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ESR : BONNES PRATIQUES

JOHN ORLANDO

Responsable des programmes pour la zone Amérique latine et Caraïbes, Terre des hommes – aide à l’enfance, Lausanne

Résumé

L’auteur évoque du point de vue du visiteur dans un pays d’Amérique centrale la situation de ceux qu’on appelait il y a 10 ans le « noyau dur » des enfants des rues. Une fois devenus majeurs, ces derniers n’intéressent plus grand monde. Leur situation s’est aggravée, mais la société a changé de regard : « enfants de la rue », ils étaient vus comme des victimes, tandis que devenus « adultes de la rue » ils sont perçus comme agresseurs ou potentiellement dangereux. Dans un mouvement parallèle, l’auteur quitte alors son statut de visiteur à endosse celui de l’intervenant et pose une question qui taraude toutes les organisations travaillant dans ce domaine : que sont devenus, aujourd’hui adultes, ces milliers d'enfants que nos programmes ont aidés, suivis, appuyés, accompagnés, soignés et soutenus depuis de nombreuses années ?… Malgré les efforts considérables, un certain sentiment d’impuissance et d’inachevé persiste. Mais au-delà de l’impression, il faut pouvoir répondre plus précisément à la société civile et aux bailleurs de fonds sur la question de l’impact : il est urgent de se donner les moyens de mesurer les effets durables des interventions. Cela doit permettre de consolider les « bonnes pratiques », c’est-à-dire les actions qui sont effectives et dont les effets durables puissent être constatés dans la vie adulte des ex-enfants en situation de rue.

Zusammenfassung

Aus der Sicht eines Besuchers eines Landes in Zentralamerika erinnert der Autor an die Lage jener, die vor 10 Jahren der „harte Kern“ der Strassenkinder genannt wurden. Sobald sie erwachsen werden, interessieren sie fast niemanden mehr. Ihre Lage hat sich verschlechtert, aber die Gesellschaft hat ihre Sichtweise geändert: als Strassenkinder wurden sie wie Opfer betrachtet, als Erwachsene wie Angreifer und potenziell gefährliche Leute. Parallel dazu folgt der Autor dem Standpunkt eines Teilnehmers und stellt Fragen, welche all die Organisationen, die in diesem Bereich tätig sind, nachdenklich stimmen: was wurde aus diesen Tausenden von Kindern – heute Erwachsene – denen unser Programm geholfen hat, die dank ihm während vieler Jahre unterstützt, begleitet, gepflegt wurden?

Trotz der beachtlichen Bemühungen bleibt ein Gefühl der Ohnmacht und der Eindruck des Unvollendeten. Ferner muss der sozialen Gesellschaft und den Geldverleihern präziser geantwortet werden was die Auswirkungen betrifft. Es müssen dringend Mittel gefunden werden, um die Dauerwirkung dieser Interventionen zu ermessen. Diese sollten erlauben, die „guten“ Praxen zu stärken, d.h. jene, deren Nachhaltigkeit bei den erwachsenen Ex-Strassenkindern festzustellen ist.

Resumen

El autor evoca desde el punto de vista del visitante en un país de América central la situación de aquellos que se llamaban hace 10 años el “hueso duro” de los niños de las calles. Una vez que han sido mayores, estos últimos ya no interesan a mucha gente. Su situación se ha agravado, aunque la sociedad ha cambiado la mirada “niños de la calle”, estaban vistos como víctimas, mientras que convertidos en “mayores de la calle” son percibidos como agresores o potencialmente peligrosos. En un movimiento paralelo, el autor deja así su estatuto de visitador y endosa el de ponente y formula una pregunta que atormenta a todas las organizaciones que trabajan en este ámbito: ¿ En que se han convertido, hoy adultos, esos miles de niños a los que nuestros programas han ayudado, seguido, apoyado, acompañado, cuidado y sostenido después de numerosos años?...A pesar de los esfuerzos considerables, un cierto sentimiento de impotencia y de inacabado persiste. Aunque más allá de la impresión, hay que poder responder más precisamente a la sociedad civil y a los socios capitalistas sobre la cuestión del impacto: es urgente otorgarse los medios de medir los efectos durables de las intervenciones. Esto debe permitir el consolidar las “buenas prácticas”, es decir las acciones que son efectivas y cuyos efectos durables puedan ser constatados en la vida adulta de los ex-niños en situación de calle.

Summary

The author takes on the position of a visitor in a Central American country, to evoke the fate of those who used to be named the “hard core” of street children, ten years ago. Once they have come of age, they are hardly of interest to anyone. Their case has worsen, but society looks at them differently: as “street children” they were viewed as victims, now as “street adults”, they are perceived as (potential) assailants. In a parallel move, the author then endorses the statute of a co-worker and asks a question that is a haunting one for any concerned humanitarian organisation. “What has become of them? Those dozens of kids we have assisted, followed, supported, accompanied, cared for so many years, now adults?” Whatever the effort, powerlessness and a feeling of incompleteness linger.

