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Évolution du cadre législatif entourant la prostitution au Canada et au Québec

Chapitre 1 Discours et législation entourant la prostitution au Québec durant la première moitié du XXe

3. Évolution du cadre législatif entourant la prostitution au Canada et au Québec

Plusieurs historiens contemporanéistes196 ont montré comment l'état canadien utilisa - à travers différents appareils de contrôle social - les lois afin de réguler moralement ses citoyens. Ces mêmes chercheurs ont toutefois souligné que la criminalisation de certains comportements sexuels - dont la prostitution - ne relevait pas uniquement du judiciaire197. Durant la première moitié du XXe

siècle, la régulation sexuelle s'opère également à travers différentes institutions formelles et informelles productrices de normes telles que la famille, l'éducation, l'Église et les experts en sciences médicales. Au Québec comme dans le reste du Canada, les acteurs sociaux qui s'intéressent à la prostitution font partie de ces groupes qui, produisant un discours normalisant, influencent les hommes politiques responsables de la création des lois198. Si les réformateurs et les réglementaristes ne s'entendent pas sur les mesures à prendre pour combattre la prolifération des maisons de débauche, l'approche adoptée par les législateurs fédéraux et les échevins de la ville de Québec prend, quant à elle, une coloration résolument abolitionniste.

3.1 Législation en vigueur au lendemain de la création du Code criminel Lorsque le XXe

siècle voit le jour, le Canada est déjà doté d'un ensemble de lois visant d'une part, à protéger les jeunes femmes et les enfants des prédateurs sexuels et d'autre part, à pénaliser les activités de ceux qui gèrent, encouragent ou encore profitent de la prostitution199. C'est ainsi qu'en vertu du code criminel de 1892, le fait d'induire ou d'attirer une fille âgée de moins de vingt et un ans dans une maison malfamée est passible d'une sentence pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement200. Dans le cas où celle- ci est âgée de moins de quatorze ans, l'individu reconnu coupable peut être emprisonné

196 Voir entre autres Martel, Canada the Good; Myers, Caught, p. 19-36. Sangster, Regulating Girls, chap.

4; et Carolyn Strange et Tina Loo, Making Good, chap. 1.

197

Sangster, Regulating Girls, p. 85.

198 Véronique Pillon, Normes et déviances, Rosny, Bréal, 2003. p. 36-37.

199

Voir entre autres Constance Backhouse, « Nineteeth Century Canadian Prostitution Law: Reflection of a Discriminatory Society », Social History, vol. 28, no. 36 (1985); Backhouse, Petticoats and Prejudice; McLaren, « White Slavers » , McLaren, « Chasing the Social Evil », et Lavoie, « Moralité et acteurs sociaux »,

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pour une période allant jusqu'à dix ans201. Si ce sont les parents même qui profitent ou ordonnent la prostitution de leur fille, la sentence prévue est de cinq ans de prison202. Encore, plusieurs dispositions incluses dans l'article 185 visent à enrayer le trafic des femmes vers l'extérieur et l'intérieur du pays à des fins de prostitution tandis que l'article 190 consacré à l'exploitation sexuelle des femmes « indiennes » permet d'incriminer tout individu reconnu coupable d'avoir tenu une maison, tente ou wigwam afin que des femmes sauvages viennent s'y prostituer203.

Parallèlement à ces offenses, les personnes impliquées dans les activités prostitutionnelles risquent d'être arrêtées selon la loi sur le vagabondage ou encore pour nuisance publique204. Tenir un bordel peut effectivement être considéré comme une nuisance205 et conséquemment, la sentence prévue pour le tenancier ou la tenancière est alors d'un an d'emprisonnement206. Quant aux individus trouvés dans une maison de prostitution, ils peuvent - au même titre que les tenanciers - être arrêtés en vertu de la loi sur le vagabondage207. Pour cette infraction, ils sont passibles d'une amende n'excédant pas cinquante dollars et/ou d'une peine d'emprisonnement ne dépassant pas six mois avec ou sans travaux forcés208 . Par ailleurs, il est important de noter que la législation en vigueur à l'époque stipulait que les femmes « réputées de mœurs douteuses » ne pouvaient se prémunir de la loi concernant l'exploitation des maisons de débauche. Cette précision lève le voile sur les rapports de genre sur lesquels s'appuyaient les lois visant la prostitution.

