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propos de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO, que les faits futurs que personne n'attend et que personne n'est censé attendre puisqu'ils sont «extraordi-naires, impossibles à prévoir», comme dirait l'art. 373 al. 2 C037. S'il est vrai qu'ainsi en théorie la distinction semble être faisable, en prati-que, en revanche, la juris.prudence du Tribunal fédéral citée montre que le résultat n'est guère convaincant et que tout pronostic a priori d'une décision jurisprudentielle quant à la réalisation de l'élément «prévisibi-lité» reste aléatoire.

Cette insécurité juridique augmente encore si l'on confronte la ju-risprudence prévalante du Tribunal fédéral concernant l'applicabilité de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO à l'imprévision de faits prévisibles aux autres solutions juridiques apportées par le Tribunal fédéral à la fausse conjec-ture de faits futurs (infra lit.c-j).

c) Imprécision de la jurisprudence du Tribunal fédéral quant à la délimitation entre contrats conclus sous condition suspensive ou résolutoire (art. 151 et 154 CO) et contrats invalidables selon l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral38 les conditions de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO ne sont réalisées que si le cocontractant, au moment de conclure, a reconnu ou aurait dû reconnaître que les faits que l'errans s'était représentés et qui ultérieurement se sont révélés faux, étaient con-424 sidérés par celui-ci comme des éléments nécessaires du contrat. Les élé-ments à la base du contrat, et non le fait que le déclarant s'est trompé, doivent avoir été «reconnaissables» pour le cocontractant39.

La doctrine partage largement la conception de la jurisprudence.

Parfois, elle exige l'élément de «reconnaissabilité » de l'importance des motifs en suivant la théorie de la présupposition ( «Voraussetzung») pro-posée par W1NDSCHEID, qui met l'accent sur ce motif qualifié reconnais-sable comme <<Unentwickelte Bedingung»40; le Tribunal fédéral a pris

37 Henri DEsCHENAUX, «La révision des contrats par le juge», RDS 61 (1942) 509a ss, 555a ss; KoLLY, supra n. 4, p. 64, n° 31; Hans MERZ, «Die Revision der Vertriige durch den Richter», RDS 61 (1942) 393a ss, 499a.

38 ATF 97/1971II43, 46 s.; 95/1969 III 21, 23; 70/1944 II 195, 198; 57/1931II284, 289; 55/1929 II 184, 189; 53/1927 II 35, 40; 52/1926 II 143, 146; 48/1922 II 236, 239; 43/1917 II 775, 779 SS.

39 KoLLY, supra n. 4, pp. 79 s., n° 370.

40 Bernhard W1NDSCHEID, Lehrbuch des Pandektenrechts, Band 1, 9e éd., Frankfort a.

M. 1906, pp. 507 ss; Bernhard WINDSCHEID, Die Lehre des riimischen Rechts von der Voraussetzung, Düsseldorf et Bâle 1850, p. 7; cf. aussi BucHER, supra n. 21, p. 176;

DESCHENAUX, Le titre préliminaire, supra n. 9, p. 186 n. 84 et p. 188; Fritz F1cK, «Der wesentliche Irrtum im revidierten schweizerischen Obligationenrecht (Art. 23-27)», in Festschrift zum 70. Geburtstag von Georg Cohn, Zurich 1915, pp. 617 ss, pp. 661 s.;

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ses distances par rapport à cette théorie41, bien qu'il emploie souvent le terme « Voraussetzung» en appliquant l'art. 24 al. 1 chiffre 4 C042 . Par-fois, la doctrine déduit l'exigence de reconnaissabilité du principe de la confiance43.

En réalité, le principe de la confiance n'est qu'une règle d'inter- 425 prétation. Mais il serait manifestement contraire à la loyauté commer-ciale au sens de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO et, subsidiairement, aux règles de la bonne foi au sens de l'art. 2 al. 2 CC d'accorder à celui qui se trompe sur ses motifs un droit d'invalider son engagement contractuel ferme si, lors de la conclusion du contrat, le cocontractant ne connaissait pas, et n'aurait pas dû connaître (ignorance non-fautive), l'importance attachée par l' errans aux faits qui motivent son engagement. Les motifs non reconnaissables ne sont pas «des faits que la loyauté commerciale permettait à celui qui se prévaut de son erreur de considérer comme des éléments nécessaires du contrat» au sens de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO;

subsidiairement, l'exercice du droit d'invalider le contrat selon l'art. 31 al. 1 CO pour un motif dont l'importance n'était pas reconnaissable au cocontractant, serait abusif au sens de l'art. 2 al. 2 CC44 .

