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Le respect du droit par l’omission : l’importance des règles prohibitives prohibitives

Quelques précisions terminologiques

1.2 Le respect du droit par l’omission : l’importance des règles prohibitives prohibitives

Une autre des caractéristiques importantes du DIH est reliée à l’importance des règles prohibitives.

Le DIH conventionnel et coutumier comptent en effet un nombre important de règles de nature prohibitive, c’est-à-dire qui s’appliquent à des situations où le fait de se conformer à la règle juridiquement contraignante se manifeste par l’abstention d’agir84. Pour ce type de règles, l’élément

contre celui-ci (Nicaragua c États-Unis d’Amérique), [1986] CIJ Rec 99 au para 114 [CIJ, Nicaragua (1986)] ; Dietrich Schindler, « The Different Types of Armed Conflict According to the Geneva Conventions and Protocols » (1979) 163 RCADI 125. Pour un bref survol de la littérature critiquant de l’approche dichotomique CAI/CANI, voir infra section 6.3.3. à la note de bas de page 1011.

81 Dale Stephens, « Behaviour in war: The place of law, moral inquiry and self-identity » (2014) 96:895 IRRC 751–773 à la p 758 [Stephens (2014)].

82 De façon générale sur le sujet, voir Michael N. Schmitt, « Military Necessity and Humanity in International Humanitarian Law: Preserving the Delicate Balance » (2010) 50 VJIL 795–839 (aussi publié dans: Essays on Law and War at the Fault Lines, La Haye, Asser, 2011 aux pp 89–129) [Schmitt (2010)].

83 Au sujet de cette double fonction (justificatrice et limitatrice) du principe de nécessité militaire telle que présentée par Gentili, Stube de Piermont, Moser et Vattel : Étienne Henry, Le principe de nécessité militaire : histoire et actualité d’une norme fondamentale du droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2017.

84 En soulignant que le DIH, initialement développé comme étant restrictif, contient néanmoins des éléments permissifs robustes à l’intention des États (en ce qui a trait au pouvoir d’internement et de ciblage, p. ex.) : Anne Quintin, Permissions, prohibitions and prescriptions: the nature of international humanitarian law, thèse de doctorat en droit, Université de Genève, 2019, en ligne, archives ouvertes UNIGE : <https://archive-ouverte.unige.ch/unige:123851>.

psychologique joue un rôle particulièrement important. C’est en effet cet élément, qui passe le plus souvent par la prise en compte des considérations humanitaires, qui pousse les parties à un conflit armé à exercer de la retenue, de façon telle que la tension entre la nécessité militaire et les considérations humanitaires y est exacerbée.

La doctrine de la Kriegsraison (« raison de guerre » en français, « necessity of war » en anglais) voulant que les meilleures guerres soient les plus vigoureuses et que les considérations d’ordre militaire puissent prévaloir même sur les lois et coutumes de la guerre ne s’est jamais véritablement imposée au-delà de l’Allemagne du XIXe siècle, tant et si bien qu’aujourd’hui, une partie à un conflit armé se soumet la plupart du temps aux règles régissant le conflit auquel elle prend part en s’abstenant d’agir85. Reste qu’historiquement, le DIH a évolué dans le giron foncièrement volontariste et étatocentrique du droit international, là où l’État se donne les contraintes qu’il veut bien accepter, celui-ci n’ayant comme frein à sa liberté d’agir que l’exercice de cette même liberté par les autres États. La « permission » d’agir émane donc des prérogatives propres à l’État lui-même, et pas nécessairement du droit. Cette conception du DIP est celle qui prévalait jusqu’au milieu du XXe siècle et que l’on retrouve, par exemple, dans l’affaire du Lotus86. Si les considérations d’humanité n’occupent pas une place dominante dans cette définition classique, elles occupent toutefois une place importante dans plusieurs dispositions prohibitives de DIH87 en s’adressant directement à la

« deuxième couche du droit international public », soit la communauté internationale de sept milliards et demi d’êtres humains88. En effet, l’équilibre à atteindre entre la nécessité militaire et les

Voir aussi Jean d’Aspremont et Jérôme de Hemptinne, dir, Droit international humanitaire : Manuel : Thèmes choisis, Paris, Pedone, 2012 à la p 42, et Theodor Meron, Criminal Justice: A View From the Bench: Selected Speeches, Oxford, OUP, 2011 à la p 32.

85 Pour une revue de la littérature traitant de cette doctrine sous l’angle du droit des conflits armés : Schmitt (2010), supra note 82 à la p 769 à la n 6, et aux pp 796–797.