201 Code criminel, 1892, article 187 (a et b). 202

Code criminel, 1892, article 186.

203 Code criminel, 1892, articles 185 (c, d, e, f. g, h) et 190. 204 Code criminel, 1892, articles 207, 195 et 198.

205 Voir la définition de nuisance publique; Code criminel, 1892, article 191. 206

Code criminel, 1892, article 198. Il est à noter que cette sentence est deux fois plus sévère que celle découlant de l'article similaire relatif aux peuples autochtones.

207 Code criminel, 1892, article 207 (i, j, k, l). Selon la définition du Code criminel, la législation relative au

vagabondage) cible entre autres qui « tient ou habite une maison déréglée, de prostitution ou mal famée, ou une maison fréquentée par des prostituées; » ou encore celui qui « a l'habitude de fréquenter ces maisons, et ne rend pas de lui-même ou d'elle-même un compte satisfaisant ».

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En dépit de cet ensemble de lois destiné à régir et punir les comportements sociaux jugés inacceptables, les réformateurs209 présents au Canada au tournant du XXe

siècle ne sont pas rassurés. Comme nous l'avons démontré dans la première section de ce chapitre, ceux-ci sont troublés non seulement par l'existence de la prostitution et l'exploitation qui en découle, mais aussi par le laxisme dont les autorités municipales semblent trop souvent faire preuve face à la présence des bordels. C'est dans ce contexte qu'entre 1900 et 1920, ils multiplièrent leurs demandes auprès du gouvernement fédéral afin d'élargir et de renforcer la législation entourant le vice.

3.2 La lutte contre la « traite des blanches »: un appel pour un renforcement des lois visant la prostitution

Les préoccupations internationales concernant la « traite des blanches » atteignent leur paroxysme au début de la décennie 1910. Comme nous l'avons observé dans la première section, les réformateurs canadiens sont grandement perturbés par ce soi-disant trafic d'humains. En fait, l'analyse de leur discours montre qu'à l'exception des associations féministes, ceux-ci manifestent généralement peu de sympathie à l'égard des femmes prises dans les méandres de la prostitution. De même, ils tendent à transférer le caractère moralement odieux de cette situation uniquement sur les épaules de celles-ci. Paradoxalement toutefois, c'est la suppression du vice commercialisé qui, à leurs yeux, reste la clé d'un véritable changement social210. C'est ainsi qu'inspirées par les mesures législatives adoptées en Angleterre et aux États-Unis211, ils mirent de la pression sur le gouvernement canadien afin que d'une part, il élargisse la définition des crimes pour ceux qui organisent la prostitution212 et d'autre part, il augmente la sévérité des peines, notamment pour les récidivistes. Dans la même veine, ils ne ménagèrent pas leurs efforts afin que les mineurs soient mieux protégés par la loi.

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Au Canada, les réglementaristes n'étaient pas nécessairement plus satisfaits des lois en place, mais à la différence des réformateurs, ils ne fontque très peu de demandes formelles auprès des législateurs.

210 McLaren, « Recalculating the Wages », p. 541. 211

Nous faisons référence au Mann Act adopté aux États-Unis en 1910 ainsi qu'aux Criminal Law

Amendment Acts adoptés en Angleterre entre 1885 et 1912. Ces lois cherchaient surtout à enrayer le

commerce d'humains à des fins de prostitution. Voir McLaren, « Chasing the Social Evil », p. 141-145.

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Entre 1910 et 1920, maintes revendications exprimées par les réformateurs trouvent un écho favorable chez les politiciens et les législateurs. Par exemple, l'article 216 relatif au proxénétisme est modifié à quelques reprises, essentiellement afin d'élargir son champ d'application et d'accroître la sévérité des peines qui y sont liées. En l'espace de sept ans, la sentence prévue pour les proxénètes récidivistes fait plus que tripler. En effet, un premier amendement adopté en 1913 fait passer la peine d'emprisonnement de deux à cinq ans, en plus d'ajouter la possibilité du coup de fouet213. En 1920, un deuxième amendement augmente la sentence à dix ans de prison, plus le coup de fouet214.

