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Conclusion de la section

Section 2 Histoire longue de l'organisation sectorielle agricole russe

2.2. Les institutions agricoles en Russie depuis

2.2.2 Double possession foncière et double logique de production : une tendance remodelée par le marché et le socialisme

2.2.2.2. Reproduction du groupe et économie socialisée

À compter de 1929 et jusqu'au milieu des années soixante, les kolkhozes et les sovkhozes ont pris une orientation extensive de la production, exclusivement dictée par les objectifs du plan. Par ailleurs, les besoins techniques n'étaient pas suffisants par rapport au nombre d'exploitations, si bien que les fournitures industrielles, elles non plus, ne passaient par les mécanismes de marché, mais par l'intermédiaire des stations de l'État (MTS), et ce jusqu'en 1957. Le kolkhoze comme le sovkhoze étaient des formes d'organisation de la production agricole qui ignoraient la médiation marchande. Mais, le mécanisme des prix administrés rendait ces exploitations structurellement déficitaires et dépendantes de l'État (Wegren, 1998a) comme le souligne également Uzun (2005 : 86) :

« The predominance of large agricultural business during the socialist era was achieved by a combination of several policy factors. First, rural people were virtually ‘modern-day serfs’: they had no choice but to work in the local farm enterprise. Second, land was allocated to agricultural users by the state, which intentionally created only large farms and restricted individual activity. In this system, opportunism was counteracted by simplifying the farm management system through central planning (top–down assignment of production targets, input deliveries, state prices, exclusive suppliers for each user, etc.) and by actually using the legal enforcement apparatus to combat moral hazard among agricultural workers by ensuring compliance with officially imposed behavioural norms. Soft budget constraints were implemented to cover losses and write off debt, ensuring that unprofitable large. farms would

never go bankrupt. Finally, large farms did not face any competition either from small business (which was ruthlessly suppressed) or from importers (which were not allowed to operate) ».

Le contrôle des prix des produits agricoles ne laissait aucune liberté d'action aux exploitations, à l'exception de leur capacité à utiliser les réseaux personnels parallèles pour obtenir les inputs dont elles avaient besoin. Les exploitations étaient des structures émanant certes du gouvernement central (Van Atta, 1994), verticalement intégrées au système agro- industriel, mais qui restaient sous le contrôle des autorités régionales (Ioffe et Nefedova, 2001). Le caractère structurellement déficitaire de ces entreprises les rendait peu attractives pour la population rurale. Or, comme l'a souligné Kerblay (1985 : 164), elle n'était pas disposée à accepter des formules d'organisation du travail qui ne lui assuraient pas un revenu régulier. Le paysan était encore attaché à l'économie de subsistance dans laquelle la satisfaction des besoins de consommation de la famille passait avant une productivité ou une rentabilité dont il n'était pas le principal bénéficiaire.

Il a donc fallu composer avec lui et l'autoriser à conserver un cheptel privé (directives du comité central du parti du 26 mars 1932 sur la collectivisation du bétail). En conséquence, parallèlement au développement des exploitations socialisées, le régime a accordé aux ruraux le droit de jouissance sur une parcelle de terre.

Ainsi, le statut du nouveau kolkhoze (1969) a institutionnalisé ce principe. Pourtant, entre 1935 (date du premier statut du kolkhoze) et 1969, le kolkhoze a fortement évolué (voir encadré 2 sur la différence entre le kolkhoze et le sovkhoze). Il payait désormais ses impôts sur un revenu net, c'est-à-dire un revenu amputé d'une charge salariale (la rémunération du kolkhozien n'était donc plus un résidu, ce qui veut dire que le kolkhozien était devenu un salarié de l'exploitation comme l'était l'employé du sovkhoze). L'article 4 du statut du kolkhoze de 1935 qui permettait au kolkhozien de conserver une maison et un lopin n'avait donc plus lieu d'être. Pourtant les articles 42 et 43 du statut du kolkhozien (1969) indiquent que : « La famille kolkhozienne reste propriétaire de sa maison, de sa ferme, d'un lopin de terre et d'un cheptel dans les limites suivantes : la superficie allouée (y compris la surface bâtie) ne doit pas excéder 0,50 ha ; dans certaines localités le plan d'urbanisme peut prescrire qu'une partie des terrains individuels soit transférée en dehors de l'agglomération. Le cheptel privé ne doit pas excéder : une vache et un veau, une à deux truies, dix ovins, ruches et volaille en nombre non limité […]. [Une disposition nouvelle et essentielle fait sont