Quelques opinions doctrinales minoritaires renoncent à l'exigence de l'élément de reconnaissabilité au sens de la jurisprudence et de

l'opi-Hanno GoLTz, Motivirrtum u11d Geschiiftsgru11dlage im Schuldvertrag, thèse Lausanne 1973, p. 80; Roland JATON, L'article 24, chiffre 4, CO, Co11tributio11 à l'étude de l'er-reur dans le droit positif suisse, thèse Lausanne 1939; sur la situation controversée en droit romain cf. Pierre CoRNIOLEY, «Error in substantia, in materia, in qualitate», in Studi in 011ore di Giuseppe Grosso, Turin 1968, pp. 251 ss, et références.

41 ATF 66/1940 1 299, 312 S.

42 ATF 87/1961II137, 138 s.; 60/1934 II 445, 450; 43/1917 II 775, 779.

43 Bernard CuENOD, Dé/imitation du domai11e de l'erreur dans les contrats e11 droit suisse des obligations, thèse Lausanne 1941, pp. 141 ss; ]ATON, supra n. 40, p. 159;

Arthur MEIER-HAvoz, Das Vertrauensprinzip beim VertragsabschlujJ, Ei11 Beitrag zur Lehre vo11 der Auslegung und den Miingel11 des Vertragsabschlusses beim Schuldver-trag, thèse Zurich 1948, pp. 184 ss; Robert PATRY, Le pri11cipe de confiance et la formation du contrat en droit suisse, thèse Genève 1953, p. 252; August S1MoN1us,

«Über die Bedeutung des Vertrauensprinzips in der Vertragslehre», in Festgabe der Bas Ier J11riste11fakultiit zum schweizerischen Juristentag 1942, Bâle 1942, pp. 233 ss, 275; August S1MON1us, «Du principe de la confiance et des dérogations qu'il subit dans le droit suisse», SemJud 71 (1949) 505 ss, 514; Karl SPIRO, Über den Gerichts-gebrauch zum allgemeine11 Teil des revidierten Obligationenrechts, Bâle 1948, p. 339;

Bruno TERRIBILINI, Dall'error in s11bsta11tia alla cifra 4 dell'articolo 24 del Codice svizzero delle Obligazioni, Bâle 1950, pp. 140 ss, 151 s. Sur les rapports entre le principe de la confiance comme règle d'interprétation et l'erreur sur les «éléments nécessaires du contrat» au sens de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO cf. Bruno ScHMIDILIN,

«Das Ver-trauensprinzip und die Irrtumslehre im deutschen und schweizerischen Recht», RDS 89 (1970) 225 ss.

44 KoLLY, supra n. 4, pp. 78 s., ~os 366-369.

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nion majoritaire ou, au contraire, renforcent encore cette exigence. Bien que ces avis n'aient pas sû s'imposer, ils démontrent bien les difficultés de délimitation que pose en pratique l'application de l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO, d'abord en cas d'erreur sur des faits passés ou présents, mais à plus forte raison encore en cas d' <<erreur» sur l'évolution future45 . SIMONJUs, notamment, a demandé en 194946, contrairement à ses publications pré-cédentes, où il se contentait de la «reconnaissabilité» au sens de la juris-426 prudence et de la doctrine majoritaire47, que les parties eussent tacitement

convenu l'élément nécessaire du contrat comme condition suspensive:

« ... la loyauté commerciale ne permet de considérer un fait comme un élément nécessaire du contrat que lorsque son existence au moment de la conclusion en est devenue une condition. Il faut que le cocontractant soit censé lui avoir attribué lui-même la qualité de condition ... il va de soi qu'une erreur sur ce fait peut être invoqué, car la victime de l'erreur ne se prévaut en vérité que de l'inaccomplissement d'une condition». SPIRO dénonce également une évolution doctrinale qui semble attribuer à l'exi-gence de reconnaissabilité la portée d'une «stillschweigende Bedingung im weiteren Sinn»48.

