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Le développement du DIH : vers un affranchissement graduel du modèle westphalien du modèle westphalien

Quelques précisions terminologiques

1.4 Le développement du DIH : vers un affranchissement graduel du modèle westphalien du modèle westphalien

Comme mentionné dans l’introduction, nous concevons l’ordre international selon un modèle westphalien remanié, affranchi en partie du volontarisme étatique exclusif et proposant la pluralité de l’ordre juridique international. Si aujourd’hui l’affranchissement de la conception westphalienne peut être discuté, on doit reconnaître que ce n’était pas le cas il y a 200 ans : au XIXe siècle, le droit

tellement supérieur, il est si universellement reconnu comme un impératif de la civilisation, qu’on éprouve le besoin de le proclamer, autant et même plus pour le respect qu’on lui porte que pour celui que l’on attend de l’adversaire. ».

100 Voir Online Casebook, supra note 93, Fundamentals of IHL, B. International Humanitarian Law as a Branch of Public International Law, I. International Humanitarian Law: at the vanishing point of international law, Introductory text.

international était, d’une part, principalement centré sur les États et, d’autre part, fortement marqué par le volontarisme et la réciprocité.

Le modèle westphalien de l’ordre international a vu le jour au XVIIe siècle avant de subir une rationalisation subséquente au cours de la deuxième moitié de XIXe siècle101. Ce modèle a proposé un changement de paradigme organisationnel profond, en plaçant l’État au centre de toutes les préoccupations et toutes les décisions ; il a établi une relation de coordination, plutôt que de subordination, entre les États, sujets égaux entre eux, mais tout de même différents les uns des autres102. Or, c’est dans cette relation d’égal à égal que s’ancre la possibilité d’une justice globale, qui, à son tour, est nécessaire à une cohabitation paisible. En effet, les conceptions de ce qui est juste sont vouées à être aussi variées et nombreuses qu’il y a d’États. Puisqu’une définition unique de justice n’est pas envisageable entre des États également souverains, un système juridique fondé sur la coordination, comme l’est le modèle westphalien, est celui qui offre le moyen le plus adéquat de signifier la volonté de cohabitation paisible103. Il est acquis que les personnes qui se trouvent à l’intérieur des frontières d’un territoire donné sont soumises au contrôle de l’État dans lequel elles se trouvent104. De cette acception relative au contrôle découle le principe de la souveraineté étatique105.

101 Pour une analyse de l’hypothèse voulant que l’arrivée du modèle moderne des relations internationales basé sur un développement géographique inégal ait transformé la nature de la vie politique en Europe et à l’échelle mondiale au cours du XIXe siècle, voir Benno Gerhard Teschke, « The Making of the Westphalian State-System: Social Property Relations, Geopolitics and the Myth of 1648 », thèse de doctorat, London School of Economics, 1999, accessible en ligne, LSE Theses Online : <http://etheses.lse.ac.uk/1555/1/U126793.pdf>. Voir aussi Mark Zacher, « The Decaying Pillars of the Westphalian Temple » dans James Rosenau et Ernst-Otto Czempiel, dir, Governance without Government: Order and Change in World Politics, Cambridge, CUP, 1992 aux pp 58–101 ; Stephen D. Krasner,

« Compromising Westphalia » (1995) 20:3 IS 115–151 ; Leo Gross, « The Peace of Westphalia: 1648-1948 » (1948) 42 AJIL 20–41.

102 Voir MPEPIL (Rainer Grote) sub verbo « Westphalian System » (2006) [MPEPIL, Westphalian System]. Voir aussi Casebook, 2e éd française, supra note 40 au chap 1 à la section I à la p 1.

