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Le passage sous les fourches caudines de l’approche traditionnelle consignée à l’article 38 du Statut de la CIJ traditionnelle consignée à l’article 38 du Statut de la CIJ

Quelques précisions terminologiques

1.5 Le passage sous les fourches caudines de l’approche traditionnelle consignée à l’article 38 du Statut de la CIJ traditionnelle consignée à l’article 38 du Statut de la CIJ

Article 38(1) : La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique :

a. les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les États en litige ;

b. la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit ;

c. les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ;

d. sous réserve de la disposition de l’Article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit.155

Si, formellement, l’article 38 ne lie que la CIJ elle-même, il a été reconnu que cet article s’applique aux autres instances judiciaires internationales156 et d’aucuns ont affirmé qu’il constitue lui-même une règle de DIC157. L’article 38 est en effet le fondement des discussions des quelque cent dernières années touchant de près ou de loin au régime des sources en droit international public. Comme le mentionne Kammerhofer, en citant Verdoss et Simma, Jennings et Watts, et Patak, « almost all works on the sources of international law and the relevant chapters in general works on international law start with Article 38 of the Statute of the International Court of Justice as the fountainhead of their discussion of the sources »158.

Nous considérons qu’il n’est ni utile ni pertinent de compter parmi ceux que Simma appelle les

« dwindling number of traditionalists who tenaciously cling to the biblia pauperum of Article 38 »159. Nous ne sommes toutefois pas a priori complètement détachée de la conception traditionnelle de la

155 L’art 38 du Statut de la CIJ a été initialement adopté en 1926 lors de la création de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) dans le Statut de la Cour, Ser D no 1 (1926) , Actes et documents relatifs à l'organisation de la cour, repris intégralement lors de la création de la CIJ, et ensuite enchâssé dans la Charte des Nations Unies, supra note 107.

156 Dans ses travaux, la CDI affirme que l’art 38 vise la CIJ, mais qu’il est reconnu qu’il s’applique aussi aux autres instances internationales : ONU, CDI (Michael Wood), Premier rapport sur la formation et l’identification du droit international coutumier, Doc off CDI NU, 65e sess., Doc NU A/CN.4/663 (2013) aux paras 32, 66 et suiv [CDI, DIC Premier rapport (2013)].

157 P. ex. Jennings / Watt’s Oppenheim (2008), supra note 1 à la p 21 à la n 1.

158 Kammerhofer (2004), supra note 10 à la p 541 à la n 91. Voir aussi l’approche de l’art 38 par Abi-Saab (1994), supra note 57 aux pp 65 et suiv ; et Besson (2010), supra note 25 à la p 164, qui débute son chapitre en mentionnant l’art 38, qualifiant la liste proposée par celui-ci comme étant « obsolete but still venerated ».

159 Bruno Simma, « preface » dans Nico Schrijver et Friedl Weiss, dir, International Law and Sustainable Development.

Principles and Practice, Leiden, Brill / Nijhoff, 2004 à la p vi [Simma (2004)].

théorie des sources160, puisque nous y ancrons le point de départ de notre travail. À l’instar de Roucounas, nous nous servons de l’article 38 comme premier point de repère, faute de mieux161, pour ensuite prendre nos distances de la théorie traditionnelle en proposant une appréhension positiviste des sources qui s’inscrit dans la pluralité de l’ordre juridique international, en considérant l’article 38 comme étant une appréhension exemplative et non exhaustive des sources, en accordant de l’importance aux rapports entre les sources et en reconnaissant la possibilité d’incorporation de la moralité dans les conditions de légalité. Pour s’y rendre, nous passons tout d’abord par la théorie traditionnelle dominante en examinant deux de ses caractéristiques, soit l’aspect descriptif et exhaustif des sources formelles mentionnées à l’article 38 (1.5.1) et l’absence de hiérarchisation de ces sources (1.5.2).

1.5.1 Une appréhension descriptive et exhaustive des sources formelles : extra ecclesiam nulla salus Selon l’approche traditionnelle, l’article 38 reflète les sources du droit international de façon telle qu’à l’intérieur des trois sources nommées est contenue l’entièreté du DIP. Si l’on met de côté les questions des lacunæ et du non liquet qui relèvent plus de l’exercice de la compétence judiciaire que des sources162, il n’est ni nécessaire ni possible de trouver, selon l’approche traditionnelle, des règles de droit qui ne prennent pas leurs sources dans l’une ou l’autre des catégories163. Cette position permet d’assurer au système du droit international un niveau acceptable de stabilité, de

160 Notre position contraste avec celle, par exemple, de Steven R. Ratner, « Sources of International Humanitarian Law and International Criminal Law: War Crimes and The Limits of the Doctrine of Sources » dans OHSIL (2017), supra note 153 à la p 914 (aussi disponible dans sa version préliminaire sur SSRN : (2016) Public Law and Legal Theory Research Paper Series 505 <http://ssrn.com/abstract=2765531> à la p 2) : « I view the notion of ‘formal’ sources in decidedly non-formalist terms, i.e., as not yielding a fixed, closed list of modes that invariably and predictably does and should produce international law. […] I have no normative attachment to any such list [corresponding to Art. 38 of the Statute of the International Court of Justice] on the grounds that those categories are mentioned in the ICJ Statute. ».

161 Emmanuel Roucounas, « Engagements parallèles et contradictoires » (1987) 206:4 RCADI 9–288 à la p 59 [notre traduction] [Roucounas (1987)].

