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Droit des obligations et droit bancaire : études

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Academic year: 2022

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Book

Reference

Droit des obligations et droit bancaire : études

SCHONLE, Herbert

SCHONLE, Herbert. Droit des obligations et droit bancaire : études . Bâle : Helbing &

Lichtenhahn, 1995, 360 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:112503

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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Herbert Schonle

DROIT DES

OBLIGATIONS ET DROIT BANCAIRE

ETUDES

Helbing & Lichtenhahn Faculté de Droit de Genève

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COLLECTION GENEVOISE

Herbert Schonle

Droit des obligations et droit bancaire

Etudes

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Herbert Schônle

Professeur honoraire de l'Université de Genève

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COLLECTION GENEVOISE

Herbert Schonle

Professeur honoraire de l'Université de Genève

Droit des obligations et droit bancaire

Etudes

Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le-Main 1995

Faculté de Droit de Genève

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Catalogage en publication de la Deutsche Bibliothek

Schônle, Herbert:

Droit des obligations et droit bancaire : Etudes/ Herbert Schônle.

Faculté de Droit de Genève. - Bâle ; Francfort-sur-le-Main : Helbing et Lichtenhahn, 1995.

(Collection genevoise) ISBN 3-7190-1427-4

Tous droits réservés. L'œuvre et ses parties sont protégées par la loi. Toute utilisation en dehors des limites de la loi demande l'accord préalable de l'éditeur.

ISBN 3-7190-1427-4 Numéro de commande 210 1427

© 1995 by Helbing & Lichtenhahn, Bâle Conception graphique: Vischer & Vettiger, Bâle

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Sommaire

Préface 7

Les fondements constitutionnels de la liberté contractuelle 9 La bonne foi dans les relations entre particuliers 29 I..:imprévision des faits futurs lors de la conclusion d'un contrat

générateur d'obligations 51

Intérêts moratoires, intérêts compensatoires et dommages-intérêts

de retard en arbitrage international 77

Ort und Zeit bargeldloser Zahlung 101

Remarques sur la responsabilité causale du vendeur

selon les art. 195 al. 1 et 208 al. 2 CO 125 Réflexions sur le transfert des risques dans la vente internationale 149 De la représentation exclusive en droit suisse et comparé -

Application par analogie de l'art. 418u CO? 167 Die Bankauskunft nach schweizerischem Recht 185 La responsabilité des banques pour renseignements inexacts 219 Rechtsprobleme des Dokumentenakkreditivs mit

hinausgeschobener Zahlung 241

Cession et compensation en matière de crédit documentaire 267 Rechtsvergleichende Aspekte der Bankenhaftung aus

Saniemngsaktionen (Frankreich, Belgien, Schweiz) 291 La responsabilité extra-contractuelle du donneur de crédit

en droit suisse 315

Bibliographie du Prof. Herbert Schônle 335

Table des abréviations 34 7

Table des matières 349

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Préface

Monsieur le Professeur, cher Ami,

En publiant quelques unes des nombreuses études scientifiques par les- quelles vous avez contribué de façon importante au rayonnement de la Faculté de droit de l'Université de Genève, vos collègues et amis tien- nent à vous témoigner leur attachement, leur admiration et leur gratitude au moment où vous parvenez au terme d'une carrière particulièrement féconde.

Le hasard du calendrier a voulu que je me trouve encore investi de la charge de Doyen tandis que vous accédez au privilège de pouvoir recentrer votre attention et votre énergie sur le cercle familial et le champ des activités librement choisies au gré de vos disponibilités et de la pri- orité accordée aux nombreux projets toujours reportés à des temps meilleurs. Je suis particulièrement honoré et touché d'avoir ainsi le plaisir de rédiger cette préface, car elle me fournit l'occasion de coucher sur le papier, sous une forme un peu plus officielle et solennelle, ce que j'ai déjà si souvent essayé de vous exprimer lors des moments de partage de votre fidèle amitié.

J'étais parmi les premiers étudiants soumis, à partir de 1970, à l'en- seignement donné sous la forme des séances de travail. Je suis un témoin crédible du bien-fondé de la réputation que vous vous êtes acquise de dispenser l'enseignement du droit des obligations avec un remarquable talent pédagogique alimenté et renouvelé en permanence par l'excellence scientifique, la clarté dans l'expression de la pensée et la qualité, sans cesse affinée, de la méthode appliquée à la résolution des cas pratiques.

La chaleur de votre accueil, votre disponibilité constante pour les étu- diants et les assistants, votre enthousiasme communicatif ont marqué des dizaines de volées de jeunes juristes en devenir, dont la reconnaissance se manifeste à chaque occasion d'une croisée des chemins. Je sais que vous jugerez le propos excessif, mais je sais aussi qu'il est si largement partagé que vous ne pourrez pas en contester l'objectivité.

Avant de vous consacrer complètement au droit civil et commercial suisse, à partir de 1971, vous avez assuré de nombreux enseignements de droit allemand, que ce soit dans le domaine du droit commercial, du droit des sociétés, du droit des obligations ou encore du droit bancaire et boursier. Ces tâches ont été assumées successivement en qualité de char- gé de cours à partir de 1959, puis de professeur extraordinaire jusqu'en

1963, votre carrière de professeur ordinaire ayant duré à elle seule plus de trente ans.

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Si le droit des obligations et le droit bancaire suisses ont finale- ment constitué les principaux domaines d'enseignement, de recherche et de publication dans la seconde partie de votre carrière - votre contribu- tion récente au Commentaire zurichois du Code civil ( Obligationenrecht, t. V 2a, Kauf und Schenkung, Art. 184-191 OR) parue en 1993 a été fort remarquée-, vous n'avez jamais cessé de manifester beaucoup d'intérêt pour le droit comparé et d'oeuvrer en faveur de la prise en compte par la doctrine et la jurisprudence de l'évolution de plus en plus rapide du con- texte politique, économique et social. La place privilégiée accordée au souci de la méthode se retrouve dans les écrits qui laissent parfois appa- raître une note d'agacement face à l'absence d'unité dans l'approche de la matière. C'est ainsi que dans la préface de l'ouvrage précité, vous vous exclamez: « Und welcher Meinungswirrwarr in Sachen Gefahr- übergang!»

Mais ce bref rappel de votre parcours serait manifestement inache- vé s'il n'était fait aucun état de votre engagement permanent en faveur de la bonne marche de la Faculté, au sein de laquelle vous avez notam- ment occupé durant sept ans la fonction de Vice-Doyen et Président de la section de droit privé. La modestie, la discrétion, l'absence totale d' es- prit de revendication, qualités naturelles auxquelles il faut ajouter la pré- disposition à la médiation et à la conciliation, vous ont valu l'estime de tous et un nombre rare de sympathies et d'amitiés aussi spontanées que durables.

Tous mes collègues se joignent à moi pour vous féliciter en toute simplicité pour ce magnifique parcours. Merci de tout coeur et meilleurs voeux à vous et à votre épouse pour une prochaine étape riche en joies et en découvertes de nouveaux horizons.

Martin Stettler

Doyen de la Faculté de droit

Genève, le 14 juillet 1995

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LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE

1. Introduction

Dans un arrêt «X. AG c. A. et consorts» du 18 juin 1985, le Tribunal 61

fédéral se fait l'interprète de l'opinion selon laquelle «les droits fonda- mentaux de l'individu ne sont pas seulement menacés par les empiéte- ments de l'Etat; ils sont exposés aussi à la puissance de l'ordre social»!.