103 Besson (2010), supra note 25 à la p 176 [notre traduction]. Ce concept de cohabitation paisible n’est pas sans rappeler la définition donnée par le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge du principe d’humanité :

« Né du souci de porter secours sans discrimination aux blessés des champs de bataille, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, sous ses aspects international et national, s’efforce de prévenir et d’alléger en toutes circonstances les souffrances des hommes. Il tend à protéger la vie et la santé ainsi qu’à faire respecter la personne humaine. Il favorise la compréhension mutuelle, l’amitié, la coopération et une paix durable entre tous les peuples. » : Les Principes fondamentaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, réf 0513, Genève, CICR, 1996, en ligne : <https://www.icrc.org/fre/assets/files/other/icrc_001_0513_principes_fondamentaux_cr_cr.pdf> [la Proclamation des principes fondamentaux de la Croix-Rouge].

104 MPEPIL, Westphalian System, supra note 102 au para 5.

105 La Cour permanente de justice a proposé une définition de la souveraineté étatique dans l’Affaire S.S. ‘Wimbledon’

(1923), CPJI (sér A) no 1 au para 25: « [It] is subject to no other state and has full and exclusive powers within its jurisdiction without prejudice to the limits set by applicable law ».

Cet attribut constitue l’un des acquis les plus importants du système westphalien106 et est désormais enchâssé au premier paragraphe de l’article 2 de la Charte des Nations Unies107.

Même dans son itération la plus classique, la perspective westphalienne reste a priori compatible avec l’existence même du DIH, la guerre étant une forme traditionnelle de relations interétatiques108. L’État possède le monopole de la violence sur le territoire qu’il contrôle et est le seul qui peut enfreindre la règle du non-usage de la force enchâssée dans la Charte des Nations Unies. En même temps, la guerre n’existe pas sans l’action — qu’elle soit sophistiquée ou non — de la personne humaine. Le DIH navigue donc entre l’État et l’individu, en gardant le cap sur un élément qui transcende et affecte ces deux catégories : la réglementation des comportements humains, principalement les comportements violents.

L’affranchissement du modèle westphalien affecte le DIP en entier109, pas uniquement le DIH. Cela étant dit, le DIH incarnant « toute la faiblesse et, en même temps, toute la singularité du droit international »110, nous identifions deux caractéristiques spéciales du DIH qui marquent une certaine émancipation de la forme traditionnelle, soit le déplacement d’une réciprocité immédiate vers une réciprocité systémique (1.4.1), ainsi que l’apport particulier d’éléments non juridiques au développement de ce droit (1.4.2).

106 MPEPIL, Westphalian System, supra note 102.

107 Charte des Nations Unies (1945), en ligne, Nations Unies : <https://www.un.org/fr/charter-united-nations/>; RT Can 1945 no 7 [Charte des Nations Unies ou CNU], à lire avec le para 7 du même article qui concerne la non-intervention de l’ONU dans les affaires intérieures des États. Au sujet de la notion d’égalité entre États souverains (qui peut s’ajouter par interprétation à la règle énoncée à l’art 2(7)), de la place fondamentale qu’occupe ce concept en droit international et de sa valeur évidente qui le situe même au-delà d’une création conventionnelle ou émanant d’une pratique étatique (« sovereign equality is an axiomatic assumption of international law »), voir Louis Henkin,

« General Course of Public International Law. International Law: Politics, Values and Functions » (1989-IV) 215 RCADI aux pp 45 et suiv ; voir aussi Robert Kolb, « Selected Problems in the Theory of Customary Humanitarian Law » (2003) 50:2 NILR 119–150 [Kolb (2003)].

