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L'importance de la Basse-Ville comme lieu de résidence des hommes impliqués dans la

Chapitre 3 Géographie des acteurs et des établissements liés au milieu de la prostitution à Québec, 1919-

1. Un véritable Red Light ? La Basse-Ville et la prostitution à Québec de 1919 à 1938

1.2 L'importance de la Basse-Ville comme lieu de résidence des hommes impliqués dans la

Durant l'entre-deux-guerres, on remarque que la répartition spatiale des hommes liés au milieu prostitutionnel de Québec ne correspond qu'en partie à celle de l'ensemble de la population336. Parmi les sept quartiers qui composent la ville, Saint-Roch est celui où résident le plus grand nombre d'entre eux337. C'est 27% du total des individus de sexe masculin répertoriés entre 1919 et 1938 qui y habitent. Cela est considérable surtout quand on sait que durant cette même période, ce quartier représente en moyenne seulement 15% de l'ensemble de la population de la Vieille Capitale338. Il est vrai que dans Saint-Roch, l'industrie peut compter au début des années 1900 sur une main d'œuvre

335 Courville et Garon, Québec, ville et capitale, p. 262. 336

Il aurait été intéressant d’établir la répartition sociale des hommes liés au milieu prostitutionnel selon le type d’infraction pour lesquels ils sont arrêtés. Ainsi, nous aurions pu constater par exemple l’écart possible entre le lieu de résidence privilégié par les clients par rapport aux autres individus. Malheureusement, l’imprécision dont souffre une partie de nos données rend impossible cet exercice.

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Afin de déterminer le lieu de résidence des hommes qui font partie du paysage prostitutionnel de la ville de Québec, nous nous sommes basés sur l’ensemble des infractions répertoriées et nous avons procédé de la même façon qu'au moment d'établir leur niveau socio-économique, soit en consultant les annuaires

Marcotte. Ainsi, sur les 277 hommes dont nous avons réussi à établir le lieu de résidence, 75 vivent dans Saint-Roch, 65 vivent dans Saint-Sauveur, 56 vivent dans Saint-Jean-Baptiste, 45 vivent dans Limoilou, 19 vivent dans Champlain et 17 vivent dans Montcalm.

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abondante rendue disponible par le déclin de la construction navale et qui de plus, est réputée laborieuse, docile et facile à manier339. Les deux usines implantées sur la rue Dorchester, propriétés respectives des compagnies Rock City Tobacco et Dominion Corset, en sont un bel exemple. Toutefois, en dépit de la présence de ces deux employeurs importants, la croissance de la population du quartier stagne à partir de 1910. La reprise démographique n'aura lieu qu'après la Seconde Guerre mondiale ce qui fait qu'entre 1921 et 1941, Saint-Roch abrite en moyenne autour de 18 000 habitants340.

Le deuxième quartier où résident le plus d'hommes impliqués dans les activités prostitutionnelles est Saint-Sauveur. C'est un peu plus de 23% d'entre eux qui y vivent. Cela est peut-être dû au développement considérable que connait cette partie de la ville au début du XXe siècle. En effet, entre 1900 et 1920, c'est ce quartier qui absorbe la plus grande proportion de la croissance démographique que vient nourrir un exode rural grandissant341. La première phase d'industrialisation de Saint-Sauveur commence véritablement en 1910 avec la naissance de ce qui deviendra le principal complexe industriel de la région, soit le complexe industriel Saint-Malo342. C'est d'ailleurs sur cet espace situé à l'extrémité ouest de la rue Sainte-Thérése que la compagnie ferroviaire du Transcontinental décide de construire des usines pour la réparation des locomotives et des wagons, aménagements qui ne manquent pas de donner un souffle au développement urbain à l'ouest de la rue Marie-de-l'Incarnation343. Cet essor du secteur industriel se répercute aussi sur le plan démographique puisque ce quartier qui comptait autour de 18 000 âmes en 1901 en compte un peu plus de 40 000 en 1941344. Entre 1921 et 1941, il englobe en moyenne 28% de la population totale de la ville.

Parmi les hommes impliqués dans le phénomène de la prostitution, 20% vivent dans Saint-Jean-Baptiste, ce qui est légèrement supérieur à Limoilou qui accueille 16% d'entre

339 Michel Bonnette (dir.), Saint-Roch, un quartier en constante mutation, Québec, Division du Vieux-

Québec et du patrimoine, 1987. p. 22.

340 Vallières (dir.), Histoire de Québec, p. 1303-1304. 341 Ibid., p. 1305.

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Michel Bonnette (dir.), Saint-Sauveur, à l'image du début du siècle, Québec, Division du Vieux-Québec et du patrimoine, 1987. p. 24.

343 Ibid.,

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eux. Pourtant, entre 1919 et 1938, ce dernier en vient à supplanter largement le premier au niveau du poids démographique qu'il représente dans la Vieille Capitale. En effet, le phénomène de saturation de l'espace qui s'observe dans Saint-Sauveur et Saint-Jean- Baptiste dès le début des années 20 incite les gens à s'installer sur les territoires adjacents que sont Limoilou et Montcalm. En plus, la vente de lots dans ces parties de la ville encourage l'arrivée de nouveaux venus. Grâce aux promoteurs du domaine Lairet et de la compagnie Quebec Land, le développement urbain dans Limoilou finit par s'étendre au- delà de la 18e rue au nord et jusqu'au parc de l'Exposition provinciale à l'ouest345. En conséquence, durant l'entre-deux-guerres, c'est en moyenne une personne sur cinq qui habite ce quartier346.