Nous estimons, pour notre part, qu'en théorie l'art. 24 al. 1 ch. 4 CO nous impose bien la distinction entre les éléments nécessaires à la base du contrat, c'est-à-dire les motifs qualifiés pour la conclusion du contrat, et les conditions au sens des art. 151 et 154 CO en tant que stipulations faisant partie du contenu même de la convention

contrac-45 Hermann BECKER, Kommentar zum schweizerischen Zivilrecht, Band VI: Obliga-tionenrecht, 1. Abteilung: Allgemeine Bestimmungen, Art. 1-183, 2e éd. Berne 1941, 8 18 ss ad art. 24 CO, ne mentionne pas la situation du cocontractant en cas d'inva-lidation pour erreur essentielle sur la base nécessaire du contrat. Il doit s'agir d'un oubli, à moins que ce commentateur fût convaincu que la «reconnaissabilité» ne cons-titue pas un élément exigé par l'art. 24 al. l chiffre 4 CO. Andreas voN TUHR, Partie générale du Code fédéral des Obligations, traduction THILO et ToRRENTÉ, Lausanne 1929 et 1934, pp. 257 ss, estime qu'en cas d'«error in substantia» les idées que se fait le cocontractant des motifs de celui qui se trompe, n'importent pas pour le droit d'invalider le contrat. Dans les autres cas d'erreurs sur la base nécessaire du contrat, en revanche, il faut une erreur commune. Cela veut dire que l'état de faits sur lequel portait la représentation inexacte devait constituer pour les deux parties le fondement de la décision de celle qui fut dans l'erreur. Pour l'exigence d'une erreur commune sur les bases du contrat se prononce également VON TUHR /PETER/ EscHER, Allgemei-ner Teils des Schweizerischen Obligationenrechts, 3e éd., 2 volumes, Zurich 1974 et 1979, vol. l, pp. 314 s.

46 Du principe, supra n. 43, SemJud 71 (1949) 505, 514.

47 «Wandlung der lrrtumslehre in Theorie und Praxis», in Festsabe zum 70. Geburts-tag von Fritz Gotzinger, Bâle 1935, pp. 240 ss, 258; Über die Bedeutung, supra n. 43, p. 275.

48 Cf. supra n. 43, p. 219.

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tuelle49 . Quant aux conséquences juridiques, il importe de se rappeler que la non-réalisation d'une condition suspensive a pour conséquence, en vertu de l'art. 151 al. 1 CO, que le contrat ne déploie pas ses effets ipso facto, sans qu'une déclaration de disposition au sens de l'art. 31 al. 1 CO dans le délai d'une année soit nécessaire. De même, dès la réalisation d'une condition résolutoire, le contrat cesse de produire ses effets, et ceci sans déclaration de disposition, art. 154 al. 2 CO. En cas d'erreur sur la base du contrat, en revanche, celui qui s'est trompé sur ses motifs doit déclarer l'invalidation du contrat dans le délai légal s'il ne désire pas que le contrat soit ratifié au sens de l'art. 31 al. 1 CO.

Nonobstant ces considérations théoriques, il est évident qu'en pra-tique les difficultés de délimitation deviennent quasiment insolubles si l'on admet, comme le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence prévalante, l'applicabilité de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO à l' «erreur» sur une situa-tion future prévisible. L'art. 24 al. l chiffre 4 CO doit être appliqué non seulement si celui qui invalide le contrat pour erreur essentielle s'est trompé seul sur ses motifs, mais aussi si son cocontractant a considéré 427 les mêmes faits sur lesquels porte l'erreur comme «conditio sine qua non» de sa propre décision de conclure le contrat et si les deux parties ont pu reconnaître l'importance de ce motif pour le cocontractant. On est alors en présence d'une base du contrat commune aux deux parties50, d'une erreur commune, commise par les deux parties, sur cette base et d'une double «reconnaissabilité», chaque partie ayant reconnu ou ayant dû reconnaître 1' importance des motifs communs pour 1 'autre cocontrac-tant51.

