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Ce travail se propose de parvenir à l’identification et à la caractérisation de l'arène stratégique dans laquelle les acteurs agricoles de la région d'Orel se déploient pour assurer leur développement et leur reproduction. Dans la mesure où l'on va chercher à caractériser le

mésosystème à travers la manière dont les acteurs y appartenant ont construit leur rapport au

marché et à la gestion des biens collectifs, on parlera d'une approche régulationniste

sectorielle et territoriale de la dynamique de l'agriculture russe, associant des analyses d'économie industrielle et d'économie patrimoniale. Comme nous l'avons déjà décrit plus

haut, cette problématique est faite de deux points clés. (1) Tout d’abord, l'idée que les acteurs agricoles sont inscrits dans des rapports marchands et patrimoniaux spécifiques qui dépendent des communautés d'intérêts dans lesquelles ils s'insèrent. La première hypothèse qui est formulée ici est que la question de la reproduction partielle des firmes héritées du passé comme celle de l'émergence de formes nouvelles d'exploitations − dont la littérature économique sur l'agriculture russe considère trop souvent que leur existence simultanée est impossible dans un environnement marchand − relève en réalité des stratégies de gestion de certains biens collectifs (i.e. des patrimoines cadres ou biens qui caractérisent la nature de la multifonctionnalité des exploitations). (2) S'en suit immédiatement la nécessité de caractériser

les patrimoines, d'où le besoin d'une description de l'histoire des institutions agraires russes et soviétiques. La seconde hypothèse est qu'une approche historique peut rendre compte de l'héritage institutionnel. La troisième hypothèse est que le système agroalimentaire russe se caractérise aujourd'hui par une concurrence interne forte des acteurs hétérogènes capables de maîtriser partiellement leur environnement.

Ainsi, nous nous appuyons sur une approche régulationniste sectorielle et territoriale capable d'associer les travaux sur l’économie industrielle française28 et les questions portant

sur la gestion de biens collectifs tout en regardant l'histoire de très longue période et les dispositifs de régulation existants. L'approche relève de la régulation sectorielle et territoriale dans le sens où la caractérisation des deux logiques d'actions des acteurs va s’opérer à travers une étude détaillée des différentes configurations productives, afin de faire la lumière sur ce qui, dans le secteur et/ou le territoire, est régulé (Bartoli et Boulet, 1989 ; Boyer, 1990).

De ce fait, l’objectif de ce travail est précis. Il ne s’agit pas, en tant que tel, d'identifier l'ensemble des acteurs du mésosystème ni même l'ensemble des rapports marchands et patrimoniaux dans lesquels les acteurs choisis sont insérés. Autrement dit, il ne sera pas possible de proposer une analyse exhaustive de l'ensemble des variables définissant les configurations productives. L’histoire et les observations empiriques seront utilisées ici de manière instrumentale en étant subordonnées à un objectif de nature différente, qui est une modélisation patrimoniale et d'économie industrielle des stratégies concurrentielles d'acteurs hétérogènes. Cela a plusieurs implications. En premier lieu, on se focalisera volontairement sur certaines institutions (le mir, les règles de droit foncier, etc.) qui ont une importance particulière compte tenu de cet objectif et l'on en ignorera d’autres qui, en dépit de leur valeur intrinsèque, n’affectent pas l'organisation économique du mésosystème. Par ailleurs, l’aspect purement performatif des configurations productives sera partiellement laissé de côté.Cela ne signifie pas qu’il sera totalement ignoré, mais qu’il ne sera évoqué que lorsqu’il présente un intérêt particulier dans le cadre de l'analyse patrimoniale, puisqu'on suppose qu'il ne permet pas à lui seul de rendre compte des mutations sectorielles.

Ainsi, ce travail vise en premier lieu à tester une démarche théorique originale qui mobilise des instruments d'analyse nouveaux issus d'une approche patrimoniale développée à Reims. Par conséquent, il va s’agir d’identifier un certain nombre de patrimoines et de voir

comment ils entrent dans les stratégies de reproduction et de développement des acteurs agricoles. Il n’existe pas de procédure systématique ou de règle formelle permettant de les identifier. Indéniablement, il existe une dimension arbitraire dans la sélection des patrimoines observés, d'autant qu'ils ne sont le plus souvent abordés dans la littérature économique que dans leur dimension marchande. La méthode que nous avons adoptée a été de mobiliser l'histoire longue de la Russie agraire, afin de rendre compte de l'héritage institutionnel et de la nature des « patrimoines cadres ». L'étude des différentes « filières » nous permettra de recenser les acteurs du mésosystème et de décrire la façon dont ils se sont organisés − dans cet environnement institutionnel − pour gérer leur relation aux rapports marchands et patrimoniaux et ont inversement influencé le développement du contexte environnemental.

Cette démarche inductive pourrait être documentée par une analyse des statistiques des produits en volume et en valeur, des relations entre les différents acteurs (TES) et de la nature des investissements réalisés par les firmes (investissement en capital social, en capital fixe...). Si celle-ci se prête à la description des filières agroalimentaires françaises, elle se heurte, en Russie, au peu de fiabilité et à la nature des informations disponibles (voir prolégomènes). Souvent incomplètes, ne proposant généralement que des données en quantité physique, les statistiques russes ne sont exploitables qu'en tant que forme de représentation politique de l'organisation du secteur. Bien que nous ne nous sommes pas privés de ce type de données quantitatives dès que cela était pertinent, il est apparu nécessaire de conduire des entretiens qualitatifs. Nous en avons réalisé une cinquantaine entre 2006 et 2009 avec des exploitants dans les régions d'Orel et de Moscou. Les questions posées visaient, dans une perspective théorique, à déterminer les choix des acteurs en matière de collaboration avec autrui et à définir la façon dont ils s'inséraient sur les marchés et géraient leur rapport aux patrimoines (i.e. à la multifonctionnalité). Cette méthode rend possible une description de la prise en charge des tensions sociales et les logiques stratégiques. Une analyse régionale permet de comprendre les dispositifs régulateurs réels et de relativiser les discours normatifs tenus au niveau central sur l'ouverture au marché.

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