• Aucun résultat trouvé

La responsabilité causale du vendeur de choses défectueuses

1. Limitation et exclusion conventionnelles de la responsabilité par des conditions générales de vente

L'importance pratique de l'art. 208 al. 2 CO est infiniment plus grande que celle de l'art. 195 al. 1 CO, mais il faut se garder de toute exagéra-tion. Avant d'analyser le contenu et les limites de l'art. 208 al. 2 CO, on ne peut pas passer sous silence le grave problème que pose la conclusion de contrats de vente avec des clauses d'exonération ou de limitation de responsabilité, contenues souvent dans des conditions générales de vente.

Il n'est pas question de soulever ici à nouveau tous les problèmes posés par la limitation et l'exonération de la responsabilité dans des conditions générales30. Mais il convient de se rappeler que les art. 197 ss CO, l'art. 208 CO inclus, sont du droit dispositif. Même la clause contrac-tuelle selon laquelle un vendeur de voiture se libère de toute responsabi-lité a été considérée comme valable par la Cour de justice civile de

30 Cf. deux conférences données devant la Société genevoise de droit et de législa-tion: MERZ Hans, «Le contrôle judiciaire des conditions générales du contrat en droit suisse», SemJud 97 (1975) 193 ss; PERRIN Jean-François, «La limitation de la respon-sabilité contractuelle en droit suisse», SemJud 95 ( 1973) 209 ss. Cf. en outre PERRIN Jean-François, «La validité des clauses de non-responsabilité ou limitatives de res-ponsabilités», Recueil des travaux suisses présentés au Jxe Congrès international de droit comparé, Bâle 1976, pp. 64 ss et références, et AHNER Peter Gert, Die Rechts-wirksamkeit der Freizeichnungsklauseln in den Allgemeinen Geschiiftsbedingungen der Banken, thèse Gôttingen 1975.

REMARQUES SUR LA RESPONSABILITÉ CAUSALE DU VENDEUR 137

Genève, sous réserve du cas de dol31 . De nombreuses ventes sont con-clues aujourd'hui selon des conditions générales dérogeant à la respon-sabilité du vendeur selon les art. 97 ss et 197 ss CO. Pour cette raison déjà, l'acheteur supportera lui-même très souvent le dommage qui lui est 479 causé par la livraison de produits défectueux.

L'acheteur ne pourra guère compter sur la jurisprudence pour que soient corrigées des conditions générales inéquitables. Contrairement à la jurisprudence allemande32 qui déjà avant l'entrée en vigueur, le ler avril 1977, de la «Gesetz zur Regelung des Rechts der Allgemeinen Geschaftsbedingungem> du 9 décembre 197633 avait substitué au con-tenu inéquitable des conditions générales (même s'il n'était pas contraire aux moeurs) la solution qui tient compte d'une manière équitable des intérêts de l'acheteur, la jurisprudence suisse se limite le plus souvent à examiner si, selon le principe de la confiance, les conditions générales sont devenues parties intégrantes du contrat. Eventuellement, ce n'est pas le cas si la clause est insoJite34 . Mais la limitation de la responsabi-lité n'a pas été considérée comme insolite jusqu'ici. Ayant admis que les conditions générales sont incluses dans le contrat, la jurisprudence suisse se borne à interpréter un texte ambigu en faveur de la partie qui n'a pas pris part à sa rédaction34a. Mais elle n'effectue pas un contrôle judiciaire de la question de savoir si les clauses des conditions générales qui stipu-lent une limitation ou exonération de la responsabilité tiennent équita-blement compte des intérêts du cocontractant. Pourtant, les bases mêmes de la liberté contractuelle sont souvent faussées par l'inégalité du pou-voir économique entre un vendeur qui écoule des produits de masse sur le marché selon des conditions générales établies principalement dans son propre intérêt et un acheteur qui souvent n'a le choix que de con-clure ou de ne pas concon-clure, mais non d'exercer son influence sur le contenu du contrat35.