Si cette erreur commune et reconnaissable sur les motifs (sur les éléments nécessaires à la base du contrat) porte sur une évolution future des circonstances, comment la distinguer, en pratique, de la condition suspensive ou résolutoire, par laquelle les parties font dépendre les effets du contrat de l'arrivée d'un événement futur incertain, condition conve-nue d'une manière concluante, implicite et tacite, mais néanmoins d'un commun accord? Le principe de la confiance serait certainement mis à rude épreuve s'il devait trancher entre «erreur» commune sur des faits futurs, constituant des éléments nécessaires à la base du contrat au sens de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO, et condition tacite au sens des art. 151 et, 154 CO. «lm Auslegen seid frisch und munter! Legt ihr's nicht aus, so

49 Cf. aussi Paul PIOTET, La formation du contrat, en doctrine générale et en droit privé suisse, Berne 1956, pp. 111 s.

50 «Üemeinsame Vertragsgrundlage», ATF 8011954 II 152, 156.

51 ATF 98/1972 II 15, 18; 96/1970 II 101, 104; 96/1970 II 25, 27; 87/1961 II 137, 139.

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legt was unter!»52 . Seule une limitation de l'application de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO à l'erreur sur des faits passés ou présents peut conduire à des solutions praticables. Quoi que le Tribunal fédéral dise dans sa juris-prudence prévalante53, la fausse conjecture de faits futurs ne peut pas tomber sous le coup de cette disposition.

d) Imprécision de la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la délimitation des états de faits visés par les art. 119 al. 1 et 24 al. 1 chiffre 4 CO

L'exactitude de l'interprétation littérale et textuelle des art. 23 et 24 al. 1 428 chiffre 4 CO selon laquelle une partie contractante ne se trouve pas «au moment de conclure»(!) «dans une erreur essentielle» sur «les éléments nécessaires du contrat», si elle apprécie mal une évolution future des circonstances, fût-elle «prévisible», est corroborée par ! 'insécurité juri-dique que crée la conception contraire d'une partie importante de la ju-risprudence du Tribunal fédéraJ54 en cas d'impossibilité d'exécution.

Quelle serait, dans l'optique de la solution proposée par le Tribunal fédéral, la situation juridique si !'«erreur» consiste dans la non-prévi-sion d'une impossibilité future d'exécution «prévisible», mais survenant sans la faute du débiteur? Le débiteur serait-il libéré selon l'art. 119 al. 1 CO parce que l'impossibilité d'exécution survient sans sa faute après la conclusion du contrat, ou doit-il, pour être libéré de son obligation, invalider le contrat dans le délai d'une année selon les art. 23, 24 al. 1 chiffre 4 et 31 al. 1 CO parce qu'il s'est trompé sur l'évolution future des circonstances? Dans le premier cas, son cocontractant n'est pas libé-ré nécessairement de la même façon que lui (art. 119 al. 3 CO). Dans le deuxième cas, le contrat est annulé avec effet rétroactif. Dans la concep-tion prévalante du Tribunal fédéral55, l'art. 119 al. 1 CO est-il !ex spe-cialis par rapport à l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO en cas d'imprévision de l'impossibilité «prévisible», mais non-fautive d'exécution? Ou, au con-traire, l'application des art. 23, 24 al. 1 chiffre 4, 31 al. 1 CO l'empor-te-t-elle sur la libération ipso facto? Ou, encore, l'art. 119 al. 1 CO libère-t-il le débiteur de son obligation issue d'un contrat valable à moins

52 Johann Wolfgang VON GOETHE, Zahme Xe11ie11, 2. Buch (Goethes Werke, heraus-gegeben von Ernst Merian-Genast, 2. Band: Geda11ke11lyrik, Zahme Xe11ie11, Bâle 1944, Verlag Birkhiiuser, p. 180).

53 Références supra nn. 1-5.

54 Références supra n. 3.

55 Références supra nn. 1-5. Le Tribunal fédéral, en élargissant la notion d'«impos-sibilité» au sens des art. 97 al. 1 et 119 al. l CO, a appliqué à des situations compa-rables tantôt l'art. 97 al. 1 CO a contrario, c'est-à-dire l'art. 119 al. 1 CO, supra nn. 7 et 20, tantôt l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO, supra n. 6.