108 Casebook, 2e éd française, supra note 40, à la partie I au chap 2 à la p 2.

109 Infra section 1.6.1.

110 Casebook, 2e éd française, supra note 40 à la partie I au chap 2 à la p 2.

1.4.1 De la réciprocité immédiate vers la réciprocité systémique

La réciprocité, lorsqu’elle est immédiate, peut devenir un facteur toxique permettant d’invoquer la conditionnalité et servant d’excuses pour répondre des violations commises par l’autre partie111. Cette réciprocité quid pro quo, ou « donnant-donnant », s’ancre fermement dans le bilatéralisme et dans l’idée que toutes les relations interétatiques sont basées sur l’intérêt propre, que les États ne s’impliquent dans des relations juridiques que pour promouvoir au mieux leurs intérêts en réconciliant ceux-ci avec ceux des autres États avec lesquels ils désirent transiger112. Les mécanismes de la réserve et de la suspension d’un traité comme conséquence de sa violation, qui sont tous deux consacrés dans la Convention de Vienne sur le droit des traités113, constituent deux exemples de ce type de réciprocité examinés dans le chapitre 2.

À l’instar de Provost, nous croyons que la réciprocité immédiate constitue un passage transitoire vers une autre forme de réciprocité, celle-ci liée à l’existence continue du système et pas uniquement celle de l’État : la réciprocité systémique114. Cette forme de réciprocité concerne moins l’échange d’avantages (immédiats) entre les deux parties que l’assurance que le système dans lequel évoluent les parties impose les mêmes obligations et accorde les mêmes droits115. Cette égalité des parties mène à la création d’intérêts mutuels à préserver le système, c’est-à-dire, dans le cas qui nous

111 René Provost, « Asymmetrical Reciprocity and Compliance with the Laws of War » dans Benjamin Perrin, dir, Modern Warfare: Armed Groups, Private Militaries, Humanitarian Organizations, and the Law, 2010, Vancouver, UBC Press, pp 17–42 [notre traduction] [Provost (2010)].

112 Antonio Cassese, « A Big Step Forward for International Justice » (2003) Crimes of War Magazine (ce texte qui a été initialement rédigé en tant que contribution au Crimes of War Project : <www.crimesofwar.org> n’est plus disponible sur ce site) [Cassese (2003)].

113 Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), 1155 RTNU (1980) no 18232 aux pp 354–377, respectivement aux arts 21(b) et 60 [CVDT (1969)].

114 René Provost, International Human Rights and Humanitarian Law, Cambridge, CUP, 2002 à la p 122 [Provost (2002)] ; Provost (2010), supra note 111. Voir aussi Sophie Rondeau, « The Pragmatic Value of Reciprocity:

Promoting Respect for International Humanitarian Law among Non-State Armed Groups » dans Perrin (2010), supra note 111 aux pp 43–72 [Rondeau (2010)]. Pour une application juridique de la théorie du « social exchange » de Peter M. Blau (Exchange and Power in Social Life, 2e éd, 2017, Londres, Taylor & Francis), selon laquelle il y a une distinction entre réciprocité spécifique (« situations in which specified partners exchange items of equivalent value in a strictly delimited sequence ») et réciprocité diffuse (« a definition [...] less precise [where] one’s partner may be viewed as a group rather than as particular actors, and the sequence of events is less narrowly bounded »), voir Robert Keohane, « Reciprocity in International Relations » (1986) 40:1 IO 1–27 à la p 4. Au sujet de la « real reciprocity » assimilable en partie à la réciprocité systémique et qui consiste à contribuer à l’émergence d’un contrat global qui englobe le DIH et dont tous les peuples peuvent bénéficier mutuellement, voir aussi Mark Osiel, The End of Reciprocity: Terror, Torture, and the Law of War, Cambridge, CUP, 2009.

115 Jonathan Somer, « Jungle Justice: Passing Sentence on the Equality of Belligerents in Non-International Armed Conflict » (2007) 89:867 IRRC 655–690 aux pp 659 et suiv [Somer (2003)].

intéresse, le DIP duquel fait partie le DIH. Il a certes le problème, déjà identifié par Provost116, de l’égalité des belligérants : cette égalité, qui constitue aux dires de Somer « the most disagreeable aspect for states »,117 est grandement affaiblie dans les CANI. L’objectif de cette thèse n’est pas de résoudre cet épineux problème ; nous nous limitons à affirmer que le principe d’égalité des belligérants se définit d’une façon qui dépasse l’établissement de concessions mutuelles et qui est assimilable à la notion de parité118, et donc qu’un glissement de la réciprocité immédiate vers une réciprocité systémique qui respecte le principe d’égalité des belligérants est possible, quoique présentant des difficultés, surtout en ce qui concerne sa mise en œuvre.