Il semble en tout cas qu'une application plus large de l'art. 21 CO, comme de l'art. 19 al. 2 CO dans des situations où des secteurs écono-miques entiers substituent leurs conditions générales à la loi dispositive, 480 - et du raisonnement que le Bundesgerichtshof allemand a fait dans des

31 SemJud 81 (1959) 387.

32 Exemple: BGHZ 38, 183, 185 s.

33 Bundesgesetzblatt 1976 I pp. 3317 ss; ScHMID-SALZER Joachim, «Das Gesetz zur Regelung des Rechts desAllgemeinen Geschiiftsbedingungen», NJW 30 (1977) 129 ss.

34 Cf. MERZ (cité n. 30) quant aux règles de l'insolite (Ungewiihnlichkeitsregel) et de manque de clarté (Unklarheitenregel).

34a ATF 99 II 290, 292, et références; ÜAUCH Peter, «Die revidierte S.I.A. -Norm. 118», in Gediichtnisschrift Peter JÂGGI, Fribourg 1977, pp. 203 ss, 23 7.

35 V1scHER Frank, Sclnveizerisches Privatrecht, Band VII/1, Obligationenrecht -Besondere Vertragsverhiiltnisse, Bâle 1977, p. XIV.

138 HERBERT SCHÔNLE

cas individuels, en appliquant par analogie le § 315 al. 1 et 3 BGB (raison-nement qui peut très bien se faire également pour combler les lacunes de la législation suisse)-, est nécessaire pour éviter qu'en vertu des condi-tions générales du vendeur, l'acheteur, soit privé, très souvent sans le savoir, d'une protection suffisante en cas de livraison de produits défec-tueux.

2. Prescription

Supposons maintenant que par chance, les art. 197 ss CO s'appliquent et que l'acheteur peut obtenir, sur la base de l'art. 208 CO, réparation du dommage corporel et matériel subi par l'utilisation de la voiture ou des pneus défectueux qu'il a achetés. Tout de suite, un deuxième obstacle surgit: la prescription annale de l'art. 210 CO.

Aux Etats-Unis et en Allemagne où les conditions d'une responsa-bilité extracontractuelle du fabricant sont beaucoup plus facilement réa-lisées qu'en Suisse, les cas deviennent de plus en plus fréquents où des producteurs ou importateurs rappellent, dans des annonces publiques, des séries entières de fabrication36. En Suisse, s'il n'y a pas une offre publique de la part du producteur ou de l'importateur de remplacer la chose vendue et si les défauts de la voiture ou des pneus achetés se mani-festent seulement une année après la conclusion du contrat, les actions édiliciennes contre le vendeur, à savoir l'action rédhibitoire et l'action en réduction de prix (art. 205 CO), l'action en remplacement de la chose vendue (art. 206 CO), l'action en dommages-intérêts après résolution de la vente (art. 208 CO) sont prescrites en vertu de l'art. 210 CO.

Quels autres moyens de droit sont alors à la disposition de l'ache-teur? Souvent, l'état de faits se qualifie non seulement de livraison dé-481 fectueuse au sens de l'art. 197 CO, mais aussi, préalablement déjà, lors

de la conclusion du contrat, d'erreur essentielle sur les motifs au sens de l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO. Il faut admettre que selon la «loyauté commer-ciale» (art. 24 al. 1 ch. 4 CO), personne n'aurait conclu la vente en con-naissance de cause. Fort heureusement, la jurisprudence du Tribunal

36 HüLSEN Hans-Viggo von, BRONING-BRINKMANN Tons, «Rückruf fehlerhafter Serienprodukte, Der Fehlerbegriff im U.S.-Recht», RIW/AWD 23 (1977) 91 ss; en Allemagne, Firestone a rappelé 10.000 pneus en décembre 1976, Continental 100.000 en novembre 1976, Veith Pirelli 200.000, Uniroyal 250.000; des séries complètes de marques renommées de voitures ont été rappelées par B.M.W. et Volvo pour des dé-fauts à la direction Servo, Ford pour défauts aux freins, V.W. pour des dégâts de cor-rosion, Daimler-Benz pour des défauts à la direction de voitures Mercedes 280 S et 450 SEL, Der Spiegel 31 (1977) n° 6 du 31janvier1977, p. 71. En Suisse, en raison de l'issue mortelle causée principalement par le défaut du système de freinage d'une voiture neuve Ford Capri 2600 GT, une peine est infligée à l'acheteur-conducteur, mais non au vendeur, importateur ou fabricant, ATF 101 IV 67.

