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La durée de l'obligation de payer des intérêts moratoires et des intérêts compensatoires

Alors que les intérêts moratoires courent du début à la fin de la demeure du débiteur d'une somme d'argent, les intérêts compensatoires couvrent la période entre la survenance d'un dommage et le moment de sa répara-tion. La sentence arbitrale est censée respecter les modalités de cette différence.

1. Durée des intérêts moratoires

La demeure intervient au plus tard au moment de l'introduction de la demande en arbitrage. Celle-ci manifeste clairement la volonté du créan-cier de recevoir la prestation due. En droit suisse, selon les art. 102 et 104 al. 1 CO, l'obligation de payer des intérêts moratoires ne présup-pose que l'inexécution injustifiée d'une dette d'argent exigible et

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terpellation du débiteur ou l'expiration d'un délai comminatoire con-venu. La demande en arbitrage comporte l'invitation faite au débiteur d'exécuter sa prestation. En conséquence, elle équivaut à l'interpella-tion au sens de l'art. 102 al. 1 CO pour la mise en demeure, si le créan-cier n'a pas déjà adressé préalablement cette interpellation au débiteur.

Il arrive fréquemment que la créance ne soit initialement pas préci-sée dans tous les détails. Son montant exact peut dépendre d'une exper-tise réalisée en cours de procédure. Cela ne prive pas l'interpellation (ou son équivalent, l'introduction de la demande d'arbitrage) de son effet juridique, à condition que le débiteur puisse reconnaître quelle

presta-652 tion lui est demandée8. Il en est de même lorsque la demande d'arbitrage porte sur un montant supérieur à celui que la sentence attribue finale-ment au demandeur9.

Bien entendu, si la demande d'arbitrage ou l'interpellation préala-ble ne se rapporte qu'à une partie de la créance, les intérêts moratoires concernant le solde ne commencent à courir qu'à partir de la présenta-tion de la demande addiprésenta-tionnelle10. En outre, aussi longtemps que le demandeur ne peut pas ou ne veut pas identifier sa réclamation d'une manière reconnaissable pour le défendeur, les conditions de la demeure et, par là, d'une réclamation en paiement d'intérêts moratoires ne sont pas réalisées. La situation est la même tant que le refus du débiteur de payer la somme demandée se justifie. C'est le cas aussi longtemps que le débiteur dispose de l 'exceptio non adimpleti con tractus (p. ex. en droit suisse selon les art. 82, 184 al. 2 et 213 CO) ou que le créancier se trou-ve en demeure d'acceptation (p. ex. au sens des art. 91 ss CO, en omet-tant d'accomplir les actes préparatoires qui lui incombent).

L'obligation de payer des intérêts moratoires prend fin au moment du paiement tardif de la dette d'argent ou au moment où la dette s'éteint pour une autre raison, par exemple par compensation, novation ou renonci-ation à l'exécution. Si le droit applicable le permet en cas de demeure (comme le droit suisse selon les art. 107 al. 2 et 215 CO), le créancier peut notamment renoncer à l'exécution dans le but de se libérer de l'obli-gation de fournir sa propre contre-prestation et de réclamer des dommages-intérêts positifs pour inexécution selon la «théorie de la

8 ScHENKER, foc. cit., p. 51, n° 137, et références. Par ailleurs, contrairement à une pratique arbitrale américaine, les arbitres ne peuvent allouer des intérêts moratoires que dans la mesure où leur paiement a été exigé par le demandeur, cf. art. V, ch. l litt c., de la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sen-tences arbitrales étrangères du l 0 juin 1958 et WETTER J. Gilles, «lnterest as an Ele-ment of Damages in the Arbitral Process», International Financial Law Review, décembre 1986, pp. 20-23, p. 22.

9 ScHENKER, foc. cit., p. 52, n°s 139 ss, et références.

10 ScHENKER, foc. cit., p. 53, n°s 141 ss, et références.

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différence». Selon les art. 64, 75 et 76 de la Convention de Vienne des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, du 11 avril 1980 (ci-après «CV», entrée en vigueur en Suisse le 1er mars 1991 ), le vendeur peut même, sous certaines conditions, résoudre le contrat et néanmoins demander des dommages-intérêts «égaux à la perte subie et au gain manqué». Seule l'ouverture de la faillite, et non le jugement en exécution, arrête selon la plupart des législations l'obligation de payer des intérêts moratoires avant l'extinction de la dette (en Suisse selon l'art. 209 LP, de même que la délivrance d'un acte de défaut de biens après saisie, selon art. 149 al. 4 LP).

On a constaté que certains arbitres hésitent à tort à attribuer des 653

intérêts moratoires au-delà de la notification de la sentence II. Si l'on tient compte du but des intérêts moratoires, rien ne s'oppose à ce que la sentence oblige le débiteur d'une somme d'argent à payer des intérêts moratoires au taux conventionnel ou légal au-delà de la notification de la sentence, à savoir jusqu'au parfait paiement du montant dû en capital.

2. Durée des intérêts compensatoires

Si l'objet du litige n'est pas une créance d'argent, mais le droit à la réparation d'un dommage, et si le sentence constate une responsabilité précontractuelle, contractuelle ou extra-contractuelle de l'auteur du dom-mage, l'obligation de payer des intérêts sur le montant des dommages-intérêts alloués commence en principe dès la survenance du dommage, soit avant toute interpellation ou introduction de la demande en arbitra-ge. La raison en est que la diminution involontaire du patrimoine causée au lésé par l'acte dommageable comprend aussi le dommage qui résulte pour lui du fait que depuis la survenance du dommage jusqu'à sa répara-tion il ne dispose pas des fonds qui sont destinés à compenser son préju-dice.