162 Pour une discussion de ces éléments dans le contexte des principes généraux de droit reconnus, voir infra section 4.3.2. Voir aussi, plus généralement, Carlos Iván Fuentes, Normative Plurality in International Law: The Impact of International Human Rights Law in the Doctrine of Sources of International Law, thèse de doctorat en droit, Université McGill, 2014, accessible en ligne, McGill University’s institutional digital repository:

<http://digitool.library.mcgill.ca/webclient/StreamGate?folder_id=0&dvs=1512504754641~813> ; Pellet (2018), supra note 59 aux paras 84–108 ; Ole Spiermann, « The History of Article 38 of the Statute of the ICJ: A purely platonic discussion? » dans OHSIL (2017), supra note 153 aux pp 171–73 [Spiermann (2017)].

163 Thirlway (2014), supra note 53 à la p 6 à la n 13 ; Rüdiger Wolfrum et Ina Gätzschmann, dir, International Dispute Settlement: Room for Innovations? Heidelberg, Springer, 2012 à la p 313, où l’on cite la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui considère ainsi l’art 38.

certitude et de clarté. La présomption d’exhaustivité de la liste contenue à l’article 38 est entérinée par les États, via leurs déclarations officielles164. On remarque en outre que l’article 38 ne s’aventure pas à détailler le contenu des sources. Il s’agit donc d’un cadre de référence que l’on veut fermé (avec sa prétention à l’exhaustivité)165, à l’intérieur duquel les règles émanant des sources peuvent évoluer à travers la création, la modification ou l’abrogation.

1.5.2 Une absence de hiérarchisation des sources

En deuxième lieu, dans la théorie traditionnelle dominante, il n’y a pas de hiérarchie entre les sources énumérées à l’article 38, particulièrement en ce qui a trait à la relation entre le droit coutumier et le droit conventionnel ; cette position, qui est soutenue par la CIJ dans l’affaire Nicaragua166, est aussi celle généralement mise en l’avant dans la doctrine167.

Lors de l’élaboration de l’article 38, l’inclusion des sources selon un ordre prépondérant accordant la préséance aux traités sur la coutume avait fait l’objet d’une proposition. Celle-ci fut toutefois rejetée au profit d’une liste énumérative non qualifiée168. Les sources sont donc constitutives de règles de DIP sur un même pied d’égalité, pour peu que les méthodologies qui leur sont respectives — mais

164 Voir p. ex. les déclarations officielles des représentants aux Nations Unies du Brésil : ONU, AG (6e comm.), Summary record of the 1492nd meeting (1974), Doc off AG NU, 29e sess, Doc NU A/C.6/SR.1492 (1974) à la p 166 : « Mr. Sette Camara (Brazil) said that the sources of international law were those listed in Article 38 of the Statute of the

International Court of Justice, and those alone » et du Japon : ibid à la p 168 : « in its view, the sources of law enumerated in Article 38 of the Statute of the Court were exhaustive ». Contra la déclaration du représentant de l’Union de la République Socialiste Soviétique ibid à la p 167 au para 12.

165 À noter que Danilenko (1993), supra note 52 aux pp 39–41, qui reconnait l’exhaustivité de la liste de l’art 38, n’y voit toutefois pas une fermeture totale du système des sources résistant à l’émergence d’une nouvelle source : « Indeed, there is much to be said for the view that a constitutional rule on sources can ensure certainty and stability in the functioning of international law only if it contains an exhaustive list of procedures by which law can be made or changed at a given moment. The need for clarity in this regard in no way suggest that sources of law would be petrified into an absolutely closed system resisting all changes. […] It would be wrong to assume, however, that the very possibility of the emergence of a new source may be used as an argument against the proposition that, at least at this stage in the development of international law, Art. 38 contains an exhaustive list of sources […]. It should be kept in mind […] that there is a strong presumption that Art. 38 should contain a complete list of sources ».

166 CIJ, Nicaragua (1986), supra note 80 au para 176.

167 Pour une explication de la « the Non-Hierarchy Thesis », voir Mario Prost, « Sources and the Hierarchy of International Law: Source Preferences and Scales of Values » dans OHSIL (2017), supra note 153 aux pp 643–646. Pour une liste des ouvrages et décisions appuyant ce constat, voir Villiger (1985), supra note 143 à la p 35 à la n 348. Voir aussi p. ex. Abi-Saab (1994), supra note 57 à la p 65 : « Et malgré l’impression qu’on pourrait avoir d’un ordre d’importance décroissante dans l’énumération, il n’y a pas de hiérarchie formelle entre ces deux sources [que sont les traités et la coutume (38/1/a et b)]. » Voir aussi Pellet (2018), supra note 59 aux paras 266–276 ; et Roucounas (1987), supra note 161 aux paras 75–76.

168 Au sujet des discussions autour de l’adoption de l’art 38, voir Michael Akehurst, « The Hierarchy of the Sources of International Law » (1975) 47 BYIL 273-285 à la p 274 [Akehurst (1975)].

qui ne sont pas définies à même le cadre juridique contraignant — soient respectées. Il existe cependant une summa divisio entre les sources primaires et les « moyens auxiliaires de détermination du droit » que sont les décisions judiciaires et la doctrine, et que nous traitons ici sous le vocable « sources subsidiaires ». Toujours selon l’appréhension traditionnelle, celles-ci ne peuvent à elles seules créer du droit ; elles n’ont d’influence que lorsqu’elles interagissent avec une ou des sources primaires.

1.6 La théorie traditionnelle remaniée et éclairée : les modalités

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