REMARQUES SUR LA RESPONSABILITÉ CAUSALE DU VENDEUR 139

fédéral 37 ne partage pas l'avis du Bundesgerichtshof allemand38, ni d'une grande partie de la doctrine suisse39, qui considère les dispositions con-cernant la garantie en raison des défauts de la chose vendue comme des leges speciales par rapport à celles concernant l'erreur sur la base néces-saire du contrat au sens de l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO. L'acheteur peut donc invalider le contrat pour erreur essentielle s'il respecte les délais de l'art. 31 al. 1 et 2 CO. Mais l'invalidation lui donne seulement un droit au remboursement du prix payé selon l'art. 62 al. 1 CO; elle confère au garagiste-vendeur une action en revendication selon l'art. 641 al. 2

ces

concernant la voiture ou les pneus défectueux (le transfert de la propri-été mobilière étant causal en droit suisse). Par contre, aucune action en réparation du dommage basée sur la culpa in contrahendo ou sur d'autres chefs de responsabilité ne serait fondée contre le vendeur en l'absence de faute de celui-ci. L'acheteur doit donc supporter lui-même un dom-mage corporel ou matériel causé par les défauts de la chose vendue (à moins qu'exceptionnellement une action en responsabilité extracontrac-tuelle contre le fabricant aboutisse malgré les preuves libératoires que lui permet d'apporter l'art. 55 CO si le droit suisse s'applique).

3. Le dommage direct au sens de l'art. 208 al. 2 CO

Admettons maintenant qu'à la fois la responsabilité contractuelle du ven-deur ne soit pas exclue ou limitée par des conditions générales de vente 482

et que les droits basés sur l'art. 208 al. 2 CO ne soient pas encore pres-crits. Qui supportera en dernier lieu le dommage? Cette question soulève le problème extrêmement controversé de l'interprétation de l'art. 208 al. 2 CO car, très souvent, clans le processus échelonné de distribution de produits de masse, le dernier vendeur (le garagiste vendant des pneus dangereux, le vendeur de voitures défectueuses) pourra fournir la preuve libératoire d'absence de faute de sa part au sens des art. 97 al. 1 et 208 al. 3 CO.

Trois constatations (controversées!) s'imposent si l'on essaie d'in-terpréter l'art. 208 al. 2 CO en tenant compte du système général de la responsabilité contractuelle:

37 ATF. 98 II 15, 21 = Journ. des Trib. 1972 1 547, 552; 88 II 410, 412 = Journ. des Trib. 1963 I 471 (résumé); 82 II 411, 420 ss = Journ. des Trib. 1957 1 182, 187 ss, et références à la jurisprudence antérieure; GIGER (cité n. l) n°s 64 et 67 avant art. 197 ss.

38 ROZ 61, 171; 135, 339; 138, 354 BGHZ 16, 54; 34, 32.

39 BECKER (cité n. 1), n°s 22 ad art. 24; VON BûREN (cité n. 6), p. 201 ss; CAVIN (cité n. 3), p. 117 ss. CAVIN Pierre, «Considérations sur la garantie en raison des défauts de la chose vendue», SemJud 91 (1969) 329 ss, 340 ss; ENGEL (cité n. 4), p. 229;

GuHL / MERz /KUMMER (cité n. 2) p. 340; MERZ Hans, «Sachgewahrleistung und Irrtumsanfechtung, Vom Kaufnach schweizerischem Recht», Festschriftfur Theo Guhl, Zurich 1950, p. 87 ss; SCHUBIGER Alfred, Verhiiltnis der Sachgewiihrleistung zu den Folgen der Nichte1füllu11g oder nicht gehorigen Erfullung, thèse Berne 1957, pp. 132 s.

140 HERBERT SCHÔNLE

a) l'art. 208 al. 2 CO n'oblige qu'à la réparation de l'intérêt négatif de l'acheteur;

b) l'art. 208 al. 2 n'oblige qu'à la réparation de cette partie de l'inté-rêt négatif qui «résulte directement de la livraison de marchandises défectueuses»;

c) l'art. 208 al. 2 CO n'oblige pas à la réparation du gain manqué sur la chose vendue.

