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Les diverses conceptions possibles des sources du DIH : la question générale de la difficulté d’identification des règles du

DIH dans une logique de continuum normatif

Il y a une forte tendance parmi les États à considérer l’article 38 comme étant la définition des sources formelles du droit international9. En même temps, nous sommes témoins d’un changement dans le processus d’identification des règles du DIP : plutôt que d’utiliser les sources formelles pour distinguer rigoureusement le droit du non-droit10, le droit international est de plus en plus conçu comme un continuum normatif fluctuant de ce qui est  plus ou moins  du droit11. Une des conséquences de ce déplacement est de rendre plus difficile une identification claire des règles.

Cette difficulté se manifeste particulièrement en DIH. En effet, on peut identifier deux grandes phases de développement de cette branche du droit international public. La première phase est celle

[Commentaires Pictet] ; Yves Sandoz, Christophe Swinarski et Bruno Zimmermann, Commentaire des protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, CICR, 1986 [Commentaires PAI–

II (1986)]; Commentary on the First Geneva Convention on the Protection of the Wounded and Sick of Armed Forces in the Field (2016) et (2018), en ligne : <https://ihl-databases.icrc.org/dih/full/CGI-commentaire> [Commentaires CGI (2016 en anglais / 2018 en français)] ; Commentary on the Second Geneva Convention: Convention (II) for the Amelioration of the Condition of the Wounded, Sick and Shipwrecked Members of Armed Forces at Sea (2017), en ligne : <https://ihl-databases.icrc.org/dih/full/CGII-commentaire> [Commentaire GCII (2017)] ; Commentary on the Third Geneva Convention: Convention (III) relative to the Treatment of Prisoners of War (2020), en ligne : <https://ihl-databases.icrc.org/dih/full/CGIII-commentaire> [Commentaire GCIII (2020)]. Pour le Commentaire du Protocole additionnel III, voir Jean-François Quéguiner, « Commentaire du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à l’adoption d’un signe distinctif additionnel (Protocole III) » (2006) 88:865 RICR 313. (Pour les références officielles aux textes des Conventions de Genève et des Protocoles additionnels, voir respectivement infra notes 12 et 13).

9 Voir infra Introduction pour des précisions terminologiques entre sources formelles et sources matérielles.

10 Jean d’Aspremont, Formalism and the Sources of International Law: A Theory of the Ascertainment of Legal Rules, Oxford, OUP, 2011 à la p 1 [D’Aspremont (2011)] : « International legal scholars are becoming much less sensitive to the necessity of rigorously distinguishing law from non-law. » Voir aussi Jörg Kammerhofer, « Uncertainty in the Formal Sources of International Law: Customary International Law and Some of Its Problems » (2004) 15:3 EJIL 523 aux pp 552–553 [Kammerhofer (2004)].

11 Martii Koskenniemi, From Apology to Utopia: The Structure of International Legal Argument, Cambridge, CUP, 2006 à la p 393 [notre traduction] [Koskenniemi (2006)]. Voir D’Aspremont (2011), ibid, pour une liste d’auteurs supportant cette idée du droit comme un continuum normatif . Voir aussi l’approche du « legal normativity on a sliding scale » adoptée par Catherine Brölmann et Yannick Radi, dir, Research Handbook on the Theory and Practice of International Lawmaking, Cheltenham, Elgar, 2016 à la p 2 [Research Handbook (2016)] (en application de l’approche de Christine M. Chinkin, « The Challenge of Soft Law: Development and Change in International Law » (1989) 38 ICLQ 850.)