Du reste, un « reliquat » de réciprocité immédiate est envisageable, rendant l’affranchissement graduel et partiel. Le DIH ne bénéficie pas d’une autorité centralisée forte, comme c’est par exemple le cas dans les systèmes de droit pénal nationaux119. Historiquement, il est vrai que le DIH s’inscrit dans une logique d’engagements qui engendrent une réciprocité immédiate entre les parties. Par exemple, comme nous le verrons plus loin120, sous les CGI–IV (1949) et les PAI–II (1977), les réserves qui sont compatibles avec le but et l’objet de ces instruments ne sont pas prohibées et plusieurs États se sont prévalus de cette possibilité. Cette possibilité est atténuée par le fait que les obligations erga omnes, qui sont nombreuses121, ne sont pas bilatéralisables et donc que les réserves formulées à leur égard n’ont simplement pas d’effet réciproque. En effet, ces dispositions conventionnelles formulent des obligations qui sont dues à tous les États et à la communauté internationale dans son ensemble. Même si un État partie formule des réserves sur ces obligations humanitaires essentielles, cela ne pourrait pas en modifier substantiellement le contenu pour les

116 Provost (2002), supra note 114 aux pp 161–162.

117 Somer (2003), supra note 115 à la p 656 [notre traduction] : « The principle of equality of belligerents, central to the traditional law of armed conflict, is arguably the most disagreeable aspect for states when it comes to adopting a law of non-international armed conflict. By its very nature, the principle strikes at the central tenet of the state, that being its authority over its constituents. Nevertheless, a humanitarian consensus was reached at the 1949 Diplomatic Conference in Geneva (Geneva Conference) imposing obligations on both state and non-state parties to a conflict, albeit in a trade-off that provided a minimum level of protection for a maximum scope of coverage. ».

118 Ibid aux pp 659 et suiv.

119 Provost (2002), supra note 114 aux pp 123 et 237.

120 Infra section 2.2.2.

121 P. ex. l’art 3 commun CGI–IV (1949) ; la deuxième partie de la CGIV (1949) qui prévoit la protection générale des populations contre certaines conséquences de la guerre ; les arts 73 et 75 PAI (1977) concernant respectivement le traitement des réfugiés et des apatrides dans le pouvoir d’une partie au conflit et les garanties fondamentales de toutes les personnes au pouvoir d’une partie au conflit ; tout le PAII.

autres. Malgré l’existence du mécanisme de réserves, les obligations erga omnes offrent donc la possibilité d’une émergence de la réciprocité systémique122.

Dans le même ordre d’idées, notons que la clausula si omnes (la clause participatoire) ne figure plus aujourd’hui dans le DIH conventionnel123. Cette clause, que l’on trouvait à l’origine dans la Convention relative aux lois et coutumes de guerre (1899)124, permettait aux États parties d’ignorer les conventions visées si l’une ou plusieurs des parties au conflit armé n’avaient pas ratifié celles-ci.

Cette clause a été renversée dans la Convention sur le traitement des prisonniers de guerre (1929)125, puis dans l’article 2(3) commun CGI–IV (1949)126 prévoyant l’application des conventions entre les Puissances qui sont parties au conflit, même si l’un des belligérants n’est pas partie à la convention, offrant même la possibilité à la Puissance non-partie de reconnaitre la Convention spécifiquement pour le conflit en l’espèce. C’est probablement dans cet esprit qu’en 1949, lors de l’adoption des CGI–IV, le CICR a proposé aux Puissances réunies, toutefois sans succès, un préambule dont la teneur, identique pour les quatre Conventions, était (en partie) la suivante : « Le