apparition. Elle indique que] les dimensions du lopin individuel et le nombre de têtes de bétail sont fixés par l'assemblée générale du kolkhoze en fonction du nombre de personnes au foyer dans chaque famille et de leur participation au travail collectif ; (le dépassement des normes légales n'est pas autorisé, les décisions de l'assemblée ne peuvent jouer que dans un sens restrictif) » (d'après, Kerblay, 1985 : 226, traduit par lui, nous soulignons).

Encadré 2 : Une différence de moins en moins marquée entre le kolkhoze et le sovkhoze Il existait deux statuts d'exploitations agricoles chargées de répondre aux objectifs du Plan : le kolkhoze et le sovkhoze. Le kolkhoze était une forme coopérative de production. Il n'était pas considéré comme une entreprise publique et conservait en théorie une assez large autonomie financière, tandis que les fermes d'État étaient soumises aux règles communes des entreprises étatiques et notamment au contrôle planifié de leurs effectifs. En revanche, les membres du kolkhoze étaient intégrés dès l'âge de 16 ans et le kolkhoze avait l'obligation d'accepter tous les habitants qui appartenaient aux villages liés au kolkhoze. Les kolkhoziens étaient collectivement responsables de la réalisation du Plan. Ils ne touchaient pas un salaire, mais un dividende en fonction des résultats de l'exploitation, du moins jusqu'à la révision du statut du kolkhoze en 1969117. Aux dividendes venaient s'ajouter le résultat des ventes

réalisées sur le marché kolkhozien des produits restants après le prélèvement par l'organe de planification. Mais pour faire varier ce dividende, les marges de manœuvre des kolkhoziens étaient limitées.

Jusqu'en 1969, la question de la rémunération était une différence fondamentale entre le kolkhoze et le sovkhoze. En effet, le sovkhozien à l'inverse du kolkhozien était employé dans une ferme d'État et recevait en échange un salaire. Toutefois, le nouveau statut du kolkhoze (1969) a instauré le principe d'une rémunération salariale si bien que la différence entre ces deux structures a presque disparu. De plus, la ferme d'État a obtenu le droit d'attribuer un jardin ouvrier à ses employés. Ce jardin remplissait la même fonction de subsistance que le faisait le lopin pour le kolkhozien.

La disposition nouvelle souligne, nous semble-t-il, la disparition effective du mir. Mais le principe essentiel que ce dernier a porté pendant plusieurs siècles a été institutionnalisé

dans le kolkhoze118. Le fait que cette clause apparaisse au moment où le kolkhozien acquiert

un statut de salarié peu paraître contradictoire. Cela souligne indéniablement le fait que le kolkhoze, qui ne disposait d'aucune marge de manœuvre, était en fait dans l'incapacité d'assurer par lui-même les besoins des familles dont il avait la charge. Il fallait dans ces conditions reconnaître l'utilité sociale du lopin. Cet objectif était pourtant bien en contradiction avec le chapitre 1 des statuts du kolkhoze qui indiquait que : « le kolkhoze doit développer en premier lieu l'économie collective, augmenter la productivité du travail et accroître les ventes à l'État ; il doit éduquer le kolkhozien dans l'esprit du communisme ». Pour augmenter la productivité du travail, il était nécessaire que le kolkhozien soit motivé à s'y rendre. C'est pourquoi il a été ajouté que l'accès au lopin dépendait de la participation du paysan au travail collectif.