C'est à peine 6% des hommes liés aux activités prostitutionnelles qui résident dans Montcalm. Cela contraste avec le poids démographique de ce quartier au sein de la ville de Québec qui, entre 1919 et 1938, est en moyenne plus de deux fois supérieur347. Il faut savoir qu'à l'instar de Limoilou, Montcalm est également porté par les projets des promoteurs immobiliers. Ainsi, le nombre de personnes qui vivent dans cette partie de la Haute-Ville fait presque doubler au cours de la décennie 1930.

Au bas de la liste se retrouve aux côtés de Montcalm le quartier Champlain qui englobe seulement 7% de l'ensemble des individus de sexe masculin répertoriés. Le nombre très faible d'hommes impliqués dans la prostitution qui vivent dans le quartier le plus ancien de la ville est peut-être lié à la chute démographique que subit ce dernier à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Effectivement, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Champlain ne semble toujours pas s'être remis du marasme causé par la baisse importante des activités portuaires cent ans plus tôt. Une des conséquences de ce ralentissement économique sera le départ progressif des habitants, parmi lesquels une forte proportion de débardeurs irlandais348. Il est vrai qu'entre 1880 et 1930, l'érection d'édifices monumentaux initiée par Lord Dufferin et l'embellissement des places

345 Michel Bonnette (dir.), Limoilou, à l'heure de la planification urbaine, Division du Vieux-Québec et du

patrimoine, 1987. p. 21.

346 Vallières (dir.), Histoire de Québec, p. 1304. 347 Ibid.,

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publiques contribuent à faire du Vieux-Québec un lieu touristique prisé349. Cependant, ces mesures ne réussissent pas à redonner au quartier l'importance dont il jouissait durant la première moitié du XIX siècle. En 1941, le nombre de résidents qui vivent sur ce territoire coincé entre le cap Diamant et le fleuve Saint-Laurent est pratiquement le même qu'en 1901, soit autour de 10 000350.

Graphique 12 : Lieu de résidence des hommes arrêtés pour des délits liés à la prostitution, par quartier, 1919-1938

Par ailleurs, lorsque nous étudions le niveau socio-économique des hommes qui font partie du paysage prostitutionnel de Québec en fonction de leur lieu de résidence, nous constatons que la proportion d'individus appartenant aux classes aisées est nettement plus importante dans le secteur de la Haute-Ville, comme c'est le cas pour l'ensemble de la population de Québec. Dans Montcalm, c'est 50% des hommes répertoriés qui font partie

349 Michel Bonnette (dir.), Vieux-Québec, Cap-Blanc: place forte et port de mer, Québec, Ville de Québec,

1989. p. 33.

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des élites et cela n'est peut-être pas étranger à « l'embourgeoisement » que connait le quartier durant le premier tiers du XXe

siècle. La construction de logements multiples sur la Grande Allée, dont le Château St-Louis351 et le Claridge, l'établissement des congrégations religieuses sur le chemin Ste-Foy et l'aménagement graduel du Parc des Champs-de-Bataille ne sont en effet que quelques-uns des facteurs qui participent à faire grimper le coût des terrains et du coup confère un cachet huppé à ce secteur situé à l'ouest de la rue Salaberry352.

Dans Saint-Jean-Baptiste, c'est 27% des hommes répertoriés qui appartiennent à la petite bourgeoisie ou encore aux élites. Cependant, ce que le graphique ne dit pas, c'est que la totalité d'entre eux vivent au sud de la rue Saint-Jean, dans la partie la plus riche du quartier. Ici, il faut rappeler qu'au cours de l'entre-deux-guerres Saint-Jean-Baptiste continue de présenter de forts clivages sociaux. Dans la partie située au nord de la rue Saint-Jean, on y trouve une fonction résidentielle à moyenne et haute densité où la promiscuité et l'insalubrité deviennent des maux quotidiens pour les résidents issus en grande partie des classes populaires353. Dans les parties hautes du quartier, la fonction résidentielle est toujours présente, mais la population qui s'y installe est quant à elle, fort différente. Des maisons spacieuses appartenant aux habitants des paroisses les plus riches côtoient des appartements plus fonctionnels destinés aux fonctionnaires gouvernementaux354. En fait, cet embellissement est en partie dû à l'essor encore timide de l'appareil bureaucratique ainsi qu'aux travaux d'aménagement réalisés sur la Grande Allée au début du XXe

siècle355. Du reste, cette artère et l'emblématique avenue des Braves - située dans Montcalm - continuent d'être les lieux privilégiés par la grande bourgeoisie.

À l'opposé, Saint-Roch et Limoilou sont - conformément à leur statut de quartier ouvrier - les deux quartiers qui abritent la plus grande proportion d'hommes appartenant aux

351 À ne pas confondre avec le château du même nom érigé par Samuel de Champlain en 1620 et qui est

actuellement situé en dessous de la terrasse Dufferin.

352 Michel Bonnette (dir.), Montcalm, Saint-Sacrement: nature et architecture: complices dans la ville,

Québec, Ville de Québec, 1988. p. 49.

353 Courville et Garon, Québec, ville et capitale, p. 262-263. 354 Ibid., p. 263.

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classes populaires. Sur cette portion de territoire qui s'étend des deux côtés de la rivière Saint-Charles, ces derniers représentent en moyenne 82,5% de l'ensemble des individus de sexe masculin impliqués dans la prostitution.

Tout compte fait, on voit que la Basse-Ville paraît être le secteur de prédilection des hommes liés au milieu prostitutionnel dans la Vieille Capitale. Le trois quart d'entre eux y vivent, notamment dans les quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur. Plus encore, parmi ces individus, ceux qui appartiennent au couches sociales les plus pauvres sont, toutes proportions gardées, plus nombreux à vivre en bas de la Côte d'Abraham. À l'opposé, les plus riches se retrouvent généralement en Haute-Ville dans la partie située au sud de la rue Saint-Jean, comme c'est le cas pour l'ensemble de la population de Québec.