On constate que dans cette optique la liberté contractuelle a très mauvai- se presse. Certains lui reprochent de dégénérer en instrument juridique manipulé avec virtuosité par les détenteurs de la puissance économique2.

Le Conseil fédéral craint qu'elle soit prise à témoin abusivement par la partie contractante mieux informée et en position de supériorité3. Légis- lation et jurisprudence4 s'efforcent de combattre les abus.

Paru dans Présence et actualité de la Constitution dans l'ordre juridique, Mélanges offerts à la Société suisse des juristes pour son congrès, Francfort-sur-le-Main (Helbing

& Lichtenhahn) et Genève (Faculté de droit) 1991, pp. 61-81.

l ATF 111 II 245, 253 X. AG.

2 L. RAISER, Die Zukunft des Privatrechts, Berlin 1971, 12: l'institution juridique du contrat risque «Zu einem rechtstechnisch virtuos gehandhabten Instrument in der Hand der Inhaber wirtschaftlicher Macht zu degenerieren». U. WESEL, Juristische Weltkunde, Eine Einführung in das Recht, Francfort-sur-le-Main 1984, 97 ss avec de nombreuses références. Déjà au siècle passé, on pouvait lire chez O. VON GJERKE, (Die soziale Atif- gabe des Privatrechts, 1889, 28 s., étude citée et analysée par G. HôNN, «Entwicklungs- linien des Vertragsrechts», Juristische Schulu11g 1990 953, 954): «Schrankenlose Freiheit zerstôrt sich selbst. Eine furchtbare Waffe in der Hand des Starken. Ein stumpfes Werkzeug in der Hand des Schwachen, wird sie zum Mittel zur Unterdrückung des Einen durch den Anderen, der schonungslosen Ausbeutung geistiger und wirtschaftlicher Übermacht».

3 Message du Conseil fédéral «à l'appui d'une loi fédérale visant à améliorer l'in- formation des consommateurs et d'une loi fédérale modifiant le Code des obligations (De la formation des obligations)», du 7 mai 1986: «Ce principe fondamental du droit contractuel ne peut prétendre à une pleine et légitime application que si les engage- ments dont on entend assurer le respect émanent d'une décision mûrement réfléchie et prise en toute liberté», FF 1986 II 360, 393.

4 Exemple de législation: modification du 15 décembre 1989 du Code des obliga- tions (Bail à loyer et bail à ferme), FF 1989 III 1584 ss et ROLF 1990 I 801 ss;

exemple de jurisprudence: ATF 112 II 450 Banque X. (infra IV.3 et notes 50 et 51), selon lequel l'exploitation d'une banque doit être assimilée à l'exercice d'une indus- trie concédée par 1' autorité, au sens de l'art. 100 al. 2 CO, pour que la liberté con-

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10 HERBERT SCHÔNLE

62 Ces efforts, à leur tour, conjurent le danger de mise sous tutelle du citoyen libre5. En conséquence, il importe de délimiter l'intervention- nisme étatique et l'autonomie privée, et ceci également dans le domaine contractuel. L'homogénéité de l'ordre juridique nous invite à chercher la frontière dans les fondements mêmes de l'ordre social, le droit constitu- tionnel.

Deux fondements constitutionnels étayent la liberté contractuelle et ses limites, l'un, formel, relevant de la Constitution fédérale écrite, l'autre, matériel, se rattachant au droit constitutionnel non écrit.

Du point de vue formel, on peut se contenter de renvoyer à l'art. 64 Cst. Selon cette norme, la Confédération est compétente pour légiférer en matière de droit privé. La législation fédérale a usé de cette compé- tence à l'art. 19 CO au sujet de l'aspect principal de la liberté contrac- tuelle, la liberté de déterminer l'objet du contrat. Concernant les autres aspects de la liberté contractuelle, à savoir la liberté de conclure ou de ne pas conclure, la liberté de choisir son cocontractant, la liberté de dé- terminer la forme du contrat et la liberté de modifier ou de mettre fin au contrat d'un commun accord, le législateur fédéral a édicté des normes plus ou moins explicites, entre autres, les art. 27 ss CC, art. 6 LCart, art. 11 CO et, en dernier ressort, aussi l'art. 1 al. 2 CC6 .

e

art. 64 Cst.

comme fondement constitutionnel formel de la liberté contractuelle ne soulève que des questions dont les réponses ne sont guère contestées, mais qu'il apparaît utile de rappeler (infra Il).

Matériellement, la liberté contractuelle et ses limites sont souvent rattachées à la liberté du commerce et de l'industrie au sens de l'art. 31 Cst. ou à la garantie de la propriété et, d'une manière plus générale, à la

«liberté personnelle» garantie par le droit constitutionnel fédéral non écrit. Cette base constitutionnelle a suscité de vives controverses (infra III). La précision du premier fondement constitutionnel de la liberté con- tractuelle par le second permet pourtant des conclusions intéressantes (infra IV et V).

tractuelle de la banque de conclure des conventions exclusives de responsabilité soit limitée au sens de cette disposition.

5 H. ÜIGER, «Bedrohung der Vertragsfreiheit im Konsumkreditrecht», Schweizer Monatshefte 63 483, 486 ss.

6 Sur les différents aspects de la liberté contractuelle cf. M. FISCHER, Der Begriff der Vertragsfreiheit, Zurich 1952, 62 ss; E. A. KRAMER, Berner Kommenta1; Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, Band Vl/1/2/1 Lieferung 1, Kommentar zu Art. 19, 20 OR, Berne 1990, n°s 42 ss ad Art. 19, 20 CO; B. SCHNYDER, Vertragsfreiheit ais Privatrechtsbegrijf, Fribourg 1960, 69 ss.

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LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE LA LIBER1É CONTRACTUELLE 11

II. Liberté contractuelle et droit constitutionnel écrit

1. L'art. 64 Cst. comme fondement de la liberté contractuelle Selon l'art. 64 de la Constitution fédérale, la législation en matière de droit civil et de droit des obligations est du ressort de la Confédération.

En édictant le Code civil, le Code des obligations et les autres lois de droit privé, la Confédération a fait usage de cette compétence. Parfois, p. ex. dans l'art. 186 CO, le législateur fédéral l'a déléguée aux Cantons.

D'une manière plus générale, dans l'art. 19 al. 1 CO, il l'a transférée partiellement aux particuliers. Il leur permet, dans le champ restreint de leurs rapports obligationnels, de régler eux-mêmes leur comportement par la conclusion de contrats.

L'art. 19 CO autorise les particuliers, dans des limites déterminées, à se prescrire conventionnellement les prestations qu'ils doivent fournir et auxquelles ils ont droit. Il confère aux parties contractantes la compé- tence de créer d'un commun accord des droits et des obligations. En cas de dispute, le contrat remplit la fonction de loi, de /ex contractus. Par là, il constitue aussi une injonction à l'adresse du juge. Il lui indique com- ment trancher le litige. Droit public et droit privé se chevauchent ici du fait que les normes de droit privé s'adressent aussi, selon certains même en premier lieu, à l 'Etat7. Le droit privé prescrit au pouvoir judiciaire étatique la manière dont il doit juger des rapports juridiques litigieux de droit privé. Qu'il s'agisse de rapports qui n'entrent pas dans le cadre d'une activité étatique ayant un caractère de souveraineté, parce que l'Etat ou un autre détenteur de la puissance publique n'y participe pas, ou n'y participe pas en procédant à l'exercice de cette puissance, n'empêche pas que le droit privé constitue un ensemble de normes qui commandent l'activité pacificatrice du juge étatique&.