Une autre disposition allait à l'encontre du chapitre 1 des statuts. L'article 41, qui n'avait pas d'équivalent dans le statut du kolkhoze de 1935, indiquait que « le kolkhoze a l'obligation de construire des équipements sociaux et culturels (clubs, bibliothèques, stades...), de promouvoir la formation professionnelle de ses membres, de favoriser la modernisation de l'habitation (électrification, aide à la construction) […]. » (d'après Kerblay, 1985 : 226, traduit par lui, nous soulignons). Le rôle social du kolkhoze était donc également institué.

Le débat sur l'agroville dans les années soixante-dix a été l'occasion de confirmer l'attachement des paysans au lopin. La collectivisation de l'agriculture n'avait pas modifié les lieux et les formes des habitations rurales. Les localités restaient en moyenne de deux cents habitants. Le kolkhoze rassemblait un ensemble de villages. Or, l'entretien de l'équipement rural dont le kolkhoze avait désormais clairement la charge était coûteux. De plus, le régime souhaitait inculquer l'esprit socialiste à la campagne. Les autorités ont donc voulu regrouper les villages en forçant les paysans à s'installer dans des appartements de type urbain, certes modernes, mais sans lopin. Or, la résistance des paysans n'a pas permis à ce projet d'aboutir. Ainsi, Kerblay écrivait en 1976 : « On touche ici au fond du problème, car la controverse sur la maison rurale de demain porte moins sur la question de savoir si elle sera à plusieurs étages ou si elle sera destinée à abriter une seule ou plusieurs familles ; ce qui sera décisif c'est la survivance ou non de la ferme individuelle. Il est évident que l'existence d'un cheptel privé implique des bâtiments auxiliaires à plus ou moins grande proximité des habitations, car ce bétail exige des soins réguliers. […]. Tant que l'élevage privé s'avère indispensable à

l'équilibre de l'économie paysanne et au ravitaillement des villes, il sera difficile de modifier d'une façon radicale l'habitat rural et de concentrer les villages dans des zones bâties compactes. » (Kerblay, 1985 : 285).

Le rôle de subsistance du lopin a clairement été identifié par Kerblay comme la raison essentielle de la résistance des ruraux à cette époque. Par ailleurs, le second aspect du lopin était, comme le souligne Kerblay, son rôle dans l'approvisionnement des villes. En conséquence, les mécanismes de marché n'étaient pas totalement absents en URSS. C'est par leur intermédiaire que les paysans assuraient une partie de leur subsistance. Le secteur agricole privé produisait certes pour son autoconsommation, mais aussi pour le marché kolkhozien et le marché libre (Kerblay, 1968). Mais les limitations administratives (taille, nombre de bétails, voir plus haut l'article 42 du statut du kolkhoze de 1969), bien que partiellement contournées, empêchaient une véritable orientation capitaliste pour ces entreprises. Comme le mir en son temps qui avait empêché le tjalgo d'entrer dans une logique capitaliste, le régime soviétique empêchait le paysan d'entreprendre de manière capitaliste.

Conclusion de la section 2

L'histoire de l'organisation du secteur agricole russe est marquée par le développement simultané de différentes formes d'exploitations. L'institution qui s'est structurée autour du partage de la terre (le mir) apparaît comme le facteur déterminant de cette différenciation. Un rôle spécifique semble avoir été assigné à chacune des formes d'exploitations. Il s'agissait soit d'assurer la subsistance de la famille rurale, soit de développer une activité capitaliste. Le paysan travaillait sur ces deux types d'exploitations clairement différenciées. Durant la période soviétique, la symbiose entre l'exploitation soviétique et le lopin a permis de conserver ce double objectif. Ainsi, la volonté de rendre les kolkhozes et les sovkhozes plus productifs a été contrainte par le souhait de la population rurale de maintenir l'activité économique du lopin. Ce compromis, a permis de maintenir les kolkhozes et les sovkhozes pendant 70 ans, sans que sa production ne soit directement au bénéfice de la population rurale. Cette contrainte explique en partie la faible performance des exploitations socialisées. Ces dernières se sont vues attribuer des fonctions patrimoniales qui se sont maintenues au cours de leur histoire.

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