L'IMPRÉVISION DES FAITS FUTURS 65

que ce débiteur n'ait déjà invalidé le contrat avec effet rétroactif selon les art. 23 ss CO?

Le Tribunal fédéral n'indique pas sa réponse, même si la dernière solution semble être la plus compatible avec l'idée, contradictoire en soi, de l'erreur portant sur des «éléments nécessaires du contrat» qui se situent dans le futur et qui vicient pourtant la volonté «au moment de conclure». En réalité, l'art. 119 al. 1 CO régit seul l'évolution future.

L'application de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO est limitée à l'erreur sur une situation de fait ou de droit existant avant ou «au moment de conclure»

(art. 23 CO).

e) Imprécision de la jurisprudence du Tribunal fédéral quant à la 429

délimitation entre invalidation du contrat selon l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO, d'une part, et complètement ou correction du contrat, d'autre part

On serait tenté de dire que selon la conception prévalante du Tribunal fédéral 56, l' «erreur» sur des faits futurs «prévisibles» est à juger selon l'art. 24 al. 1 chiffre 4 co57, la fausse conjecture de faits <<imprévisi-bles», en revanche, selon les principes régissant le complètement et la correction du contrat58.

Une riche casuistique nous démontre, cependant, que le Tribunal fédéral considère explicitement ou implicitement comme prévisibles des événements futurs pour lesquels le reproche de faute dans l'imprévision semble franchement exagéré59. A cause de quel manquement à la dili-gence les fiancés n'ont-ils pas prévu la non-conclusion de leur mariage60?

Par suite de quelle faute le créancier n'a-t-il pas pris en considération le fait futur que son débiteur, auquel il a procuré de nouvelles ressources grâce à son cautionnement, ne paierait pas la dette61 ? Pourquoi le refus d'une patente, le défaut de subventions escomptées, le dépassement du devis d'un entrepreneur, le prix trop élevé par rapport à l'avantage pro-curé par l'ouvrage étaient-ils prévisibles et, par conséquent, non prévus par négligence62? Et, après tout, pourquoi la propre faute dans l'impré-vision devrait-elle procurer à une partie contractante le droit formateur

56 Références supra n. 3.

57 ATF 97/1971II390, 398; 93/1967 II 185, 189.

58 ATF 79/1953 II 272, 275; 41/1915 II 356, 366.

59 Cf. supra litt.b et nn. 31-36.

60 Tribunal fédéral, arrêt du 16 juin 1966, Foletti c. Molteni, Repertorio 99 ( 1966) 29; citation supra n. 6.

61 ATF 53/1927 II 35 ss.

62 ATF 55/1929 II 184 ss; 48/1922 II 236 ss; 98/1972 II 299, 304; 92/1966 II 328, 333.

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d'invalider le contrat selon l'art. 31 al. 1 CO, alors que !'absence de faute ne peut donner lieu qu'à un complètement ou une correction du contrat si des conditions supplémentaires sont réalisées63 ? Pourquoi la non-prévision du mariage donne lieu à une invalidation du contrat64 et la non-prévision du divorce à un complètement du contrat657 Le Tribunal fédéral ne le précise pas.

430 De nouveau, il s'avère que dans l'optique d'une interprétation té-léologique correcte de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO seule une erreur sur des faits présents ou passés, et non la survenance d'événements futurs imprévus, permet d'annuler un contrat selon l'art. 31 al. 1 CO. Il est permis de souhaiter que le Tribunal fédéral se souvienne de son arrêt isolé du 10 octobre 1933, Rogenmoser c. Tiefengrund A.G.66. Contraire-ment à son autre jurisprudence, le Tribunal fédéral a su claireContraire-ment limi-ter, ici, l 'annulabilité d'un contrat à l'erreur sur des faits présents ou passés. En outre, il a indiqué avec précision dans cet arrêt que le com-plètement du contrat en application par analogie de l'art. 373 al. 2 CO entre seul en ligne de compte comme fondement juridique de la clausula rebus sic stantibus en cas d'imprévision de faits futurs. C'est à cette délimitation simple, claire et nette, qu'il convient de retourner à l'ave-nir, si l'on tient à respecter la volonté objectivée du législateur telle qu'elle se trouve exprimée dans les art. 23 ss CO.