7 P. JAoGI, Privatrecht und Staal, Gesammelte Aufsiitze, Zurich 1976, 3, 30 ss.

8 Sont des rapports juridiques de droit privé les relations entre deux ou plusieurs personnes pour lesquelles la question se pose de savoir si ! 'une doit à l'autre un comportement déterminé, et auxquelles l'Etat ou un autre détenteur de la puissance publique ne participe pas, ou ne participe en tout cas pas en procédant à l'exercice de cette puissance (ceci selon les critères des intérêts, des sujets, de la subordination, de la sanction, de la fonction ou selon d'autres critères employés par la jurisprudence;

cf. surtout ATF 109 lb 146, 149 Schweizerischer Treuhiinder-Verband; 96 I 537, 541 Vadi; mais aussi, à titre d'exemple, ATF 113 II 424, 426 s.; 105 la 392, 394 Nino Rezzonico; 102 II 55, 57 Pierrot; 99 lb 115, 120 Crameri; «Bezirksgericht Schwyz, arrêt du 9 avril 1990», RSJ 1991 27 ss; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 3e éd.

Bâle et Francfort-sur-le-Main 1988, 15 ss; ScHôNENBERGER / JAoGI, (Zürche1) Kom- mentar zum sclnveizerischen Zivilgesetzbuch, Teilband V la, Zurich 1973, n°8 125 ss avant art. 1 CO). Le rapport juridique de droit privé se qualifie de rapport obligation- nel si le comportement dû vise une «prestation», c'est-à-dire le sacrifice d'une valeur (chose, travail, temps, etc.) au profit de l'autre personne (E. A. KRAMER, Berner Kom- mentar, Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, Band VIII/!, Berne 1986, 19 ss,

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12 HERBERT SCHÔNLE

64 2. Vart. 64 Cst. comme fondement de la force obligatoire des contrats

L'art. 64 Cst., en liaison avec l'art. 19 al. 1 CO, comporte donc en quel- que sorte une «délégation» aux parties contractantes de «légiférer» dans leurs rapports personnels. Les parties peuvent convenir de la loi qui régit leurs relations, créer leurs droits et obligations et prescrire au juge com- ment résoudre leurs éventuels différends futurs. Cette force obligatoire de la convention, corollaire de la liberté contractuelle, mérite une préci- sion.

Lorsque le Code des obligations dispose dans son art. 19 al. 1 que

«l'objet du contrat peut être librement déterminé, dans les limites de la loi», il admet implicitement ce que le Code civil français dit expressé- ment à son art. 1134: «Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites». L'idée de la force obligatoire des con- trats se retrouve par ailleurs dans le libellé du titre premier et du chapitre premier de la première partie du Code des obligations: «De la formation des obligations», «Des obligations résultant du contrat». Le Code atta- che à la promesse contractuelle de prestations la conséquence juridique de l'obligation de les fournir. Mais cette force obligatoire ne s'exerce qu'à l'égard des parties contractantes (effet relatif des conventions). La liberté contractuelle, la force obligatoire du contrat et son effet relatif sont les trois principes juridiques dérivés du principe de l'autonomie de la volonté9.

Que le droit positif se base sur la déclaration d'une volonté passée pour obliger le déclarant à fournir la prestation promise même contre sa volonté actuelle se justifie, d'une part, parce qu'il est plus commode et plus utile pour l'organisation de la société de laisser aux particuliers le soin de régler leurs rapports obligationnels eux-mêmes, au lieu de tout

65 réglementer en haut lieu. A la lecture de contrats complexes de vente internationale ou, par exemple, de la «Norme SIA 118», on se rend aisé- ment compte que ces règles conventionnelles peuvent être bien plus dé- taillées, plus complètes et plus volumineuses, souvent aussi mieux adaptées aux besoins des parties, que les rudimentaires art. 184-215 CO sur la vente mobilière ou les art. 363-379 CO sur le contrat d'entreprise10.

n°s 31 ss avant art. 1 CO:, ScHôNENBERGER / ]ÂGGI, foc. cit., n°s 103 ss avant art. 1 CO).

9 ScHôNENBERGER /Hom (note 8), n°s 111 ss ad art. 1 CO, sur la force obligatoire du contrat; KRAMER (note 8), n°s 43 ss avant art. l CO, sur la relativité du rapport obliga- tionnel.

10 J. GHESTIN, Le contrat de formation, 2e éd., Paris 1988, 178 ss, n°s 172 ss; J. GHESTIN,

L'utile et le juste dans les contrats, Archives de philosophie du droit, tome 26, Paris 1981, 35 ss; KRAMER (note 6), n°s 38 ss ad art. 19-20 CO et les références.

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LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE 13

La force obligatoire des contrats se justifie, d'autre part, parce qu'en principe elle satisfait notre sentiment de justice et d'équité. Normale- ment, il correspond aux règles de la bonne foi que le destinataire d'une promesse de prestation puisse se fier à la déclaration qu'il a reçue et acceptée11 . On part del 'idée que les parties contractantes étaient le mieux à même de trouver un compromis juste entre leurs intérêts opposés. En- core faut-il qu'ensuite la protection de la confiance en la promesse de prestation de celui qui ne veut plus s'exécuter mérite de l'emporter sur d'autres considérations de justice et d'équité. De telles autres considéra- tions, effectuées par le législateur, sont à la base du «droit strict» men- tionné à l'art. 19 al. 2 CO comme limite de la liberté contractuelle. La violation de ce droit impératif par un contrat priverait celui-ci de sa for- ce obligatoire et le rendrait nul en vertu de l'art. 20 al. 1 CO.

3. L'art. 64 Cst. comme fondement des limites de la liberté contractuelle

On le voit, la liberté contractuelle et la force obligatoire des contrats ont des limites. En réservant le «droit strict» dans l'art. 19 al. 2 CO, le légis- lateur fédéral a rendu la liberté contractuelle très relative. Il entend con- server la possibilité d'édicter des dispositions qui lui paraissent opportunes ou justes et auxquelles les parties ne peuvent déroger. L'art. 64 Cst. ne restreint nullement la compétence du législateur fédéral de promulguer de telles normes. L'art. 19 al. 2 CO, à son tour, ne contient aucune réser- ve qui réduirait l'ampleur du «droit strict» pour préserver la liberté con- tractuelle. Au contraire, cette disposition indique que même une «règle de droit» qui ne relève pas du «droit strict», peut devenir impérative, 66

«lorsqu'une dérogation à son texte serait contraire aux moeurs, à l'ordre public ou aux droits attachés à la personnalité».

En réalité, il s'avère que la liberté de disposition des parties est limitée, en vertu des art. 64 Cst., 19 al. 2 et 20 al. 1 CO, notamment dans la mesure où l'intérêt de tiers ou un intérêt public, dignes de protec- tion sur le plan économique, politique ou moral, l'emporte sur les inté- rêts des parties contractantes. Il en va de même lorsque les propres intérêts des parties, ou d'une partie contractante, exigent la nullité de la conven- tion. Dans tous ces cas, la liberté contractuelle est limitée, parce que l'organisation de la société selon «les principes essentiels de l'ordre ju- ridique» le demandel2.

11 ScHôNENBERGER / JAGGJ (note 8), n°5 113 ad art. l CO. Pour des réflexions généra- les sur le <<juste» et «l'utile» comme finalités du droit, cf. aussi P. ENGEL, «Sur l'heu- ristique du droit», in Mélanges P. Piolet, Berne 1990, 13 ss.

