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Coûts de transaction, diversité des hiérarchies et multifonctionnalité des firmes agricoles russes

Conclusion du chapitre

Section 1 La multifonctionnalité des exploitations : une stratégie des firmes portée par des institutions pour réduire les coûts de

1.2. Coûts de transaction, diversité des hiérarchies et multifonctionnalité des firmes agricoles russes

La conclusion de l'OCDE est que le fait que la production des biens non marchands soit porteuse de coûts de transaction est déterminant dans le choix de la lier à l'activité agricole. C'est pourquoi nous souhaitons revenir sur le concept de coûts de transaction. En effet, une lecture particulière de la théorie des coûts de transaction proposée par Williamson (1975)121

peut être un moyen d'interpréter le choix de faire produire et d'échanger, au sein de la firme, des biens et services non marchands utiles à la population rurale russe.

À l'origine, Williamson avait développé le concept de coût de transaction pour un objectif précis : il souhaitait rendre compte de l'existence d'organisations économiques distinctes du marché. Ce dernier est normalement considéré comme la forme optimale de coordination des activités et de l'allocation des ressources. Mais, pour Williamson, le propre de tout échange est d'être générateur de coûts nécessaires à sa mise en œuvre. Le coût principal se trouve être le coût lié à la recherche d'informations. Ce manque d'informations est issu de la défaillance des marchés, liée à l'incertitude de l'environnement, à la rationalité limitée des agents (Simon, 1959) et à leur comportement opportuniste. Compte tenu de cet ensemble de coûts, les agents économiques peuvent être amenés à rechercher des arrangements institutionnels alternatifs qui permettent de les minimiser via la « contractualisation incomplète » (Williamson, 1993). L'organisation qui en résulte est représentée par la « hiérarchie » dont la figure concrète est la firme. Elle implique la signature d'un contrat spécifique de « subordination » où les conflits sont réglés en interne, sans intervention de la justice. Mais la firme génère à son tour des coûts liés à la mise en place des incitations nécessaires aux respects des règles internes à la firme (coûts bureaucratiques, baisse des incitations, etc.). De cette représentation de l'économie, Williamson déduit trois alternatives à l'organisation de l'échange : le marché, la hiérarchie et les formes hybrides. Le choix entre ces arrangements institutionnels dépend du contexte de coût122. La diversité des

alternatives de gouvernance a été développée dans les recherches ultérieures, notamment

121Qui s'est inspiré des travaux de Coase, 1937.

122Il faut noter que ce raisonnement présente un inconvénient. Le calcul des coûts liés à la transaction passe par une mesure. Or, d'une part Saccomondi (1998) souligne que ces coûts ne sont pas toujours mesurables, d'autre part le calcul des coûts est fonction d'un critère marchand. En effet, le choix entre différentes formes transactionnelles repose sur une logique de minimisation des coûts. Ainsi, lorsqu'il est nécessaire de protéger des investissements spécifiques contre les comportements opportunistes, l'intégration apparaît comme une bonne chose. Il en va de même lorsque la transaction est très incertaine. Mais la mesure des coûts liés aux

celles liées à la « théorie de l'agence » (Jensen et Meckling, 1976) et celles utilisant la théorie des « contrats incomplets » (Grosman et Hart, 1986 ; Hart, 1995). Ces recherches ont permis de rendre compte de la présence de nombreuses autres formes hybrides, situées entre le marché et l'entreprise en conservant un raisonnement en termes d'incomplétude des contrats123.

Ainsi, les travaux sur les coûts de transaction considèrent que dans un environnement incertain (Knight, 1921) et compte tenu des choix d'investissements, il peut être utile de préférer l'échange de produits par un contrat de subordination plutôt que par le marché. Par ailleurs, nous venons de rappeler que l'économie standard considère que le marché était difficilement capable d'assurer la gestion de certains biens « publics » ou « communs », du fait de leurs caractéristiques intrinsèques. L'intervention publique et la création de « biens publics » apparaissaient nécessaires à la production et/ou à l'échange de ces biens. En conséquence, un raisonnement en termes de coûts de transaction associé à la question de la production et de la gestion de biens « publics » doit proposer une alternative entre différentes formes de gouvernance qui prennent en compte les spécificités des biens publics. Dans le cas de la production et/ou de l'échange de biens publics ou communs, l'alternative n'est pas a

priori entre la firme et le marché, mais entre la firme et la hiérarchie (l'État). Cela suppose de

considérer qu'il existe une diversité des hiérarchies afin de distinguer la firme de l'État. Cette