122 Rondeau (2010), supra note 114.

123 Comme l’explique Meron, cette clause a menacé l’intégrité des poursuites engagées à Nuremberg, mais le tribunal s’est opposé à cet argument en déclarant que les règles énoncées dans la IVe Convention de La Haye de 1907 étaient considérées comme coutumières en 1939, rendant désuète la clause participatoire : Theodor Meron, « The Humanization of Humanitarian Law » (2000) 94 AJIL 239–278 aux pp 247 in fine et 248 [Meron (Humanization 2000)].

Voir aussi MPEPIL, (Philippe Gautier) sub verbo « General Participation Clause (Clausula si omnes) » (2006) et Christopher Greenwood, « Historical Development and Legal Basis » dans Dieter Fleck, dir, Handbook of International Humanitarian Law, 2e éd, Oxford, OUP, 2010, pp 1–38 au para 102(2) [Greenwood (2010)].

124 Convention (II) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (1899), La Haye, Nijhoff, 1907 aux pp 19–28, en ligne : CICR <www.icrc.org/ihl>

[CII (1899)]. On la retrouve aussi à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (1907) NRGT 3e sér, t 3, p 360 à l’art 2 [CIV (1907) ou Règlement de La Haye (1907)] : « Les dispositions contenues dans le Règlement visé à l'article 1er ainsi que dans la présente Convention, ne sont applicables qu'entre les Puissances contractantes et seulement si les belligérants sont tous parties à la Convention. ».

125 118 RTSN (1931-1932) no 2734 aux pp 343–411 à l’art 82(2) [Convention PG (1929)] : « Au cas où, en temps de guerre, un des belligérants ne serait pas partie à la Convention, ses dispositions demeureront néanmoins obligatoires entre les belligérants qui y participent. ».

126 « Si l’une des Puissances en conflit n’est pas partie à la présente Convention, les Puissances parties à celle-ci resteront néanmoins liées par elle dans leurs rapports réciproques. Elles seront liées en outre par la Convention envers ladite Puissance, si celle-ci en accepte et en applique les dispositions. ».

respect de l’être humain et de sa dignité est un principe universel qui s’impose même en l’absence de tout engagement contractuel »127.

Si l’on ne peut pas affirmer que l’article 2(3) commun constitue un fondement robuste pour asseoir l’établissement d’un système de réciprocité systémique en DIH conventionnel, puisqu’il ne s’adresse qu’aux États déjà parties, son inclusion dans les CGI–IV illustre tout de même un éloignement de la réciprocité immédiate. Cet éloignement semble en outre consacré en DIH coutumier, tel que consigné dans l’Étude sur le DIHC. Le sujet du droit international coutumier fera l’objet d’un développement substantiel ci-dessous, mais pour les besoins du présent chapitre, mentionnons ici la Règle 140 qui indique qu’en cas de CAI comme de CANI, « [l]’obligation de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire subsiste même en l’absence de réciprocité »128. Les fondements conventionnels cités au soutien de l’existence de cette règle sont les articles 1 et 2 communs CGI–IV (1949) qui mentionnent l’obligation de respecter le DIH « en toutes circonstances », ce qui sous-entend la survie de l’obligation même lorsqu’une ou plusieurs parties au conflit ne respectent pas le DIH. L’article 51(8) PAI peut aussi être invoqué pour illustrer un délaissement de la réciprocité immédiate :

Aucune violation de ces interdictions [d’attaques dirigées à titre de représailles contre la population civile ou des personnes civiles] ne dispense les Parties au conflit de leurs obligations juridiques à l’égard de la population civile et des personnes civiles, y compris l’obligation de prendre les mesures de précaution […].