12 ATF 111 II 245, 253 X. AG; H. MERZ, Vertrag und Vertragsschluss, Fribourg 1988, 48, 60 s.; pour les limites philosophiques de la liberté contractuelle, cf. E. WoLF,

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14 HERBERT SCHÔNLE

Mais l'art. 64 Cst. ne donne aucune directive au sujet de ces limita- tions. Selon ce seul fondement constitutionnel, le législateur fédéral aurait compétence pour édicter n'importe quelle disposition de «droit strict»

au sens de l'art. 19 al. 2 CO. De même, l'art. 19 al. 2 CO n'indique pas la nature du «droit strict» destiné à limiter la liberté contractuelle. La formulation négative «la loi n'exclut les conventions des parties que lors- qu'elle édicte une règle de droit strict ... » n'amenuise pas l'autonomie apparente que le législateur fédéral s'est réservée.

S'il y a des limites aux restrictions législatives de la liberté con- tractuelle, il convient de les chercher ailleurs. Elles résultent entre autres du droit constitutionnel fédéral non écrit (infra III) et doivent exercer leur influence non seulement sur la législation, mais encore sur la juris- prudence (infra IV).

67 III. Liberté contractuelle et droit constitutionnel non-écrit 1. Le rapport entre «liberté contractuelle»

et «liberté personnelle»

La liberté contractuelle comme notion juridique repose sur le substrat idéologique de l'autonomie de la volontél3. En droit, elle a souvent été rattachée à la liberté du commerce et de l'industrie garantie par l'art. 31 Cst. et à la garantie de la propriété14 . La question se pose de savoir si, d'une manière plus générale, elle peut être fondée sur le droit constitu- tionnel non écrit de la liberté personnelle.

En 1954, dans son fameux arrêt «Seelig c. Studio 4 A.G.» le Tribu- nal fédéral a constaté que la liberté contractuelle est la «conséquence de la jouissance et de l'exercice des droits civils et constitue une partie

«Vertragsfreiheit - eine Illusion?» in Festschrift fiïr M. Keller, Zurich 1989, 359, 379 ss (385 ss sur la conception du Bundesverfassungsgericht allemand); pour les diffé- rentes limites de la liberté contractuelle mentionnées dans l'art. 19 al. 2 CO, cf. en détail KRAMER (note 6), n°s 123 ss ad art. 19-20 et les références; J.-B. ZuFFEREY- WERRO, Le contrat contraire aux bonnes moeurs, Fribourg 1988, 61 ss n°s 289 ss.

13 Cf. P. ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, Neuchâtel 1973, 77 ss et les références; WoLF (note 12), 359 ss.

14 Sur la liberté contractuelle en tant que corollaire de la liberté du commerce et de l'industrie, cf. ATF 113 la 126, 139 Giovanna Armengol; 82 II 292, 302 Gruen Watch;

86 II 365, 375 Alfred Giesbrecht Sôhne; E. HOMBURGER, Die Gestaltung des Verhiil- tnisses zwischen Handels- und Gewerbefreiheit und Vertragsfreiheit, Zurich 1948;

KRAMER (note 6), n° 41 ad art. 19-20 CO et les références; A. voN TUHR / H. PETER, A/lgemeiner Teil des schweizerischen Obligationenrechts, 1. Band, 3e éd., Zurich 1979 (supplément 1984), 248 et les références sous note 1 c; ZuFFEREY-WERRO (note 12), 8 n° 14 et les références sous note 4. Cet aspect du problème n'est pas examiné plus en détail ici; sur le rapport avec la garantie de la propriété, ATF 113 la 126, 139 Giovanna Armengol.

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LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE 15

essentielle de la liberté personnelle assurée par le droit privé»15. La Haute Cour n'a pas imputé à un exploitant de cinéma l'obligation de contrac- ter, mais lui a au contraire concédé la liberté de refuser l'accès à la salle à un journaliste qui lui déplaisait, au risque de priver celui-ci d'un moyen d'information.

«Liberté contractuelle» en tant que «partie essentielle» de la «li- berté personnelle assurée par le droit privé»: quel rapport avec la liberté personnelle garantie par le droit constitutionnel? Pour la première fois en 1963, et souvent depuis lors, notamment dans un arrêt du 17 février 1971, le Tribunal fédéral a constaté sans ambages que la liberté person- 68

nelle est garantie par un droit constitutionnel fédéral non écrit qui protè- ge toutes les libertés se caractérisant comme des manifestations élémentaires de l'épanouissement de la personnalité de l'être humain16.

La liberté personnelle garantit ainsi une protection générale des droits fondamentaux et cette protection influence d'une manière décisive le contenu et l'étendue des autres libertés prévues par la Constitution. Elle est la condition nécessaire de l'exercice des autres libertés et les com- plète en ce sens que le citoyen peut l'invoquer directement à l'égard de l'Etat, à défaut d'une autre garantie du droit constitutionnel écrit ou non écrit, pour la protection de sa personnalité et de sa dignité humaine.

La garantie constitutionnelle de la liberté personnelle protège en premier lieu les particuliers contre les atteintes de l'Etat et de ses agents17.

Mais elle peut les protéger également contre les atteintes provenant de particuliers. Elle le fait principalement, mais non exclusivement (infra III.2 et IV), parce que la garantie constitutionnelle de la liberté person- nelle appelle le législateur de droit privé à édicter des normes qui per- mettent au juge de trancher des litiges entre particuliers dans le sens de la protection de la personnalité et de la dignité humaine. Les normes de droit privé protégeant la personnalité se trouvent notamment aux art. 27 ss

15 ATF 80 II 26, 39 Seelig; «Il faut toujours se souvenir que la liberté contractuelle est un aspect de la liberté personnelle. La personne est une personne contractante parce qu'elle est une personne possédante. Vêtre humain se réalise matériellement dans un minimum de choses et pour acquérir celles-ci, il doit hériter ou échanger. Or le contrat est le mécanisme des échanges et même du don: le mendiant est un contrac- tant. Adam avant Eve et Robinson avant Vendredi ont été les seuls non-contractants de nos aventures», P. ENGEL, «Cent ans de contrat sous l'empire des dispositions gé- nérales du Code fédéral des obligations», RDS 1983 1, 35.

16 ATF 89 1 92, 98 Kind X.; 97 I 45 X. Pour la jurisprudence rendue depuis lors sur la liberté personnelle en tant que droit constitutionnel, cf. A. BucHER, Personnes physi- ques et protection de la personnalité, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1985, 114 n° 415;

U. KIESER, «Die Anerkennung von ungeschriebenen Freiheitsrechten in der bundesge- richtlichen Rechtsprechung», RSJ 1991 17, 18; M. Ross1NELLI, Les libertés non écri- tes, Lausanne 1987, 132 ss.

17 ATF 113 la 257, 262 S.

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16 HERBERT SCHÔNLE

CC. Une large concordance existe ainsi entre la «liberté personnelle as- surée par le droit privé», constatée par l'arrêt Seelig c. Studio 10 A.G.18,

et la liberté personnelle garantie par le droit constitutionnel et reconnue dans une jurisprudence constante. A plusieurs reprises, le Tribunal fédé- ral a relevé expressément cette concordance:

La liberté personnelle, droit constitutionnel non écrit, impres- criptible et inaliénable, ... oblige le détenteur de la puissance publique à un comportement envers le citoyen qui soit compa- tible avec le respect de la personnalité. Elle protège intégra- lement la dignité de l'homme et sa valeur propre. Le droit de la personnalité, spécialement des art. 28 à 281 CC entrés en vigueur le 1er juillet 1985, constitue sous cet angle, et dans une mesure importante, une mise en oeuvre de ce droit consti- tutionnel non écrit dans les relations entre particuliers19.