marquée par une large codification principalement à travers les Conventions de Genève de 194912 et leurs Protocoles additionnels de 197713. La seconde phase, contemporaine, est celle du développement au-delà de la stricte lettre des traités14. En effet, la médiatisation accrue des conflits armés et la création de tribunaux internationaux ayant débuté dans la deuxième moitié du XXe siècle ont donné lieu, d’une part, à une réappropriation du DIH via la prolifération des écrits scientifiques en DIH (ce que Chetail appelle « la littérature pléthorique sur le droit des conflits armés »15) et, d’autre part, à une influence grandissante des décisions judiciaires sur les règles de DIH. De plus, l’accélération sans précédent qu’a connu le droit international coutumier dans le domaine des conflits armés non internationaux au cours des trente dernières années, principalement via l’Étude sur le DIHC ainsi qu’à travers les décisions de tribunaux internationaux, et l’amplification des obligations conventionnelles des États parties aux Conventions de Genève lorsqu’existe une pratique virtuellement unanime parmi les organismes internationaux pertinents16, sont autant de propositions qui constituent des contributions fondamentales au développement du DIH dans le sens de la poussée et la volonté continue de perfectionner le contenu et d’élargir la portée de la protection

12 Nommément, la Convention pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les années en campagne (1949), 75 RTNU (1950) no 970, aux pp 32–81 [CGI] ; la Convention pour l’amélioration du sort des blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer (1949) 75 RTNU (1950) no 971 aux pp 86–133 [CGll] ; la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre (1949) 75 RTNU (1950) no 972 aux pp 136–285 [CGlll] ; la Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (1949) 75 RTNU (1950) no 973 aux pp 288–418 [CGIV]. Les textes de ces conventions sont disponibles en ligne : CICR <www.cicr.org/dih>.

13 Nommément, le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (1977), 1125 RTNU (1979) no 17512 aux pp 272–329 [PAI], et le Protocole additionnel visant la protection des victimes des conflits armés non internationaux (1977), 1125 RTNU (1979) no 17513 aux pp 650–657 [PAlI] ; Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à l’adoption d’un signe distinctif additionnel (2005), 2404 RTNU (2007) no 43425 aux pp 284–291 [PAIII].

14 Voir de façon générale Theodor Meron, The Humanization of Humanitarian Law, sér. The Hague Academy of

International Law Monographs, vol 3, Leiden / Boston, Nijhoff, 2006 aux pp 3 et suiv [Meron (2006)] ; Vincent Chetail,

« Droit international général et droit international humanitaire : retour aux sources » dans Vincent Chetail, dir, Permanence et mutation du droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 2013 aux pp 13–51 [Chetail (2013)] ; Michael M. Schmitt et Sean Watts, « State Opinio Juris and Pluralism » (2015) 91 ILS 171 [Schmitt / Watts (2015)].

15 Voir Chetail (2013) ibid aux pp 14–15 : « Cette réappropriation de la doctrine est telle qu’il est devenu aujourd’hui extrêmement difficile de recenser de manière exhaustive la multitude d’ouvrages spécialisés parue en langue anglaise et française. Ce développement quantitatif s’est doublé d’une tendance accrue à la spécialisation et au repli disciplinaire. »Comparer avec : Marco Sassòli, International Humanitarian Law Rules, Controversies, and Solutions to Problems Arising in Warfare, coll. Principles of international Law, Cheltenham, Elgar, 2019 à la p 65 à la section 4.80 [Sassòli (2019)]: « The increasing number of publications on every imaginable IHL problem, the race in the academic world towards a quantitative evaluation of research output useful for a career and the need to raise funds for research by imagining innovative projects that claim a ‘paradigm shift’ is needed all reinforce this tendency [to ‘deconstruct’

everything written previously, leading to the impression that a reference may be found in favour of any position]. ».

16 Yaël Ronen, « International Humanitarian Law » dans Jean D’Aspremont et Jörg Kammerhofer, dir, International Legal Positivism in a Post-Modern World, Cambridge, CUP, 2013, 475–497 à la p 480 [notre traduction] [Ronen (2013)].

Voir aussi Bruno Simma et Philip Alston, « The Sources of Human Rights Law: Custom, Jus Cogens, and General Principles » (1988) 12 AYIL 82 aux pp 100–102 [Simma / Alston (1988)].

humanitaire17 et d’augmenter de façon non régressive le niveau de protection18. S’ajoute à cela le constat qu’il est rendu très difficile d’adopter de nouveaux traités. À l’exception du PAIII (2005) et de quelques conventions relatives au contrôle de certains types d’armes19, il n’y a en effet pas eu, au XXIe siècle, d’efforts concertés significatifs qui se sont traduits par l’adoption de nouveaux traités en DIH, de façon telle qu’un quasi-consensus a émergé dans les dernières années indiquant qu’il est maintenant de plus en plus difficile de conclure de nouvelles conventions générales à l’instar des CGI-IV (1949) et des PAI-II (1977)20.