To go beyond those feelings, the answer to the question of the impact must be given to civil society and to donors : it is an urgent matter to mobilize means for our interventions to have sustainable effect. This will allow to consolidate “good practice”, that is effective actions whose sustainable effects can be observed in the grown-up life of ex –children in street situations."

Mesdames, Messieurs, Chers collègues,

Je m’appelle John Orlando et je travaille au sein de la Fondation Terre des hommes depuis bientôt 7 ans. J’ai d’abord été délégué en Colombie puis depuis 4 ans j’occupe au siège à Lausanne, la fonction de Responsable des programmes pour la zone Amérique latine et Caraïbes.

C’est justement en Amérique Latine qu’il y a exactement dix ans j’ai eu la chance de diriger durant plusieurs années (pour le compte d’une importante organisation humanitaire médicale) un projet « bas seuil » d’aide aux ESR consommateurs de colle et autres psychotropes. Ce que l’on appelait alors le noyau dur des enfants des rues. Il est important de noter que j’avais été choisi pour ce travail compte tenu de l’expertise que la Suisse avait dans la prise en charge « bas seuil » de personnes toxicomanes marginalisées (j’avais effectivement travaillé, pour ceux qui s’en rappellent, dans le fameux Parc du Letten à Zurich où l’on distribuait pas moins de 6 à 9’000 seringues par jours, puis à Genève dans le Programme Expérimental de Prescription d’héroïne sous contrôle médical chapeauté par les Hôpitaux Universitaires Genevois).

Depuis, j’ai continué de superviser et d’évaluer différents projets liés à l’attention, la prise en charge, la prévention ou la réinsertion d’ESR; et plus particulièrement les projets d’intervention directe que la Fondation Terre des hommes soutient au Brésil et dont ma collègue, Françoise Correvon, vient de nous parler.

Toutefois, le propos de mon intervention aujourd’hui est lié à mes dernières vacances en Amérique Latine. Rassurez-vous, je ne vais pas vous imposer les diapositives de mes photos souvenirs. Par contre, je voudrais partager avec cette audience un « étrange sentiment » que sans doute, la majorité d’entre vous, qui suivez des enfants dans de multiples contextes, avez également ressenti. Il s’agit de ce sentiment d’inachevé ou d’impuissance qui se superpose parfois à celui d’avoir fait de notre mieux pour venir en aide aux ESR.

Voilà donc qu’en mars dernier je suis retourné dans les mêmes rues de cette capitale centre-américaine où j’ai connu à partir de 1997 plusieurs dizaines d’ESR, âgés pour la plupart d’entre eux, de 8 à 17 ans.

Je me trouvais donc dans un véhicule 4x4 identique à des milliers d’autres qui roulent à petit pas, malgré leur grosse cylindrée, dans le chaotique trafic des grandes villes d’Amérique et que l’on retrouve aussi dans certaines mégapoles d’Afrique et d’Asie. Au volant, le Dr. Oscar, qui dix ans auparavant faisait partie de mon équipe de « médecins de rue », équipe mobile qui 4 soirs par semaine intervenait dans les endroits connus comme les plus lugubres, insalubres et dangereux de la capitale, où se terraient des dizaines d’ESR du noyau dur, unis par

le sentiment qu’ensemble ils étaient mois vulnérables aux multiples dangers de la nuit. Dangers féroces et inattendus, qui contre toute logique dans nos sociétés occidentales, étaient souvent générés directement par les propres forces de l’ordre. Dans leurs interventions de « nettoyage », la force l’emportait toujours sur la notion d’ordre, et même sur celle de sécurité que la police suscite généralement dans nos pays.

Sur l’un des grands boulevards qui divise la partie nord et riche de la ville de celle marginalisée du sud, on trouve un alignement systématique de feux rouges, qui tous les 300 mètres nous obligent à ralentir la cadence et qui, comme il y a dix ans, nous mettent face à cette réalité de centaines d’enfants et d’adultes qui cherchent au quotidien les quelques monnaies qui assureront leur subsistance jusqu’au lendemain.

Tout comme il y a dix ans, des dizaines de personnes tentent de profiter des quelques minutes où la signalisation bloque les automobilistes pour vendre toute sorte d’objet. Cela va du simple chewing-gumt, aux protège-volant et autres porte- cellulaires en similicuir, des fruits, des linges de bain, des cigarettes comme en vendait je jeune homme burundais de l’excellent reportage que nous avons vu hier soir… Certains vendeurs vous proposent même des animaux exotiques, mais attention à l’arnaque, car il paraît que leur plumage est repeint aux feutres fluorescents pour leur donner plus d’éclat… me précise mon ami sans que je lui demande (peut-être s’est-il fait avoir ? Je lui poserai la question une autre fois !).