L'année 1913 constitue un autre moment charnière pour ce qui est des lois entourant la nuisance publique. D'abord, les dispositions entourant les maisons de débauche s'étendent pour inclure quiconque, en qualité de propriétaire, de locateur, locataire, agent ou autrement à la charge et le contrôle d'un local et permet, de propos libéré, que ce local soit, en totalité, ou en partie, loué ou employé comme maison de désordre215. De même, les propriétaires de bordels voient leur responsabilité s'accroître considérablement. Dans le cas où un individu est reconnu coupable d'avoir tenu une maison close et que les faits sont portés à la connaissance du propriétaire de l'établissement, celui-ci doit mettre fin au bail ou au droit d'occupation de ladite personne216. Si le propriétaire manque d'exercer ce droit et qu'une infraction est de nouveau commise dans ce dit établissement, il doit alors être réputé un tenancier de maison de prostitution à moins qu'il ne prouve qu'il ait pris toutes les mesures raisonnables pour empêcher le renouvellement de l'infraction217.

Par ailleurs, à partir de 1915, les personnes reconnues coupables d'avoir habité une maison de prostitution voient leurs peines s'alourdir substantiellement. N'étant plus incorporé à la loi sur le vagabondage, mais bien à celle sur les maisons de débauche, ce délit est désormais considéré, selon l'article 229a, comme un acte criminel passible d'une

213 Statuts révisés du Canada, 1906, article 216, (1913, c.13) 214

Code criminel, 1927, article 216, (1920, c.43, art. 18)

215 En fait, la définition légale d'une maison malfamée avait déjà été élargie une première fois en 1907 pour

appréhender les prostituées qui sollicitaient dans la rue, mais qui utilisaient un local quelconque pour « travailler ». Voir Statuts révisés du Canada, 1906, article 228a, (1913, c.13)

216 Statuts révisés du Canada, 1906, article 228. a2, (1913, c.13) 217 Ibid.,

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amende de cent dollars ou à défaut de paiement, d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an218. Seulement, cette dernière modification se révèle nt être doublement discriminatoire. D'une part, parce que ce sont les prostituées qui, la majorité du temps, se voient être appréhendées pour ce délit. D'autre part, parce que le fait d'avoir été trouvé dans une maison de débauche - disposition généralement utilisée pour les clients des bordels - reste une infraction punissable par voie sommaire et passible d'une peine de cent dollars ou à défaut de paiement, de deux mois de prison219.

Enfin, la modification de l'article 211 relatif à la séduction d'une fille mineure constitue certainement l'une des plus belles victoires qu'obtiennent les associations féministes. Puisque cette loi constituait à leurs yeux une sorte de symbole officiel entérinant l'inégalité morale entre les hommes et les femmes, elle est devenue, dans le cadre de leur lutte pour la promotion d'un standard unique, l'une de leurs cibles favorites220. En 1920, le gouvernement fédéral finit par plier. L'âge de la responsabilité pénale du garçon qui séduit une fille âgée entre seize et dix-huit ans est abaissé à dix-huit ans221. Du côté des femmes, l'âge du consentement sexuel est élevé aussi à dix-huit ans222.

Au niveau municipal, la nouvelle réglementation adoptée par les échevins de la ville de Québec au début des années 1910 marque une rupture avec l'approche qui prévalait jusqu'alors en matière de prostitution. De fait, depuis la création du règlement 270 en 1870, la municipalité tentait non pas de supprimer les maisons closes, mais semblait plutôt miser sur la tolérance223. Celui-ci soumettait les bordels à une série de restrictions visant essentiellement à camoufler les activités qui s'y déroulaient et dans ce sens, paraissait en effet beaucoup plus près du système prôné par les réglementaristes que de l'approche défendue par les réformateurs224. Inversement, le règlement 26 adopté le 28

218 Statuts révisés du Canada, 1906, article 229a, (1915, c.12) 219

Statuts révisés du Canada, 1906, article 229, (1913, c.13)

220 Lavoie, « Moralité et acteurs sociaux », p. 91.

221 Code criminel, 1927, article 211, (1920, c.43, arts. 4 et 17) 222 Ibid.,

223 Réjean Lemoine, « Maisons malfamées et prostitution: de la tolérance à l'interdiction », Cap-aux-

Diamants: la revue d'histoire de Québec, vol.1, no.1, 1985. p. 15; Allen, « Prostituées de rue », p. 26. 224

Règlements no. 234 du 23 septembre 1870, Concernant les maisons de prostitution, p. 68-70, section 1, dans Règlements du Conseil de ville de la Cité de Québec. Compilés par Mathias Chouinard, Québec, 1901.

