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LES SOURCES PRIMAIRES DU DROIT

2.1 L’importance du traité en DIH

La réglementation des conflits armés, qui prédate la conclusion de quelque traité formel de DIH221, a suivi à la fin du XIXe siècle la mouvance généralisée de codification222. Ces premiers grands efforts

220 Supra note 113.

221 Voir p. ex. Kolb (2012), supra note 145 aux pp 321 et suiv, qui identifie quatre types de règles présentes dans les plus anciennes civilisations d’Europe, chez le peuple juif sous l’Ancien Testament, ainsi que parmi les Puissances du Moyen-Orient, de l’Inde, de la Chine, de l’Afrique noire et de l’Amérique précolombienne, soit 1) les règles de

« chevalerie », 2) les règles prohibant certaines armes, 3) les règles protégeant certaines personnes, objets et endroits, et 4) les règles « transactionnelles » (commercia belli) applicables entre belligérants. Voir aussi, pour le développement des règles de la guerre avant le XVIIe siècle : Greenwood (2010), supra note 123 aux paras 105–111.

222 Pour un examen détaillé du développement historique du DIH jusqu’à l’adoption des CG I-IV (1949) à travers le Code Lieber : Instructions pour les armées en campagne des États-Unis d’Amérique (1863) reproduit dans RICR (1953) 401–409, 476–482, 974–980 ; la Déclaration de Saint-Pétersbourg (1868), supra note 91 ; la Déclaration de Bruxelles sur les lois et coutumes de la guerre (1874) dans Actes de la Conférence (1874) aux pp 297–305, 307–308 ; la Convention de la Haye (III) concernant la guerre maritime (1899), Acte de la Conférence, La Haye, Nijhoff, 1907, aux pp 16–18 ; et la Convention (X) de la Haye l’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève (1907), Actes et Documents, La Haye (1907) voI 1, aux pp 658–663 ; et le Manuel d’Oxford des lois de la guerre maritime (1913), reproduit dans (1913) 26 Annuaire IDI aux pp 610–640 [Manuel d’Oxford de 1913] : voir Emily Crawford et Alison Pert, International Humanitarian Law, Cambridge, CUP, 2015 aux pp 4–19 [Crawford / Pert (2015)]. On peut en outre compléter ce survol historique en y ajoutant la Déclaration de Paris (1856), NRGT, 1re sér vol 15 aux pp 791–792 ; les Conventions de Genève sur les blessés et malades (1864), reproduit dans Manuel de la Croix-Rouge internationale (1971) aux pp 13–14 ; la Convention de Genève sur les blessés et malades (1906), Actes de la Conférence de Révision (1906) aux pp 277–293 ; la Convention sur les blessés et malades (1929) Actes de la Conférence diplomatique, Genève (1930), pp 655–680 [Convention sur les blessés et malades (1929)]; la

de codification du droit international étaient tributaires de l’étato-centrisme ambiant de l’époque223. À preuve, la première conférence de codification du droit international public de 1930, quoiqu’elle ait été vouée à l’échec, a permis de dégager une opinion générale en faveur de la souveraineté des États224.

La seconde période importante d’intensification de la codification du droit international se situe dans la seconde moitié du XXe siècle, avec l’adoption des articles 18 à 25 du Statut de la CDI225. Durant cette période, les Nations Unies ont initialement pris leurs distances par rapport à la codification du

« droit de la guerre », affirmant que cet investissement pouvait être interprété comme un désaveu de l’efficacité des moyens à sa disposition en ce qui a trait au maintien de la paix :

The Commission considered whether the laws of war should be selected as a topic for codification. It was suggested that, war having been outlawed, the regulation of its conduct had ceased to be relevant. On the other hand, the opinion was expressed that, although the term ‘laws of war’ ought to be discarded, a study of the rules governing the use of armed force - legitimate or illegitimate - might be useful. […] The majority of the Commission declared itself opposed to the study of the problem at the present stage. It was considered that if the Commission, at the very beginning of its work, were to

Convention PG (1929), supra note 125 ; l’Arrangement de Nyon (1937), 181 RTNU (1937-38) no 4184 pp 135 et suiv : tous disponibles en ligne, CICR: <https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/vwTreatiesHistoricalByDate.xsp>.

223 Voir Ernest Nys, « The Codification of International Law » (1911) 5:4 AJIL 871–900 [entre autres, sur la contribution Bentham au processus de codification du droit international].

