l'article de Cristian Samson, « Les représentations des travailleurs migrants: L'exemple des Chinois à Québec dans la presse quotidienne (1891–1926) », Labour/Le Travail, no. 68, 2011. p. 117–137.

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Dans le même ordre d'idées, ces résultats remettent en question en quelque sorte l'idée d'une « traite des blanches » à l'échelle internationale. Ces prétendus bordels cosmopolites alimentés par des filles amenées des quatre coins du monde, phénomène pourtant décrié par maints réformateurs canadiens, ne semblent pas exister dans la Vieille Capitale. Dans sa thèse qui porte sur les rapports entre les classes ouvrières et la justice criminelle à Montréal au début du XXe

siècle, Marcela Aranguiz observe ce même écart entre certains aspects du discours émis par les réformateurs et ce que les sources révèlent. Ces recherches révèlent une forte présence canadienne-française parmi les prostituées arrêtées dans la métropole entre 1890 et 1920286. Selon elle, cela s'explique par les différents réseaux par lesquelles ces dernières intégraient les maisons de débauche car s'il n'est pas impossible que des étrangers aient leurré certaines filles afin de les soumettre à la prostitution, celles-ci accédaient généralement aux bordels par l'intermédiaire de proches ou de connaissances287.

1.1.3 Des hommes tenanciers et des hommes clients

Maintenant que nous avons une idée plus précise du niveau socio-économique et du profil linguistique des hommes et des femmes liés au milieu prostitutionnel dans la ville de Québec, examinons les accusations sous lesquelles ceux-ci se font incriminer lorsqu'ils se font appréhender par les forces policières.

Durant l'entre-deux-guerres, les individus de sexe masculin sont arrêtés essentiellement en vertu de deux types de délits288; soit pour s'être trouvé dans une maison de débauche