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mars 1913 propose plutôt de punir quiconque, tient, habite, ou fréquente une maison de prostitution225. Il est vrai que la peine prévue pour les individus trouvés coupables de cette infraction reste identique à celle contenue dans le précédent règlement, soit une amende n'excédant pas cent piastres ou à défaut de paiement de l'amende et des frais, d'un emprisonnement au travail forcé pendant un espace de temps n'excédant pas six mois226. Par contre, la définition du terme « maison de prostitution » s'élargit pour englober une maison, une bâtisse, un appartement, une chambre ou un local quelconque227. Parallèlement à ces dispositions qui visent directement le milieu prostitutionnel, un autre règlement, cette fois-ci relatif à la paix et le bon ordre est voté en mars 1914. En dépit du fait qu'il ne visait pas directement le milieu prostitutionnel, il est fort possible que les autorités l'aient utilisé afin de contrôler l'activité des prostituées à proximité des maisons de débauche. Ce dernier interdit aux marchands, aux commerçants ainsi qu'à leurs employés de se tenir dans la porte de leur magasin afin de solliciter les passants228. Les personnes appréhendées pour ces motifs sont passibles d'une amende n'excédant pas quarante piastres et les frais, et à défaut de paiement de la dite amende et des frais, d'un emprisonnement pour un espace de temps n'excédant pas deux mois229.

Bref, entre la fin du XIXe siècle et le début des années 1920, plus de la moitié de l'ensemble des demandes d'amendement adressées au gouvernement canadien fut l'œuvre des réformateurs230. Malgré que plusieurs de leurs revendications restèrent sans suite et que dans les faits, la prostitution demeura, ils réussirent tout de même à convaincre les

225

Règlement no. 26 du 28 mars 1913, Concernant les maisons déréglées, malfamées et de prostitution. section 2

226 Un amendement passé un peu plus de deux ans plus tard, soit en décembre 1915, vint préciser cette

peine initiale. Les individus reconnus coupables pouvaient désormais recevoir les deux sentences

conjointement. De plus, il était précisé que la période d'emprisonnement prenait fin aussitôt que l'amende et les frais étaient payés. Voir Amendement no. 26 A adopté le 3 décembre 1915 pour amender le règlement no. 26 du 28 mars 1913, Concernant les maisons déréglées, malfamées et de prostitution.

227 Règlement no. 26 du 28 mars 2013, Concernant les maisons déréglées, malfamées et de prostitution.

section 1

228 Règlement no. 7 du 6 mars 1914, Concernant le bon ordre et la paix, section 1 et 2.

229 Ibid., section 3. Deux autres amendements adoptés successivement entre mai 1925 et avril 1926 vinrent

alourdir cette peine initiale. Voir Règlement no. 7B du 29 mai 1925, pour Amender le Règlement

concernant le bon ordre et la paix et le Règlement no. 7C du 23 avril 1926, Concernant la sollicitation dans les rues.

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politiciens d'amender les lois afin de restreindre la liberté de ceux qui entendaient tirer profit des activités prostitutionnelles.

3.3 Prostitution, guerre et syphilis: légiférer pour limiter la contagion

Durant la Grande Guerre, l'examen des recrues et des volontaires avait relevé l'étendue des dommages causés par les maladies vénériennes. Additionnées à l'angoisse que suscitait à la même époque le « péril vénérien », ces données encouragèrent les autorités fédérales à créer un décret interdisant à toute femme infectée d'avoir des relations sexuelles avec un militaire231. Les femmes accusées étaient tenues de se soumettre à un examen médical qui, dans le cas où ce dernier était positif, les menait au confinement jusqu'à guérison complète232. En 1919, cette mesure est incorporée au code criminel et dès lors s'applique pour tous les civils. C'est ainsi que selon l'article 316a, est passible d'une amende d'au plus cinq cents dollars ou d'un emprisonnement de six mois au plus, ou des deux peines à la fois, quiconque, souffrant de maladie vénérienne transmissible, sciemment ou par négligence coupable communique cette maladie vénérienne à une autre personne233.