69 D'une manière plus générale, l'art. 25 al. 1 du Projet d'une nou- velle Constitution fédérale du Département fédéral de justice et police, du 30 octobre 1985, de même que l'art. 24 du Projet de Constitution fédérale de 1977 de la Commission d'experts, énoncent que les droits fondamentaux doivent être réalisés dans tous les domaines du droit. Les deux projets précisent, et ceci dans des termes identiques (art. 26 al. 1 du Projet de 1985, art. 25 al. 1 du Projet de 1977), que «la législation et la jurisprudence font respecter les droits fondamentaux dans les rapports entre les parties, quand l'analogie est possible».

En définitive, la liberté contractuelle, en tant que «partie essentiel- le de la liberté personnelle assurée par le droit privé»20 constitue aussi une mise en oeuvre du droit constitutionnel non écrit de la liberté per- sonnelle. Comme l'a déclaré le Bundesverfassungsgericht à Karlsruhe pour le droit allemand, la liberté contractuelle n'est pas garantie expres- sément dans la Constitution, mais elle résulte du libre épanouissement de la personnalité garantie, dans certaines limites, par la Constitution (en Allemagne par l'art. 2 al. 1 de la Grundgesetz)21.

18 ATF 80 II 26, 39 Seelig.

19 ATF 113 la 257, 262 s.; arrêt du 12 janvier 1990, SJ 1990 561, 563; ATF 102 la 516, 521 X.; 98 la 508, 514 Gross; A. GRISEL, «La liberté personnelle et les limites du pouvoir judiciaire», RIDC 1975 568; P. SALADIN, Grundrechte im Wandel, 3e éd., Berne

1982, 98, 418.

20 ATF 80 II 26, 39 Seelig.

21 BVerfGE 8 274, 328; 12 341, 347; H. HuBER, Die verfassungsrechtliche Bedeutung der Vertragsfreiheit, Berlin 1966, 4 ss (en mettant l'accent sur les limites de la liberté contractuelle); K. SIEHR, «Grundrechte und Privatrecht, Einschriinkung privatrechtli- chen Handelns durch Grundrechte?», in Festschrift für H. Giger, Berne 1989, 627, 635; cf. aussi KRAMER (note 6), n° 166 ad art. 19-20 CO, la conception restrictive de

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LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE LA LIBER1É CONTRACTUELLE 17

2. Le rapport entre les limites de la «liberté contractuelle» et les limites de la «liberté personnelle»

Les difficultés résultent du fait qu'à l'instar des art. 64 Cst. et 19 al. 2 CO, qui réservent sans précision de «droit strict» comme limites de la liberté contractuelle, le droit constitutionnel de la liberté personnelle et son émanation, la «liberté personnelle assurée par le droit privé»22, ont des contours largement indéterminés. La liberté personnelle garantie par la Constitution est limitée, entre autres, par la liberté personnelle et les autres droits fondamentaux de tierces personnes. C'est ce qu'énonce à juste titre l'art. 26 al. 2 du Projet d'une nouvelle Constitution fédérale du Département fédéral de justice et police du 30 octobre 1985, dans les mêmes termes que l'art. 25 al. 2 du Projet de Constitution fédérale de 70

1977 de la Commission d'experts: «Celui qui exerce ses droits fonda- mentaux doit respecter les droits fondamentaux d'autrui; en particulier, nul n'y peut porter atteinte en abusant de sa position dominante».

Sur le plan du droit privé, l'art. 28 al. 2 CC rend licite une atteinte à la personnalité, justifiée «par la loi» (si ce n'est pas déjà par «le con- sentement de la victime» ou «par un intérêt prépondérant privé ou pu- blic»). La difficulté consistant à fixer le contenu et les contours du droit constitutionnel de la liberté personnelle se retrouve dans les relations entre particuliers, dans le cadre de l'art. 28 al. 2 CC, au sujet de la liber- té personnelle assurée par le droit privé.

Vembarras causé par la nécessité d'une délimitation précise en pra- tique peut être illustré par l'arrêt Seelig c. Studio 4 A.G.23 Certains on fait valoir, en son temps déjà, que le résultat peu satisfaisant de la déci- sion du Tribunal fédéral aurait pu être corrigé en tenant compte de l'at- teinte à la personnalité que subissait le critique cinématographique Seelig au sens de l'art. 28 al. 1 CC. On aurait dû admettre que Seelig était victime d'une atteinte illicite à ses intérêts personnels, vu que la Studio 4 A.G. l'empêchait de rédiger et de publier des critiques licites des films présentés, tout en organisant des représentations publiques et en consen- tant par là en quelque sorte à une discussion publique de ces films 24.

D'autres, en se basant sur le caractère essentiellement défensif des droits de la personnalité et sur l'absence d'un boycott (puisque Seelig aurait probablement pu voir les mêmes films dans d'autres villes), estiment la liberté contractuelle exposée dans l'arrêt BVerfGE 8 273 s., 327 ss est critiquée par WOLF (note 12), 385 SS.

22 ATF 80 II 26, 39 Seelig.

23 ATF 80 II 26 Seelig.

24 P. JAam, «Bemerkungen zum Fall Seelig», RSJ 1954 353 ss et in Privatrecht und Staal, Gesammelte Aufsiitze, Zurich 1976, 87 ss; cf. aussi KRAMER (note 6), n° 112 ad art. 19-20 CO et R. ZACH, «Der Einfluss von Verfassungsrecht auf das Privatrecht bei der Rechtsanwendung», RSJ 1989 1, 25 ss, notamment 24 s.

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18 HERBERT SCHÔNLE

encore aujourd'hui justifié que la société anonyme Studio 4 conserve son entière liberté de conclure ou de ne pas conclure un contrat avec Seelig, et de choisir ses cocontractants. Selon eux, cette liberté n'est nullement restreinte par les droits de la personnalité du journaliste25.

Liberté contractuelle de l'un, limitée par la liberté personnelle de l'autre? Le juge est en tout cas lié par la loi si une disposition légale

71 spécifique règle ce conflit. Au vu de l'art. 113 al. 3 Cst. et de l'absence d'une juridiction constitutionnelle, le juge ne peut pas ignorer la dispo- sition légale spéciale, même si elle lui paraît contraire à la Constitution écrite on non écrite26 . C'est le législateur qui est appelé en tout premier lieu à édicter des règles selon les principes essentiels de la Constitution et à éviter, par là, que les inégalités de fait entre particuliers soient ex- ploitées par les uns au détriment des autres. Le juge, en revanche, ne peut et ne doit qu'interpréter et appliquer la législation fédérale et com- bler, le cas échéant, une lacune conformément à l'art. 1 al. 2 CC, comme s'il avait à faire acte de législateur, tout ceci conformément aux princi- pes constitutionnels. L'interprétation conforme à la Constitution et, par là, aux droits fondamentaux, est aujourd'hui reconnue et admise par le Tribunal fédéral et la doctrine presque unanime27 .

25 E. BucHER, <«Drittwirkung der Grundrechte>?, Überlegungen zu <Streikrecht> und

<Drittwirkung> i. S. von BOE 111 II 245-259», RSJ 1987 37, 42; sur l'ensemble du problème de l'obligation de contracter, cf. KRAMER (note 6), n°s 94 ss ad art. 19-20 CO et références.