Nous avons donc une règle exceptionnelle, instituant une responsabilité causale du vendeur, mais dont l'interprétation fait voir trois limites qui conduisent à ce que très souvent l'acheteur ou le dernier vendeur suppor-tera le dommage alors que d'autres intermédiaires et le fabricant ne cou-rent aucun risque. Qu'il soit permis de reprendre brièvement ces trois limites à la responsabilité causale du vendeur.

a) L'obligation de réparer une partie de l'intérêt négatif

L'arrêt du Tribunal fédéral Cofrumi S.A. contre Transatlanta S.A. de 195340 nous confirme l'opinion tout à fait dominante aujourd'hui41

se-483 Ion laquelle l'art. 208 al. 2 CO ne peut viser que l'intérêt négatif de l'acheteur à être placé dans la situation patrimoniale qui serait la sienne s'il n'avait jamais conclu le contrat de vente. L'avis contraire défendu en son temps par BECKER42 et voN TUHR43 méconnaît la contradiction qui existe si l'acheteur fait «résilier la vente en exerçant l'action rédhibi-toire» (art. 205 al. 1 CO) et réclame en même temps des dommages-intérêts positifs pour se trouver dans la situation financière correspondant à l'exécution parfaite du contrat dont il demande pourtant la résolution.

Un contrat nul, invalidé ou, comme ici, résolu par suite d'une action rédhibitoire, ne déploie pas de force obligatoire. Il ne peut pas être la

40 ATF 79 II 376, 380.

41 BALDI Peter, Über die Gewiihrleistungspflicht des Verkiiufers von Aktien, thèse Zurich 1975, p. 54; BAUR Kurt, Wandlung und Mindenmg beim Kauf nach sclnveizerischem Obligationenrecht, thèse Hambourg 1928, p. 60; BOCHLI Karl, Die Gewiihrleistungs-pflicht bei der Verteilung eines gemeinschaftlichen Vermiigens, thèse Fribourg 1943, p. 87; VON BûREN Bruno, Schweizerisches Obligationenrecht, Besonderer Teil, Zurich 1972, p. 42; CAVIN (cité n. 3), p. 101; FURRER Rolf, Beitrag zur Lehre der Gewiihr-leistung im Vertragsrecht, p. 26; KATZ Hans-Peter, Sachmiingel beim Kauf von Kuntsgegenstiinden und Antiquitiiten, thèse Zurich 1973, p. 75; KELLER Alfred, Haft-pflicht im Privatrecht, 2e éd. Berne 1970, p. 332; KELLER Max (cité n. 1), p. 225;

LOTH! Rolf, Die Rechtsnatur und Stellung der Sachgewiihrleistungspjlicht beim Spezies-kauf im System des schweizerischen Obligationenrechts, thèse Berne 1955, p. 79;

NEUENSCHWANDER Markus, Die Schlechte1füllung, thèse Berne 1971, p. 75.

42 BECKER (cité n. 4), n° 5 ad art. 208 et n° 2 et 6 ad art. 195.

43 VON TuHR Andreas, «Streifzüge in redivierten Obligationenrecht», SJZ 18 ( 1921-22) 365 ss., 370 n° !.

REMARQUES SUR LA RESPONSABILITÉ CAUSALE DU VENDEUR 141

base d'une action en exécution ni en dommages-intérêts pour inexécu-tion. La réparation de l'intérêt positif présume le maintien du contrat.

l:acheteur ne peut demander des dommages-intérêts positifs que sous les conditions de l'art. 97 al. 1 CO. Il ne peut lier une action en répara-tion de l'intérêt positif qu'avec l'acrépara-tion en réducrépara-tion de prix (art. 205 CO) ou l'action en remplacement de la chose vendue (art. 206 CO), donc avec des actions supposant le maintien du contrat, mais il ne peut pas la cumuler avec l'action rédhibitoire.

C'est pourquoi il est étonnant que l'opinion dominante admette la possibilité pour l'acheteur de lier son action rédhibitoire avec une action en dommages-intérêts positifs selon l'art. 208 al. 3 CO au cas où le ven-deur est fautif44. En vérité, l'ai. 3 comme l'ai. 2 de l'art. 208 CO, pré-sument la résolution du contrat et n'obligent qu'à la réparation de l'intérêt négatif45, l' al. 2 à la réparation de la partie qui est dommage direct, l'ai. 3 de la partie qui se qualifie de dommage indirect. La base légale pour l'action en dommages-intérêts positifs reste l'art. 97 al. 1 CO en cas de maintien du contrat.

