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REPRESENTATION SOCIALE » DES ENFANTS EN SITUATIONS DE RUE

OUSSOUMANA SAWADOGO

Coordinateur de KEOOGO, ONG d’accompagnement médico-psychosocial des enfants et jeunes en situation de rue, Ouagadougou, Burkina-Faso

Résumé

En Afrique, l’enfant qui n’établit pas de lien avec le cadre familial se trouve en-dehors des normes sociales et porte atteinte à l’intégrité socioculturelle nationale. Dans leur approche, les forces de l’ordre privilégient l’angle du délit. Pour les enfants concernés cependant, intégrer ce nouveau contexte est de l’ordre de la reconstruction (famille de substitution). Les médias quant à eux utilisent un langage dramatique n’offrant aucune alternative. Ce contexte dicte les méthodes de prise en charge et d’assistance des ESR, centrées sur l’institutionnalisation. Il est temps de sortir de cette lecture qui exclut d’office un enfant ne vivant pas dans le cadre familial et le prive de ses droits. A cet égard, l’approche communautaire offre de nombreuses perspectives, comme le montre l’initiative Keoogo, structure d’accompagnement médico-psychosocial des enfants en situations de rue à Ouagadougou.

Zusammenfassung

In Afrika befindet sich das Kind, das keine Familienbindung herstellet außerhalb der sozialen Normen und verletzt die soziokulturelle nationale Integrität. Im Umgang mit ihm befürworten die Sicherheitskräfte den Standpunkt des Delikts. Für die betroffenen Kinder bedeutet hingegen die Integration dieses neuen Kontext einen Wiederaufbau (Ersatzfamilie). Die Medien benutzten eine dramatische Redeweise und liefern diesbezüglich keine Alternative. Dieser Kontext schreibt die Betreuungs- und Unterstützungsmethoden des ESR, die auf der Institutionalisierung fokussieren. Es ist Zeit, sich von dieser Denkweise zu entfernen, die ein Kind ohne Familie ausschließt und ihm seine Rechte entzieht. Diesbezüglich bietet ein gemeinschaftlicher Ansatz viele Perspektiven, wie es die Initiative Keoogo – eine medizinische und psychosoziale Begleitstruktur der Straßenkinder in Ouagadougou – beweist.

Resumen

En África, el niño que no establece ningún vínculo con el marco familial se encuentra fuera de las normas sociales y atenta contra la integridad sociocultural nacional. En su enfoque, las fuerzas del orden privilegian el ángulo del delito. Para los niños concernidos sin embargo, integrar este nuevo contexto significa reconstruir (familia de substitución). En cuanto a los medios de comunicación utilizan un lenguaje dramático que no ofrece ninguna alternativa. Este contexto dicta los métodos de toma de responsabilidad y de asistencia de las ESR, centradas en la institucionalización. Ha llegado el momento de salir de esta interpretación que excluye de oficio a un niño que no viva en el marco familial, y le prive de derechos. Conforme a esto, el enfoque comunitario ofrece numerosas perspectivas, como lo muestra la iniciativa Keoogo, estructura de acompañamiento medico psicosocial de los niños en situación de calle en Ouagadougou.

Summary

In Africa, the child entertaining no family relationship is out of social norms, and is doing prejudice to the national socio-cultural identity. Police forces favour the crime angle in their approach. For the concerned children, however, integrating this new context means rebuilding (a surrogate family). As for media, their emotional language is not putting through any alternative. This context guides care and assistance methods towards CSS, all institution-centred. It is time to go beyond this approach, that excludes a priori any child not included in a family system, and deprives him/her of his/her rights. Community approach brings many perspectives in this respect, as shows the Keoogo initiative, a health and psychosocial counselling structure for CSS in Ouagadougou.

INTRODUCTION

En Afrique de façon générale et au Burkina en particulier, la famille dans toutes ses dimensions reconnues, apparaît comme le cadre de vie par excellence. En témoignent les dispositions physiques et symboliques consenties pour protéger, éduquer et encadrer les enfants. Par opposition donc, tout autre milieu sera malsain pour une éducation valorisante. Ainsi tout enfant qui n’établit pas de lien avec le cadre familial se trouve en-dehors des normes sociales.

Cette conception de base constitue pour la communauté toute entière le fondement identitaire par lequel elle se valorise et se rapporte aux autres communautés. Il apparaît alors légitime que la société se positionne comme garante de toutes les valeurs socioculturelles.

Ces valeurs jouent un rôle important dans la construction des représentations sociales sur les enfants qui vivent dans la rue. En effet, dans le contexte particulier du Burkina-Faso, lorsqu’on parle de représentations sociales des enfants en situations de rue (ESR), cela renvoie spontanément à la conception générale même de cette problématique, considérée comme une atteinte à l’intégrité socioculturelle nationale. Dans cette perception, la présence de nombreux enfants qui inondent les rues est appréhendée comme un grand déshonneur. Du coup, la rue se présente à notre communauté comme un phénomène dévalorisant et dangereux auquel il faut nécessairement remédier.

