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Chapitre 1 Discours et législation entourant la prostitution au Québec durant la première moitié du XXe

4. La répression policière visant le milieu prostitutionnel à Québec

À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, le développement des corps policiers et des cours de justice dans plusieurs pays occidentaux accroît considérablement la capacité des états à contrôler le comportement de leurs citoyens242. Dans la Province de Québec, les décennies qui suivent la transition impériale vers le droit et la justice criminelle britanniques sont marquées par l'apparition de connétables paroissiaux et de capitaines de milice, mais ce n'est qu'en 1843 qu'est implantée dans les villes de Québec et Montréal une première police municipale243. Dès les débuts, celle-ci se voit confier la responsabilité de réprimer les maisons de débauche car aux yeux de plusieurs édiles municipaux, non seulement ces établissements constituent des lieux de désordre où se réunissent les criminels, ils portent également atteinte aux valeurs bourgeoises244. Toutefois, force est d'admettre que cette tâche se révèle être ardue pour les policiers. Au sein de la Vieille Capitale, malgré les nombreuses réformes apportées à la force constabulaire au cours des premières décennies suivant sa formation, celle-ci semble encore avoir, au début des années 1900, de la difficulté à contrôler l'activité prostitutionnelle dans la ville245.

242 Martel, Canada the Good, p. 5.

243 Donald Fyson, « La police au Québec, 1760-1878: des modèles impériaux dans une colonie nord-

américaine », Dans Vincent Denis et Catherine Denys (dir.), Polices d'empires, XVIIIe- XIXe siècles,

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012. p. 96-97.

244 Antonio Drolet, La ville de Québec, histoire municipale, Tome III: De l'incorporation à la

Confédération (1833-1867), Québec, Société historique de Québec, 1963. p. 41.

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Quelques années plus tard, à l'aube de la Grande Guerre, tandis que le conseil municipal paraît vouloir intensifier la lutte à la prostitution246, l'importance des enjeux entourant la prohibition des boissons alcooliques oblige les forces de l'ordre à revoir encore un fois leur façon de faire.

4.1 L'Escouade de la moralité, la Sûreté provinciale et la Police des liqueurs: unir ses efforts pour combattre le vice

De 1903 à 1937, c'est Émile Trudel qui est à la tête du service de police de la ville de Québec. Au cours de son long mandat, il initie plusieurs changements dont la mise sur pied d'une nouvelle brigade de la moralité en 1915247. Selon les articles de journaux qui couvrent les nouvelles liées au milieu prostitutionnel, c'est cette police des mœurs qui, durant l'entre-deux-guerres, a la tâche d'investiguer le vice et parallèlement, d'opérer les descentes dans les bordels. Relevant directement de l'autorité du chef Trudel248, celle-ci semble généralement formée d'un mélange de détectives, de sergents et de constables. Il arrive même que cette brigade abrite des policiers chevronnés tels Louis Rochette, détective municipal qui passe près de onze années au département de la moralité249. Toutefois, les sources ne nous permettent pas de voir si cet exemple constitue un cas isolé ou au contraire s'il est révélateur d'une tendance quant au niveau d’expérience des policiers affectés à ce type de criminalité.

246 Du moins, c'est ce que laisse croire le Règlement 26, Concernant les maisons déréglées, malfamées et

de prostitution adopté en mars 1913.

247 Gérald Gagnon, Histoire du Service de police de la ville de Québec, Sainte-Foy, Publications du

Québec, 1998. p. 165.

248 En réalité, selon les articles de presse relatant les nouvelles sur la prostitution, c'est son député-chef,

Adolphe S. Bigaouette, qui la plupart du temps, paraît donner l'ordre d'effectuer une descente dans l'établissement visé. Cela vient peut-être du fait que durant les dix dernières années de sa carrière, Émile Trudel dut se faire remplacer à de nombreuses reprises par son député-chef pour des raisons de maladie. Voir Georges-Henri Dagneau (dir.), La ville de Québec: histoire municipale. Tome IV: De la

Confédération à la charte de 1929, Québec, Société historique de Québec, 1983. p. 142; Gagnon, Histoire

du Service, p. 165.

249 À l'été 1938, le policier Rochette est amené à témoigner dans une cause portée en appel par une femme

reconnue coupable d'avoir tenu un bordel. À un certain moment, il affirme qu'il compte 21 années de service dont la moitié passée au Département de la moralité. Voir Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec (BanQ-Q), Fonds Cour du banc du roi/de la reine, Dossiers, TP9, S1, SS5, SSS1, dossier 2980, 7 juillet 1938.

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Pour mener à bien leur travail, les policiers municipaux de l'Escouade de la moralité sont appuyés par les membres de la Police provinciale. En fait, dans la foulée de l'affaire Blanche Garneau, le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau avait décidé de réorganiser cette dernière en créant notamment deux divisions, l'une à Montréal et l'autre à Québec, puis en y installant un nombre accru de détectives250. D'ailleurs, si on se fie aux journalistes qui rapportent les nouvelles liées à la prostitution, cette coopération entre les policiers provinciaux et leurs homologues municipaux s'accentua d'avantage dans les années 1930.

Dans sa lutte contre le vice commercialisé, l'Escouade de la moralité se voit aussi soutenue par la Police des liqueurs. Ce corps de police indépendant de la Police provinciale apparaît en 1921 dans un contexte où plusieurs sociétés occidentales s'inquiètent des problèmes associés à la consommation d'alcool251. Tandis que les États- Unis et le Canada anglais adoptent entre 1900 et 1920, plusieurs lois interdisant entre autres l'importation, la distribution et la vente d'alcool, au Québec, la population vote majoritairement contre la prohibition252. De là est adoptée la Loi sur les boissons alcooliques ce qui entraine également la création de la Commission des liqueurs du Québec - ancêtre de la SAQ - et la Police des liqueurs. Les policiers qui appartiennent à ce groupe ont des objectifs précis; ils doivent poursuivre les violateurs de la Loi sur les boissons alcooliques sur tout le territoire de la province. Seulement, la contrebande et la vente illégale d'alcool augmentent de façon vertigineuse durant les années 1920 et ce trafic gravite souvent autour d'autres activités criminelles telles que la prostitution253. Par conséquent, vu son mandat limité, la Police des liqueurs comprend rapidement qu'il est à son avantage d'échanger des renseignements et de collaborer avec d'autres corps policiers254. Toujours selon les articles de presse qui traitent des nouvelles liés à l'activité prostitutionnelle, il semble effectivement que durant l'entre-deux-guerres, les plus

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Jean-François Leclerc, « La Sûreté du Québec des origines à nos jours: quelques repères historiques »,

Criminologie, vol. 22, no.2 (1987), p. 118.

251 Ibid., p. 117. 252

Lapointe, Nettoyer Montréal, p. 50-54; Martel, Canada the Good, p. 117-124.

253 Yannick Cormier, « La Police des liqueurs: 1921-1961 », Les cahiers d'histoire, Vol. 3, no. 1 (mai

2012), p. 3.

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importantes descentes opérées par l'Escouade de la moralité se fassent conjointement avec la Police provinciale, mais aussi la Police des liqueurs.