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Reproduire et gérer les biens communs (patrimoines) : les motifs d'action de la communauté

au cœur de l'évolution institutionnelle. Nous faisons dans ce travail, l'hypothèse que ce n'est pas tant de la singularité individuelle que des conflits d'intérêts entre blocs sociaux (dictant les représentations de tout un chacun) qu'apparaissent les changements institutionnels étudiés et que peuvent être dessinés les contours des « mésosystèmes ». Les acteurs engagés dans la transformation des structures sont alors porteurs d'identités, d'histoires et de projets qui ne sont pas sans conséquence sur les différentes communautés auxquelles ils se rallient.

Pour valider l'existence de cette capacité des acteurs hétérogènes à modeler collectivement leur environnement, il est justifié de s'intéresser au « mésosystème » et de passer par l'observation empirique de la diversité. Les divers agencements relèvent de la stratégie de valorisation et de préservation de patrimoines multiples en plus d'une capacité à obtenir un certain pouvoir de marché. Autant de facteurs qui déterminent la taille et la position des entreprises et donc la nature des configurations productives.

2.3 Reproduire et gérer les biens communs (patrimoines) : les motifs d'action de la communauté

Si la littérature économique aborde systématiquement la question du pouvoir de marché des firmes (et plus généralement des acteurs), elle interroge plus difficilement la question de

leur implication dans la reproduction et la gestion des biens communs (ou collectifs). L'outil patrimonial nous semble de ce point de vue prometteur.

Il permet de classer plusieurs catégories de patrimoine (privé, collectif, productif collectif) entendu comme « un ensemble attaché à un titulaire (individu ou groupe) et exprimant des composants de sa spécificité, ensemble historiquement institué d'avoirs, construits et non construits, transmis par le passé, avoirs qui peuvent être des actifs matériels, des actifs immatériels ou des institutions. » (Barrère, 2007 : 19). L’outil patrimonial met l'accent sur le caractère situé dans l'histoire et dans un espace géographique des acteurs économiques et des actifs qu'ils mobilisent pour produire, échanger et consommer. Le patrimoine y apparaît économiquement comme un actif collectif ou individuel (marchandises ou institutions) qui ne disparaît pas au cours du cycle de production, mais qui devient au contraire un patrimoine social et culturel. Les patrimoines peuvent être des actifs ou des institutions, peuvent être marchands ou non marchands, autant de spécificités qui rendent nécessaire, au-delà des caractéristiques communes, la définition de leurs signes distinctifs dans un contexte d'espace et de temps donné. Les points communs qu'ils partagent toutefois sont donc :

→ d'être transmis par le passé en étant issus de la création humaine au cours de l'histoire ;

→ d'être attachés à un groupe ou un individu pour en exprimer l'identité, ce qui suppose qu'il faille collectivement s'assurer de leur durabilité.

Barrère (2007) distingue deux types de patrimoines qui interfèrent différemment sur les acteurs. D'une part, en tant que patrimoines « cadres » de l'activité socioéconomique, ils contraignent ou peuvent servir d'atout à un ensemble d'acteurs donnés. D'autre part, en tant que biens, ils peuvent être utilisés comme facteurs de production. Dans les deux cas, ces patrimoines peuvent être individuels, c'est-à-dire être attachés à un individu et influencer directement sa fonction d'utilité ou bien-être collectifs, c'est-à-dire appartenir à un groupe qui dispose, grâce à ce dernier, d'un pouvoir particulier. Dans tous les cas, ce que pose comme question l'existence de ces patrimoines est celle de leur gestion durable dans le temps et l'espace. Nous qualifierons cette gestion de patrimoniale.

Mais au-delà de la caractérisation de certains actifs, l'approche patrimoniale permet de redéfinir les motifs d'actions des acteurs (dans notre cas, il s'agit des acteurs du mésosystème) afin de comprendre ce qui relève chez eux d'une volonté d'augmenter leurs gains personnels ou d'une nécessité d'assurer la reproduction de leur identité et des besoins des communautés d'intérêts dans lesquelles ils s'insèrent. L'idée défendue (voir les travaux de Barthélemy, Nieddu, Vivien entre 2004 et 2006) est que les comportements des acteurs ne relèvent pas seulement de leur insertion dans des rapports marchands capitalistes, mais aussi de leur insertion dans d'autres logiques ancrées dans la longue période et qu'il faut spécifier.

Dans la pensée courante, en effet, le développement capitaliste devrait se suffire à lui- même. Ces auteurs constatent précisément que les choses ne vont pas ainsi et que le développement de l’économie marchande capitaliste s’articule toujours avec la persistance d’une économie patrimoniale. L'approche patrimoniale (Barthélemy, 2007 ; Barthélemy et

alii, 2004) considère alors que, dans toute économie contemporaine, sont simultanément

présentes deux formes de relations économiques, l’une marchande et l’autre patrimoniale, c'est-à-dire fondée sur la préservation et la reproduction des identités nécessaires à la perpétuation des groupes considérés. Ces deux relations ont vocation à régir les activités économiques, c’est-à-dire à réguler l’allocation des moyens de production et la répartition du produit (Barthélemy et alii, 2006). Ces travaux rejoignent en cela, dans une certaine mesure, la thèse défendue par Polanyi de la relation complémentaire et conflictuelle entre l’économie de marché et le besoin d’une protection sociale (Polanyi, 1983 [1944]). Toutefois, Polanyi en fait une présentation sous une forme essentiellement diachronique, de réaction et d’activation d’un principe de protection face à la construction du marché. L'approche économique en termes de patrimoines considère que les deux relations doivent être aussi caractérisées dans leur coexistence synchronique (Barthélemy et Nieddu, 2007) : chaque situation s’interprète alors comme une situation hybride, d’encastrement réciproque du marchand et du patrimonial. Les tensions entre les deux relations génèrent des dynamiques institutionnelles historiquement spécifiques qui conduisent à la variété des formes économiques observées (Amable et alii 1997 ; Boyer, 2001), et de la gestion des actifs tangibles et intangibles comme des patrimoines ou des marchandises. Dans cette thèse, nous proposons d'identifier pour la Russie le jeu de tensions entre relations économiques patrimoniales et relations économiques marchandes, et de voir comment l'approche patrimoniale qui propose de distinguer et d’articuler entre eux différents patrimoines permet de modéliser la mutation du mésosystème agroalimentaire russe

à travers la façon dont les acteurs gèrent leur multifonctionnalité.

Une fois reconnue la possibilité d'insérer certains biens (et notamment dans le cas qui nous occupe les biens collectifs qui définissent la nature de la multifonctionnalité des exploitations) dans des rapports patrimoniaux, il devient nécessaire de comprendre quelles influences ces stratégies exercent sur l'activité économique. Il s'agit notamment de déterminer leur rôle dans la définition des contours des mésosystèmes et des configurations productives. La logique d'action des acteurs du mésosystème ne peut plus simplement être guidée par la volonté de prendre un contrôle sur un marché donné, mais aussi par celle de gérer individuellement ou collectivement des patrimoines hétérogènes (dans leur nature et quant aux titulaires (groupes) auxquels ils sont attachés). En effet, non seulement ces patrimoines influencent les préférences au niveau individuel en fonction de la relation qu'entretien l'acteur avec eux, mais aussi au niveau collectif car la société elle-même détermine la façon dont les acteurs accèdent aux patrimoines.

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