123Williamson a longtemps considéré que les travaux sur l'incomplétude des contrats proposaient une forme de formalisation de la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1993). Toutefois, il est revenu depuis sur cette position (Williamson, 1999, 2000), car il existe de réelles différences entre ces deux approches. Dans la théorie des contrats incomplets, les problèmes de contrat sont liés à leur incomplétude et non à l'asymétrie d'information. De même, elle ne nécessite pas que les agents aient une rationalité limitée. L'incomplétude des contrats vient plus fondamentalement des coûts de transaction liés à l'écriture des contrats ou de la possibilité de faire vérifier, par un tiers, les informations du fait du manque de compétences. Au contraire, dans la théorie des coûts de transaction, l'incomplétude des contrats découle de la nature des agents et de l'environnement dans lequel ils évoluent. Les agents disposent d'une rationalité limitée et leur environnement est incertain. Les aléas contractuels génèrent des problèmes de hold-up qui peuvent être atténués par l'intégration. Par ailleurs, sans la théorie des contrats incomplets, il existe un risque pour que l'une des deux parties n'obtienne pas les rendements de son investissement. À l'inverse, le contrat dans la théorie des coûts de transaction est incitatif et évolue. Cette différence à des conséquences sur la représentation de l'intégration verticale. Enfin, dans la théorie des coûts de transaction, les problèmes contractuels sont liés à la nature de la transaction que le contrat encadre. Chacune des formes de gouvernance a ses avantages et ses inconvénients, si bien que la gouvernance choisie dépend du contexte donné, d'autant plus qu'il n'est pas dans cette théorie envisagé la possibilité de procéder à un choix combinant les avantages de chacune des formes de gouvernance (autrement dit, la firme ne peut copier les incitations du marché). En revanche, dans la théorie des contrats incomplets, le choix de l'intégration dépend de la mise en place par les différentes parties d'actifs capables d'influencer sur le niveau des rendements marginaux d'un investissement (et non le niveau de la rente). Ainsi, celui qui investit en actifs à intérêt à intégrer. L'intégration vise donc à inciter à investir, alors que dans la théorie des coûts de transaction il vise surtout à réduire l'incertitude une fois les choix d'investissement réalisés. Chez Williamson, l'intégration permet une adaptation en plusieurs étapes sans qu'il y ait de négociations permanentes (voir à ce sujet Farès et Saussier, 2002).

démarche a été proposée par Ben Ner et Neuberger (1988) ou encore Chavance (1995)124.

Le choix de faire produire ou gérer des biens et services « non marchands » par une structure intégrée de type « firme » plutôt que par l'État peut être associé à l'existence d'incertitudes et d'opportunismes induits par la production et l'échange d'actifs « publics » ou « communs ». Ainsi, une explication au choix des exploitations agricoles d'intégrer la production et l'échange des biens « publics » au lieu de « laisser faire » l'État serait de considérer que la firme dispose de moyens pour minimiser les coûts des transactions liés à l'échange et/ou à la production de ces biens. En d'autres termes, il faut supposer qu'il existe un comportement opportuniste de certains agents publics en charge de la production et de l'échange des biens publics qui conduirait à une augmentation des coûts de transactions liés au passage par l'État. Chavance (ibid.) a rappelé combien le système planifié était sujet à des processus de marchandage entre les différents niveaux de la hiérarchie et combien ces multiples marchandages étaient générateurs d'autant de coûts de transaction. Ce système conduisait à des conflits entre les différents acteurs à chacun des niveaux hiérarchiques, y compris au niveau microéconomique.

Si nous considérons que le processus de transition est associé à l'existence d'un chemin de dépendance dans les réformes, alors les modifications des droits de propriété et des intérêts sociaux des différents acteurs ont pu modifier partiellement le niveau des coûts de transaction et donc la nature de l'organisation optimale de la production et de l'échange des biens publics. Autrement dit, la mise en place des réformes radicales, associée à l'existence de marchandages déjà présents durant la période soviétique, a pu conduire les entreprises à renégocier leur place dans la production et l'échange de biens et services publics. Puisque (nous l'avons rappelé plus haut) les exploitations agricoles géraient déjà ce type de biens, mais ne les finançaient pas totalement, elles ont pu gagner en autonomie de gestion, de financement et/ou de production de biens publics à la faveur de la réforme, contre notamment une diminution du niveau de leurs impôts125. Cela suppose, dans un raisonnement de type « coûts de transaction », que la

production et/ou la gestion par la firme de ce type d'actif génèrent des coûts qui sont moindres que ceux engendrés par une production et/ou une gestion étatique.

Pour l'expliquer, il est possible de reprendre les observations faites par Amelina (2002) qui concluait que les acteurs publics disposaient des moyens d'utiliser la production et/ou

124Ce dernier insistant pour sa part sur la nécessité de penser ces deux formes alternatives de gouvernance dans leur complémentarité.

l'échange de certains biens et services non marchands pour marchander leur réélection. C'est une question à laquelle ils n'avaient jusqu'alors pas à se soucier, puisque leur élection dépendait directement de la direction du Parti. La disparition du système de Parti unique a pu provoquer une augmentation des coûts de la gestion/production de biens publics par les collectivités publiques du fait de la naissance de ce nouveau type de marchandage. Ainsi, cet argument peut expliquer que les firmes continuent à développer leur stratégie d'intégration de la production, du financement et/ou de la gestion d'actifs publics ou communs, sans les dissocier de la production des biens marchandisables, plutôt que de laisser l'administration territoriale s'en charger. Cette politique réduit l'incertitude qui entoure l'accès à ce type d'actif. Tout ceci est conditionné par le contexte préalable à la réforme, et notamment le fait que les exploitations agricoles avaient déjà en charge la gestion des « actifs sociaux » (voir chapitre 1, section 2).

La proposition faite par Williamson de choisir l’alternative organisationnelle qui conduit à la meilleure réduction des coûts peut poser problème. Elle suppose en effet que cette alternative entre les différentes formes organisationnelles conduit, au niveau macroéconomique, à une situation optimale. Or, il n'est pas certain que l'on puisse considérer que ce type de « politique sociale » soit celle qui conduise à la situation économique la plus performante compte tenu des structures de coût. L'existence d'un ensemble de dispositifs informels de marchandage qui gravitaient et gravitent encore autour du processus de gestion de biens publics en Russie peut alors être mobilisée pour expliquer la non-optimalité de l'équilibre institutionnel. North (1990) a particulièrement contribué à la question du rôle des règles informelles dans la compréhension des faits stylisés repérables dans une économie donnée et à l'explication de la situation sous-optimale que certains de ces comportements peuvent générer. Nous allons développer dans le point suivant la question d'une interprétation possible de la production de biens publics par les firmes à travers le concept de règles informelles.

1.3. Institutions informelles, changements incrémentaux et sous-optimalité

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