26 A. AUER,«. .. le Tribunal fédéral appliquera les lois votées par!' Assemblée fédéra- le ... »: réflexions sur l'art. 113 al. 3 Cst., RDS 1980 I 107; B. KNAPP, «Les principes constitutionnels et leurs relations», inFestschrift H. Nef, Zurich 1981, 167, 188 ss; G.

MüLLER, «Die Drittwirkung der Grundrechte», ZBl 1978 233, 242 s.; S1EHR (note 21), 639 s.; il est entendu que le législateur est appelé à concrétiser les principes essen- tiels de la Constitution, ATF 111 II 245, 253 X. AG; «Der Gesetzgeber, dessen Aufga- be in der <Konkretisierung> der grundlegenden Ordnungsvorstellung besteht, bat sich deshalb bei Erlass von Gesetzesbestimmungen an <lem in der Verfassung mormierten Wertsystem> zu orientieren; er muss sich in die von der Verfassung bestimmte Willensrichtung einordnen», HoMBURGER (note 14), 3 et les références; sur le contrô- le judiciaire du contenu du contrat selon l'art. 19 al. 2 CO cf. in extenso KRAMER (note 6), n°s 123 ss ad art. 19-20 CO. Par ailleurs, l'empiétement concret sur un droit fondamental, basé sur une loi, doit être justifié par un intérêt qui l'emporte sur les intérêts privés du lésé, ATF 115 la 370, 372, 376 et les références, en ce qui concerne la garantie de la propriété et de la liberté du commerce et de l'industrie.

27 ATF 111 II 245, 255

x:

AG; V. AEPLI, Grundrechte und Privatrecht, Hinweise für die Überpriifung der Grundrechtskonformitiit des Privatrechts im Sinne des Entwwfs fiïr eine Totalrevision der Bundesverfassung, thèse Fribourg 1980, 29 s.; J.-F. AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, Neuchâtel 1967/1982 (Supplément), n°s 1743- 1745; A. AUER, «Les libertés face à l'Etat et dans la société», Repertorio di giurispru- denza patria 1986 l, 17; E. BUCHER (note 25), RSJ 1987 37, 39 et les références (en indiquant cependant le danger d'un contrôle constitutionnel inadmissible des normes et en mettant en doute la portée pratique de cette interprétation); ENGEL (note 13), 77;

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LES FONDEMENTS CONSTITlJflONNELS DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE 19

En l'absence d'une norme spécifique, le juge décidera du conflit 72 apparent entre liberté contractuelle del 'un et liberté personnelle ou autre droit constitutionnel de l'autre selon l'art. 28 al. 2 CC, en déterminant qui des deux parties au litige peut faire valoir un «intérêt prépondérant»

au sens de cette norme. Pour le savoir, il apprécie selon l'art. 4 CC d'une manière objective tous les éléments pertinents et il recherche la solution adéquate aux circonstances spéciales du cas particulier28. En exerçant son pouvoir d'appréciation, il doit prendre en considération l'existence, le contenu déterminé et la portée des libertés constitutionnelles en jeu et leur effet réflexe sur la relation entre les parties au litige29. Comme on a pu dire que la liberté constitutionnelle du fumeur, qui entend ménager l'épanouissement de sa personnalité en s'adonnant à son vice, doit céder le pas à la liberté constitutionnelle de celui qui s'épanouit en refusant d'être traité de fumeur passif30, le juge doit peser les intérêts en cause également en matière contractuelle pour accorder la priorité soit à la J.-M. GROSSEN, «La protection de la personnalité en droit privé, Quelques problèmes actuels», RDS 1960 II 1 a, l 5a ss; H. HuBER, «Die Bedeutung der Grundrechte für die sozialen Beziehungen unter den Rechtsgenossen», RDS 1955 I 173 ss; Ch.-A. MORAND,

«Les droits fondamentaux en Suisse», in Recueil des travaux suisses présentés au 1xe Congrès international de droit comparé, Bâle 1976, 212 s.; J.-P. MûLLER, Elemente einer schweizerischen Grundrechtstheorie, Berne 1982, 8 s., 81; J.-P. MûLLER, Die Grundrechte der Ve1fassung und der Personlichkeitsschutz des Privatrechts, thèse Berne 1964, 160 ss; R. A. RHINOW, «Grundrechtstheorie, Grundrechtspolitik und Freiheitspolitik», in Festschrift H. Huber, Berne 1981, 427, 433 ss; SALADIN (note 19), 307 ss; P. SALADIN, «Grundrechte und Privatrechtsordnung, Zum Streit um die sogenannte <Drittwirkung> der Grundrechte», RSJ 1988 373 ss; ZACH (note 24), 25, qui rappelle à juste titre qu'en cas de lacunes dans la législation, le juge agit comme s'il avait à faire acte de législateur et s'inspire déjà de ce fait des principes constitutionnels; contra: S. SANDOZ, «Effets horizontaux des droits fondamentaux:

une redoutable confusion», RSJ 1987 2, 14; K. WESPI, Die Drittwirkung der Freiheitsrechte, Zurich 1968, 42, 53, 91 ss.

28 ATF 101 la 545, 550 B. SA; BucHER (note 16), 136 ss, n°s 523 ss; H. DESCHENAUX, Le titre préliminaire du Code civil suisse, Traité de droit privé suisse II/!, Fribourg 1969, 122 ss; A. MEIER-HAYOZ, (Berner) Kommentar zum Schweizerischen Privatrecht, Band l; Einleitung und Personenrecht, Einleitung: art. 1-10, Berne 1966, n°s 10, 46 ss ad art. 4 CC; P. TERCIER, Le nouveau droit de la personnalité, Zurich 1984, 95 ss, n°s 671 ss.

29 Ainsi déjà ATF 95 II 481, 493 Club Méditerranée; AEPLI (note 27), 140, 148 ss; les uns se basent sur une hiérarchie entre les droits fondamentaux, W. LEISNER, Grund- rechte und Privatrecht, Munich 1960, 391 ss; les autres effectuent une pesée des intérêts dans chaque cas d'espèce, MûLLER (note 27), 185 ss; cf. aussi F. GYGI, «Grund- rechtskonkurrenz?», in Mélanges H. Zwahlen, Lausanne 1977, 61, KNAPP (note 26), 177; MORAND (note 27), 197.

30 R. SrnoLz, «Verfassungsfragen zum Schutz des Nichtrauchers», Beilage n° 10/79 zu Heft 25 vom 22. Juni 1979 von Der Betrieb, Wochenschrift fur Betriebswirtschaft, Steuerrecht, Wirtschaftsrecht, Arbeitsrecht, Düsseldorf, 13 ss; cf. cependant l'arrêt du 14 octobre 1982, SJ 1983 105 ss, sur un intérêt public l'emportant sur l'intérêt qu'un individu normal peut faire valoir à ne pas se trouver en compagnie de fumeurs.

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20 HERBERT SCHÔNLE

liberté personnelle (et, par là, à la liberté contractuelle) de l'un, soit à la liberté personnelle et aux autres droits fondamentaux de l' autre31.