224 Sous l’initiative de la Suède et avec l’assentiment de l’Assemblée générale de la Société des Nations (voir Résolution du 22 septembre 1924), cette première Conférence formée de 47 États a eu lieu à La Haye et a résulté en l’adoption de la Convention concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité (1930), 179 RTSN (1937-1938), no 4137 aux pp 89–114. Elle n’a pas réussi à codifier des règles qui semblent a priori coutumières : la double nationalité n’y est ni réduite ni supprimée, et elle n’inclut pas la mise sur pied d’un régime uniforme encadrant la responsabilité des États ou d’un régime applicable à la mer territoriale. Pour plus de détails, voir Hunter Miller,

« The Hague Codification Conference », (1930) 24:4 AJIL 674–693. Voir aussi les graves difficultés rencontrées par cette Conférence diplomatique que Séfériadès conçoit comme une consécration du caractère éminemment coutumier du droit international : Stelio Séfériadès « Aperçus de la coutume juridique internationale et notamment sur son fondement » (1936) 43 RGDIP 129–196 à la p 130 [Séfériadès (1936)] (comparer avec Ago qui attribue plutôt ces difficultés à l’absence de travaux préparatoires adéquats : Roberto Ago, « Nouvelles réflexions sur la codification du droit international », dans Yoram Dinstein et Maia Tabory, dir, International at a Time of Perplexity: Essays in Honour of Shabtai Rosenne, Dordrecht / Boston /Londres, Nijhoff, 1989, 1–31 à la p 9).

225 Statut de la Commission du droit international, Rés 174 (II) (1947) en ligne, Nations Unies :

<http://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/statute/statut> à l’art 24 [Statut de la CDI]. Voir, en complément, les résultats du sondage mené par les Nations Unies dans le but de colliger les données disponibles pouvant faciliter l’accomplissement de la tâche dévolue par l’art 18 du Statut de la CDI : ONU, CDI, Survey of International Law in Relation to the Work of Codification of the International Law Commission, Doc NU A/CN.4/1/Rev.1 (1949) à la p 52, en ligne, ONU : <http://legal.un.org/ilc/documentation/english/a_cn4_1_rev1.pdf> [ONU, ILC Survey (1949)]. Voir aussi Kearney / Dalton (1970), supra note 213, où cet extrait est cité et où sont discutées les différentes approches du droit des traités qu’avaient les Rapporteurs spéciaux qui se sont succédés sur cette question, principalement à travers les propositions quant à savoir qui peut conclure un traité.

undertake this study, public opinion might interpret its action as showing lack of confidence in the efficiency of the means at the disposal of the United Nations for maintaining peace.226

Malgré ce que pourrait laisser croire cette réticence à appuyer les efforts de codification du droit de la guerre au moment de la création des Nations Unies, les traités de DIH se sont multipliés au cours du XXe siècle de façon telle que ce droit est aujourd’hui l’une des branches du droit international les plus codifiées. Pour plusieurs, c’est l’adoption de la première Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées de campagne de 1864227 qui marque la naissance du DIH moderne228 ; pour d’autres, il s’agit des Conventions de La Haye de 1907229. Les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977 restent toutefois la source la plus sollicitée, ou, à tout le moins, la plus souvent citée, de cette branche du DIP. Encore aujourd’hui, un nombre minime de traités multilatéraux peuvent se targuer d’avoir une ratification universelle ; avec 196 États parties, les Conventions de Genève de 1949 forment ce qui s’en rapproche le plus230. Cette codification soutenue du DIH est à ce point importante qu’il est presque impossible de lire une

226 ONU, CDI, Report to the General Assembly, Summary records of the first session, Doc NU A/CN.4/SR.1 (1949) reproduit dans YBILC (1949) à la p 281 au para 18, en ligne :

<http://legal.un.org/ilc/publications/yearbooks/english/ilc_1949_v1.pdf>. Voir aussi ibid aux pp 51–53 aux paras 45–67 re premières interventions des membres de la Commission sur le sujet ; aux pp 225–227 aux paras 64–79 re discussions sur le Draft Report to the General Assembly on the Work of the First Session ; aux pp 263–264 aux paras 19–24 re New Draft of para 18 ; Claude Emmanuelli, « The contribution of international bodies to the development and implementation of IHL » dans OAS Conference Series, 143–168, p 157, en ligne, Organisation des États américains : <http://www.oas.org/dil/esp/143-168%20CEMANUELLI.pdf>.

227 Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne (1864), reproduit dans Manuel de la Croix-Rouge internationale (1971) aux pp 13–14, en ligne :

<https://ihl-databases.icrc.org/dih>.

228 Voir p. ex. Chetail (2013), supra note 14 à la p 16.

229 Les Règlements de La Haye, qui sont annexés à la CIV (1907), supra note 124, sont encore pertinents pour la conduite des hostilités et le droit de l’occupation; d’autres Conventions de La Haye le sont aussi pour le droit de la neutralité et le droit de la guerre navale. De plus, toutes les règles contenues dans ces conventions qui n’ont pas été abrogées ou modifiées par des règles conventionnelles ultérieures ou qui ne sont pas tombées en désuétude sont considérées comme étant coutumières : Sassòli (2019), supra note 15 aux paras 4.08–4.10.

230 À noter que cete universalité reste cependant relative : p. ex., les CG n’étaient pas applicables au conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée pour la période entre 1998 et 2000, soit l’année ou l’Érythrée a ratifié les CGI-IV (1949). À noter qu’en plus des CG, trois autres traités ratifiés quaisi universellement ont été recensés : La Convention relative aux droits de l’enfant (1989), 1577 RTNU (1999) no 27531 aux pp 62–80 [Convention relative aux droits de l’enfant (1989)]; le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone (1987),1522 RTNU (1997) no 26369, aux pp 41–52; La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique (1994), 1954 RTNU (1999) no 33480 aux pp 161–213.

définition du DIH qui ne débute pas par la nomenclature des GCI–IV (1949) et de leurs PAI–II (1977), suivie d’une énumération des différents traités réglementant les conflits armés231.