j) Inobservation des principes régissant les rapports contractuels de fait

En appliquant l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO à une fausse prévision de cir-constances postérieures à la conclusion du contrat, et en admettant l'in-validation pour cette raison, du contrat par lequel un fiancé s'est obligé à accorder un droit d'usufruit sur un immeuble à sa future femme pour toute la vie66a, le Tribunal fédéral semble méconnaître ses propres prin-cipes régissant les contrats viciés de longue durée.

63 Cf. supra litt.a.

64 Référence supra n. 60

65 Tribunal fédéral, arrêt du 16 mai 1980, SemJud 103 (1981) 17, 23.

66 ATF 59/1933 II 372 ss, et SemJud 56 (1934) 288, en ce qui concerne le premier considérant relatif à l'inapplicabilité de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO; cf. aussi ATF 661 1940 I 299, 312 s. Contre l'application de l'art. 24 al. 1 chiffre 4 CO s'expriment:

Charles BESSON, La force obligatoire du contrat et les changements dans les circons-tances, thèse Lausanne 1955, p. 65; Peter GAUCH, Der Unternehmer im Werkvertrag, 2e éd., Zurich 1977, p. 62 n° 190, et p. 213, n°8 892 ss; GUHL / MERZ /KUMMER, su-pra n. 21, p. 122; JAGGI I GAuCH; supra n. 14, n° 610 ad art. 18 CO; KoLLY, supra n. 4, pp. 63 ss, n°8 305 ss, et pp. 97 s.; MERZ, infi·a n. 76, n° 194 ad art. 2 CC; MERZ, supra n. 17, RSJB 107 (1971) 127: MERZ,supra n. 37, RDS 61(1942)393a ss, 421a ss;

OFTINGER, infi·a n. 97, RSJ 36 (1939/40) 245; TERCIER, supra n. 21, JT 127 (1979), 193, 199 S.

L'IMPRÉVISION DES FAITS FUTURS 67

En effet, du moment que les parties ont commencé à fournir de 431 bonne foi leurs prestations en vertu d'un contrat qui ultérieurement se révèle être affecté, dès le début, d'un vice (par exemple au sens des art. 20, 21 ou 23 ss CO), qui normalement aurait conduit à la nullité ou à l'inva-lidabilité ex tune, elles ne peuvent mettre fin à leur «rapport contractuel de fait» que moyennant résiliation ex nunc, en application par analogie des normes régissant la résiliation pour «justes motifs» ou pour «cir-constances graves» de contrats durables, valablement conclus (art. 269, 337, 418r, 545 al. 2 C0)67. L'«existence apparente» d'un contrat vala-blement conclu est considéré comme «cause valable» au sens de l'art. 62 al. 1 CO pour les prestations déjà effectuées. Toute condictio sine causa ou ob causam finitam au sens de la première et de la dernière hypothèse de l'art. 62 al. 2 CO, toute restitution, selon les règles régissant l'

En effet, du moment que les parties ont commencé à fournir de 431 bonne foi leurs prestations en vertu d'un contrat qui ultérieurement se révèle être affecté, dès le début, d'un vice (par exemple au sens des art. 20, 21 ou 23 ss CO), qui normalement aurait conduit à la nullité ou à l'inva-lidabilité ex tune, elles ne peuvent mettre fin à leur «rapport contractuel de fait» que moyennant résiliation ex nunc, en application par analogie des normes régissant la résiliation pour «justes motifs» ou pour «cir-constances graves» de contrats durables, valablement conclus (art. 269, 337, 418r, 545 al. 2 C0)67. L'«existence apparente» d'un contrat vala-blement conclu est considéré comme «cause valable» au sens de l'art. 62 al. 1 CO pour les prestations déjà effectuées. Toute condictio sine causa ou ob causam finitam au sens de la première et de la dernière hypothèse de l'art. 62 al. 2 CO, toute restitution, selon les règles régissant l'