Les enfants eux (et dont plusieurs vivent certainement dans la rue) semblent continuer de garder le « monopole » du « bisness » de nettoyage de pare-brise de voitures, avec, aspect nouveau dans le contexte de cette capitale, quelques variantes originales liées à leur habileté de jongleurs et d’acrobates (activités dont les propres jeunes disent les avoir apprises dans l’un des différents centres d’accueil qui les ont soutenu à un moment de leur vie). Il est vrai aussi que chez ces enfants là il y a sans doute peu d’ESR qui font partie du noyau dur, sans doute trop intoxiqués ou trop marginalisés pour pouvoir se débrouiller dans ces petits métiers.

Comme souvent, ce satané feu rouge met un temps interminable à passer au vert, et à la différence d’il y a dix ans, la voiture dans laquelle nous nous trouvons ne dispose pas des stickers visibles de l’ONG amie collés sur les portières. Logos qui sont généralement connus par les ESR (même si beaucoup ne savent pas lire) et qui en quelque sorte nous protègent du dilemme « leur donner de l’argent ou pas ! ».

Détournant alors mon regard d’une jeune mère qui, tenant dans ses bras un bébé, me demande par un geste de la main de l’argent, j’ai interrogé mon voisin :

« Dis Oscar, toi qui passe régulièrement par ici, reconnais-tu des enfants que nous avons appuyés il y a dix ans ?... car je me demande ce qu’ils sont devenus ! »

La réponse du docteur fut nette est tranchante :

« Je sais que certains sont morts ! me dit-il… D’autres ont complètement disparus de la circulation ! Peut-être sont-ils réinsérés ou alors ils cherchent leurs chances dans d’autres rues d’autres capitales ? D’autres se sont effectivement réinsérés ! Mais malheureusement beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui des adultes des rues ! J’en croise parfois; pour certains, ce sont de vraies épaves ravagées par l’alcool, la colle et les autres drogues peu présentes il y a dix ans ! »

Voilà… cet épisode de mes vacances me permet d’introduire les propos de la réflexion que je voudrais entamer avec vous et que je me permets de vous transmettre avec les mots qui pourrait être ceux d’un ancien ESR devenu aujourd’hui, dix ans plus tard, un ASR (adulte en situation de rue) et qui nous dirait :

« Lorsque je suis enfant de la rue, je te touche, je te bouleverse, cela t'es insupportable. Aux yeux de la société je suis une victime... et donc je reçois de l’aide; j’ai des options de centres d’accueil; de jeux; de formation, d’appuis divers… j’apprends à jongler, des médecins viennent dans la rue soigner mes plaies et des psychologues ou éducateurs parlent avec moi de ma vie, de mon passé, de mon avenir...

Par contre, aujourd’hui que je suis devenu un adulte de la rue, je passe du statut de victime à celui d’agresseur ou du moins à celui d’une personne potentiellement dangereuse. Le regard de la société sur moi est bien différent: je dérange, je suis un parasite, je n’intéresse plus, les centres me sont fermés « désolé mon grand, mais t’as 18 ans ! » ou alors insuffisants ou simplement inexistants. »

Avant de conclure, je tiens à préciser que mon exposé ne prétend aucunement critiquer ou mettre en cause les importantes activités et le difficile travail que nous réalisons tous. Je vous assure ma pleine admiration et le plus grand respect pour l’ensemble des actions que vous menez, des plus petites au plus coûteuses. Toutefois, j’aborde tout ceci pour nous interroger sur une question centrale :

- Qu’en est-il de ces milliers d'enfants que nos programmes ont aidés, suivis, appuyés, accompagnés, soignés et soutenus depuis de nombreuses années ?… Mais plus précisément, qu’en est-il d’eux aujourd'hui, maintenant que ces enfants sont devenus des adultes ?

Je suis persuadé que cette question beaucoup d’entre vous vous l’êtes posée régulièrement. Et d’ailleurs, peut-on faire autrement ? Je pense même que nous avons intérêt à le faire et de manière urgente car nous sommes de plus en plus sous

la pression des bailleurs institutionnels qui eux, nous la posent sous l’angle de la redevabilité (ou « accountability » en anglais), mais pas seulement… la société civile du Nord et du Sud nous la posera aussi très prochainement et en toute légitimité !

De là, la nécessité pour nos institutions de se poser la question sous l’angle de l’impact; c'est-à-dire, la nécessité urgente de se donner les moyens de mesurer les effets durables de nos interventions… pour consolider nos actions en termes de « bonnes pratiques » qui soient effectives et durables dans la vie adulte des enfants en situation de rue.

MÉTHODOLOGIE

D’INTERVENTION