Lorsque sont placés ces constats relatifs au DIH face à la question des sources du DIP, deux grandes tendances actuelles se dégagent21 : la première, qui s’inscrit dans l’approche fragmentée du

17 Georges Abi-Saab, « The Specificities of Humanitarian Law » dans Christophe Swinarski, dir, Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean-Pictet, Genève, CICR, 1984, 265–280 à la p 273 [notre traduction] [Abi-Saab (1984)].

18 Nommément l’effet de cliquet ou « ratchet effect » / « non-rolling back effect » en anglais : ibid à la p 276. Voir aussi section 5.1.4 in fine.

19 P. ex. le Protocole relatif aux restes explosifs de guerre à la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination (2003), 2399 RTNU (2006) no 22495 aux pp 136–146 [CAC PV (2003)] ; la Convention sur les armes à sous-munitions (2008), 2688 RTNU (2010) no 47713 aux pp 115–141 (93 États parties et 25 signataires) [Convention sous-munitions (2008)] ; le Traité sur le commerce des armes (2013), 3013 RTNU no 52373 aux pp 61–76 (72 États parties et 59 signataires) [Traité sur le commerce d’armes (2013)] ; le Traité pour l’interdiction de l’arme nucléaire (2017) (no d’enregistrement et RTNU pas encore établis pour ce traité) (52 États parties et 86 signataires). On note aussi l’adoption d’instruments réglementant certains aspects des conflits armés, mais pas uniquement, p. ex. le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés (2000), 2173 RTNU (2004) no 27531 aux p 242–247 [Protocole enfants CA (2000)], et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2006), 2716 RTNU (2010) no 48088 aux pp 75–89.

20 Voir Yahli Shereshevsky, « Back in the Game: International Humanitarian Lawmaking by States » (2019) 37 BJIL 1–63 aux pp 9–10 à la n 29 [Shereshevsky (2019)], citant entre autres : W. H. Boothby, Conflict Law, Heidelberg, Springer, 2014 à la p 72 et Emily Crawford, « From Inter-state and Symmetric to Intrastate and Asymmetric: Changing methods of Warfare and the Law of Armed Conflict in the 100 Years Since World War One » (2014) 17 YBIHL 95, 112. Voir aussi Sassòli (2019), supra note 15 aux paras 4.29 et suiv ; Knut Dörmann « The Role of Nonstate Entities in Developing and Promoting International Humanitarian Law » (2018) 51:3 VJTL 713–726 à la p 714 [Dörmann (2018)];

Kenneth Watkin « 21st Century Conflict and IHL Status Quo or Change? » dans Michael Schmitt et Jelena Pejic, dir, International Law and Armed Conflict: Exploring the Fault Lines, Leiden, Brill / Nijhoff, 2007, 265–296 et Martin A.

Rogoff, « The Obligation to Negotiate in International Law: Rules and Realities » 16 MJIL (1994-1995) 147. Au sujet d’un désengagement général des États à convoquer des conférences diplomatiques : Christian Tomuschat, « The International Law Commission: An Outdated Institution? » (2007) 49 GYIL 77–105 à la p 91. Au sujet de l’impasse et de la stagnation généralisées dans l’élaboration des traités de droit international, s’appuyant sur un projet de recherche de deux ans auquel ont participé plus de 40 chercheurs et impliquant 30 études de cas, voir Joost Pauwelyn, Ramses A. Wessel et Jan Wouters, « When structures become shackles: Stagnation and dynamics in international lawmaking » 25:3 EJIL (2014) 733–763 aux pp 734–738.

21 Chetail (2013), supra note 14 à la p 15.

droit international, explore le potentiel du DIH en tant que régime spécial ou autonome22 ; la seconde, dans laquelle nous inscrivons nos recherches, actualise les caractéristiques spéciales du DIH par rapport au DIP23.

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