Le droit conventionnel occupe donc une véritable place de choix parmi les sources du DIH. Plus encore, certains indices nous portent à conclure qu’historiquement, préséance était donnée aux dispositions conventionnelles par rapport aux autres sources primaires, favorisant ainsi l’expression de la volonté des États. Par exemple, le Statut de la Cour internationale des prises, mentionné plus haut232 (qui n’est jamais entré en vigueur en raison d’un nombre insuffisant de ratifications), prévoit que, devant un litige non régi par une convention existante entre les parties en l’espèce, la Cour se tournerait séquentiellement vers les « règles de droit international » que l’on peut assimiler au droit coutumier233, puis vers les « principes de justice et d’équité », pour fonder son jugement234. Le rapport de la Conférence ayant mené à l’adoption de ce Statut, élaboré avant le Statut de la CIJ, nous apprend que, si les sources sont ainsi spécifiées et surtout hiérarchisées, c’est que le droit de la guerre maritime n’était pas encore codifié à cette époque235. Cet article aurait donc pour fonction de pallier l’imprécision et la difficulté de déterminer les règles applicables en l’absence d’un droit uniforme codifié. La façon dont l’article 7 est rédigé ainsi que sa non-ratification subséquente nous démontrent trois éléments historiquement importants : 1) cette Cour avait pour fonction d’appliquer les règles du droit international ; 2) une place prédominante était accordée aux conventions

231 Voir p. ex. Crawford / Pert (2015), supra note 222; Frits Kalshoven et Liesbeth Zegveld, Constraints of the Waging of War, 3e éd, Genève, CICR, 2001 ; Sivakumaran (SSRN 2017), supra note 136 aux pp 3–4 ; Chetail (2013), supra note 14 à la p 16 ; Kolb et Del Mar qui dressent une liste des 11 traités principaux codifiant les règles générales du droit des conflits armés : Robert Kolb et Katherine Del Mar, « Treaties for Armed Conflict » dans Andrew Clapham et Paola Gaeta, dir, The Oxford Handbook of International Law in Armed Conflict, Oxford, OUP, 2014, 50–87 aux pp 60–

64 [Kolb / Del Mar (2014)]. Voir aussi Éric David, Vaios Koutroulis, Françoise Tulkens, Damien Vandermeersch et Raphael van Steenberghe, Code de droit international humanitaire, 8e éd, Bruxelles, Bruylant, 2018.

232 Convention XII (1907), supra note 203 à l’art 7.

233 Quoique le libellé de l’article réfère plus généralement aux « règles du droit international », nous abondons dans le même sens que Pellet qui voit là une référence au droit coutumier, en citant à l’appui le Rapport de la Conférence dans lequel il fut affirmé que cette section de l’art 7 visant « l’expression tacite de la volonté des États »: Pellet / Müller (2019), supra note 53 au para 13.

234 Convention XII (1907), supra note 203 à l’art 7 : « Si la question de droit à résoudre est prévue par une Convention en vigueur entre le belligérant capteur et la Puissance qui est elle-même partie au litige ou dont le ressortissant est partie au litige, la Cour se conforme aux stipulations de ladite Convention. / À défaut de telles stipulations, la Cour applique les règles du droit international. Si des règles généralement reconnues n’existent pas, la Cour statue d’après les principes généraux de la justice et de l’équité. » On retrouve ici une certaine similitude avec l’art 21 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998), 2 RTNU (2004) no 38544, aux pp 159–229 [Statut de Rome ou Statut de la CPI] : voir infra section 4.4.

235 Deuxième Conférence internationale de la paix, Actes et Documents, La Haye, 1907, vol I à la p 190 : « Si le droit de la guerre maritime était codifié, il serait facile de dire que la Cour internationale des prises, comme les tribunaux nationaux, devrait appliquer le droit international ».

existantes entre les parties en l’espèce; et 3) les États ont été réticents à se lier à un tribunal permanent dont le cadre juridique, à défaut de traité applicable, n’était pas clairement défini. Les premier et troisième éléments seront abordés plus bas, lorsqu’il sera question des décisions judiciaires internationales comme une source subsidiaire persuasive236. Pour les besoins de la présente section, nous attirons l’attention sur l’importance qu’accordaient les États, à l’aube du XXe siècle, au respect de l’expression de la volonté des parties contractantes telle qu’elle se manifestait dans les traités conclus, de façon à garder intacte la nature interétatique toute westphalienne du rapport juridique entre États (les acteurs non étatiques étant de facto exclus, les conflits visés par le traité étant internationaux). Il est vrai que le DIH s’est ensuite éloigné progressivement du modèle westphalien interétatique, cependant on constate encore aujourd’hui un certain attachement à l’expression de la volonté des États via les traités.

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