Beaucoup d'auteurs, tout en reconnaissant le principe, s'accordent à minimiser l'importance pratique de la prise en considération, par le

73 juge, des libertés constitutionnelles lors de l'interprétation de normes de droit privé et de la «concrétisation de notions juridiques imprécises et d'autres formes d'indétermination des règles législatives»32 . Le Tribu- nal fédéral cite néanmoins lui-même une bonne douzaine d'arrêts dans lesquels il a expressément ou implicitement tenu compte de libertés cons- titutionnelles pour trancher des litiges entre particuliers33. Quelle peut être, plus particulièrement, la portée pratique du fondement constitu- tionnel de la liberté contractuelle?

IV. Portée pratique du fondement constitutionnel de la liberté contractuelle en tant que principe d'interprétation et de concrétisation du droit privé

Que signifie en pratique la règle selon laquelle la jurisprudence, lors- qu'elle interprète et applique les normes de droit privé, doit tenir compte de la liberté personnelle et des autres droits fondamentaux? Quelle por- tée pratique attribuer à la reconnaissance, par le Tribunal fédéral, du principe de l'interprétation des normes de droit privé conforme à la Cons- titution, et plus particulièrement aux droits fondamentaux34?

1. La garantie de la liberté contractuelle au vu des droits fondamentaux

Jusqu'ici, rares sont les situations dans lesquelles la jurisprudence a ex- pressément considéré que la liberté contractuelle, en tant que «partie

74 essentielle de la liberté personnelle assurée par le droit privé»35, et cel- le-ci en tant que mise en oeuvre du droit constitutionnel non écrit de la

31 TERCIER (note 28), 87 n°s 609 SS, 96 n°s 677 SS.

32 AUER (note 27), 17; BucHER (note 25), 37 ss; GRossEN (note 27), 17 a; HUBER (note 27), 206; ROSSINELLI (note 16), 24.

33 ATF 111II245,257 X. AG; cf. aussi S1EHR (note 21), 638 ss: Grundrecht in privat- rechtlicher Rechtsprechung, et surtout ZAcH (note 24), 1-7: «Praxis der Zivilgerichte».

Une jurisprudence beaucoup plus riche du Bundesverfassungsgericht allemand limite la liberté contractuelle en faveur d'autres principes constitutionnels par une interprétation des lois civiles conforme à la Constitution, cf. p. ex. U. REIFNER «Die Mithaftung der Ehefrau im Bankkredit - Bürgschaft und Gesamtschuld im Kredit- sicherungsrecht», Zeitschriftfiïr Wirtschaftsrecht und !11solve11zpraxis 1990 427, 437 s.

et références.

34 Cf. supra III.2 et note 27.

35 ATF 80 II 26, 39 Seelig.

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LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE LA LIBER1É CONTRACTUELLE 21

liberté personnelle36, doit l'emporter sur la liberté personnelle du co- contractant ou sur ses autres libertés constitutionnelles. En 1985, le Tri- bunal fédéral rappelle que dans l'arrêt Seelig c. Studio 4 A. G. du 2 février 1954, il «s'est référé aux principes dégagés dans l'interprétation des règles constitutionnelles sur la liberté de la presse» pour, en définiti- ve, donner la priorité à la liberté contractuelle37. Certains auteurs esti- maient au contraire que dans ce cas d'espèce la liberté contractuelle de l'exploitant du cinéma aurait dû céder face à la liberté personnelle de Seelig38 .

Le Tribunal fédéral constate encore que, d'une manière plus géné- rale, il a souvent pris en considération la portée de la liberté de la presse dans les relations entre particuliers, pour protéger en fin de compte la personnalité du lésé contre des atteintes illicites. «Le Tribunal fédéral reconnaît expressément l'effet indirect de la liberté de la presse; une jurisprudence constante tient compte depuis longtemps d'une telle inci-

dence pour traduire dans les faits la protection de la personnalité visée aux art. 27 et 28 CC»39. Mais il ne s'agit que de cas où la liberté con- tractuelle n'était pas mise en cause.

On peut se demander si, à l'avenir, la jurisprudence ne sera pas amenée à interpréter en faveur de la liberté contractuelle les nouvelles dispositions sur le bail à loyer du 15 décembre 1989 permettant l'annula- tion du congé et la prolongation du bail également pour d'autres raisons que celles pertinentes selon le droit en vigueur avant le 1er juillet 1990.

Le nouveau droit consacre en effet un renforcement très net de la posi- tion juridique du locataire, ce pour des raisons d'ordre social, économi- que et juridique40. La liberté contractuelle du bailleur de convenir 75

36 ATF 113 la 257, 262 s. et supra note 19.

37 ATF 111 II 245, 256 X. AG.

38 JAGGI (note 24), 353 SS.

39 ATF 111 II 245, 256 X. AG; cf. notamment ATF 95 II 481, 493 Club Méditerranée;

TERCIER (note 28), 30 195, 100 8 705 SS.

40 Cf. R. BARBEY, Protectio11 co11tre les co11gés co11cernant les baux d'habitatio11s et de locaux commerciaux- !11troductio11 et art. 271, 271a CO, Genève 1991, 45 ss (54:

«Le temps viendra peut-être où on se demandera comment il convient de protéger un bailleur face à une demande d'annulation de congé ou de prolongation déposée par Je locataire»). Sur la prévention ou, à défaut, la répression d'abus dans le secteur loca- tif, en concrétisation de l'art. 34septies al. 1 Cst. «dans le cadre d'un système qui devrait demeurer fondamentalement libéral», cf. Ch.-A. JuNoD, «Les incidences du droit administratif du logement social sur le droit privé du bail à loyer», RDS 1989 1 403, 431. I.: ATF 111 II 245 X. AG soulève une question analogue de concrétisation de notions imprécises de droit privé à l'aide des droits fondamentaux: le Tribunal fédé- ral laisse indécise la question de savoir si le droit de grève est garanti par la Constitu- tion, mais considère que dans l'affirmative ce droit constitutionnel aurait son influence sur l'application de l'art. 337 CO et sur l'appréciation, par le juge, des «justes mo- tifs» permettant une résiliation immédiate du contrat de travail; l'arrêt est critiqué

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22 HERBERT SCHÔNLE

d'avance de la fin d'un bail à durée déterminée ou du droit de résilier unilatéralement un bail à durée indéterminée a été sensiblement restreinte.

Mais l'art. 272 al. 2 CO appelle expressément l'autorité compétente à effectuer une «pesée des intérêts», lorsqu'il s'agit d'établir si le bailleur abuse de la liberté contractuelle et si le locataire a le droit de demander la prolongation du bail selon les art. 272-273c CO contre la volonté du bailleur. Mettre en balance la liberté contractuelle et les intérêts proté- gés par la nouvelle législation sera la tâche principale de la jurispruden- ce en cas de litiges dans ce domaine.

2. Les restrictions de la liberté contractuelle au vu des droits fondamentaux

Beaucoup plus fréquents sont les cas dans lesquels la jurisprudence a au contraire considéré que la liberté contractuelle devait être restreinte au vu des droits fondamentaux, notamment de la liberté personnelle, de l'autre partie contractante41 . La restriction s'explique aisément, car «ce- lui qui exerce ses droits fondamentaux doit respecter les droits fonda- mentaux d'autrui; en particulier nul n'y peut porter atteinte en abusant de sa position dominante»42. Ce principe exprime au plan constitution- nel ce que les art. 2 al. 2 CC et 20 al. 1 CO ainsi que l'art. 27 al. 2 CC disposent pour le droit civil en général, et pour le droit contractuel en particulier: un droit existant en apparence n'existe pas en réalité s'il est exercé abusivement. Lorsque le fait d'exiger la fidélité contractuelle con- trevient manifestement aux règles de la bonne foi, le droit à l'exécution du contrat ne subsiste pas et le contrat ne déploie plus les effets déclarés voulus. Si, au vu de l'ensemble des circonstances, un contractant abuse de la liberté contractuelle, les limites de cette liberté sont transgressées

76 et il doit tolérer l'invalidité de la convention afin de permettre à l'autre partie de faire valoir sa propre liberté et ses propres droits.