Le droit aux intérêts compensatoires dépend non seulement de la réalisation des conditions posées par le type de responsabilité en ques-tion, mais encore de la preuve de cette partie du dommage qui résulte de la privation temporaire du lésé des fonds destinés à la réparation. Le créancier doit ainsi prouver qu'il a dû engager des frais financiers pour combler l'absence des montants qui lui sont dus, ou encore qu'il aurait pu placer de façon profitable ces fonds s'il les avait eus à sa disposition.

Les problèmes concernant la preuve de ce dommage correspondent exac-tement à ceux qui se posent quant au calcul des dommages-intérêts pour retard lorsque le débiteur d'une somme d'argent est en demeure de paie-ment (infra V et VI).

11 Cf. DERAJNS, foc. cit., pp. 111 ss, et références.

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Si le dommage est évolutif et n'a pas encore atteint son montant définitif avant l'introduction de la demande en arbitrage, les intérêts compensatoires ne peuvent pas commencer à courir en ce qui concerne la totalité du dommage. Les différentes parties du dommage portent alors intérêts compensatoires seulement à partir des moments auxquels elles se concrétisent. Ce n'est qu'à partir de ces moments échelonnés que le lésé supporte les inconvénients financiers liés à l'absence des montants auxquels il a droit en vertu de la responsabilité civile ou contractuelle de l'auteur du dommage.

Dans la mesure où les intérêts compensatoires commencent à cou-rir avant l'introduction de la demande d'arbitrage, le responsable se trouve en demeure avec leur paiement dès qu'il est interpellé ou dès que la demande est introduite. A partir de ces moments, il y a concours alterna-tif et complémentaire entre le droit aux intérêts moratoires et le droit aux intérêts compensatoires. Si le taux des intérêts moratoires est infé-rieur à celui des intérêts compensatoires (infra VII). Dans le cas contrai-re, le responsable reste débiteur des intérêts moratoires. Ceux-ci, fixés forfaitairement par le contrat ou la loi, ne dépendent en effet pas de la 654 preuve d'un dommage déterminé, causé par le retard. Ils sont dus même

en l'absence d'un dommage qui atteindrait leur montant12.

Dès le début de la demeure, les intérêts compensatoires coïncident en principe avec les dommages-intérêts de retard dus pendant la demeu-re du débiteur (en droit suisse selon l'art. 106 CO). Mais le principe souffre d'une exception si le responsable prouve qu'aucune faute ne lui est imputable quant à sa demeure et s'il est engagé en vertu d'une res-ponsabilité civile objective, causale, indépendante de toute faute. Dans ce cas particulier, même si l'absence de faute libère de l'obligation de payer des dommages-intérêts de retard (p. ex. en vertu de l'art. 106 al. 1 CO), il doit néanmoins des intérêts compensatoires, et ceci en principe sans pouvoir invoquer son absence de faute concernant le retard dans la réparation du dommage. Il est responsable, même sans faute de sa part,

12 Selon ScHENKER, loc. cil., p. 150, n° 97, il n'y aurait pas de cumul possible. En réalité, un cumul s'impose entre intérêts compensatoires dus depuis la survenance du dommage jusqu'au début de la demeure, et intérêts moratoires pour la période allant du début jusqu'à la fin de la demeure, si leur taux (en droit suisse éventuellement selon l'art. 104 al. 3 CO) est supérieur au taux des intérêts compensatoires. Selon l' ATF 81/1955 II, pp. 213, 221, la société lésée avait à juste titre droit à des intérêts compensatoires dès la survenance du dommage de «3 %, qu'elle aurait pu obtenir d'après létat actuel du marché monétaire, portés à 5 %, en vertu de l'art. l 04 al. l CO, dès le moment où Lahovary a été en demeure». Si, en revanche, le taux des inté-rêts moratoires reste inférieur au taux des intéinté-rêts compensatoires et des dommages-intérêts de retard, c'est à ce taux que se calcule le dommage créé par l'absence des fonds depuis la survenance du dommage jusqu'à sa liquidation. Pour la situation se-lon le droit allemand, cf. ZIMMERMANN Walter, «Der Zins im Zivilprozess», Juristische Schulung 1991, pp. 229 SS, pp. 232 SS.

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de tout dommage causé d'une manière adéquate par le fait qui engage sa responsabilité civile pour risque créé ou pour violation d'une obligation objectivée de diligence. Les intérêts compensatoires se rapportent à une partie de ce dommage. L'absence de faute quant au retard que le respon-sable a eu dans la réparation du dommage n'est en principe pas apte à interrompre le lien de causalité adéquate entre le fait dommageable ini-tial et le dommage à couvrir par les intérêts compensatoires.

Le problème des intérêts compensatoires à payer depuis la notifica-tion de la sentence jusqu'au moment de la réparanotifica-tion du dommage est similaire à celui des dommages-intérêts moratoires dus depuis le juge-ment jusqu'au mojuge-ment du paiejuge-ment de la dette d'argent. La législation nationale applicable indique aux arbitres dans quelle mesure ils peuvent et doivent évaluer d'avance le taux des intérêts en question. Elle précise dans quelles conditions le défendeur doit s'acquitter d'intérêts compen-satoires ou de dommages-intérêts de retard également pour la période située entre la notification de la sentence et le paiement définitif de la dette. En droit suisse, les art. 106 al. 2, 99 al. 3, 42 al. 2 CO et 4 CC accordent au juge et aux arbitres ce pouvoir d'appréciation. La question se pose dans les mêmes termes que pour un dommage évolutif et futur, non encore fixé avec précision au moment du prononcé de la sentence, mais qui doit néanmoins être estimé définitivement au moment du juge-ment 13.

III. Le taux applicable aux intérêts moratoires et aux