Presqu'au même moment, la province de Québec adopte des mesures étatiques semblables, dispositions qui participent à calmer les craintes partagées aussi bien par les tenants de l'encadrement réglementaire que par les réformateurs. Effectivement, à partir de 1919, les gens qui vivent au Québec et qui « sciemment ou par négligence, communique à une autre personne une maladie syphilitique ou vénérienne » peuvent être arrêtés en vertu de la Loi sur l'Hygiène publique234. À la suite du verdict de culpabilité, ceux-ci risquent une amende n'excédant pas deux cents piastres ou d'un emprisonnement n'excédant pas trois mois235. De plus, à l'instar de la loi fédérale, tout individu appréhendé pour délit sexuel doit obligatoirement être examiné par un médecin236. Enfin, ce spécialiste est lui-aussi forcé de communiquer les résultats des examens au juge afin

231

Keshen, Saints, salauds, p. 195.

232 Ibid., p. 196.

233 L'article précisait également que l'expression « maladies vénériennes » englobait la syphilis, la

gonorrhée et le chancre mou. Voir Statuts révisés du Canada, 1906, article 316a, (1919, c.46)

234 Lévesque, « Le Bordel », p. 127; Boivin, « État protecteur », p. 128. 235 Loi d'hygiène du Québec, article 3929.

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que ce dernier puisse en tenir compte au moment de rendre sa sentence237. De fait, l'article 3929c stipule que lorsqu'il est question de maladies vénériennes, les médecins ne doivent pas être tenus au secret professionnel238.

Il faut mentionner que les pouvoirs attribués aux responsables de la santé publique à travers ces lois ne semblèrent pas soulever l'ire des associations féministes. Au contraire, ces dernières se félicitèrent de ces dispositions qui, selon leur opinion, allaient permettre de mieux combattre la propagation du « mal vénérien »239. L'hostilité dont elles firent preuve face aux mesures réglementaristes qui pourtant, impliquaient des pouvoirs similaires, semblait ici disparue au profit d'une peur généralisée vis-à-vis les conséquences funestes que faisait peser sur la société le spectre de la syphilis.

En fin de compte, il est clair que les revendications des réformateurs eurent un impact considérable sur la société canadienne durant les deux premières décennies du XXe siècle. Puisque l'un de leurs principaux objectifs consistait à alerter l'opinion publique quant aux dangers de la prostitution, leur discours fut amplement diffusé et permit d'attirer l'attention de la population sur des changements sociaux qui les préoccupaient. Par ailleurs, ces nombreux amendements adoptés traduisent une tendance vers l'alourdissement de la criminalisation240et par le fait même, laisse supposer un élargissement de la répression des activités humaines d'ordre sexuel au cours de la première moitié du XXe

siècle.

À partir du milieu des années 1920, les changements apportés aux lois visant la prostitution furent beaucoup moins nombreux et cet apaisement n'est peut-être pas étranger au fait que les croisades moralisatrices contre le vice commercialisé perdirent également en intensité. Tandis que la légitimité des réformateurs s'effritaient au profit de celles des spécialistes en sciences sociales, tels que les sociologues et les économistes241,

237 Ibid., 3929b 238 Ibid., 3929c

239 McLaren, « White Slavers », p. 85.

240 Non pas tant au niveau quantitatif - adoption de nouvelles lois - que qualitatif - par le renforcement de

celles en place.

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ces derniers dirigèrent leurs efforts vers d'autres enjeux - chômage, sans-abris - que la Crise économique vint exacerber.

Dans la prochaine section, nous nous pencherons brièvement sur les corps de police municipaux et provinciaux qui ont le mandat de faire respecter les lois et règlements liés aux activités vénales et qui, dans le contexte socio-économique difficile de l’entre-deux- guerres, doivent unir leurs forces afin de réprimer le vice.