C'est la raison pour laquelle il est également exclu d'admettre, de 484 lege lata, une application par analogie de l'art. 208 al. 2 CO à l'action en réduction de prix (art. 205 C0)46 ou à l'action en remplacement de la chose vendue (art. 206 CO) même s'il paraît peut-être équitable de lege ferenda d'instituer une responsabilité causale du vendeur également quant à l'intérêt positif de l'acheteur et non seulement quant à son intérêt né-gatif.

Deuxième constatation concernant les limites de la responsabilité causale du vendeur selon l'art. 208 al. 2 CO:

b) L'obligation de réparer cette partie de l'intérêt négatif qui est dommage direct

Le dommage direct au sens de l'art. 208 al. 2 CO n'est pas identique avec la totalité de l'intérêt négatif comme le laisseraient croire certains

44 BAUR (cité n. 41), p. 60 s.; BûCHLI (cité n. 41), p. 87; VON BûREN (cité n. 41), p. 43;

CAVIN (cité n. 3), p. 101; CAVIN (cité n. 39), SemJud 91 (1969) 337; G1GER (cité n. !), 45 ad art. 208; ]ÀGER Theodor, Die Haftung des Verkiiufers für die Miingel der Fahrniskaufsache nach schweizerischem Obligationenrecht, thèse Zurich 1911, p. 105;

KATZ (cité n. 41), p. 75; KELLER (cité n. !), p. 222; NEUENSCHWANDER (cité n. 41), p. 40; ÛELS Herbert, Die Sachmiingelhaftung beim Fahrniskauf nach deutschem und schweizerischem Recht, thèse Erlangen 1931, p. 35; S1MONIUS August, «Über den Er-satz des mus <lem Dahinfallen des Vertrages> erwachsenen Schadens», ZSR 37 (1918) 225 SS.

45 SCHUBIGER (cité n. 39), pp. 74 SS.

46 Même avis ATF 63 II 401, 403 ss, contre un fort courant doctrinal cf. NEUENSCHWANDER (cité n. 41 ), p. 78 et références.

142 HERBERT SCHÔNLE

auteurs47, mais seulement avec une partie de l'intérêt négatif. La ques-tion de savoir si le dommage «résulte directement de la livraison de mar-chandises défectueuses» (art. 208 al. 2 CO) est une question d'intensité du lien de causalité adéquate entre le fait dommageable (c'est-à-dire le défaut de la chose vendue) et le dommage survenu48. La délimitation est difficile. Mais elle n'exige pas qu'on confère au juge un droit d'appré-ciation quasi illimité comme un certain nombre d'autres auteurs le pro-posent49. Le dommage direct au sens de l'art. 208 al. 2 CO est cette partie de l'intérêt négatif qui est exclusivement causée par le défaut de la chose vendue et son utilisation normale par l'acheteur dans le cadre de sa destination usuelle ou convenue. Le dommage indirect au sens de l'art. 208 al. 3 CO est alors cette autre partie de l'intérêt négatif qui se trouve à la fin d'une chaîne de causalité contenant, outre le défaut et l'utilisation normale de la chose vendue, d'autres faits dommageables,

485 des causes intermédiaires sans lesquelles le dommage ne se serait pas produit ou n'aurait pas atteint le montant total de l'intérêt négatif5°. Si d'ailleurs il est hors de toute probabilité, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, que ces autres faits dommageables inter-viennent, il y a interruption du lien de causalité adéquate et le vendeur ne répond pas selon l'art. 208 al. 3 CO, même s'il est fautif.