Le Tribunal fédéral admet43 que son arrêt de 197644, constatant la nullité de dispositions contractuelles restreignant de manière inadmissi- ble la liberté d'un joueur de football d'obtenir son transfert dans un autre club, s'explique également par le droit fondamental de ce joueur à sa liberté personnelle. Il en fut de même dans un cas de transfert d'un joueur

par BucHER (note 25), 37 ss; et: «Gibt es ein verfassungsmassiges <Streikrecht> und lasst sich diese Vorstellung ins Privatrecht übertragen?», Recht 1987 9 ss.

41 Cf. les exemples cités par l' ATF 111 II 245, 256 X. AG; BucHER (note 16), 116 ss 8 422 ss; sur la portée des art. 27 CC et 2 al. 2 CC, ATF 114 II 159 Brauerei X. AG.

42 Art. 26 al. 2 du Projet d'une nouvelle Constitution fédérale du Département fédé- ral de justice et police du 30 octobre 1985; art. 25 al. 2 du Projet de Constitution fédérale de 1977 de la Commission d'experts.

43 ATF 111 II 245, 256 X. AG; AUBERT (note 27), 202; MûLLER (note 26), 239 s.

44 ATF 102 II 211 Servette Football Club.

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LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE 23

de hockey sur glace tranché par le Tribunal supérieur de Zurich45. Et le Tribunal fédéral de constater que «dans ses arrêts souvent cités sur la licéité du boycott (avant la loi sur les cartels), il a jugé que la liberté de concurrence, fondement de l'économie suisse, l'emportait aussi sur les conventions privées»46.

3. La délimitation jurisprudentielle entre la garantie et les restrictions de la liberté contractuelle au vu des droits fondamentaux

Une restriction du droit fondamental de la liberté personnelle et de son effet réflexe entre les particuliers, la liberté contractuelle, se justifie lors- qu'une situation de fait est exploitée abusivement au détriment des liber- tés d'autrui. Pour le juge, c'est une question d'évaluation que de savoir, en cas d'absence d'une norme précise réglant ce conflit, quand il y a abus et quand un excès est commis au nom de la liberté contractuelle. La pondération des intérêts de l'un et de l'autre tiendra d'une part compte de la nature du bien atteint, de la gravité de l'atteinte aux libertés d'autrui et des conséquences que l'atteinte peut avoir pour la victime. D'autre part, elle retiendra le caractère primordial de la liberté personnelle et de son émanation, la liberté contractuelle. Enfin, cette pesée d'intérêts se fondera sur l'importance de la protection à accorder dans le cas d'espèce et évaluera les effets que pourrait avoir un refus de cette protection47.

La pondération des intérêts se fait de cas en cas. Le Rapport du Conseil fédéral sur la révision totale de la Constitution fédérale du 30 octobre 1985 observe à juste titre qu'il n'est pas possible de délimiter 77

d'une manière précise dans l'abstrait le principe énonçant que «la légis- lation et la jurisprudence font respecter les droits fondamentaux dans les rapports entre les particuliers, quand l'analogie est possible»48.

Le risque d'un abus de la liberté contractuelle est grand dans une société hautement industrialisée, caractérisée par d'importantes inégali- tés et des situations de déséquilibre structurel entre les parties contrac- tantes. Comme le dit le Tribunal fédéral: «Les droits fondamentaux de l'individu ne sont pas seulement menacés par les empiétements de l'Etat;

ils sont exposés aussi à la puissance de l'ordre social»49 . Le but n'est pas

45 Obergericht Zurich, arrêt du 7 novembre 1977, RSJ 1979 75 ss, in extenso AEPLI

(note 27), 156 ss, avec une analyse selon le droit constitutionnel 162 ss.

46 ATF 111 II 245, 256 X. AG.

47 Sur cette pondération des intérêts en matière de protection de la personnalité, cf.

TERCIER (note 28), 87 s., n°s 609, 614.

48 Rapport du Conseil fédéral sur la révision totale de la Constitution fédérale du 30 octobre 1985 (Motions Obrecht et Dürrenmatt), FF 1985 III !, 80; art. 25 al. 1 du Projet de Constitution de 1977, art. 26 al. 1 du Projet de 1985.

49 ATF Ill II 245, 253 X. AG.

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24 HERBERT SCHÔNLE

d'éliminer toutes ces inégalités, mais d'en prévenir les abus et d'empê- cher que tous les risques de la transaction soient transférés à la partie en position de faiblesse. Pour enrayer les abus, des changements intéres- sants sont intervenus, non seulement dans la législation (p. ex. en vertu de l'art. 8 de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 dé- cembre 1986), mais aussi dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, sans pour autant que les libertés constitutionnelles et leurs effets dans les rap- ports entre particuliers aient été invoqués.

Ainsi en 1986, dans un revirement annoncé préalablement50, mais néanmoins impressionnant, le Tribunal fédéral a assimilé l'exploitation d'une banque à «l'exercice d'une industrie concédée par l'autorité» au sens de l'art. 100 al. 2 C051. De ce fait, le juge obtient le pouvoir d'ap- préciation prévu par cette disposition. N'est non seulement nulle, selon l'art. 100 al. 1 CO, une clause contractuelle tendant à libérer d'avance la banque de la responsabilité qu'elle encourrait en cas de faute grave de ses organes. Le juge peut également tenir pour nulle une clause contrac- tuelle qui restreint la responsabilité contractuelle de la banque en cas de faute légère. Il peut enfin considérer comme nulle une clause qui met d'emblée à la charge du client, en cas de faute légère des organes de la banque, le risque de l'exécution en main d'une personne non autorisée à recevoir la prestation. Il appartiendra au juge, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, de mettre en balance les intérêts des parties, à savoir d'une part le besoin de protection des clients contre certaines clau- 78 ses contractuelles préformulées, pratiquement non susceptibles d'être

discutées, d'autre part l'intérêt de la banque à se prémunir, en déroga- tion du droit positif, contre les risques de falsification des instructions qui lui sont données.

L'exemple montre que, dans la perspective des libertés fondamen- tales garanties par la Constitution, cette pesée des intérêts et ce juge- ment de valeur s'opèrent en tenant compte des inégalités de fait existant entre les parties contractantes. Une telle inégalité peut fausser l 'autono- mie de volonté des parties, mais nul ne peut porter atteinte aux droits fondamentaux d'autrui «en abusant de sa position dominante»52. La pro- tection du faible exposé, p. ex. en tant que consommateur, en violation des principes à la base de l'art. 3 pexies al. 1 Cst., au danger d'une ex- ploitation de son infériorité par le plus fort, est une des conséquences pratiques importantes de l'axiome selon lequel les droits constitution- nels doivent exercer leur influence également en droit privé53.

5o ATF 110 II 283, 287 X. AG; 109 II 116, 119 Aktiengesellschaft X.

51 ATF 112 II 450 Banque X.

52 Art. 26 al. 2 du Projet d'une nouvelle Constitution fédérale du Département fédé- ral de justice et police du 30 octobre 1985; art. 25 al. 2 du Projet de Constitution fédérale de 1977 de la Commission d'experts.

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