I-

LES REPRESENTATIONS SOCIALES DES ENFANTS EN

SITUATIONS DE RUE

1.1 La rue perçue par les enfants en situations de rue eux-mêmes

Le constat est malheureusement qu’un nombre important d’enfants se retrouve en rue, donc en situation de rupture effective avec leurs familles respectives. Pour ces enfants, la rue revêt tout autre signification que celui d’un simple lieu de refuge. La rue devient alors la solution pour une sortie de crise au plan individuel et une alternative pour intégrer les traumatismes enregistrés au cours de leurs vécus familiaux. Dans ce même ordre d’idée, la rue est pour ces « bakoromans »1 une forme de libération vis-à-vis d’un cadre familial vécu

1

comme étriqué et inadapté. Pour ces derniers, la présence en rue est vécue aussi comme un geste de survie et la recherche d’une possible réinvention de soi, autrement dit la constitution d’une existence libérée de normes identitaires héritées. Comme le dit Johanny Bassolé l’initiative de la rue prise par les enfants s’inscrit dans « l’ordre de la reconstruction »2 de ce qu’ils ont perdu, en l’occurrence leur famille. C’est pourquoi le groupe qu’il intègre devient pour l’enfant une famille de substitution au sens large, celle dans laquelle il espère retrouver soutien, solidarité et protection. Naturellement, ils savent quelle étiquette la société leur colle du fait de leur position d’enfants vivant en rue. C’est une image qui vient renforcer les agressions déjà subies dans le cadre familial.

« Les gens parlent mal de nous, ils nous accusent de tout, ils nous appellent wad-bi ou drogue-gnoudba ».

Face à cette intolérance de l’opinion publique à l’égard des ESR et même de certains intervenants, il se développe chez ces enfants une sorte de position défensive, exprimée par leur repli dans un mode de vie où ils s’approprient la rue

en tant que lieu de vie c'est-à-dire un milieu à partir duquel on peut se développer. C’est ce paradoxe défensif que l’opinion rejette vigoureusement parce

que mal compris. Sinon quel sens accorde t-on aux raisonnements du genre

« on ne peut rien construire à partir de la rue » « la place d’un enfant c’est la famille, tous ceux qui sont en rue sont des délinquants, des bandits et des voleurs » « les gens qui aident ces enfants n’ont rien à faire. Pire, ils encouragent ces derniers à salir l’image de notre peuple »

bref, la critique est forte et pleine de préjugés stigmatisants.

1.2 La perception des Enfants en Situations de Rue (ESR) au niveau de la population

Cette perception de la rue et des ESR est surtout fondée sur des préjugés négatifs. On pense que la rue est ceci, on se dit que la rue est cela. Pour les parents au village, la rue n’a pas de signification extraordinaire « mon enfant est allé en ville pour chercher du travail » c’est l’image d’une ville imaginaire où la rue ne représente aucun sens particulier. Par contre, les communautés citadines en disent beaucoup de par leurs rapports quotidiens aux ESR. Pour eux, la rue (ESR)

2 Johanny Bassolé participant au forum in Qui-Vive, autoportrait des enfants de rue, un projet de Normal a.s.b.l pour

constitue une menace, c’est un danger qui envahit et détruit la sécurité sociale.

Il convient donc d’y riposter en s’opposant à elle par des comportements stigmatisants et dénigrants, des agressions verbales et injurieuses, des vindictes populaires et abus divers, la pédophilie et autres violences sexuelles faites aux ESR.

1.3 La perception des forces de l’ordre

Pour les agents des forces de l’ordre, les ESR sont des éléments de troubles

à l’ordre public. Ils agressent les passants, volent, et s’adonnent à la

consommation incontrôlée de stupéfiants. Ces pratiques sont condamnables du fait de leur caractère de délit, donc engendrent des préjudices intolérables à la société. C’est pourquoi, la répression systématique s’impose à eux comme moyen principal de relation. En les traitant ainsi disent les agents des forces de l’ordre, ils comprendront que la rue n’est pas leur place, et donc trouveront mieux à faire. Cette appréhension de la rue traduit l’expression des abus et maltraitances liés aux interventions policières vis-à-vis des ESR : les rafles et les garde-à-vue abusives, les incarcérations répétées, et même leur utilisation par la complicité de certains recéleurs.

1.4 La perception des autorités politico-administratives

Les autorités administratives et politiques renforcent le phénomène par leur perception indifférente et négativiste des ESR. Le regard qu’ils portent à la rue traduit une certaine négligence de la situation de ces enfants. Pour eux, les ESR

constituent des débris sociaux qui perturbent les aspects embellissants ou esthétiques de leurs cités. C’est pourquoi ils autorisent leurs déguerpissements

chaque fois qu’un évènement d’envergure se présente.

1.5. Perception et le rôle de la presse dans la construction des représentations sociales sur les ESR

Toutes ces attitudes de tortures et de maltraitances commandées par nos autorités sont très souvent soutenues par la presse qui dit pourtant, avoir un regard critique et neutre. En réalité, la presse dans ses commentaires, constitue un catalyseur de la mauvaise représentation des ESR. Cette position renforce le réflexe de culpabilisation spontané de ces enfants par l’opinion publique. La presse s’interroge toujours sur la responsabilité de cette situation, les éventuelles pistes de solutions, et souvent elle va plus loin en parlant de perte de repères, d’avenirs

hypothéqués…, un langage dramatique à travers lequel aucun espoir de solution

n’est permis :

« s’il y a un fléau qui est en train de gagner du terrain sans qu’on ne s’en aperçoive, c’est bel et bien la recrudescence des enfants de la rue…il n’est secret pour personne que la rue est un lieu de concentration de tous les maux que connaissent nos sociétés… il est pratiquement impossible de circuler librement dans les rues des villes du Burkina sans se faire accoster par des enfants mal habillés…»

Toute alternative souhaitée par les médias est que nos autorités prennent leurs responsabilités pour que nos rues soient sans enfants.