Exemple: le vendeur doit réparer sans sa faute, en vertu de l'art. 208 al. 2 CO et en tant que unmittelbar verursachter Mangelfolgeschaden (dommage direct consécutif au défaut) tout dommage corporel et maté-riel que subit l'acheteur exclusivement par suite d'un accident dû à l'em-ploi normal d'une voiture défectueuse. Si cependant l'acheteur subit un dommage corporel ou matériel ultérieur parce qu'il glisse lors de ses essais de marche à l'hôpital et se casse une jambe, et si ce dommage se trouve toujours en rapport de causalité adéquate avec l'accident de voi-ture, le vendeur le réparera seulement dans les conditions de l'art. 208 al. 3 CO en cas de faute, car il s'agit d'un dommage indirect51. Si enfin une faute concomitante très grave de l'acheteur blessé ou une faute très grave d'un tiers (p. ex. le médecin traitant), hors de toute probabilité

41 BALDI (cité n. 41), p. 54; BAUR (cité n. 41), pp. 59 s.; VON BùREN (cité n. 41), p. 42;

KELLER Alfred (cité n. 41), pp. 39 et 333; KELLER Max (cité n. 1), pp. 223 SS.

48 Avis divergent: G1GER (cité n. 1), 37 ad art. 208 et n°8 26-30 ad art. 195 en assimilant dommage direct et damnum emergens (réfutation dans le texte infra lit.c).

49 FURRER (cité n. 41), p. 27; LùTHJ (cité n. 41), p. 80; NEUENSCHWANDER (cité n. 41), p. 79; SCHUBIGER (cité n. 39), p. 77; SIMONIUS (cité n. 44), pp. 265 S.

50 ÜFTINGER Karl, Schweizerisches Haftplichtrecht, Band I, Allgemeiner Teil, 4e éd., Zurich 1975, pp. 60 et 104 ss; GJOVANNONJ Pierre, «Le dommage direct en droit suisse de la responsabilité civile, comparé aux droits allemand et français», ZSR 96 (1977) 31 ss; TERCIER Pierre, «La réparation du préjudice réfléchi en droit suisse de la res-ponsabilité civile», in Gediichtnisschrift Peter Jiiggi, Fribourg 1977, pp. 239 ss, 242.

51 ScHUBIGER (cité n. 39), p. 77.

REMARQUES SUR LA RESPONSABILITÉ CAUSALE DU VENDEUR 143

selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, produit en-core un autre dommage corporel ou matériel, le lien de causalité adé-quate est interrompu et le vendeur ne répond pas pour ce dommage, même s'il y avait faute de sa part quant à la livraison de la voiture défectueuse.

Il peut paraître excessif que le vendeur doive réparer sans sa faute la totalité du dommage direct qui, par suite de l'invalidité de l'acheteur causée par le produit défectueux, n'a peut-être aucune commune mesure avec le petit bénéfice que tire le dernier vendeur de la vente52 . C'est pourquoi il a été proposé, de lege ferenda, de faire supporter le dom-mage direct seulement pour une partie par le dernier vendeur et pour l'autre partie par le fabricant ou par l' importateur53. Il convient de par- 486 tager entièrement cet avis concernant la nécessité d'une intervention du législateur. La responsabilité extra-contractuelle du fabricant selon l'art. 55 CO ne nous permet pas d'attendre tranquillement l'évolution de la jurisprudence, encore que des progrès pourraient être obtenus de ce côté54 si l'on retient que créer un état de faits dangereux pour autrui, sans prendre les précautions nécessaires pour éviter des dommages, est un acte illicite55 et qu'il y a omission fautive lorsque l'auteur du dom-mage néglige de renseigner les intéressés sur l'existence du danger et sur les mesures préventives qui s'imposent pour y parer56.

D'ailleurs, le projet du Conseil de l'Europe, dont notre pays est membre, d'une Convention européenne sur la responsabilité du fait des produits en cas de lésions corporelles et de décès du 27 janvier 197757, de même que la proposition de la Commission de la CEE d'une directive du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, régle-mentaires et administratives des Etats membres en matière de responsa-bilité du fait des produits défectueux du 9 septembre 197658, contiennent

D'ailleurs, le projet du Conseil de l'Europe, dont notre pays est membre, d'une Convention européenne sur la responsabilité du fait des produits en cas de lésions corporelles et de décès du 27 janvier 197757, de même que la proposition de la Commission de la CEE d'une directive du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, régle-mentaires et administratives des Etats membres en matière de responsa-bilité du fait des produits défectueux du 9 septembre 197658, contiennent