86 CPJI, Affaire du Lotus (1927), CPJI (sér A) no 10 à la p 18 [CPJI, Lotus (1927)]. C’est aussi l’explication qu’offre le Département de la défense américaine dans les notes contextuelles du Law of War Manual pour expliquer cette caractéristique du droit de la guerre : États-Unis, US Department of Defense, Law of War Manual, 2015, rev 2016, en ligne : <https://dod.defense.gov> à la p 14 [É-U, DoD War Manual (2015)].

87 L’interdiction d’attaques sans discrimination, par exemple : PAI, à l’art 51(4) ; Étude sur le DIHC supra note 7 à la R11.

88 Casebook, 2e éd française, supra note 40, partie I chap 2 à la p 1 : « Le droit international public peut être décrit comme un droit composé de deux strates distinctes : une strate traditionnelle constituée du droit régissant la coordination et la coopération entre les membres de la société internationale – essentiellement les États et les organisations créées par eux – et une nouvelle strate comprenant le droit constitutionnel et administratif d’une communauté internationale de sept milliards d’êtres humains. Bien que cette seconde strate tente de vaincre la traditionnelle relativité du droit international, celui-ci conserve encore une structure fondamentalement différente de celle des ordres juridiques internes. Cette différence tient principalement dans le fait que la société à laquelle il

considérations humanitaires ne peut être obtenu que par l’exercice d’une certaine retenue de la part des belligérants en faveur des populations civiles. Du reste, cette « nature intrinsèque »89 du DIH est déjà largement consacrée90. À titre d’exemple, en ce qui a trait à l’utilisation des armes, le DIH en interdit certaines plutôt que d’en autoriser d’autres ; il n’y a qu’à voir les titres des traités à ce sujet pour s’en convaincre91.

En résumé, le DIH est construit sur le compromis entre la réalité militaire et l’impératif humanitaire ; c’est un droit pessimiste qui accepte la réalité de la guerre sans toutefois en faire l’apologie, d’une façon telle qu’on ne peut pas aujourd’hui qualifier le DIH d’être utopiquement humanitariste92. Il est toutefois difficile de le placer ailleurs qu’au point de fuite du DIP. En effet, l’affrontement entre, d’un côté, les intérêts des États et des autres acteurs impliqués dans un conflit armé régi par le DIH et, de l’autre côté, la protection et l’assistance aux individus et groupes pris dans ce conflit armé, donne inévitablement lieu à une remise en question du droit international public dans son itération plus traditionnelle.

s’applique et qui l’a créé est, malgré toutes les tendances actuelles, infiniment moins structurée et moins formellement organisée que n’importe quel État-nation. ».

89 Voir cette expression utilisée dans TPIY, Le Procureur c Dusko Tadić alias ‘Dule’, aff no IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence (2 octobre 1995) au para 83 [TPIY, Tadić (1995)].

90 Voir en ce sens É-U, United States v List (Hostage Case) aff no 7 (1948), reproduit dans 11 Trials of War Criminals before the Nuremberg Military under control (1950) Council Law no 10 à la p 1230; Richard Reeves Baxter, « So-called ‘Unprivileged Belligerency’: Spies, Guerillas, and Saboteurs » (1951) 28 BYIL 323 à la p 324, qui cite ce passage de l’affaire List (1950). La plus récente édition du War Manual américain réfère aussi explicitement au caractère restrictif du droit de la guerre : É-U, DoD War Manual (2015), supra note 86 à la p 12.

91 P. ex. Déclaration de Saint-Pétersbourg à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre (1868) reproduit dans (1877) 1 Annuaire IDI aux pp 306–307 [Déclaration de St-Pétersbourg (1868)] ; le Protocole de Genève concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques (1925), 94 RTSN (1929) no 2138 aux pp 65–75 [Protocole (1925)] ; la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des mines, pièges et autres dispositifs (1980), 1342 RTNU (1983) no 22495 aux pp 178–182 ; la Convention de Paris sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction (1993), 1975 RTNU (1997) no 33757 aux pp 4–141 [Convention sur les armes chimiques (1993)] ; la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (1997), 2056 RTNU (1999) no 35597 aux pp 253–265 [Convention d’Ottawa (1997)].

92 Voir comparativement en droit de la personne Alain Pellet, « ‘Droits de l’Hommisme’ et Droit International » lors de la Conférence commémorative Gilberto Amado devant la CDI (18 juillet 2000), en ligne : <http://pellet.actu.com/wp-content/uploads/2016/02/PELLET-2000-Droit-de-lhommisme-et-DI.pdf>. Voir aussi Gerard Cohen-Jonathan, « La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international » dans La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, colloque de Strasbourg de la Société française de droit international, 1998 à la p 321.

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