Comme nous l’apprend le Commentaire de 1987129, cette disposition, qui envisage l’hypothèse où d’autres dispositions du Protocole ne seraient pas respectées, est reliée à l’article 60 CVDT (1969)130

127 Tel que rapporté dans Commentaires Pictet CGI (1958), supra note 8 à la p 22 (préambule). Pour une critique de cette proposition d’inclusion d’un élément moral dans le DIH, voir Ronen (2013), supra note 16 aux pp 475–497.

128 Étude sur le DIHC (2005), supra note 7 à la R140. La pratique colligée par le CICR pour cette règle mentionne l’existence de cette obligation dans les manuels militaires de l’Australie, la Belgique, le Canada, la Colombie, l’Équateur, l’Allemagne, la France, Israël, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis ; de plus, les affaires Rauter de la Cour spéciale de cassation des Pays-Bas, Von Leeb du Tribunal de

Nuremberg, Namibie de la CIJ ainsi que la révision de l’acte d’accusation dans Martić et le jugement dans Kupreškić au TPIY sont aussi mentionnées comme confirmant cette règle : en ligne, CICR :

<https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v1_cha_chapter40_rule140>.

129 Commentaire PAI (1987), supra note 8 aux paras 1991–1993 à l’art 51.

130 CVDT (1969), supra note 113.

et pose clairement l’application obligatoire du PAI, même s’il y avait violation de la part d’une autre Partie.

La situation la plus proche d’une réciprocité systémique est celle où une partie au conflit applique des règles de DIH en l’absence d’un cadre juridique contraignant : c’est dans cette perspective que la pratique américaine pendant la Guerre du Golfe de 1991, opposant l’Irak aux États-Unis, deux États n’ayant pas ratifié le PAI (1977), retient ici notre attention. Dans son rapport au Congrès au sujet de ce conflit armé, le département de la défense américaine a abordé des questions qui sont presque toutes réglementées dans le PAI, sans toutefois mentionner systématiquement la valeur coutumière de ce Protocole131. La plupart des arguments juridiques reposent plutôt sur des dispositions générales des CGI–IV (1949) et d’autres traités — et ce, rappelons-le, même si les sujets abordés sont explicitement visés par le PAI. L’État américain semble donc appliquer des règles de DIH sans que la source d’obligations conventionnelles évidente leur soit opposable et sans qu’ils reconnaissent explicitement la valeur coutumière de ces règles. Pourquoi alors les États-Unis ont-ils affirmé avoir respecté ces règles ? Sans nous lancer trop loin dans une spéculation plus anecdotique que juridique, on peut relever que certains invoquent des motifs d’ordre public, ce qui s’approche d’une application de la réciprocité systémique132. Il est en effet possible qu’en réclamant des forces

La situation la plus proche d’une réciprocité systémique est celle où une partie au conflit applique des règles de DIH en l’absence d’un cadre juridique contraignant : c’est dans cette perspective que la pratique américaine pendant la Guerre du Golfe de 1991, opposant l’Irak aux États-Unis, deux États n’ayant pas ratifié le PAI (1977), retient ici notre attention. Dans son rapport au Congrès au sujet de ce conflit armé, le département de la défense américaine a abordé des questions qui sont presque toutes réglementées dans le PAI, sans toutefois mentionner systématiquement la valeur coutumière de ce Protocole131. La plupart des arguments juridiques reposent plutôt sur des dispositions générales des CGI–IV (1949) et d’autres traités — et ce, rappelons-le, même si les sujets abordés sont explicitement visés par le PAI. L’État américain semble donc appliquer des règles de DIH sans que la source d’obligations conventionnelles évidente leur soit opposable et sans qu’ils reconnaissent explicitement la valeur coutumière de ces règles. Pourquoi alors les États-Unis ont-ils affirmé avoir respecté ces règles ? Sans nous lancer trop loin dans une spéculation plus anecdotique que juridique, on peut relever que certains invoquent des motifs d’ordre public, ce qui s’approche d’une application de la réciprocité systémique132. Il est en effet possible qu’en réclamant des forces

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